JE LA REGARDE – Chapitre 9

Chapitre 9

Je la regarde parler à l’infirmière. Elle semble inquiète et sa voix est cassante. Ce n’est pourtant pas son genre d’être désagréable avec quiconque. Ma douce Chloé est en colère.

Je voudrais me lever pour lui dire que tout va bien mais je suis incapable de le faire. Même me redresser est impossible. Je regarde autour de moi. Je suis dans une chambre d’hôpital très luxueuse. La décoration balinaise est raffinée. Les boiseries qui m’entourent son sculptées de personnages dansants. Plutôt sympa comme décor. Je fais « hum, hum » pour signaler ma présence et elles lèvent toutes deux les yeux. Chloé se précipite et me dit :
– enfin !Tu te réveilles ! J’ai eu si peur !
– tout va bien Chloé, je suis là.
– je sais bien que tu es là, ça fait trois jours que je veille sur toi !
– comment ça, trois jour ? Mais nous étions à l’hôtel il y a encore quelques minutes.
– tu es sérieux Jeff ? Tu ne te rappelles de rien ?
– de quoi devrais-je me rappeler mon amour ?
– arrête de m’appeler mon amour, Steve ne va pas tarder et je ne veux pas envenimer les choses entre nous.
– ah bon pourquoi ?
– Jeff tu es exaspérant !
– Ah bon ? Mais qu’est-ce que j’ai dit ?
– tu es sur que tu ne me fais pas marcher, tu ne te rappelle vraiment de rien ?
– non, je dis.
En même temps que je lui réponds, je vois quelques images flash défiler dans mon esprit, une sorte de persistance mnésique. Je vois Chloé qui pleure. Le sang dans la salle de bain. Steve qui arrive et qui me porte jusqu’à la voiture. Pendant le trajet ! Il s’est passé quelque chose pendant le trajet mais je n’arrive pas à me souvenir.
– qu’est ce qui s’est passé pendant le trajet Chloé ? Pourquoi je me rappelle du trajet en voiture ?
– mon dieu Jeff, tu as vraiment mis la pagaille dans ma vie, et pas que dans la mienne d’ailleurs !
– ah bon ? Explique-moi, je t’en prie, je ne me souviens de rien.
– tu es sur que tu ne te moques pas encore de moi ?
– je te le jure Chloé, je ne sais même pas où je suis. Au fait, où est Marie ?
– elle est partie. Elle a pris un avion pour la France. Elle est allée retrouver sa fille. Il semblerait qu’elle est très mal vécue le week-end. Je ne sais pas exactement ce que tu lui as fait mais j’ai cru comprendre que tu t’étais mal conduit avec elle. Steve est très en colère contre toi lui aussi.
-« oh, lui ça m’es bien égal. Il peut m’en vouloir tant qu’il veut, je m’en fou tant que tu es là ! »
– non, tu ne comprends pas, je ne suis pas là ! Enfin, si je suis là mais je ne vais pas rester. Je voulais juste m’assurer que tu allais bien parce que je me sens terriblement responsable de ton accident. Je ne me serais pas pardonnée que tu ne te réveille pas mais les médecins m’ont expliqué que tu avais fait une crise délirante. Je ne sais pas ce qui t’ai arrivé durant le week-end mais tu as péter les plombs. Le coup sur la tête n’a rien arrangé mais tu allais déjà mal avant. Ils t’ont fait dormir un moment pour que tu retrouves tes esprits. Il semblerait que ce soit le cas, ajoute-t-elle finalement.
– je ne me souviens de rien. Non c’est faux ! Je me souviens que nous avons divinement fait l’amour sur ta terrasse, ça je m’en souviens très bien !
– et bien tu dois l’oublier ! Ça n’est jamais arrivé ! J’ai eu un mal fou à convaincre Steve que ça faisait partie de ton délire, alors je t’en supplie n’en parle plus jamais !
– mais Chloé, comment pourrais-je nier l’événement le plus important de ma vie depuis des mois ? Nous avons fait l’amour, j’ai adoré te faire l’amour à nouveau. C’était magnifique ! Comme avant !
– non je te dis que cela ne s’est jamais produit et je continuerai à le nier quoi que tu dises !
– mais pourquoi, Chloé ?
– parce que tu as failli foutre mon couple en l’air avec tes histoires. Tu as tout raconté à Steve et à Marie dans la voiture ! Tu n’arrêtais pas de parler ! Tu parlais de grand gorille et de bite d’étalon et Steve l’a très mal pris ! Heureusement que tu divaguais sur le roi de la forêt et le fait que tu volais dans les arbres sinon il t’aurait cru quand tu as raconté notre petite baise en détail !
– notre petite baise ? Mais Chloé, comment peux-tu parler comme ça ? Nous avons fait l’amour, nous nous sommes retrouvés. J’ai vu de l’amour dans tes yeux et je t’ai donné le mien !
– non, tu n’as rien vu. Il n’y avait rien dans mes yeux. J’avais peur. Peur de toi, peur que tu me fasses perdre Steve alors je t’ai laissé faire pour que tu arrêtes !
– C’est faux et tu le sais ! Tu m’as rejoint sur la terrasse parce que tu savais que j’y étais et tu es venu pour ça. D’ailleurs tu as jouis ! Deux fois !
– ça, je n’y peux rien ! C’est plus fort que moi, tu me fais de l’effet mais c’est sexuel, c’est tout !
– ah, tu vois ? Tu peux essayer de te convaincre tant que tu veux, je maintiens que tu m’aimes toujours !
– non, je ne t’aime plus. J’ai encore des sentiments pour toi parce que…parce que tu as beaucoup compté dans ma vie mais c’est fini ! J’ai changé de vie. Je vais épouser Steve dans quelques mois et je ne veux plus jamais te revoir, tu m’entends, plus jamais !
– Chloé je t’en supplie, ne fais pas ça ! J’ai attendu si longtemps ce moment ! Je t’ai laissé tranquille, j’ai respecté tes souhaits mais dès que nous sommes ensemble, nous sommes irrésistiblement attirés l’un par l’autre. Je t’en supplie ! Je suis entrain de construire une maison pour toi, elle va être magnifique. Viens y vivrez avec moi mon amour !
– jamais, Jeff, jamais ! C’est fini, je m’en vais maintenant ! Et elle disparait dans le couloir aseptisé.
J’écoute ses pas qui résonnent dans le bâtiment jusqu’à ce que leur bruit soit si ténu qu’il soit absorbé par ceux de l’hôpital.
Je sombre à nouveau dans un sommeil contre lequel je ne peux lutter quand Steve entre dans la chambre.
Il s’approche du lit et malgré mon regard qui se brouille, je vois bien le pli sur son front et sa bouche pincée. Il a l’air très mécontent.
– qu’avez-vous dit à Chloé ? Elle est dans tous ses états. Elle ne voulait pas que je vienne vous voir mais j’ai quelques mots à vous dire à propos de votre conduite inqualifiable avec Marie.
– mon pote, au lieu de te soucier de Marie, tu ferais mieux de t’interroger sur les sentiments de ta fiancée. Elle t’a dit que nous avions vécu ensemble il y a quelques années ? Elle t’a dit que je suis son seul amour ? Elle t’a dit qu’on a fait l’amour sur ta terrasse pendant que tu dormais comme un bienheureux juste à côté ?
-« tout d’abord, je ne vous permets pas de me tutoyer ! Ensuite, bien sûr que Chloé m’a parlé de vous. Elle m’avait même parlé de vous avant que je vous rencontre. À cause de François bien sûr ! Quant au reste, ce ne sont que des divagations liés à votre état psychique !
– que tu crois mon pote. Écoute bien : je vous ai regardé baiser ce soir-là ! J’étais sur la terrasse. Ce n’était pas un plaisir mais il fallait que je sache ! Je t’ai regardé lui bouffer la chatte. Après elle t’a fait une pipe, même qu’elle a eu du mal avec l’engin que tu te trimbale – au passage, respect mec ! Une queue pareille, c’est phénoménal – j’ai eu plus de mal quand je t’ai vu la baiser. Là je t’avoue que c’était dur ! Mais j’ai regardé jusqu’au bout, sans broncher ! Et puis Chloé est sortie sur la terrasse, elle est venue me rejoindre et nous avons fait l’amour par terre, sur les pierres chaudes de ta jolie terrasse. Je suis sûr qu’il y a encore la trace de son cul par terre, va voir si tu ne me crois pas ! Et tu veux que je te dise ? Je l’ai fait jouir, deux fois ! Tu crois qu’elle aurait pris son pied avec moi si elle était comblée avec toi ? Tu penses vraiment qu’elle aurait accepté de faire l’amour avec moi alors que tu dormais juste à côté si elle t’aimait réellement ? Réfléchis à ça mon petit pote, réfléchis bien ! Si tu comptes épouser cette femme, qui au passage est la mienne, interroge toi sur ses sentiments à ton égard parce qu’en ce qui me concerne, je sais qu’elle m’aime !
– dans d’autres circonstances, je vous aurais cassé la gueule. Mais vu votre pitoyable état, je vais m’abstenir. L’idée même que vous ayez pu nous regarder faire l’amour, Chloé et moi, prouve bien votre abjection ! Quant au reste, c’est un tissu de mensonge ! Chloé m’avait prévenu que vous étiez mythomane ! Je plains ce pauvre François ! C’est à cause de lui qu’elle vous tient éloignée d’elle, pour le préserver de vous ! Vous n’avez pas compris ? Elle ne veut pas que vous lui fassiez du mal. Et moi je l’aime, François et je prendrais soin de lui bien mieux que vous ne le ferez jamais ! Ne cherchez plus à revoir Chloé, ni Marie d’ailleurs quand elle reviendra sinon vous aurez affaire à moi ! Je vous préviens !
– vous ferez quoi, vous m’enverrez Sonia pour me casser la gueule ? C’est ça ? Dites à Sonia que je n’ai pas peur d’elle. Je peux la battre s’il le faut, pour Chloé je le ferais ! Et puis arrêtez de parler de moi à la troisième personne ! Je suis là !
-vous êtes pathétique mon pauvre ami, Je crois que vous avez vraiment perdu la raison. Je ne connais aucune Sonia. J’espère qu’ils vous garderont longtemps ici, vous semblez très perturbé !
– Elle ne t’as pas parlé de Sonia ? Intéressant ! Tu n’es pas si important que ça alors, sinon tu connaitrais Sonia ! Crois-moi ! Sonia est incontournable, c’est le cas de le dire !
– vous divaguez totalement ! Pauvre enfant ! Heureusement qu’ils vont partir ! J’aimerais lui dire que c’est lui qui a besoin de se faire soigner, mais il s’en va avant que j’ai pu ouvrir la bouche, ce qui sommes toute m’arrange, car je n’évanouis au même moment.
Quand je me réveille, je suis seul et il fait nuit. Je contemple un long moment les ombres dansantes des palmes qui se balancent doucement devant la fenêtre et j’ai une vision fugitive du sommet des grands arbres tels que je les ai rêvés quelques jours auparavant. Parce qu’à n’en pas douter, il s’agissait d’un rêve. J’ai très mal à la tête. Quand j’essaie de toucher mon front, je rencontre le tissu rugueux d’un bandage. Le sang ! Je me souviens, je me suis cogné dans l’ascenseur, j’ai mis du sang plein le carrelage ! Après ça, c’est le néant.
Chloé est venue, Steve aussi et je leur ai parlé à tous les deux. Steve était étrange, il parlait de moi à la troisième personne. Je n’ai rien compris à ce qu’il disait. Je lui aurais bien cassé la gueule mais j’étais sans force. Je commence à me sentir mieux mais le brouillard persiste toujours dans ma tête. Je m’étonne un moment que Marie ne soit pas là jusqu’à ce que je me souvienne qu’elle est partie. Qu’ai-je bien pu lui faire pour qu’elle file comme un lapin à l’autre bout de la planète ? Je ne me souviens de rien. Je revois notre promenade au clair de lune. Il y avait Chloé et Steve mais je ne vois pas Marie. Peut-être était-elle déjà partie ? Je me souviens du bassin et du contact agréable de l’eau. Le sexe de Steve m’agresse soudainement. La bite de mammouth ! Je l’avais oublié ! Je revois Chloé criant sous son corps et ça fait mal ! Et puis immédiatement après, je suis en elle et je suis en paix. Elle me regarde, les yeux pleins d’amour et je l’aime tellement que mon cœur va exploser. Puis ma tête cogne sur le miroir. Marie ? Elle est partie. Je tourne et retourne ces différentes images dans ma tête sans réussir à en obtenir plus. Je me rendors.
Le soleil entre à flot par la fenêtre ouverte. Les voilages atténuent à peine son intensité. Il fait chaud, très chaud, lourd même ! J’ai mal à la tête ! Chloé ?
Je suis seul. Je somnole quand une infirmière m’apporte un plateau repas. Elle vérifie mes perfusions. J’aimerai lui demander ce que j’ai, comment je vais, mais elle ne parle pas français, où alors elle refuse de me répondre. Le soleil décline. Quelqu’un vient changer mon bandage. Pourquoi je n’ai pas envie d’aller pisser ? C’est étrange ! Je n’ai pas souvenir d’avoir pissé depuis très longtemps. Puis je me rappelle la sensation de chaleur dans le bassin. Mon urine chaude s’est répandue autour de moi et j’ai pris plaisir à tremper dedans. Il faisait nuit. Chloé ?
La nuit encore ! La pluie, j’entends la pluie ! Elle tombe en grosses gouttes et s’écrase sur le sol pas très loin de moi. Une pluie molle et sans force. Une pluie qui mouille tout rapidement et puis qui disparait. Chloé ?
Monsieur Wayan est là devant la porte et il parle fort. C’est la première fois que je le vois en colère comme ça ! Qu’est-ce que j’ai bien pu faire ? Mais ce n’est pas contre moi qu’il crie. Il invective un homme en blouse blanche qui courbe l’échine. Peu après, sous son œil vigilant, on vient débrancher mes perfusions. Une infirmière arrive et me lave pendant que Monsieur Wayan tourne le dos pudiquement. Elle retire un long tuyau de ma bite et ça brule horriblement. Une poche d’urine passe sous mes yeux. Elle m’aide à m’habiller. Un homme arrive avec une chaise roulante et on me transfère de mon lit à la chaise. Monsieur Wayan engueule l’homme qui cogne mes jambes dans les murs. Je m’en fous je ne sens rien. Puis on m’attrape sous les bras, et on me pose dans une voiture. Ma voiture. Je reconnais son odeur. Monsieur Wayan prend le volant et nous roulons longuement. Des heures. Je dors probablement tout le trajet. Je suis réveillé par les chaos. Ma route ! Je reconnais l’arbre au milieu, mon arbre !
Le parking ! Nyoman est là, Ben aussi et les ouvriers ! Ils sont tous là. Ils me portent jusqu’à mon bungalow. Un lit a été installé dans le salon et je m’y retrouve rapidement allongé. Je suis chez moi ! Enfin ! Je n’avais pas réalisé à quel point je désirais rentrer chez moi ! Je me rendors, épuisé par tous ces efforts.
Quand je me réveille, la sensation de brouillard s’est atténuée. Le jour décline. J’entends des voix dans la cuisine. Je voudrais me lever mais mon corps ne m’obéit pas vraiment. J’arrive à lever les bras mais je ne peux pas remuer mes jambes. Je devrais m’inquiéter mais je n’en ai pas envie. Je suis chez moi et pour le moment, c’est le plus important. Nyoman apparait, puis komang et enfin Ben. Quand ils voient que je suis réveillés, ils s’activent tous autour de moi. Komang me redresse et glisse deux oreillers sous ma tête, frottant involontairement sa poitrine sur mon visage et mon nez s’empli de son odeur de fleur. Elle sent bon et ses seins sont doux.
Ben revient en tenant une jeune femme par la main. Il me présente son épouse. Elle s’appelle Wade. Comme la cousine de Nyoman ! Quand je lui demande d’une voix pâteuse, si elles se connaissent, Ben rigole et me dit qu’on en reparlera plus tard. Il cueille un petit garçon qui tente de grimper sur mon lit et le renvoie dans la cuisine avec sa mère. Ils sont tous là, la famille de Ben et une partie de celle de Nyoman. Heureusement que toute la famille de Nyoman n’est pas là, il faudrait un terrain de foot ! komang m’apporte un plateau et j’arrive à tenir ma fourchette tout seul. C’est délicieux ! Quand j’ai fini de manger, j’ai de nouveau sommeil mais je lutte pour ne pas m’endormir et j’y parviens un moment. Je ne comprends toujours pas ce qui m’arrive. Je me suis ouvert le front mais je n’ai pas eu d’accident ! Pourquoi est-ce que je me sens si faible, si comateux ? J’ai dû poser la question à voix haute parce que Ben me répond :
– Tu étais sous sédatif durant ton séjour à l’hôpital. Tu as eu de la chance que Wayan te cherche, parce que sinon tu y serais encore. Ton ami Monsieur Russel, leur a expliqué que tu avais fait une grave dépression nerveuse et qu’il te fallait une longue cure de sommeil. Alors ils t’on fait dormir plusieurs jours. Ils t’auraient probablement gardé longtemps comme ça, tout était payé ! Tu vas te sentir groggy quelques temps mais les effets des médocs vont se dissiper. Demain tu devrais pouvoir te lever. Pour le moment je te conseille de ne pas résister. Dors mon ami, dors, nous veillons sur toi. Nous allons rester cette nuit. ne t’inquiète pas, nous sommes là !
Puis il disparait dans la cuisine et j’entends des rires d’enfants et leurs voix chantantes qui parlent gaiement. J’ai envie de pleurer tellement je suis heureux. Mes amis ne m’ont pas abandonnés ! J’ai des amis ! En fait, c’est ça le plus étonnant, j’ai des amis qui tiennent à moi et sur lesquels je peux compter ! Je ne m’étais pas rendu compte que nous étions devenu aussi proches, qu’ils avaient tant de place dans ma vie ! Je m’endors heureux.
Au matin, j’ai l’esprit plus clair. Je regarde le soleil se lever et comme je suis seul – tout le monde doit dormir dans les bungalows – je me décide à poser un pied par terre. Au début, j’ai la tête qui tourne mais en me tenant au meubles, je traine les pieds jusqu’à la salle de bain et je me positionne devant les toilettes. Trouver ma queue n’est pas un problème mais viser est extrêmement compliqué. Je ne savais qu’il était si complexe d’effectuer des gestes aussi naturels. J’arrose copieusement la lunette et le sol mais je me soulage enfin et malgré la sensation de brulure, je pisse avec un plaisir quasi jouissif. Je retourne à mon lit lentement et m’y pose un moment pour reprendre des forces puis je me traine jusqu’à la baie vitrée et je bataille avec les différentes serrures. Nyoman en a rajouté et je vis dans un bunker ! Enfin, la vitre coulisse et je suis dehors. Le soleil est encore bas et tout est rose. Je m’affale sur un transat et je contemple l’océan lisse comme de l’huile. J’adore le petit matin. Tout est si frais, si subtil ! Le sable blanc me donne envie de me rouler dedans tant il est fin et propre. Pas un papier, pas une saleté sur cette magnifique plage que la lumière éclaire d’orangé. Je reste là longtemps, jusqu’à ce que les ouvriers arrivent. Nyoman et Ben les suivent de près et pendant que les uns disparaissent sur le chantier que je ne peux voir de mon bungalow tant nous avons bien préservé la végétation qui les sépare de ma maison, les deux autres bifurquent vers moi et me saluent bruyamment. Je suis heureux et je le leur dis. Ils rient tous les deux un peu bêtement en baissant la tête. Ils m’aident à retourner à l’intérieur et m’installe dans la cuisine. Komang arrive peu après comme s’ils l’avaient prévenue et elle installe à manger pour tout le monde. Je constate que Ben apprécie de se faire servir lui aussi. Je leur demande comment vont les travaux et ils se mettent à parler en même temps.
– Ok, les gars ! Le mieux c’est que nous allions sur le chantier dès que nous aurons fini. J’ai été trop longtemps absent. Cinq jours c’est long !
– Cinq jours ? S’exclament-t-ils en cœur. Tu plaisantes ? Tu es parti il y a presque deux semaines ! Tu as passé deux jours à Ubud et douze jours à la clinique !
Je n’en reviens pas ! J’ai dormi si longtemps ? Je comprends maintenant pourquoi j’étais si faible à mon réveil.
– mais pourquoi m’ont-ils gardé si longtemps ? J’allais bien à part le coup sur la tête.
– je te l’ai dit, c’est ton ami Steve qui le leur a demandé. Il semblerait qu’il soit pote avec le patron de la clinique, un américain comme lui. Les médecins ont obéis même s’ils ne trouvaient pas cela très déontologique. Maintenir un type en sommeil artificiel sans raison, ça leur posait problème. C’est comme ça que Wayan a entendu parler de toi. C’est un oncle à lui qui lui en a parlé. Comme on te cherchait partout, il a fait le rapprochement. Je te l’ai dit, tu as eu de la chance ! Ce Steve, il ne t’aime pas trop on dirait. En tout cas il voulait se débarrasser de toi !
– je vais tuer ce mec !
– laisse tomber, il a quitté l’ile. Il est parti se marier aux states. Il parait que sa fiancée travaillait aussi dans l’ile mais elle est française comme toi. Tu la connais ?
– c’est ma femme, je dis à voix basse, Enfin, c’était ma femme…c’est une longue histoire.
A ces mots mes amis me regardent et je vois l’inquiétude dans leurs yeux.
– ca va aller ? Je suis désolé de te l’avoir annoncé comme ça. Je ne savais pas ! Tu n’as jamais parlé d’elle avant, j’aurai fait attention sinon…
– ne t’inquiète pas. C’est une période de ma vie dont je ne suis pas très fier mais c’est pour elle que je suis venu à Bali, pour la retrouver. C’est pour elle que je construis…enfin, que je construisais cette maison.
– oh, merde mec ! Je suis vraiment désolé ! Elle est partie avec son fils. Je ne sais pas si elle reviendra. Je peux me renseigner si tu veux !
– son fils ? Elle a un fils ? Je m’exclame alors que mon estomac vient de faire un looping dans mon ventre et qu’aucun de mes organes n’est plus à sa place maintenant.
– Oui un gamin de cinq ans ! Tu ne le savais pas ?
– Non ! Mais elle n’a pas d’enfant !Je le saurais si elle avait un enfant. Tu dois te tromper ! Je crie parce que je refuse cette idée.
– non, j’en suis sûr ! Je la connais. Elle et son amie, elles amenaient le gamin à l’école chacune leur tour ! Il est dans la même classe que mon fils à l’école internationale. Je crois qu’il s’appelle François. Je demanderai à mon gamin ce soir si tu veux.
François ! Chloé a un fils de cinq ans qui s’appelle François. J’ai beau lutter contre les évidences je ne vois pas comment il pourrait en être autrement. C’est mon fils ! C’est de ça que parlait l’autre abruti, de mon fils. Et maintenant elle va se marier avec lui et il va devenir son père !
– je dois aller à l’hôtel, je dois la voir absolument !
– elle est partie, Jeff. Elle a quitté l’ile il y a presque dix jours. Ils ont plié bagages comme des moineaux ! Du jour au lendemain. Je ne sais pas ce qui s’est passé mais ils ont filés tous ensembles !
– je dois quand même aller à l’hôtel ! Il faut que je le voie par moi-même ; excuse-moi Ben, mais je dois y aller. Tu peux m’emmener ?
– ok, man, pas de problème, mais tu trouveras le nid vide, je te le dis !
-s’il te plait c’est important pour moi ! Il faut que j’y aille !
– d’accord, allons-y tout de suite si tu veux.
Je me retrouve sur le parking puis dans la bagnole de Ben, cahotant sur la route abimée. Les touristes sont omniprésents et il faut s’armer de patience pour atteindre l’hôtel. Ben me dépose devant l’entrée et je file en direction du bâtiment principal malgré mes jambes flageolantes et mon ventre en vrac. Je bifurque vers l’allée où j’ai rencontré Chloé il y a si longtemps maintenant. Je me perds un peu. La végétation forme un petit labyrinthe. Je double un vieux monsieur à barbe blanche sans lui prêter attention. Je l’entends pousser une exclamation étouffée et il disparait dans les buissons dans un bruit impressionnant. Je me retourne, il n’est plus là mais je peux suivre sa progression dans la végétation dense. Pourquoi s’est-il engagé dans ce taillis épais ? Je lui ai fait peur ? Et puis je me souviens de lui, c’était l’homme qui se trouvait dans la voiture de Sonia ! Mais qu’est-ce qui se passe autour de moi ? J’appelle un moment :
– Monsieur ? Monsieur ? Vous allez bien ?
Mais il ne me répond pas et le bruit de sa progression décroit au fur et à mesure qu’il s’éloigne. Il doit avoir atteint une allée car tout d’un coup le silence règne à nouveau. Si je connaissais mieux ces jardins, je me lancerai à sa poursuite mais je vais me perdre. Je sais que je suis dans la bonne direction alors je continue. Finalement je reconnais la bifurcation où j’ai percuté Chloé. La porte de sa maison est juste derrière.
Je suis debout, devant et je n’ose pas frapper à la porte. Je reste longtemps immobile. Qu’est-ce que je vais lui dire si elle est là ? Je n’en ai aucune idée. Je voudrais être sûr qu’il s’agit bien de mon fils même si je n’ai pas encore réalisé ce que cela me fait.
C’est en pensant à lui que je tape à la porte. Silence. Je tape encore. Des bruits de pas. La porte s’ouvre sur Sonia. Elle me dévisage puis elle dit :
– bonjour Jeff, je me doutais que tu viendrais !
-«bonjour Sonia ; Chloé est là ?
– non, elle est aux États Unis actuellement.
– elle va revenir ?
– je ne sais pas.
– écoute Sonia, arrêtons de jouer. Je sais qu’elle est partie pour épouser Steve. Mais elle ne peut pas faire ça. Pas avec mon fils !
Là je l’ai sciée, je le vois.
– ton fils ? Quel fils ? Tente-t-elle quand même de répondre.
– mon fils, Sonia, le petit François, cinq ans !
– C’est tout ce que tu as ?
– c’est tout ce que vous m’avez laissé !
Il y a tant de désespoir dans ma voix qu’elle reste silencieuse longtemps puis dit :
– entre Jeff.
Je pénètre enfin dans cette maison qui abrite mon amour depuis toutes ces années. Son univers, son monde. Celui dont elle m’a exclu.
– assieds-toi, il faut qu’on parle.
– je t’écoute Sonia, je n’attends que ça depuis tout ce temps, explique-moi.
– Chloé ne voulait pas que tu sache et même si j’en comprends toutes les raisons, je n’aime pas l’idée qu’on t’ait dépossédé de ton enfant. J’ai perdu un bébé il y a longtemps, et…peu importe…
– je suis désolé Sonia, je n’en savais rien.
– c’était avant que je rentre à ton service. Tu étais encore un adolescent, tu ne pouvais pas savoir. Bref, quand Chloé a découvert qu’elle était enceinte, après tout ce qui s’était passé avec les russes, elle a eu peur. Elle a voulu protéger son enfant et elle est partie…
– avec ton aide.
Je reconstitue le puzzle peu à peu et ça me fait du bien. J’ai l’impression qu’elle me rend une partie de ma mémoire perdue.
– avec mon aide. Et puis je l’ai rejointe ici parce que j’ai jugé qu’elle avait plus besoin de moi que toi. Les choses semblaient réglées quand je suis partie. Je n’avais plus de raison de me faire de souci.
– pourquoi dis-tu ça ? Ce n’est pas le cas ?
– on s’éloigne du propos, Jeff !
– en effet, mais je n’aime pas la manière dont tu en parles. Quand tu es partie, le problème était réglé, on avait conclu un accord avec les russes. On avait rendu l’argent de la vente des armes et l’affaire était close. J’ai loupé un épisode ?
– plus ou moins, disons que ton père a continué à faire quelques trafics.
– mais comment tu sais ça toi ? Tu étais partie !
– j’ai gardé des contacts. Peu importe !
– bon, mon père est mort est tout ça est loin maintenant. Revenons à François.
– François est un petit garçon adorable et Chloé était terrifiée que tu découvres son existence parce qu’elle avait peur que tu leur fasses à nouveau du mal à tous les deux. C’est une très bonne mère tu sais. Elle protège son fils, il faut la comprendre !
– oh mais je la comprends ! Elle le protège si bien qu’elle ne lui dit même pas qu’il a un père et maintenant elle l’emmène loin et elle va lui en donner un autre !
– je sais Jeff. Je n’étais pas d’accord avec cette décision. Je veux dire avec le fait qu’elle te cache son existence indéfiniment. J’estimais que tu avais le droit de savoir, mais elle s’y est opposée. Elle avait des raisons, au demeurant. J’ai enquêté sur toi depuis que tu es arrivé à Bali et tu as accumulé les conneries. D’abord le viol de l’australienne puis cette relation affligeante avec la libraire et les séances au salon de massage. Ça fait beaucoup pour un père exemplaire !
– merde Sonia, tu n’avais pas le droit de faire ça ! Et puis je te signale que je viens à peine d’apprendre que j’ai un fils. Si je l’avais su tout de suite j’aurai agi différemment !
– en es-tu sur Jeff ?
– comment savoir Sonia, comment le savoir maintenant qu’elle est partie avec lui ? Je vais être très franc avec toi, pour le moment je suis plus anéanti par le fait qu’elle soit partie peut-être pour toujours que par le fait que j’ai un fils. Ne t’y trompe pas c’est juste que je viens de l’apprendre et que je n’ai pas encore réalisé mais dès que j’aurai pris un peu de recul, ce sera la pire nouvelle de ma vie.
– la pire nouvelle de ta vie ? S’exclame-t-elle avec un mépris évident.
– oui, parce qu’elle est partie et qu’il est possible qu’il porte bientôt un autre nom que le mien et que je ne le connaisse jamais. Je viens de découvrir que j’ai un fils au moment où il disparait ! Tu te rends compte de ce que ça me fait ?
– oui je comprends, répond-elle et à son expression, je sais qu’elle est sincère. Malheureusement je ne peux pas t’aider, reprend-elle. J’ai promis à Chloé de ne jamais intervenir dans votre vie et de ne jamais me mêler de ce qu’elle veut pour François. Si elle estime que Steve est un bon mari pour elle et un bon père pour François, je n’ai pas le droit de m’y opposer.
– pourtant tu t’en bien mêlé de notre relation quand tu as jugé utile d’y mettre un terme !
Elle reste longtemps silencieuse, elle semble désemparée. Je vois bien qu’elle ne me dit pas tout mais je connais Sonia, elle ne parle que si cela est nécessaire.
– tout est si compliqué, Jeff. J’aurai dû vous laisser tranquille, je le reconnais. J’ai outrepassé mes droits. J’ai fait pression sur toi, j’ai fait pression sur elle mais j’avais mes raisons.
– lesquelles Sonia ? Tu me dois une explication !
– je ne peux pas Jeff, c’est trop dangereux.
– mais de quoi tu parles ? Qu’est-ce qui est dangereux ?
– désolée, j’aimerai pourvoir t’en parler mais je ne veux pas mettre ta vie en danger. Moins tu en sais, et moins tu es vulnérable.
– Putain Sonia, tu ne peux pas me dire ça et attendre de moi que je l’accepte docilement. Sonia, après tout ce que l’on a vécu ensemble, tu pourrais me faire confiance !
– j’ai confiance en toi, Jeff mais tu es surveillé. Ta présence ici est déjà un danger.
– tu deviens complètement parano ! Qui pourrais me surveiller et pourquoi ? Je ne suis plus rien. Je ne représente rien. Je me suis retiré des affaires depuis des années et ce n’est pas avec la Fondation que je fais de l’ombre à qui que ce soit !
Elle s’est levée, m’obligeant à en faire autant et m’escorte lentement vers la sortie.
– ça n’a rien à voir avec toi Jeff, je te le jure ! Écoute, j’ai déjà trop parlé ! Vas-t’en s’il te plait. Je ne te veux aucun mal. Je t’aime beaucoup, tu le sais alors pour ton bien retourne chez toi et ne reviens pas ici. Si Chloé veut te voir, elle sait où te trouver mais je ne pense pas qu’elle changera d’avis. Quand à moi, je n’interviendrais plus dans vos vies. Adieu Jeff.
– c’est à cause de ce type, le type avec la barbe blanche ? C’est ça ?
Là j’ai marqué un point parce qu’elle s’immobilise et son regard se perd un instant dans le vague.
– non. Vas t’en maintenant, ne m’oblige pas à te mettre dehors !
– ça a un rapport avec ce type, j’en suis sur ! Mais quel est le rapport avec moi ? Avec Chloé et avec toi, Sonia ? Qu’est ce que tu trafiques ?
-«dehors immédiatement ! Sors d’ici et ne reviens jamais. Ne pose plus aucune question et tiens toi loin d’ici, je t’en supplie Jeff !
Elle m’a attrapée par le bras et me pousse sans ménagement jusqu’à la porte qu’elle claque derrière moi. Me voilà sur le pas de la porte, totalement embrouillé. J’ai résolu une partie de l’énigme mais une nouvelle se présente, et je n’y comprends rien. Peut-être quelle est complètement folle après tout. Peut-être qu’à force d’assurer la sécurité des uns et des autres, elle voit des dangers partout. Quelle âge a-t’elle d’ailleurs ? Je crois que je ne me suis jamais posé la question. Pour moi c’était Sonia, elle n’avait pas d’âge. Mais je me souviens qu’elle avait vingt-cinq ou vingt-six ans quand elle à pris ses fonctions auprès de moi. Le calcul est rapide : elle doit avoir cinquante deux ou cinquante trois ans.
Etonnamment cela la rend plus humaine, plus concrète et plus vulnérable. Elle n’est plus la jeune femme athlétique et sportive que j’ai côtoyée durant des années. C’est une femme mure, mature même. J’ai envie d’y retourner et de la serrer dans mes bras. Quelle vie a-t-elle eut ? A-t-elle tout sacrifié pour moi puis pour Chloé ensuite ? Quel prix a-t-elle payé à notre service ? Elle a dit avoir perdu un enfant mais quand et de qui ? Je ne lui ai jamais connu aucune aventure. Et je m’aperçois qu’au fond de moi, j’étais persuadée qu’elle était lesbienne. De toute façon, nous étions tout le temps ensemble. Durant toutes ces années où elle m’a accompagné dans le monde entier, je ne l’ai jamais vu avec un homme. Je ne l’ai jamais vu recevoir du courrier ni un coup de fil personnel. A part mon père à qui elle faisait de fréquents rapports, elle n’a été en contact qu’avec moi et les nombreuses personnes qui ont jalonné notre parcours commun et je ne pense pas qu’au femmes que j’ai rencontré. Elle a des contacts dans la police, dans les services secrets aussi. Je sais qu’elle a une formation militaire. Elle y a fait allusion une fois quand nous parlions de techniques de combat. Elle a travaillé pour mon père avant que je rentre de New York. En fait, plus j’y réfléchis plus je m’aperçois que je ne sais rien d’elle. Alors j’y retourne. Je dois lui dire. Je sonne à la porte. Elle ouvre rapidement et son visage contracté n’augure rien de bon mais je la devance :
– laisse-moi parler avant de me taper dessus ! Je viens de réalisé que je ne savais rien de toi et que je ne t’ai jamais rien demandé. Je ne vais pas le faire aujourd’hui, surtout après ce que tu viens de me dire mais je suis revenu te dire une quelque chose : Sonia, je t’aime et je te remercie de tout ce que tu as fait pour moi. Je vais t’écouter maintenant et je vais rentrer chez moi.
Elle ne dit rien mais je vois ses yeux s’emplir de larmes puis lentement, presque au ralenti, la porte se referme. Je me sens mieux, soulagé d’un poids. Sonia m’a servit de mère pendant toute ses années et j’ai trouvé ça naturel alors que ça ne l’était pas.
Je repars dans le dédalle des allées, espérant revoir l’homme à la barbe blanche mais je ne le vois nulle part. Je retrouve Ben devant l’entrée qui a préféré m’attendre.
– alors, tu as des nouvelles ?
– oui, tu avais raison elle est partie et le gamin c’est mon fils, mais je ne le savais pas. Je crois qu’elle ne reviendra pas. Tout ça est très soudain, il me faut du temps pour réfléchir à ce que je vais faire. Tu peux me ramener chez moi s’il te plait ? »
– putain, mec, je savais que ta vie était compliqué, mais à ce point là ! J’en reviens pas ! Tu viens de retrouver la femme que tu aimes et tu découvre qu’elle a eut un enfant de toi et puis elle se barre avec un autre. Excuse-moi, mais c’est un peu too much. Je comprends que tu sois sonné.

Rendez-vous sur Hellocoton !

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.

Proudly powered by WordPress | Theme: Baskerville 2 by Anders Noren.

Up ↑