UN BAISER OU LA MORT Chapitre 8

Jacob resta silencieux durant plusieurs jours. Il s’asseyait à côté de moi, prenait des notes, rendait ses devoirs. Mais il n’essaya pas de me parler, il ne me toucha plus et ne m’embrassa pas non plus.

J’en ressentis une profonde tristesse mais j’étais sure d’avoir fait ce qu’il fallait. Je ne pouvais pas me permettre de me laisser distraire de mes études et je ne voulais en aucun cas être un obstacle sur la route de Jacob. Sa vie n’était pas ici et pas avec moi.

La piscine s’éclairait maintenant assez tôt car les nuits tombaient plus vites. Je regardais Jacob nager. Il semblait animé d’une détermination encore plus forte et son crawl devenait une mécanique parfaitement rodée. Il enchainait les longueurs durant des heures à tel point que je me demandais s’il n’allait pas se transformer en poisson. Quand il sortait de l’eau, je me cachais derrière mes rideaux. Je ne voulais pas le voir et encore moins qu’il me voit en train de l’épier.

Le mois d’Octobre arriva très vite et avec lui la perspective des vacances et de mon anniversaire. Depuis longtemps, ce jour ne représentais plus un évènement heureux pour moi. Il l’était encore moins cette année car j’étais loin de tous mes amis et je n’avais pas le cœur à faire la fête seule avec ma mère. Aussi, quelle ne fut pas ma surprise de recevoir, de la main de ma mère, qui pour l’occasion souriait jusqu’aux oreilles (ce qui est très louche quand on la connait aussi bien que moi) une invitation pour fêter mon anniversaire et celui de Jacob le 24 Octobre chez Jacob. La carte était jolie, un peu solennelle mais sobre. Je me doutais immédiatement qu’elle venait de Marina qui semblait s’obstiner à nous réunir. (Peut-être y voyait-elle un moyen de retenir Jacob ?).

À peine la carte lue, je fonçais chez les Anderson, laissant ma mère médusée, avec l’idée bien arrêtée de décliner cette invitation mais quand j’entrais dans la salle principale, Marina m’accueillit avec tant d’effusions que je dû patienter.

– tu as reçu la carte ! C’est fantastique. Je suis si impatiente d’organiser cette fête !

– mais…je…bredouillais-je incapable de trouver un argument valable pour annuler.

– Jacob est enchanté, ajoute-t-elle sans tenir compte de mon air renfrogné.

– ça m’étonnerait…je murmurais.

Marina s’arrêta un instant, me dévisageant, puis elle reprit :

– il t’a dit quelque chose à ce propos ?

Je réfléchis un moment, je ne voulais pas trahir Jacob mais je me doutais que ses projets de départ n’avaient pas secrets pour sa mère.

– il m’a dit qu’il voulait rentrer aux États Unis pour reprendre ses compétitions de natations et retrouver amis.

– il t’en a parlé…et qu’est-ce que tu en pense ? me demanda-t-elle soudain grave.

-je…je pense qu’il a raison. Je donnerais tout pour pouvoir retrouver mon ancien lycée, ma maison et mes amis mais moi je ne peux pas. Alors il a raison de vouloir partir s’il le peut.

– hum…dit Marina, les yeux dans le vague.

À ce moment, Jacob arriva et s’arrêta interdit, probablement surpris de me trouver chez lui car je n’y étais pas revenu depuis notre explication dans sa chambre.

– Qu’est-ce qui se passe ?  dit-il vaguement inquiet.

– Colette a reçu l’invitation pour votre anniversaire…

Maman ! s’écria Jacob, je t’avais dit que je ne voulais pas le fêter cette année !

– moi non plus ! J’ajoutais car je profitais des protestations de Jacob pour dire enfin ce que j’avais sur le cœur.

Il me regarda, un peu étonné puis il reprit :

– tu vois aucun de nous deux ne le veut, et nous sommes les premiers concernés !

– écoutez-moi tous les deux, dit Marina d’une voix soudain ferme que je ne lui connaissais pas. Vous allez fêter votre anniversaire parce que c’est une date importante. Jacob, tu vas avoir 18 ans. Il faut fêter ça, quant à toi, me dit-elle en se tournant vers moi, tu as bien besoin d’un peu de gaité dans ta vie. Alors, trouvez-vous des vêtements chics, je veux que ce soit une soirée formidable !

Elle tourna les talons avant que nous ayons pu répliquer et elle disparut. Nous restâmes au milieu de la grande salle, gênés, incapables de bouger, de nous regarder. C’était le moment le plus horrible que j’avais vécu avec Jacob. Soudain il se racla la gorge, me faisant sursauter, et dit :

– ça va ? Il se tourna légèrement vers moi et je vis ses beaux yeux verts qui me fixaient. Il semblait malheureux.

– oui, ça va. Dis à ta mère que je la remercie pour la fête mais je ne peux pas fêter mon anniversaire cette année. C’est impossible !

Et je lui tournais le dos avec l’intention de filer en vitesse quand il me retint par la main.

– attend, dit-il.

Le contact de sa main autour de la mienne me brula, comme si je m’étais approchée trop près d’un feu mais c’était une bonne sensation. Une sensation dont je me pensais privée pour toujours.

– j’ai tout gâché entre nous, reprit-il sans me laisser le temps de répliquer, Je suis désolé. Et ne commence pas à m’agresser avant de m’avoir écouté, ajouta-t-il en même temps qu’un sourire commençait à apparaitre sur son visage, l’illuminant pour la première fois depuis longtemps.

– qu’est-ce que tu veux, je dis avec assez d’irritation dans la voix pour le mettre en garde. Mais je ne retirais pas ma main. (Colette, tu recommences à rêver, fais attention, c’est dangereux – laisse-moi tranquille, je criais à la voix).

I want you…dit-il sans préambule. J’y ai bien réfléchis. J’ai passé des heures à ne penser qu’à ça et je me suis rendu compte que c’est la première fois de ma vie que je ressens ça pour une fille…pour toi. Je ne sais pas ce que tu as fait Colette, mais tu as mis mon cœur à l’envers. Je ne vis plus depuis qu’on ne se parle plus. Je ne te demande pas de ressortir avec-moi si tu ne le veux pas, mais au moins de m’accorder ton amitié à nouveau. C’est ce qui compte le plus pour moi.

Il s’était rapproché peu à peu et son corps était si près du mien que j’en sentais la chaleur. Elle était irrésistible. Je fermais les yeux un instant et quand je les ouvris, je le vis tel qu’il était : beau, tellement attirant, triste, plein d’espoir et de rêves comme moi et je ne résistais plus. Je me collais à lui et l’embrassais avec fougue. Ses baisers m’avaient tellement manqué ! Il y répondit avec la même ferveur. Nous restâmes longtemps ainsi, dans les bras l’un de l’autre, oubliant le monde autour de nous. Quand finalement nous nous séparâmes, il me garda dans ses bras comme s’il craignait que je disparaisse.

– viens avec moi, dit-il enfin, en me montrant l’escalier.

J’hésitais. Je ne voulais pas que nous recommencions à nous disputer mais je voulais profiter de ce moment aussi longtemps qu’il durerait. Alors, je hochais la tête et il m’entraina dans sa chambre ou nous nous laissâmes tomber sur son lit en recommençant à nous embrasser. Je ne m’étais jamais sentie aussi bien de toute ma vie. Ma place était là, avec lui et c’était simple. Jamais rien n’avait été simple dans ma vie, mais sortir avec Jacob était naturel. Je n’avais pas à réfléchir à ce que je devais dire ou ce que je devais faire. Les choses s’enchaînaient toutes seules. Son corps pesait un peu sur le mien mais c’était une bonne sensation. Je me sentais en sécurité. Je me sentais aimée pour la première fois depuis très longtemps. Jacob passa une main dans mes cheveux et cala l’autre dans mon dos, et comme si j’étais un fétu de paille, il se retourna, m’entrainant avec lui. Je me retrouvais à califourchon sur lui. Il me recula légèrement et nos bouches ses séparèrent à regret. Je le regardais. Il souriait, d’un sourire si tendre et si chaleureux que je sentis mon cœur fondre définitivement. Pouvait-il y avoir une chance que tout cela marche, que notre relation devienne sérieuse ?

Jacob se racla la gorge à nouveau puis il dit d’une voix douce :

– Colette, veux-tu sortir avec moi officiellement ?

À ses mots, je me contractais. OFFICIELLEMENT ??? J’imaginais immédiatement les conséquences de cette annonce au lycée et soudain ce qui m’était apparu jusque-là comme la meilleure des choses pour moi, me noua le ventre au point que je poussais un gémissement et me laissais tomber à coté de Jacob.

– qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-il inquiet en se tournant vers moi.

– je ne peux pas…je ne peux pas, ce n’est pas possible…

– tu ne veux pas sortir avec moi ? dit-il en se rembrunissant.

– non…si…mais…

quoi ? dit-il en me fixant et ses yeux ressemblaient à deux amendes.

– je veux sortir avec toi, crois-moi. Ce que je ne veux pas c’est que ça se sache !

– mais pourquoi ?

– s’il te plait…

Je ne voulais pas répondre, pas maintenant, pas alors que nous étions si bien ensembles. Je voulais continuer à l’embrasser et me dissoudre dans ses baisers. Je me rapprochais de lui et appuyant sur son épaule, je le plaquais sur le lit et recommençais à l’embrasser. Il passa ses bras autour de moi et le monde disparu à nouveau.

– d’accord, dit-il entre deux baisers, en reprenant son souffle. On garde ça pour nous un moment…jusqu’à ce que tu me fasses confiance…

Je l’embrassais à nouveau, le faisant définitivement taire. Nous restâmes longtemps ainsi enlacés, nos bouches soudées l’une à l’autre, avide de contact. Ce n’est que quand Marina l’appela à table que nous réalisâmes qu’il était tard. Nous nous séparâmes à regret sur un dernier et très long baiser puis je filais dans les escaliers le plus silencieusement possible, pas assez cependant car je vis le visage de Marina se retourner sur mon passage et elle me sourit.

Ma mère m’attendait avec impatience, le diner était servi et je dus inventer des devoirs avec Jacob pour expliquer mon absence. Ces derniers temps mes notes étaient encore en hausses, si cela était encore possible, aussi ne protesta-t-elle que pour la forme.

– préviens moi quand tu travailles chez Jacob, me dit-elle, je me demandais où tu étais passée…

– promis maman, on n’a pas vu le temps passer…les exercices de math étaient vraiment difficiles.

– mange, ça va être froid, me dit-elle finalement.

Je n’avais pas faim, je flottais sur un petit nuage mais ma mère n’aurait pas compris que je ne touche pas à mes pâtes ni à mon steak. Nous ne nous parlions que peu aussi sa sollicitude concernant la nourriture était-elle sa manière de me dire qu’elle prenait soin de moi, qu’elle faisait attention à moi, que je comptais pour elle. Notre relation n’avait jamais été simple mais les évènements de l’année passée l’avaient encore rendue plus complexe. Elle faisait de son mieux et je m’en accommodais.

Je dus attendre d’avoir fini mon repas pour pouvoir enfin me réfugier dans mon lit où je m’affalais, le sourire aux lèvres. Je ne m’étais pas sentie aussi bien depuis…jamais en fait. Jamais je n’avais ressenti cette sensation de bonheur, cette plénitude exaltante. Jacob m’avait demandé de sortir avec lui et pas en secret pour que personne ne le sache, non il voulait que tout le monde le sache. Il voulait qu’on nous voie ensemble, que nous puissions nous embrasser dans la rue ou dans la cours, que nous puissions nous tenir la main devant… ALICIA !!! C’était impossible !!! Jamais elle ne me laisserait en paix si elle me voyait embrasser Jacob. Les garçons comme lui étaient normalement pour elle et pas pour une fille insignifiante comme moi…(Comment as-tu pus croire que cette histoire avait la moindre chance de marcher ? ). Je luttais un moment contre la voix mais j’allais la laisser gagner, envahie soudain d’un immense désarroi quand j’entendis un léger sifflement me parvenir par la fenêtre. Je levais la tête et vis Jacob dans l’encadrement.

– ça va, dit-il à voix basse – nos fenêtres étaient suffisamment proches pour que je l’entende sans  difficulté.

– oui, ça va, je crois que ta mère m’a vue sortir tout à l’heure.

– oui, elle me l’a dit et…ça semble lui faire plutôt plaisir…

Nous restâmes silencieux un moment mais ce n’était pas un silence gênant, c’était du temps que nous passions ensemble, chacun à notre fenêtre. Finalement je dis en me raclant la gorge :

– bonne nuit Jacob…

sweat dreams, me répondit-il avant de disparaitre lui aussi.

Je me couchais en repassant ses mots dans ma tête. Sweat dreams…que pouvais-je rêver de plus que je n’avais déjà ? Jacob, le garçon que toutes les filles rêvaient d’avoir m’appartenait (pour le moment, dit la voix grincheuse dans ma tête), il m’avait demandé de sortir officiellement avec lui, et même si cela n’était pas envisageable (pourquoi? répondait l’espoir) à cause de toutes les Alicia de la terre et à cause de…(non, ça c’est le secret qui ne peux jamais être dit !) je m’endormis en pensant que la vie était belle finalement. Qu’elle pouvait me réserver de magnifiques surprises. Ma dernière pensée fut que si je n’avais pas déménagé en catastrophe, je n’aurai jamais rencontré Jacob. Le bien est peut-être caché au plus profond du mal, me dis-je avant de sombrer dans un sommeil bienheureux.

 

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