A LA LUMIERE FROIDE DE LA TERRE – Première Partie – Chapitre 3

Chapitre 3

Durant les premiers jours, nous errâmes de notre cabine au réfectoire, toujours le même, nous réinscrivant chaque jour à la même heure, pour le même menu. Nous avions rapidement découvert que tous les plats avaient le même goût insipide et qu’il était inutile de chercher de la fantaisie dans cette nourriture aseptisée.

Il était facile de se repérer dans le vaisseau : chaque étage, bien qu’entièrement blanc et d’une propreté presque inquiétante, était pourvu d’une ligne de couleur, large et brillante, située à hauteur de main. Le numéro de l’étage peint en chiffres immenses, était reproduit sur les murs à intervalle régulier. Le sol portait lui aussi des marques colorées et numérotées qu’il était aisé de suivre. Au bout de quelques jours, Joshua trouva une salle de sport dans les étages
intermédiaires et il commença à s’entrainer pour passer le temps. Moi, je préférais somnoler dans le canapé moelleux en regardant des films numériques. J’avais tellement de retard ! En quelques jours, j’engloutis plus d’histoires que je n’en avais vues ou lues ces dix dernières années. La production cinématographique s’était arrêtée bien des années auparavant et je contemplais donc des acteurs morts depuis longtemps, évoluer dans un monde paradisiaque, aux paysages somptueux et aux coucher de soleil magnifiques, éradiqués par le déchainement de la planète et que je n’avais jamais eu le loisir de contempler sur terre.

L’écran de télé se transformait aussi en fenêtre virtuelle et pouvait afficher de nombreux paysages. Je privilégiais régulièrement une plage de sable clair aux palmiers ployant sous de lourds fruits bruns que je contemplais longuement avec curiosité. Leurs palmes bougeaient lentement au rythme d’une douce brise, plongeant parfois leurs pointes effilées et trainantes dans l’eau d’un bleu azuré. Le flux et le reflux des vagues venaient égayer le sourd grondement des moteurs du vaisseau et estompait partiellement le chuintement persistant de la ventilation. J’étais consciente que ce temps de latence ne durerait pas, alors j’en profitais. Nous avions tellement travaillé avant le départ. Notre vie avait été si remplie, nous étions si impliqués dans ce que nous faisions au quotidien que nous nous couchions tous les soirs harassés, sans jamais prendre le temps de nous poser pour réfléchir. Dans le vaisseau, malgré la présence de différentes boutiques qui aurait dû m’attirer et où l’on pouvait se vêtir et se chausser gratuitement, je préférais flâner dans les couloirs et dans les espaces publics où la végétation abondait. Je m’autorisais une seule et unique visite dans un magasin où l’on me fournit, sans rien me demander en échange, une panoplie complète de vêtements pour Joshua et pour moi. La jeune femme qui tenait l’espace habillement, me proposa bien plus de vêtements que je n’en désirais et je les refusais à son grand étonnement, me cantonnant à des pièces simples et confortables qui s’apparentait déjà au luxe pour moi.

Je choisis de me laisser porter par le temps qui défilait lentement, découvrant le plaisir languide et débilitant de l’inaction. Une nuit artificielle avait été recréée et l’extinction des lumières dans les parties communes, donnait l’illusion d’un semblant de normalité. Il y avait le jour et la nuit, fictifs certes, mais cela imprimait un rythme à nos vies que nous aurions probablement perdu sans cela. Le temps est une notion si particulière ! Impalpable, lent ou rapide, il file ou se traine, s’impose ou se dérobe. Je trouvais donc sensé de donner une régularité à notre voyage. Sans elle, nous serions probablement tous devenus fous.

J’avais eu raison de profiter de cette vacance car un matin, le haut-parleur retentit dans notre cabine :

« Zellana et Joshua Folong sont attendus au poste d’état-major, zone jaune, bureau 224 ».

Joshua sursauta et son air fautif et honteux ne m’échappa pas. Mais je ne dis rien. Joshua était un homme de rigueur. Il aimait les cycles, l’organisation, la répétition. L’agronomie lui allait à merveille. Elle répondait à ses besoins d’ordre et d’organisation, de rythme et de temps qui passe. Les semences se plantent, les cultures poussent, les récoltent se préparent et le cycle recommence. Moi, je ne dédaignais pas un peu de chaos par moment. Pas de celui qui détruit une planète, mais celui qui dérègle un peu l’ordre établi. Ainsi je découvris que je vivais finalement sans problème l’erreur de vaisseau, là où Joshua se rongeait les sangs depuis l’embarquement.

Il me regarda enfiler mes vêtements avec exaspération, alors je pris mon temps. Je ne lui voulais pas de mal, mais par moment, je ne pouvais m’empêcher de le pousser à bout. Quand je fus enfin prête, nous gravîmes les étages dans l’immense ascenseur dont les portes s’ouvraient et se fermaient sans aucun bruit. Nous suivîmes les codes de couleurs imprimés sur le sol avant de nous arrêter devant une porte jaune portant le numéro deux cent vingt-quatre écrit en noir. Joshua frappa et la porte s’ouvrit automatiquement dans un léger cliquetis. La même dame à la coiffure stricte nous attendait devant un autre bureau, nettement plus imposant cette fois ci.

– asseyez-vous, jeunes gens, dit-elle sans lever la tête, comme à notre première rencontre. Elle portait un nouveau tailleur beige clair qui adoucissait son visage sévère.

Devant l’immense table de bois couverte de documents, se trouvaient deux petites chaises particulièrement ridicules dans cet espace spacieux et luxueux. Nous y prîmes cependant place et attendîmes qu’elle daigne s’intéresser à nous. Quand elle le fit, elle nous regarda par-dessus de fines lunettes d’écaille, ce qui lui donnait un air scrutateur et étonné à la fois. J’eus envie de rire mais Joshua semblait si tendu que je m’en abstins.

– donc vous vous être trompés de vaisseau, dit-elle d’une voix flutée, comme si elle reprenait la discussion là où nous l’avions arrêté la première fois.

– oui, c’est ça, répondit Joshua. Dans sa voix perçait une angoisse que je ne lui connaissais pas. Je me demandais alors si c’était lui qui devenait paranoïaque ou si quelque chose d’important m’échappait. Peut-être étais-je réellement inconsciente de la gravité de ce qui nous arrivait mais je ne parvenais pas à m’ôter de l’idée que nous devrions tous nous réjouir d’avoir survécu au séisme et au décollage. Bien des choses pouvaient se produire avant notre arrivée sur Matria, des choses bien plus importantes qu’une erreur d’affectation. Certes, nous n’irions probablement pas immédiatement construire des cités ni ensemencer les champs des plaines intérieures, nous ne rejoindrions pas tout de suite tous les amis avec lesquels nous devions initialement nous installer, tous ceux avec lesquels nous avions grandi, tous ceux avec lesquels nous avions partagés peines et joies, mais nous irions ailleurs ou notre savoir serait tout aussi utile. D’autres prendraient notre place auprès de nos camarades, en souhaitant qu’eux aussi aient pu décoller et soient comme nous, en route pour Matria. Mes capacités d’adaptations semblaient bien plus importantes que celles de Joshua qui me donnait l’impression de vivre un cauchemar éveillé depuis le décollage. Ou alors, et cela je ne pouvais l’écarter d’un geste de la main comme on chasse une mouche importune, il se jouait quelque chose que j’ignorais et que Joshua pressentait mieux que moi.

– bien répondit la dame, onctueuse dans un sourire factice qui me réfrigéra.

Je décidais d’être plus attentive et de réfléchir avant de parler. Je connaissais bien mon mari et je ne l’avais jamais vu comme cela. C’était plutôt un jeune homme optimiste et confiant.

– écoutez, nous sommes vraiment désolés, dit-il d’un ton calme malgré ses poings fermés et serrés, cachés par le bureau. Nous avons une mission et nous comptons bien l’assumer. Dès que nous serons arrivés sur Matria, nous trouverons un moyen de rallier notre point d’affectation.

La dame, qui n’avait pas daigné se présenter, le regarda longuement avant de répondre :

– Ce ne sera pas aussi simple, jeune homme. Comme vous l’avez probablement compris, vous vous trouvez sur le vaisseau présidentiel où seuls résident normalement les membres du gouvernement, les brillants candidats de « l’École Politique » et les personnalités sélectionnés pour former le peuple de la belle cité de Materia, capitale de Matria et siège du gouvernement. Dit-elle d’une voix dans laquelle perçait une fierté évidente. Nous n’allons pas, loin de là, dans les plaines centrales.

Son regard s’était légèrement radoucit. Il semblait que l’évocation de la future capitale du nouveau monde l’enchanta.

Comme vous l’avez probablement appris, si vous avez révisé votre géographie, reprit-elle après un long silence, vous deviez vous rendre au centre du continent alors que Materia se trouve à l’extrémité de la pointe sud-ouest, à des milliers de kilomètres. Aussi, il va nous falloir réfléchir ensemble à une nouvelle affectation pour vous deux. Nous vous aurions bien expédié sur un autre site à proximité, dit-elle plus froidement, mais il se trouve que beaucoup de nos ingénieurs et architectes sont portés disparus. Nous n’arrivons pas à entrer en contact avec les autres vaisseaux pour le moment, même si nous pouvons les localiser grâce à…laissons ça, s’interrompit-elle embarrassée. Je disais donc que nous pourrions tout de même avoir recours à vos connaissances, mais il va falloir vous adapter à de nouvelles techniques, particulièrement vous, dit-elle subitement en me pointant du doigt. Je ne sais ce que l’on vous a enseigné à l’Académie, mais il n’est pas question de construire Materia comme un vulgaire village de pécheur !

Sa voix était si méprisante que je me sentis piquée au vif et ne pus m’empêcher de répliquer :

– ne vous inquiétez pas, Madame, j’ai reçu un enseignement suffisamment vaste pour pouvoir faire face à toute les demandes. jJ maitrise aussi bien l’art de construire une hutte en bambou en quelques heures que celui de concevoir un building de quatre cent étages, même si je vois mal comment nous le construirions sur le plan technique avec ce dont nous disposerons sur Matria.

– impertinente en plus ! répliqua la dame d’une voix plus calme, presque amusée.

Décidément, cette femme avait l’art de souffler le chaud et le froid !

– je vous prie d’excuser mon épouse, Madame, l’interrompis presque Joshua qui contenait difficilement une anxiété que je ne parvenais pas à comprendre, nous avons reçu une formation de très haut niveau qui nous permet de répondre à tous les besoins et nous sommes capables de nous adapter sans aucune difficulté.

– vous devriez apprendre la diplomatie à votre épouse Monsieur Folong, rétorqua la dame d’un ton si glacial que je frissonnais. Elle en aura besoin pour vivre à Materia. Reprit-elle. Bien, trêve de bavardage ! Un programme a été établi pour vous deux. Vous vous rendrez dès demain matin dans les laboratoires de recherches du troisième niveau. Vous, me dit-elle, toujours en me pointant du doigt, vous aiderez maitre Wong dans ses travaux de conception de la ville. Quand à vous, Monsieur Folong, une remise à jour de vos connaissances en plante maritime vous sera utile. Vous irez donc travailler avec le professeur Fouazi.

– bien Madame, répondit Joshua en se levant et en la saluant respectueusement. Puis il m’attrapa par le bras et me força à sortir du bureau sans me laisser le temps de prononcer un mot.

Il me traina presque le long du couloir impersonnel dans un silence buté. Je l’avais probablement encore une fois embarrassé !

Alors que nous nous apprêtions à descendre dans notre cabine, la garde rousse apparut à nos coté, sortant de nulle part. Elle se planta devant nous, porteuse de deux paquets emballés dans du plastique fin.

– voilà deux combinaisons vous permettant l’accès aux laboratoires de recherche ainsi que des cartes d’accréditation. Sans elles, vous ne passeriez pas les sas de sécurité. Nous dit-elle ne nous fourrant les paquets dans les bras.

Avant même que j’ai le temps de l’interroger sur les raisons de ses précautions de sécurité, elle s’était volatilisée.  J’entrevis un panneau, pratiquement invisible, se refermer dans la paroi blanche et immaculée du couloir. Une fois fermé, il n’en restait aucune trace. Je posais mes mains sur le mur recouvert de résine lisse et je sentis les vibrations du champ magnétique. Il fallait un badge pour ouvrir ce sas et je ne le possédais pas.

Joshua me tira encore une fois par le bras – décidément ça devenait une désagréable habitude – et me força pratiquement à rentrer dans l’ascenseur. J’allais l’invectiver quand il posa un doigt sur ma bouche. Ce geste si inattendu me tint en respect et je décidais d’attendre que nous soyons à l’abri de notre cabine pour parler. La descente était longue car les ascenseurs prenaient leur temps, diffusant une musique sirupeuse et lénifiante. Quinze étages plus bas. Le couloir jusqu’à la porte 8025, j’allais enfin pouvoir m’exprimer mais Joshua me fit signe de me taire et mit la télé – un film romantique que j’avais déjà vu mettant en scène de gentils vampires « végétariens ». Il monta le son puis m’entraina sous la douche et après s’être déshabillé rapidement, ouvrit les deux robinets. J’ôtais rapidement mes vêtements, trop heureuse de ce moment d’intimité mais il me plaqua contre le mur et pendant que l’eau ruisselait sur nos têtes il dit :

– Zellana, tu dois te montrer bien plus prudente. Il se passe des choses étranges sur ce vaisseau. Je n’arrive pas à savoir de quoi il s’agit mais, fait-moi confiance, nous devons faire très attention à ce que nous disons et à ce que nous faisons, je suis sûr que ces cabines sont truffées de micros. Nous ne pouvons pas parler à tort et à travers. Si tu veux avoir une discussion sérieuse avec moi, tu devras prendre l’habitude de le faire avec discrétion.

– l’idée n’est pas pour me déplaire, répondis-je en me collant contre lui, mais ses yeux furieux me ramenèrent à ce qu’il venait de dire :

– je ne comprends pas ce que tu crains, répondis-je, légèrement agacée, que veux-tu qu’il nous arrive ? Ils ont besoin de nous, tu l’as entendu et puis nous ne représentons aucun danger, lui ajoutais-je en tentant de l’amadouer en me frottant langoureusement contre lui.

– je pense que tu te trompes, répliqua-t-il sans se dérober pour autant. Comment expliques-tu qu’il n’y ait que des membres du gouvernement sur ce vaisseau ? Aucun d’eux ne sort de l’académie de Matria. Ce sont des élites formées à l’école politique. Et je ne pense pas qu’ils aient réellement besoin de nous, ils nous occupent pour détourner notre attention.

– mais de quoi, Joshua ? lui demandais-je, fascinée par les muscles de son torse.

– ça, je ne le sais pas encore, reprit mon époux, toujours aussi peu disposé à s’abandonner, mais j’espère que nous l’apprendrons avant de débarquer, sinon je doute que nous survivions à l’atterrissage.

– tu ne crois pas que tu exagères ? lui demandais-je en posant mes mains sur son visage pour qu’il me regarde.

– j’aimerai vraiment, mais quelques chose me dit que nous sommes en grand danger si nous n’obéissons pas aveuglément à ce qu’on nous demande. dit-il, préoccupé et insensible. Jouons le jeu, c’est plus sûr. Ne pose plus aucune question s’il te plait. Ne parle pas sans réfléchir. Ne te mets pas en danger, je t’en supplie. Je ne supporterai pas de te perdre, je veux vivre avec toi sur Matria, je veux y accomplir de belles choses, je veux que nous ayons des enfants et que notre vie soit utile et remplie.

Devant tant d’inquiétude et de sollicitude, je m’inclinais et dans un murmure, promis d’être prudente. Alors Joshua posa enfin ses yeux sur mon corps, le détaillant lentement puis, alors que  l’eau coulait toujours, il m’embrassa enfin tendrement ; toute la tension accumulée s’évacua dans ce baiser simple et passionné qui nous réunit durant un moment de bonheur. Enfin, je retrouvais Joshua !

 

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