SUR LE FOND – Chapitre 12 – Jusqu’à ce que la mort nous sépare

Chapitre 12
Jusqu’à ce que la mort nous sépare

Son histoire me touche plus qu’elle ne l’imagine. Cette femme semble aller de galère en galère.

Après avoir subi un mari violent, infidèle et sexuellement insatiable, elle trouve enfin l’amour pour le perdre si vite qu’elle n’a que le temps d’en garde la désillusion. Ensuite cette bande d’affreux salopards. Franchement je la plains. Mais il y a en elle une énergie, une force incroyable qui force mon admiration. Elle se tient droite sur sa chaise et elle parle sans discontinuer depuis des heures. J’aimerai lui dire d’arrêter. Je ne veux plus entendre le fil douloureux de son histoire, mais je ne le peux pas. Au fond de moi, je veux savoir. C’est presque devenu personnel maintenant ; je veux avoir toute les facettes de cette affaire pour être sûr que nous n’avons pas commis d’autres erreurs.

J’aurai du convoquer madame Rabatto juste après son mari, mais la vie en a décidé autrement. Rien n’est simple, surtout pas quand on travaille dans la police. Le commissaire nous a réquisitionnés, Isabelle et moi, pour enquêter sur un braquage chez un buraliste. Je le soupçonne de nous avoir fait payer la lenteur et le peu de résultat de l’enquête Fauré. Au demeurant, nous n’avons pas été meilleurs sur le braquage. Le type a emporté des plaques de timbres. Ce n’est pas idiot, ça représente de l’argent et c’est impossible à tracer. Mais comment l’écouler ? Alors, nous nous sommes intéressés à toutes les ventes de timbres. Nous avons contactés les entreprises qui envoient beaucoup de courrier mais elles étaient toutes équipées d’affranchisseuses. Bref, beaucoup de temps perdu pour rien. Les timbres vont probablement pourrir dans un coin et personne ne trouvera jamais le coupable. Le type a dû les prendre par dépit. Les quarante-trois euro et quelques centimes que contenait la caisse ont dû le mécontenter, alors il a pris la pochette des timbres. Voilà ce qui a occupé mon temps ces derniers jours.
Et puis, j’ai pris quelques jours de congés pour être avec ma Jenny. Je l’ai emmenée passer une semaine dans le midi, dans ma famille, où elle a découvert le soleil. Elle n’avait jamais quitté le nord ! Quand elle m’a expliqué ça d’une voix un peu triste, je n’ai pas hésité. J’ai posé des congés, prévenu mes parents et je suis rentré, porteur de deux grosses valises neuves. Elle s’est mise à pleurer de joie. Même quand je lui ai dit que nous n’allions que dans le sud, ses larmes ont continuées à ruisseler sur ses joues rougies par le plaisir. Nous avons préparé nos bagages religieusement et les valises sont restées posées dans le couloir jusqu’au jour du départ. Je leur jetais un petit coup d’œil le soir en rentrant, elles avaient encore bougé. Jenny ne cessait d’en modifier le contenu, ajoutant ou enlevant un tee-shirt, une robe, un débardeur. Elle avait fait quelques achats aussi. Un joli maillot que nous avons étrenné durant un défilé improvisé auquel j’ai apporté ma contribution en me pavanant, peau étonnamment blanche, en bermuda coloré à fleur, style hawaïen un peu démodé. Jenny m’a montré son chapeau, un beau chapeau de paille à large bord orné d’un ruban bleu marine fermé par un gros nœud plat. Je l’ai regardé dodeliner sur sa tête pendant que nous faisions l’amour, elle ressemblait à une belle romantique du dix-neuvième siècle qui se serait encanaillée. J’ai aimé ses belles fesses blanches, rondes et crémeuses, son dos dont la colonne disparaissait dans un creux plus qu’élégant et ce chapeau qui cachait sa tête et sa nuque. Elle était belle et je l’ai aimé très fort. Elle me l’a rendu avec passion. Je crois que je suis ferré. Je l’aime et je le lui dis à longueur de temps. Je pose ma tête entre ses jolis seins et je me repais de son odeur, de sa douceur, de sa blancheur. Je pose ma main dans le creux de son bras, sur le galbe de sa hanche, sur un de ses seins ronds. Je remonte du bout des doigts le long de ses jambes, je caresse son sexe chaud et douillet. Je l’aime et elle me le rend volontiers. Ses attentions sont tendres et touchantes. Elle me suce longuement, retenant mon plaisir jusqu’à ce qu’il devienne irrépressible. Elle danse parfois pour moi, maladroite mais heureuse de me faire rire et de m’exciter. Elle me tend son cul pour que je l’emporte au même rythme que moi vers le plaisir que nous avons réussi à peaufiner ensemble. Bref, nous sommes heureux et notre vie simple nous satisfait. Quand nous arrivons dans ma famille, elle est accueilli par les chiens qui lui sautent dessus et lui lave la figure. Elle se laisse faire sans protester. Je l’ai prévenue : ici tout le monde est démonstratif, même les animaux. Ma mère la serre dans ses bras et mon père la contemple des pieds à la tête, comme si je ramenais la huitième merveille du monde. Je suis heureux, ils le voient et ils aiment Jenny pour le bonheur qu’elle me donne. Mon père me prend à part et me glisse à l’oreille :
– tu vas nous faire des beaux petits avec cette jeune fille. Elle est bien pour toi, ça se voit gros comme le nez au milieu de la figure. Et puis elle t’aime, fais-moi confiance, pas comme ta Bérénice, là. Ce glaçon que tu avais épousé. Je suis content mon fils. C’est bien. Tu nous manque mais tu n’as pas perdu ton temps. Tu l’as enfin trouvé, crois-moi c’est la bonne.
Ma mère me tient à peu près le même discours après avoir longuement interrogé Jenny qu’elle a convoquée dans la cuisine, hors de ma présence. Mon père m’emmène faire une grande balade dans les collines et je retrouve le plaisir de marcher dans la campagne provençale. Les cyprès, les oliviers centenaires, les chênes lièges, la lavande en fleur. Tout ça m’a manqué mais je l’avais oublié, pris dans mes obligations professionnelles et dans ma relation naissante avec celle qui va probablement devenir la femme de ma vie. C’est déjà le cas mais je reste toujours sur mes gardes. Les mauvaises expériences laissent des traces douloureuses qui s’effacent difficilement. J’aimerai m’abandonner totalement à cette relation mais je ne peux empêcher une part de moi de craindre toujours le pire. J’emmène Jenny à la plage et elle en pleure presque de joie. Le mois de juin est bien avancé et malgré la fraicheur de l’eau, elle s’y plonge avec plaisir. Nous passons une journée fabuleuse, jouant les vacanciers. Pique-nique sur la plage, parasol et coup de soleil inévitables, même pour moi dont la peau a perdu l’habitude, soirée dans un restaurant au bord de l’eau. Une journée d’amoureux. Je rêve de l’emmener à Venise au printemps, à New York sous la neige, visiter le monde avec moi. Le sable chaud est propice au rêve. Je lui raconte les lieux magiques où je l’emmènerai et elle m’écoute, subjuguée et attentive. Quand nous rentrons à la maison, du soleil plein les valises, la grisaille qui nous accueille ne parvient pas à pénétrer la petite bulle dans laquelle nous voguons. Je crois que je vais lui demander de m’épouser. Nous ferons un beau mariage dans le sud. Je suis sûr que ma mère sera ravie de nous organiser tout ça. Mais je n’en parle pas encore à Jenny, c’est trop tôt, je ne suis pas encore prêt.
Tout à mon bonheur et à mes vacances, j’ai oublié l’affaire qui m’occupe depuis déjà plusieurs semaines. Je me replonge sans plaisir dans le meurtre de Paul Fauré et convoque Vanessa Rabatto. Je me force à relire le dossier dans sa totalité pour m’imprégner de ses moindres détails. Plusieurs points restent obscur, en particulier ce problème d’heure. Je ne sais pas pourquoi ça me travaille. Je ne sais pas si cela a réellement de l’importance mais je ne peux laisser passer ce détail chronologie dans cette après-midi où les deux principaux suspects sont en désaccords sur les horaires. Robert l’aurait trouvé mort à quatre heures et Vanessa l’aurait vu se garer à cinq heures. Quand à Madame Fauré, elle a quitté son travail à vingt heures et ne peut donc être arrivée que vers vingt heures quinze, heure à laquelle, le légiste est formel, l’homme était déjà mort. Donc nous avons un problème : Paul Fauré ne pouvait pas être mort à quatre heures et rentrer en voiture à cinq heures !
Quand Vanessa Rabatto arrive, elle me fait presque peur. Elle est encore plus maigre que la fois précédente, elle est famélique. Elle marche prudemment, comme si ses forces vitales l’avaient abandonnée. Quand elle s’assied, je vois ses jambes décharner flotter dans son pantalon pourtant étroit. Son tee-shirt et le gilet qui la recouvre masquent difficilement les os saillants de ses omoplates et les ballons de silicones qui pendent dramatiquement sur sa poitrine décharnée dont la peau détendue ne parvient plus à les maintenir en équilibre. Les épaules courbées, elle s’appuie sur la table pour se soutenir. Ses cheveux attachés en queue de cheval ressemblent à de la paille fine et terne. Les mains tremblantes, posées à plat sur la table, exposant sans pudeur des ongles courts et rongés, elle nous demande ce que nous voulons encore. Sa voix est presque sans timbre, comme si elle était essoufflée par un effort violent. J’ai presque honte de l’interroger dans cet état.
– nous avons un problème, Vanessa, je me risque quand même à dire, après tout, il faut en finir. Votre mari nous dit avoir trouvé le corps de Paul Fauré vers quatre heures de l’après-midi le 22 avril alors que vous nous déclarez l’avoir vu se garer devant sa maison vers cinq heures. L’un de vous deux ment ou se trompe. J’ajoute pour lui laisser une échappatoire.
– je sais plus, dit-elle dans un souffle. Je crois que tout ça n’a plus beaucoup d’importance maintenant.
– pourquoi dites-vous ça ?
– parce que Paul est mort et…je pensais que son absence serait supportable, mais elle ne l’ait pas.
– vous vous souvenez clairement de cette journée Vanessa ?
– oh oui, très bien ! Malheureusement. Je la repasse en boucle dans ma tête en permanence. Elle m’empêche de dormir, de manger, de vivre même.
– c’est-à-dire ?
– je vous l’ai dit, après le départ de Robert, j’ai fait le ménage puis je suis allé faire des courses. C’est vrai que je suis pas allé à la salle de gym. Vous le savez maintenant. J’avais rendez-vous en début d’après-midi, alors je devais me dépêcher de tout finir le matin.
– avec qui aviez-vous rendez-vous ?
– mais avec Paul bien sûr !
– et vous l’avez vu ?
– oui…je suis arrivé chez lui vers une heure. Il avait garé sa voiture dans le garage et personne ne savait qu’il était là. Il me donnait des rendez-vous secret parfois, sans que Robert soit là pour filmer. Je crois qu’il m’aimait vraiment malgré tout ce que vous avez appris sur lui. Enfin, je l’ai rejoint chez lui et nous avons fait l’amour dans le garage mais pas comme d’habitude…ce jour-là, nous avons fait l’amour comme de vrais amants, vous voyez ? Pas de prouesses sexuelles, juste de l’amour…c’était bien. On s’était allongé à l’arrière du 4×4, il avait rabattu les sièges, et on avait de la place. On a fait ça à l’ancienne, comme un vrai couple même s’il a pas voulu qu’on s’installe dans son lit comme avant, ou sur le canapé. Mais ça faisait longtemps qu’un homme m’avait pas aimé comme ça, pour moi, pour me faire du bien. Il m’a embrassé longuement quand je suis partie. J’étais heureuse. Je vous ai menti sur l’heure parce que je voulais pas vous dire que nous avions fait l’amour ce jour-là. Et après, quand vous avez su que nous étions amant, c’était trop tard pour revenir là-dessus.
– vous vous rendez compte que ça a terriblement compliqué l’enquête ?
– oui, je comprends mais je voulais pas que vous sachiez. Je pensais que vous alliez retrouver Virginie et qu’elle avouerait le meurtre, après ça n’aurait plus eu d’importance.
– vous pensez vraiment que c’est elle qui l’a tué ?
– qui voulez-vous que ce soit d’autre ?
– votre mari !
– Robert ? Mais pour quelle raison ?
– …parce que vous étiez amant. Je n’ai pas envie qu’elle apprenne par moi, la relation de son époux avec son amant. C’est déjà assez compliqué comme ça.
– mais Robert, il s’en fichait que je couche avec Paul, je vous l’ai déjà dit. Il avait ses films. Et puis les horaires c’était pas tellement important avec Paul. Les gens du quartier étaient habitués à ce qu’il ait des horaires décalés. Personne ne se formalisait s’il passait la journée chez lui ou s’il ne rentrait pas pendant trois jours. Mais ce jour-là, je sais pas, il avait quelque chose. Il était calme, presque trop calme, comme s’il avait quelque chose en tête. J’ai eu l’impression qu’il allait s’en aller mais je me sentais si bien que je n’y ai pas fait attention. C’est après, en y repensant que j’ai eu cette sensation. Il avait probablement l’intention de s’en aller et il me disait au revoir. Parce que sa façon de m’aimer, il l’avait jamais fait. Il a pas filmé ni pris de photo. Il a pas fait de remarques déplacées, il m’a juste fait l’amour, longuement, très lentement et c’était merveilleux.
– et puis ?
– – et puis rien. Je suis rentrée chez moi, j’ai fait un peu la sieste, je me sentais si bien que je me suis endormie sur le canapé. Puis robert est rentré vers 6 heures, j’avais commencé à préparer le repas. On a mis la table ensemble, il était étrange. Je lui ai demandé ce qu’il avait et il m’a dit qu’il avait beaucoup de travail, qu’il était fatigué. On a mangé tôt. Pendant que je débarrassais, j’ai vu les phares de la voiture de madame Fauré arriver mais Robert a commencé à me parler et j’ai quitté la fenêtre. On était pas d’accord sur un truc. On s’est disputé et je suis monté me coucher. J’ai passé du temps dans la salle de bain. J’ai pris un long bain. Je voulais pas que Robert gâche mon après-midi d’amour avec Paul. Ma salle de bain, elle donne de l’autre côté de la maison, c’est pour ça que je sais pas ce qu’a fait Virginie ce soir-là. Je voulais pas être contrariée, je me suis couché et j’ai regardé la télé un moment. Robert est pas monté, il a dormi sur le canapé.
– ça lui arrivait souvent ?
– de plus en plus, depuis…
– depuis qu’il assistait à vos séances avec Monsieur Fauré ?
– oui, enfin, non, pas au début. Au début il était jaloux mais il dormait avec moi. Puis un soir, il a dit qu’il été trop crevé pour monter. Il semblait ailleurs. J’ai pensé qu’il avait trop de travail et je l’ai laissé. Après, c’est devenu presque tous les soirs. Comme s’il voulait plus partager mon lit. Je pouvais rien dire, je me sentais un peu coupable et j’avais de la peine pour lui. C’est vrai, c’était dur ce qu’on lui demandait Paul et moi mais c’est la vie…
– vous ne vous êtes jamais interrogée sur les relations de Paul et de votre mari ?
– non, pourquoi ?
– étaient-ils amis ?
– non, pas du tout. En tout cas pas au début. Après, quand il a su, il était très en colère mais j’avais pas l’impression que c’était contre Paul. C’était juste contre moi. Ensuite, il a arrêté de râler. Il a accepté et il a pris ce qu’on lui donnait, de toute façon, il avait pas le choix.
– vous trouviez vos relations normales, Madame Rabatto ?
– qu’est-ce que ça veut dire : normale ? Hein ? Vous croyez que c’est normal un mari qui peut plus bander et vous faire l’amour ? Vous trouvez ça normal vous ? Il est là le problème. Sans ça, on en serait pas là aujourd’hui !
– pourquoi ?Vous pensez que le meurtre de Paul a un rapport avec vos liaisons avec lui ?
– comment ça « vos liaisons » ? Mais y’avait que moi !
– désolé, ce n’est pas ce que je voulais dire, je vous demandais si vous pensiez que le meurtre de Monsieur Fauré était lié à votre liaison avec lui.
Non, pourquoi je penserai ça ? J’avais aucune raison de le tuer, je vous l’ai dit, je l’aimais et robert, et ben, il y trouvait son compte. Il avait ses vidéos et puis parfois, pendant qu’on…faisait l’amour, Paul et moi, il se…enfin vous voyez…
– non, quoi ?
– ben, ça l’excitait de nous voir ensemble alors il avait du plaisir.
– avec Monsieur Fauré ?
– non, tout seul bien sûr. Paul aurait jamais touché un homme. Il aimait pas les pédés.
– ah bon ? Comment savez-vous ça ?
– il le disait tout le temps. Parfois il traitait Robert de « tafiole » parce qu’il regardait beaucoup son sexe mais c’est normal, Paul, il avait un sexe, on pouvait pas ne pas le voir. Alors Robert il le regardait, mais je sais que c’est surtout moi qu’il regardait. Il me le disait après, quand on rentrait à la maison. Il me parlait de tout ce qu’on avait fait. Il détaillait les positions, le temps que ça avait pris. Il était très admiratif de la technique de Paul. Il pouvait se retenir très longtemps. Il maitrisait très bien. Je pense que Robert aurait aimé pouvoir être pareil, il le disait d’ailleurs. Parfois quand on rentrait, il s’installait dans le canapé et il passait le film et il se…enfin…j’essayais de l’aider mais ça le faisait…pouf, comme un soufflé mais moi c’était pour lui que je le faisais, parce que je me sentais coupable. Moi j’avais tout et lui il avait rien. Alors, de temps en temps, j’essayais de lui faire du bien, mais au lieu de l’aider, ça le faisait…ramollir…
– et cette dispute alors, c’était à propos de quoi ?
– quelle dispute ?
– celle qui vous a empêché de voir madame Fauré rentrer.
– ah, celle-là ; ben, je sais pas, Robert, il était pas dans son assiette. Il m’a fait des reproches sur le repas puis sur la maison et après il m’a dit que si on en était là aujourd’hui c’était de ma faute, que tout était de ma faute. Il semblait à la fois très en colère et en même temps, totalement désespéré. Après je suis partie, je vous l’ai dit. Je comprenais pas pourquoi il s’en prenait à moi comme ça. Il pouvait pas savoir pour nous, Paul et moi. Après, quand j’ai su qu’il avait trouvé Paul, j’ai compris qu’il était chamboulé par sa mort. Mais à ce moment-là je le savais pas, alors je lui en ait voulu de me gâcher mon bonheur. Je savais pas que Paul était mort à quelques mètres de moi, dit-elle elle en explosant en un immense sanglot, si fort et si puissant je la laisse pleurer longtemps en lui tendant des mouchoirs en papiers qu’elle chiffonne entre ses doigts torturés.
– Une dernière question Vanessa, êtes-vous sure de nous avoir menti sur l’heure d’arrivée de Paul Fauré pour cacher votre liaison avec lui ?
Elle regarde autour d’elle, perdue. Elle baisse la tête et elle murmure :
– non, c’est Robert qui me l’a demandé. Mais quand il l’a fait, j’ai pensé que ça avait un rapport avec ce que nous faisions chez Paul. Peut-être un voisin trop curieux qui aurait posé des questions…alors j’ai accepté de mentir mais maintenant ça n’a plus d’importance puisqu’il vous a dit lui-même qu’il était allé voir Paul dans l’après-midi. Je peux rentrer chez moi maintenant ?
– oui, quelqu’un va vous reconduire.
Je quitte le bureau avec lassitude. Ce couple me sort par les yeux même si je ne peux cacher qu’elle me fait vraiment de la peine. Elle est dans un état pitoyable et je ne sais pas si elle s’en remettra, tous les deux d’ailleurs. Comment peut-on se mettre dans un état pareil pour un homme ? Enfin, je suis mal placé pour dire ça. J’ai été si heureux d’emmener jenny en vacances. Comment je réagirais si j’apprenais qu’elle me trompe avec un autre juste au moment où je commence à faire des projets d’avenir ? Comme avec Bérénice. On commençait à s’habituer et je la trouve au lit avec un autre. Ça avait failli me rendre fou à l’époque, même si je n’en avais rien montré parce que j’étais trop fier. Avec Jenny, je me laisse aller, je reprends confiance. Bon, je m’égare, les Rabatto !
Je retrouve Isabelle à son bureau. Je m’assieds lourdement sur le siège en face d’elle :
– plus je les écoute, plus je pense que le seul qui ait à la fois un mobile et la possibilité matérielle d’avoir commis le meurtre, c’est Robert Rabatto, qu’est-ce que t’en pense ?
– je ne sais pas, me dit ma collègue, circonspecte, tout ça me semble trop simple. Vanessa couche avec lui le jour du meurtre. Robert lui rend visite après, ce n’est pas nouveau pour lui, il a l’habitude de partager sa femme et son amant. Pourquoi l’aurait-il tué ce jour-là particulièrement ?
– je ne sais pas. Peut-être qu’il était là plus tôt qu’il ne le dit. Peut-être qu’il les a vu ensemble. Si, comme elle le déclare, ils ont fait l’amour comme un couple d’amoureux, ça peut l’avoir rendu dingue de jalousie…
– tu y crois toi ? Ce type supporte beaucoup de chose depuis longtemps. Je ne pense pas que ça aurait suffi à lui faire franchir la limite. Il en faudrait plus. Par exemple, que Paul Fauré lui ai dit qu’il ne voulait plus de lui. Ça, ça aurait pu le blesser suffisamment pour qu’il le tue. Mais on a rien, tu le sais bien qu’on a rien parce qu’il manque un élément essentiel : sa femme ! Sans elle, rien n’a de sens. Si on l’avait retrouvé morte, on aurait pu…je sais même pas quoi d’ailleurs ! Mais là, sans corps parce qu’enfin, ce n’est pas logique !Admettons qu’ils aient tué Paul, l’un ou l’autre, ou les deux ensembles, on s’en fout ! Sa femme, il ne l’aurait pas fait disparaitre. Il l’aurait tuée aussi ! Il l’aurait laissé là, avec son mari et ils auraient fait croire à un cambriolage ou un truc dans le genre. Je suis persuadée qu’elle est encore vivante, j’en suis sure. Elle n’est pas morte dans un coin, elle s’est barrée et c’est elle a qui a les clés de cette affaire, je te le dis !
C’est une pensée erratique et décousue mais je ne peux nier qu’elle a du sens. C’est vrai que la disparition de madame Fauré complique tout.
– bon, mais on fait quoi alors ?
– je n’en sais rien. Il faudrait en parler avec le commissaire parce qu’on pourrait facilement commettre une erreur judiciaire et je n’ai pas envie de porter ça, pas toi ?
– si, tu as raison mais le Commissaire…ça risque de ne pas être simple. Il nous trouve très mauvais sur cette affaire !
– j’aimerai l’y voir lui, avec tous ces éléments qui n’ont ni queue ni tête. Enfin, je me comprends, tu vois ce que je veux dire ? J’y crois moyennement moi, à la culpabilité des Rabatto.
– ok, allons lui parler alors.
Autant dire tout de suite que nous avons passé un sale moment. Tous les deux debout – parce qu’il ne nous avait pas invité à nous assoir – devant le bureau massif du Commissaire dont les yeux brillaient de colère et d’un plaisir légèrement sadique. Il a hurlé, pour que tous les collègues en profitent, que nous étions des incapables, que nous ne trouverions pas un lapin même si nous roulions dessus – là j’avoue je n’ai pas compris l’image et j’ai eu du mal à garder mon sérieux – et tout un tas d’autres trucs qui l’ont défoulé de toute sa frustration. Des années de frustration à diriger ce commissariat miteux, humide et glacial, sans aucune promotion valorisante pour égayer une carrière fade et sans grands succès. Isabelle a laissé passer la tempête puis elle a dit :
– je suis d’accord avec vous Monsieur le Commissaire mais nous n’avons aucune preuve nous permettant d’inculper qui que ce soit. Cependant, peut-être que je ne vois pas l’affaire dans sa globalité. Vous savez, quand on est sur le terrain, on a tendance à se laisser aveugler par des détails et par ne plus être capable de voir l’ensemble que forment tous les éléments.
– tout à fait ! a dit le Commissaire avec un immense sourire de satisfaction.
– c’est pour ça qu’on vient vous en parler Monsieur le Commissaire, parce qu’on pense que vous aurez une meilleur vision que nous et que tout sera beaucoup plus limpide pour vous qui avez beaucoup plus de recul dans cette l’affaire.
Il y a eu un grand silence. La baudruche bouffie de satisfaction s’est dégonflée avec discrétion, les épaules sont retombées imperceptiblement, le regard a cessé de briller, la bouche a fait comme un bruit de petit vent, une sorte de pet buccal plutôt drôle et nous avons attendu patiemment qu’il reprenne la parole. Il est resté longtemps silencieux, cherchant probablement désespérément quelque chose d’intelligent à dire et finalement il a crié.
– sortez de mon bureau et revenez avec le coupable !
Nous avons refermé la porte doucement derrière nous et nous sommes retournés au bureau d’Isabelle où nous avons repris nos place.
– bon, ça c’est fait, j’ai dit.
– il fallait le faire…
– comme tu dis, il fallait…mais ça n’a servi à rien…alors, on fait quoi maintenant ?
– je ne sais pas. On laisse poser aujourd’hui et demain on retourne au domicile des Rabatto. Ça leur mettra la pression si on retourne dans leur quartier et puis on verra bien ce qu’il se passe, d’accord ?
– ça me va, demain soir on y retourne et…
– et merde on verra bien ! Allez rentres chez toi, je sais que tu meurs d’envie de retrouver ton amoureuse.
– peut-être bientôt ma femme…
– c’est pas vrai, tu vas te marier ?
– ce n’est pas encore décidé, mais je crois que je suis prêt à me lancer avec elle, mais tu gardes ça pour toi hein ?
– muette comme une tombe, je te promets. Ben tu vois, une bonne nouvelle par jour, c’est pas mal, allez files, elle t’attend, Roméo !

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