LA GROTTE DES VOYAGEURS – Chapitre 8

Chapitre 8

252° jour de la saison d’automne

Une fois le problème de la route résolu, la deuxième ville s’érigea en un temps record. Comme sa consœur située à une cinquantaine de kilomètres de là, elle comptait cinq mille habitants et les cultures avaient grandit aussi vite que les maisons montaient. Joshua et son équipe avaient réalisé des prodiges.

Je me déplaçais régulièrement de l’une à l’autre grâce à mon deltaplane que tout le monde m’enviait maintenant que son utilité apparaissait à tous. Peu à peu, les populations avaient cessés de s’agglutiner sur les routes. Il arrivait encore que quelques-uns débarquent après un harassant voyage, mais le flot semblait tari et nous en étions rassurés. Deux villes de cette envergure n’avaient jamais été envisagées aux alentours de notre village et même si des dizaines de kilomètres nous en séparaient, nous les savions là maintenant et nous ne pouvions plus les oublier. Le temps de l’isolement et de la sérénité était révolu. Tous les jours, il nous fallait résoudre un problème, répondre à des demandes, être présents. Le conseil menaçait de démissionner car chacun estimait avoir rempli sa part du marché, mais je peinais à abandonner les villes aux mains de nouveaux venus dont nous ne savions rien. Je tenais à maintenait un équilibre que notre présence et notre intervention constante garantissait. Que deviendraient les cultures, l’élevage, la gestion de l’eau, des déchets…si nous ne gardions pas un œil vigilant sur les activités de ce nombre impressionnant d’êtres humains ? Je ne voyais pour le moment personne susceptible de prendre en charge une telle responsabilité avec le même souci que celui qui nous avait animé à l’origine. Je me sentais investie d’une responsabilité bien lourde dont je ne pouvais me défaire tant que je n’aurais pas trouvé à qui confier un tel fardeau. De plus, rien ne nous garantissait que d’autres réfugiés n’arrivent dans les mois ou les années à venir. Personne ne savait comment vivaient ceux qui avaient atterris sur des sites du Nord. Nous ne pouvions pas n’être que quelques milliers de personnes à avoir survécu à la destruction de notre planète et aux accidents funestes de la grande migration ?

Le conseil, bien que mécontent, se rendit à mes arguments et accepta de m’aider dans la gestion de ces villes qui nous paraissaient si grandes en comparaison de notre modeste village qui réunissait tout au plus une cinquantaine de maisons individuelles.

Malgré le peu de temps dont j’avais disposé ces derniers mois, j’avais réussi à conserver un contact avec Alex mais je le sentais chaque jour plus ténu. Il semblait harassé et à bout d’espoir. Un soir, notre conversation prit une tonalité si lugubre que je lui jurais que je viendrais le chercher dans peu de temps. Malgré ma détermination, il déclinait et peinait à me croire encore.

Dès le lendemain, je me rendis chez Moya et le mit en demeure de tenir sa promesse. Il commença par émettre toute une série d’objections que je rejetais les une après les autres jusqu’à ce qu’il cède, las et à court d’arguments. Je comprenais ses réticences, il venait enfin de trouver la paix, sa famille s’était agrandie avec l’arrivé d’une petite fille qu’il promenait dans tous le village comme s’il portait la huitième merveille du monde, ses garçons étaient grands, forts et joyeux et son épouse semblait enfin apaisée et détendue. Le village était riche et le travail y était agréable, la nourriture abondante, la convivialité de mise. Je comprenais qu’il n’ait pas envie de quitter tout cela pour repartir en expédition dans des aventures dont nous ne maitrisions pas l’issue, ni le temps qu’il nous faudrait pour aboutir. Mais j’avais promis à Alex et je ne voulais pas le perdre. Quand j’eus expliqué à Moya l’état dans lequel il se trouvait et après un regard appuyé de Joypur qui, bien que toujours réservée, me manifestait un soutien sans faille, il capitula et accepta de mener à bien la misions que nous avions envisagés des jours auparavant, avant que les colons et les migrants ne frappent à notre porte pour que nous les sauvions de la misère qui les touchait sur le reste du continent. Dès que j’eus son approbation, je fonçais chez Martial et Serarpi. Martial, occupé dans son atelier, m’accueilli froidement. Je ne savais quelle offense je lui avais faite, mais il ne semblait pas décolérer à mon sujet, bien des jours après que notre dernière querelle ait eu lieu. Je m’en serais bien ouverte à sa compagne, mais ils étaient inséparables. Il était pratiquement impossible de la voir seule. Je la rejoignis cependant dans son poste informatique où elle bricolait de petits appareils tout en jetant un œil nonchalant sur ses écrans en perpétuelle surveillance.

– rien de nouveau à Materia ?demandais-je comme chaque fois que je pénétrais dans leur bureau informatique.

– non, j’ai beau y passer mes jours et mes nuits, il ne semble rien se passer et finalement, ça m’inquiète encore plus que si je les voyais s’armer jusqu’aux dents pour venir nous attaquer.

– peut-être ont-ils finalement décidé de se consacrer à Materia ?

– j’aimerai le croire…tiens, dit-elle en me tendant une sorte de casque munis d’oreillettes plates dont la matière caoutchouteuse se colla instantanément sur mon crane comme une seconde peau épaisse. Voilà tes capteurs. Il te suffit de visualiser quelque chose dans ta tête et, une fois relié à ta table, ça apparaitra comme une image réelle.

– c’est génial ! Comment ça marche ?

– en gros, les capteurs lisent tes ondes cérébrales et transcrivent les images que ton cerveau enregistre. Peu importe que tu les voies où que tu les imagines.

– Serarpi, tu es fabuleuse ! Tu imagines tout ce que je vais pouvoir faire avec ça ! Je n’aurais qu’à penser à une architecture, à un lieu, et il apparaitra sur ma table comme si je l’avais conçu ! Toutes les images que m’envoie Alex vont être bien plus fiables ! Merci ! Merci ! Merci ! Chantais-je en dansant dans le bureau jusqu’à ce que Martial arrive en criant :

– ça suffit ! Tu vas cesser ce raffut et sortir de chez moi immédiatement !

– Martial ! répliqua Serarpi d’une voix sourde où perçait une colère d’autant plus dangereuse qu’elle était retenue. Je t’interdis de lui parler comme ça ! Je ne sais pas ce que tu as contre Zellana mais tu ferais mieux de t’expliquer tout de suite, sinon tu auras à faire à moi !

A ces mots le géant s’arrêta, sidéré et marmonna un moment dans sa barbe. Il s’apprêtait à rebrousser chemin quand je l’interpellais :

– écoute Martial, nous ferions mieux de crever l’abcès une fois pour toute. Je ne comprends pas ce qui t’arrive. Je n’ai pas le sentiment de t’avoir offensé mais je te sens si en colère contre moi que j’aimerai que tu me dises ce que tu me reproches.

– mais je ne te reproche rien ! s’écria-t-il, piqué au vif.

– voyons Martial, cela fait des jours que tu me parles à peine et que tu t’adresses à moi avec hargne et mauvaise humeur !

– mais…

– elle a raison, reprit Serarpi de sa voix douce, tu te comportes comme si elle t’avait blessé. Que lui reproches-tu à la fin ?

– mais rien ! C’est pas toi, c’est ce Moya là, il se mêle de tout ! Il est partout ! Parce que Monsieur voyage dans les grottes, on me laisse de coté ! Moi aussi j’aurai voulu voir Materia…et le village des plaines intérieures, mais vous ne me l’avez pas proposé ! Vous êtes partis tous les trois et vous…

– Martial, tu es jaloux ? M’écriais, partagée entre l’envie de rire et le chagrin de cette découverte car j’aurai dû y penser.

– non, pas du tout ! Je suis juste contrarié !

– viens dans mes bras, lui dis-je en lui sautant au cou. Tu sais que je t’aime comme si tu étais mon père ? Tu le sais n’est-ce pas ? Si j’avais su que cela t’affectait autant, je t’aurai proposé de faire une petite ballade dans les grottes avec moi. Pourquoi ne me l’as-tu pas demandé ?

– j’ai pensé que tu ne voudrais pas de moi…

– mais qu’il est bête, dis-je à Serarpi qui contrôlait son rire pour ne pas offenser son compagnon.

– c’est ça, moquez vous de moi maintenant !

– mais non, Martial ! Je te promets que la prochaine fois que j’en ai l’occasion, tu viens avec nous, ça te va ?

– d’accord, répondit-il avec un regard d’enfant auquel on vient de promettre un jouet.

– en plus, ça pourrait être bien plus tôt que tu ne l’imagines car j’ai réussi à convaincre…Moya…de repartir avec moi à Materia. Je veux que l’on retrouve Alex. Il est en train de mourir et je ne peux pas le supporter. Je dois aller le libérer.

– mais comment comptes-tu t’y prendre ? Tu n’as aucune piste ! M’interrompit Serarpi, inquiète.

– je sais, c’est pour ça que nous allons enlever un des membres du gouvernement, et qu’il le veuille ou non, il nous révélera tous les petits secrets de Materia et de ses environs.

– vous allez réellement le faire ? Je pensais que vous aviez renoncé ! S’écria Martial.

– non, certainement pas. Je sens bien que Moya éviterait s’il le pouvait mais je ne peux plus attendre. Si je ne retrouve pas Alex rapidement, il va mourir. Alors, nous capturerons le plus important d’entre eux.

– c’est-à-dire ?

– nous avons le choix entre Jared ou Maitre Wong…

– et le commandant…

– Farahawk ?

– oui, celui qui menait les troupes.

– je ne sais pas. Serarpi, tu l’as revu depuis que tu surveilles Materia ?

– jamais, répondit celle-ci catégoriquement.

– il semblerait qu’il ne soit pas allé bien loin à l’intérieur des grottes…dis-je songeuse. Il faudra que j’en parle avec Moya. Maintenant je pense qu’il me dira ce qu’ils ont fait de lui.

– Zellana, tu te rends compte à quel point ce projet et dangereux ? reprit Martial qui ne lâchait pas une idée avant d’être allé au bout.

– oui, bien sur, mais je ne vois pas d’autres solutions pour obtenir des informations. Nous avons prévu de l’emmener dans le continent Nord. Moya connait une forêt où il est sûr que personne ne nous cherchera. Quand nous aurons toutes les informations dont nous avons besoin, nous libérerons Alex.

– et que ferez-vous de votre prisonnier ?

– nous le ramènerons à Materia.

– et vous pensez que cela n’aura aucune conséquence ?

– je ne sais pas, je t’avoue que je n’y ai pas réfléchis.

– et bien vous auriez dû ! S’écria Martial. C’est un plan complètement stupide. Quand bien même vous parviendriez à emmener un homme, dont je te rappelle qu’il est gardé nuit et jour, dans je ne sais quelle forêt, même à l’autre bout du continent, vous seriez identifiez et le gouvernement n’aurait de cesse de vous retrouver et de vous exterminer !

– pour le moment, le gouvernement ne me semble pas très actif, répondis-je, blessée par la justesse de cette analyse.

– je n’en suis pas si sûre, rétorqua Serarpi se mêlant à la conversation. Je trouve qu’il y a de plus en plus de personne dans la ville. Je n’ai rien dit jusqu’à présent parce qu’il y a un mouvement permanent, mais depuis quelques temps, les campements se multiplient comme si un rassemblement était en cours. Je vois mal comment vous arriveriez à approcher qui que se soit sans vous faire prendre. J’observe la ville tous les jours et je constate que des hommes arrivent régulièrement. D’habitude, il reparte aussi vite, mais depuis quelques temps, ils s’installent, reprit-elle en désignant des petites taches sombres tout autour de la ville de containers.

– peut-être font-ils comme ceux que nous avons logés dans les nouvelles villes ? Peut-être fuient-ils la misère ?

Je ne pense pas. Ce ne sont que des hommes et ils semblent tous armés. J’en vois certains s’entrainer à l’extérieur parfois. On dirait une préparation militaire.

– alors il faut agir vite, avant qu’ils soient trop nombreux !

– ils sont déjà très nombreux, c’est ce que j’essai de te dire !

– mais pourquoi ne nous as-tu pas prévenus avant ? lui demandais-je irritée.

– parce-que tu ne m’as jamais parlé de ton projet d’enlèvement avant aujourd’hui !

– tu as raison, nous avons eu tellement de chose à faire avec l’arrivée des colons…Mais Alex est si faible et si désespéré que je ne peux plus attendre. Il faut que j’aille le chercher maintenant. Je crains que ce ne soit plus qu’une question de jour avant qu’il arrête de se battre. Je ne veux pas le perdre ! dis-je en pleurant sans pouvoir m’arrêter.

Martial me serra longuement dans ses grands bras puissants, puis quand je parvins enfin à me calmer, il reprit :

– mais pourquoi ne nous as-tu pas dit tout ça avant, nous aurions échafaudé un plan bien plus tôt ! Allez, ne t’en fait pas, on va trouver une solution. Je vais voir Moya et quelques autres hommes et nous allons réfléchir à une façon d’enlever un de ces joyeux personnages, puisque cela te semble si important. Mais je ne veux pas que tu y participes.

– Martial, tu n’as pas le droit de m’écarter !

– je ne t’écarte pas, je nous protège tous. Moins tu en sauras, moins tu en diras à Alex !

– il a raison, intervint Serarpi. Tu dois rester en dehors du plan. Ta connexion avec Alex met tout le monde en danger. Si tu ne sais rien, tu ne pourras pas les trahir.

– mais je n’ai pas l’intention de le faire !

– je sais Zellana, reprit-elle, mais tu pourrais le faire malgré toi ou être « sondée » comme tu dis, sans le savoir.

Après un moment de réflexion où je mesurais tout ce que j’allais devoir supporter si je ne savais rien, je convins qu’ils avaient raison.

– bon, je vais essayer de matérialiser toutes les images que m’enverra Alex grâce à ces nouveaux capteurs. Cela vous donnera des indications précises de son lieu de détention. C’est tout ce que je peux faire mais c’est déjà ça !

– bien, dit Martial qui semblait avoir retrouvé sa bonne humeur, je vais réunir quelques hommes immédiatement et nous allons envisager un plan d’attaque. Serarpi, nous aurons besoin de toi et de toutes les données que tu as collectées sur Materia et sur les membres du gouvernement.

– je vous attends ici, dit-elle d’une voix douce en caressant tendrement la main de son compagnon qui, ému, déposa un baiser sur son front puis partit en sifflotant.

– finalement, je me trouve écarté de mon  propre projet ! Répliquais-je irritée.

– oui, mais c’est pour notre bien à tous, tu t’en rends compte ?

– oui, bien sur, mais c’est très frustrant.

– écoute, quand ils iront à Materia, tu pourras rester avec moi devant les écrans. Tu ne pourras pas intervenir mais tu pourras au moins regarder ce qui se passe. Ça te va ?

– je m’en contenterai, dis-je maussade.

Je quittais l’atelier, partagée entre l’excitation provoquée par l’accélération soudaine de mon plan et le sentiment de dépossession lié à l’éviction dont je venais d’être l’objet. J’errais un moment dans le village. Tout le monde était occupé et la joie se lisait sur les visages bronzés. Je passais à la boutique de Julianne qui me remit plusieurs pots de confitures, une belle tranche de jambon cuit dont le rose tendre me mit l’eau à la bouche malgré ma tristesse. Elle y ajouta une pleine cocotte de légumes cuisinés et m’envoya chez Kompur chercher une miche de pain. J’obéis sans sourciller. J’étais fatiguée de réfléchir et d’élaborer des maisons, des plans, de penser à tout pour tout le monde.

Je rentrais chez moi, les bras chargés de victuailles et je m’attablais, détachant soigneusement le gras du jambon que je donnais par petites bouchées à une Boulette qui tendait la patte chaque fois que je portais la fourchette à ma bouche. La coquine aurait bien attrapé mon jambon si je l’avais laissé faire mais après que je l’ai grondé bruyamment, elle resta prudemment à mes pieds, se contentant de ce que je lui tendais. Je terminais mon repas par une belle tartine de gelée de framboise mélangée aux baies violettes de Matria, dont la pate translucide, d’un mauve sombre, tressautait sur le pain frais. Une fois repue, et pour la première fois depuis des jours, je m’allongeais dans mon lit, à l’étage, et dormis pratiquement tout l’après-midi. Je me réveillais au moment où le soleil déclinait. L’air était frais bien que doux. L’hiver allait s’installer bientôt, on le sentait déjà dans la végétation qui se déshabillait doucement, perdant de plus en plus de densité au fur et à mesure que feuilles et les pétales tombaient sur le sol.

Un vent léger soufflait de l’océan, apportant une odeur d’iode et de sel, faisant gonfler les tentures légères des rideaux comme des voiles prêtes à prendre le large. Je fermais les fenêtres pour la première fois depuis des jours et descendis sur la plage pour contempler les vaguelettes qui courraient jusqu’à la grève pour repartir en petits rouleaux vers le grand large.

Au loin, un troupeau de baveaux montait la garde et je ne sus expliquer pourquoi j’avais cette sensation. Il me vint soudain à l’esprit qu’ils étaient stationnés là en permanence depuis la bataille des gardes, plus de deux saisons auparavant. Plus de deux années terrestres !

Le lendemain, Alex était parti et avait disparu de ma vie. Je chassais cette pensée qui me rendait trop triste et m’absorbais dans la contemplation des geysers qui apparaissaient à intervalles réguliers à quelques encablures de la grève. J’en comptais une dizaine. Ils semblaient tournaient dans une danse lente sur une distance assez courte puisque je ne les perdais jamais de vue.

Je remontais mon pantalon au dessus de mes genoux et entrais dans l’eau. Elle était fraiche mais j’aurai pu m’y baigner sans difficulté. Ce n’était pourtant pas le but. Je voulais entrer en contact avec eux. Quelque chose me disait depuis le début qu’ils avaient un lien avec toutes les choses mystérieuses et incompréhensibles qui se passaient sur cette planète. L’eau était si limpide que je n’eus pas de mal à voir converger quelques grands spécimens dans ma direction. Je n’avais pas peur d’eux. Ils n’avaient jamais étaient agressifs avec moi et ne m’avais jamais fait courir aucun danger. Ils arrêtèrent leur nage rapide à quelques mètres de moi, provoquant une série de vagues dont les éclaboussures montèrent bien plus haut que le rebord de mon pantalon mais je ne bougeais pas. L’un deux arriva plus lentement et laissa son immense tête buter contre mon corps. Son contact spongieux faillit me faire basculer en arrière mais je réussis à maintenir mon équilibre. L’immense animal me dépassait largement et ses yeux placés sur le coté, me détaillaient. Je m’avançais dans l’eau, longeant la bouche crénelée pour me retrouver à la hauteur de son œil. Bien que sans cil, celui-ci, d’un bleu très pale, avait l’air humain. J’avais le sentiment qu’il lisait en moi pendant qu’il me regardait, et comme à chaque rencontre avec les baveaux, un sentiment de calme et de sérénité m’envahit. Je posais mes mains sur sa peau grise et je le caressais doucement. L’œil referma momentanément sa lourde paupière. Nous restâmes ainsi longtemps puis il commença à remuer doucement et je m’écartais pour le laisser repartir. Il allait plonger au moment où j’aperçu sur son flanc, accroché à l’un de ses puissantes patte-nageoires, une sorte de petit siège. Un lien passait sur son dos mais l’animal était bien trop grand pour que je puisse voir si l’autre coté de son corps était équipé du même dispositif. je sortis de l’océan et fonçais à mon bureau, répandant des trainées d’eau salée dans toute la maison, récoltant au passage la désapprobation bruyante de Boulette qui n’aimait ni les baveaux ni les éclaboussures. Je posais mon nouveau casque-capteur sur ma tête et le branchais à la table d’illusion puis je me concentrais sur les dernières images que j’avais mémorisées. Le baveau apparu dans la pièce, si réel que j’eus un moment de recul, ce qui brouilla momentanément l’image et fit bondir le chat hors de la maison dans un long miaulement de terreur. Je me ressaisis et me concentrais à nouveau. Une fois que l’image fut claire, je l’enregistrais. Ensuite, ayant ôté mon casque, je me promenais dans la pièce, à l’intérieur de l’animal holographique, tentant de comprendre ce que j’avais vu sur sa patte. L’esprit est comme une éponge, il absorbe sans même s’en apercevoir. Je pus ainsi contempler à loisir un judicieux système d’attaches qui devait probablement trouver son pendant sur la patte opposée et qui arrimait sans blesser l’animal, un petit siège munis d’accoudoir sur la naissance de la patte, juste au dessus de ce qui devait être son articulation. Ainsi, la « personne » qui prenait place là, n’était pas secouée à chaque battement de la nageoire. Cet animal était donc domestiqué par « quelqu’un » qui voyageait sur son dos ou son flanc, pour être plus exacte, comme un cornac sur un éléphant. J’eus beau chercher dans mes souvenirs, aucun des baveaux que j’avais vu jusque là n’était ainsi harnaché. Peut-être était-il comme ses chevaux capricieux qui se sauvent avant qu’on puisse leur retirer leur selle ? Peut-être voulait-il que je sache ? Mais que devais-je savoir ? Qu’une entité intelligente vivait sur cette planète ? J’en étais persuadée depuis longtemps. Qu’elle était toujours vivante ? Cela semblait probable car le matériel avait l’air en très bon état. J’aurai aimé partager ses réflexions avec quelqu’un mais quand il s’agissait des baveaux, tout le monde me regardait comme si j’avais soudainement perdu la raison. Je restais longtemps fascinée par l’image de l’animal qui semblait si réelle dans mon bureau. Ses beaux yeux bleus me suivaient quand j’évoluais dans la pièce. Je me détachais finalement de cette contemplation quand la voix de Serarpi raisonna dans ma tête :

« Zellana, est-ce que tu m’entends ? Il faut que tu viennes à l’atelier rapidement, je t’attends ». Puis elle ajouta pour elle-même : « je suis folle, comment pourrais-t-elle m’entendre alors qu’elle est à l’autre bout du village ? ».

Je tentais de lui répondre mais je savais qu’elle ne pouvait pas capter mes ondes cérébrales. J’éteignis la table lumineuse, faisant soudain disparaitre l’animal et je remontais la route principale en courant. Quand je frappais à sa porte, Serarpi m’ouvrit en s’écriant :

– ça a marché, je n’en reviens pas ! Tu as bien eu mon message n’est-ce pas ?

– oui, je t’ai entendu m’appeler alors je suis venue.

– c’est fantastique, je peux te parler !

– bientôt tu m’entendras toi aussi, ne t’inquiète pas. Le Mitreion nous imprègne un peu plus chaque jour. Dans quelques saisons, nous pourrons tous voyager dans les grottes et nous pourrons probablement tous nous parler à distance.

– ça, dit-elle pensive, je ne suis pas sûre que ce soit la meilleure chose qui puisse nous arriver. Le jour où nous pourrons entrer en contact les uns avec les autres sans avoir besoin de nous déplacer pour nous voir, ce jour là, notre civilisation changera à jamais. Souviens-toi des conséquences de l’avancée technologique du 21° siècle ! Plus personne ne se parlait. Il a fallu attendre que le système implose pour que les humains reprennent contact avec la réalité, malheureusement, il était trop tard. Le monde était épuisé et voilà où nous en sommes aujourd’hui, dit-elle en montrant l’intérieur de sa maison.

Je souris et répondis :

– on aurait pu plus mal tomber…mais je partage ton sentiment. Le fait de voyager à la vitesse de la lumière, d’un bout à l’autre du continent, n’est pas non plus pour me rassurer. Certes, c’est pratique. J’ai visité tout le continent sud en dix jours, mais je n’ai pas un instant pris le temps d’apprécier le voyage. Je parcoure beaucoup moins de distance avec mon deltaplane, mais ce que je vois est si beau que je ne m’en priverai pour rien au monde.

– je te comprends. J’aime la langueur du voyage. Quand j’étais jeune et que la terre était encore praticable, j’avais effectuais un long voyage avec mes parents en super-train à travers le continent asiatique. Il nous avait fallut deux journées entière pour le traverser de part en part. Je me souviens encore de la joie que j’ai ressenti quand j’ai vu apparaitre l’Himalaya à la tombé de la nuit. Malgré les lourds nuages de pollutions qui l’entouraient, il brillait dans la lumière orangée du soleil qui se couchait. Quel beau souvenir !

Son visage était devenu extatique et pendant un instant, elle rayonna.

– je n’ai malheureusement pas eu la chance de connaitre ça. Je n’ai jamais voyagé autrement que dans des navettes sans hublot. La première fois, c’est quand on m’a amené à l’Académie, et la deuxième c’est quand Joshua et moi avons été affectés à l’embarcadère 5819, en attendant la grande migration.

– tu t’es bien rattrapé depuis, entre tes escapades en deltaplane et tes voyages dans les grottes ! En parlant de voyage dans les grottes, Martial était excité comme un gamin à la perspective de se rendre à Materia…

– ils sont partis ? Criais-je en la bousculant presque pour pénétrer dans la pièce informatique.

– oui, il y a pratiquement deux heures. Ils doivent être arrivés à la falaise maintenant. Viens, installes toi, nous allons regarder ça. J’ai activé les capteurs infrarouges, ainsi nous pourrons les suivre dans leur périple nocturne.

Sur un écran, je vis de petites silhouettes apparaitre le long de la plage. Nous les perdîmes de vue quand ils pénétrèrent dans les grottes mais j’eus le temps de reconnaitre Martial et Moya grâce à leur carrure impressionnante. Joshua était là aussi, dont la démarche et l’allure m’était par trop familière pour que je ne la reconnaisse pas.

– avec qui partent-ils en expédition ?

– maintenant je peux te le dire. De notre village il y a : Martial, Joshua, Amozzo, Copland, Aram, Kalder, Mayok et Sofram et pour les accompagner, il y a Moya et ses hommes : Garheban, Gwenael et bruek ainsi que Phasim, Plutarque, Shaggy et Monteïqui viennent de la ville.

– ils sont seize ? Tu penses que ce sera suffisant ?

– ils ont élaboré un plan dont je ne sais rien, ce qui me permettra de ne leur faire courir aucun risque. Mais il semble qu’ils aient estimé qu’ils étaient assez. Il fallait un accompagnateur pour chaque homme de chez nous, sinon ils n’auraient pas pu voyager dans les grottes.

– tu as raison, je n’avais pas pensé à ça !

– nous devrions les voir sortir de la grotte de Materia dans peu de temps. Regarde ! s’écria t’elle soudain, les voilà qui arrive par petits groupes.

En effet, dans la lumière des lunes, leurs silhouettes caractéristiques se profilèrent à la sortie de la grotte pour disparaitre aussitôt dans les taillis que j’avais moi-même empruntés avec Moya.

– et maintenant ?

– je n’en sais pas plus que toi, on dirait qu’ils contournent la grotte.

– je sais où ils vont, il y a plusieurs anfractuosités dans lesquelles on peut se cacher aisément. Ils vont probablement attendre le milieu de la nuit pour intervenir.

– tu as raison, il y a encore trop de monde dans les rues. Allonges toi là, me dit-elle en me montrant le lit de camp sur lequel elle se reposait parfois quand elle travaillait trop longtemps, je te réveillerais dès qu’ils bougeront.

– d’accord, mais d’abord je vais nous préparer à manger. Je suis sure que tu as le ventre vide depuis un moment.

Elle eut un petit sourire qui confirma mes craintes. Je me dépêchais d’aller dans la cuisine où je farfouillais un moment à la recherche de nourriture. Quelques légumes revenus à la poêle me servirent de base pour une omelette baveuse que j’accompagnais de copieuses portions de fromages et de fruits d’automnes. Un petit vin frais nous rafraichit quand j’amenais les assiettes dans le local informatique d’où Serarpi refusa de sortir. Quand nous fumes repues, elle s’engonça dans son profond et confortable fauteuil, les jambes posées sur un petit tabouret et me pressa de dormir un moment. Je me posais sur le lit de toile tendue, étonnamment confortable malgré mes appréhensions et m’endormis aussitôt. Je fus réveillé par la voix douce de Serarpi qui me cueillit en plein rêve. Je mis un moment à me souvenir où je me trouvais quand les intonations excitées de ma compagne me forcèrent à sauter du lit pour venir contempler les écrans à ses cotés :

– . Ils sont sortis de la grotte il y a quelques minutes. Ils ont repris le chemin et ont bifurqué dans les fourrés, peu avant la route ! Regarde ! On dirait qu’il y a du mouvement dans ces buissons ! C’est l’avantage d’une vue par satellite. Nous pouvons les suivre presque partout tant qu’ils restent dehors. Mais j’ai équipé Martial d’une caméra qu’il porte dans son uniforme sans le savoir. Il n’est pas le seul d’ailleurs. J’ai cousu quelques boutons camera sur les uniformes de gardes qu’ils avaient entreposés ici en début d’après midi, ajouta t’elle en gloussant. S’ils s’imaginent qu’ils peuvent partir à l’aventure sans que nous n’en sachions rien ! Ils auront l’air malin au retour, quand ils tenteront de nous raconter des bêtises !

– Serarpi, tu es diabolique. Au fait, il faut que je te parle des baveaux…

– plus tard ma belle, regarde, ils descendent vers Materia. Là, le long de ce sentier. Comme il a l’air étroit vu d’en haut !

– il l’est, je te l’assure. Mais le sol est sablonneux et on y circule sans bruit.

J’eus un frisson d’angoisse en me remémorant l’assaut auquel Moya avait répliqué en tuant deux gardes et en faisant fuir Wong. Mais les circonstances étaient différentes. Pourtant, cela expliquait peut-être le regroupement d’homme que Serarpi avait constaté.

Nous contemplâmes en silence les petites silhouettes avancer de plus en plus prudemment à l’approche de la ville. Ils stationnèrent un moment, masqués par un bouquet d’arbres, puis le groupe se scinda en deux. L’un prit la direction de l’immense tas de déchet qui servait de porte d’entrée aux souterrains de Materia pendant que l’autre groupe avançait lentement entre les baraquements.

– que font-ils ? dis-je, excitée et angoissée à la fois. La vie des hommes les plus importants du village se jouait maintenant, en même temps que leurs actions déterminaient le retour d’Alex ou sa mort plus que probable.

– je n’en ai pas la moindre idée. Je te l’ai dit, ils ne m’ont informé de rien. Je suis comme toi, je découvre.

– on dirait qu’ils ont décidé de descendre dans les souterrains mais cela semble totalement fou.

– pourquoi pas ? Après tout, ils ont des uniformes de gardes et ils sont munis de badges et de passes.

– mais alors, que fait l’autre groupe ?

– je leur ai indiqué plusieurs baraquements qui semblent servir de base de commandement extérieure. Peut-être essaient-ils de découvrir des documents qui pourraient leur être utiles ?

Nous observâmes fascinées, les petites silhouettes se faufiler dans les rues sombres de Materia. Quand le groupe qui se dirigeait vers les souterrains, disparu de notre vue, Serarpi démarra un programme sur un de ses multiples écrans et une image mouvante apparut.

– voilà mon cher Martial, toujours au cœur de l’action ! dit-elle sur un ton ironique qui masquait difficilement l’angoisse qui l’habitait et que trahissaient ses mains qui se tordaient à la vue des écrans.

– je suis sure qu’ils savent ce qu’ils font, dis-je en pensant que toute cette folie était de ma faute. Sans moi, sans mon insistance, ils ne seraient pas là-bas, arpentant des souterrains dont ils ne savaient rien, à la recherche d’un hypothétique membre du gouvernement.

– regarde, dit Serarpi, en me montrant l’autre groupe. Ils viennent de pénétrer dans un des baraquements.

– qui est dans ce groupe ? dis-je inquiète.

– je ne sais pas, il fait trop sombre mais je pense que c’est Moya, dit-elle en désignant un homme plus grand et plus large que les autres silhouettes noires qui se faufilaient à l’intérieur d’un bâtiment.

– tu as une camera sur l’un d’eux ?

– je ne sais pas, j’ai cousu des boutons au hasard. Je ne sais pas qui a mis les uniformes. Attend, dit-elle en déclenchant de nouveaux programmes sur des écrans annexes qui vinrent se superposés aux précédents, voilà, un des hommes est à l’intérieur. 

– que font-ils ? ne pus-je m’empêcher de demander, tout en sachant quelle ne pouvait me répondre.

– on dirait qu’ils cherchent des documents…là, on dirait des plans…penches toi en avant s’il te plait, dit-elle à l’homme qui nous servait de cameraman. On aurait dit qu’il l’avait entendu car de grands plans apparurent sur le plateau du bureau. Une main les fit rapidement défiler et s’immobilisa sur un plan qui pouvait représenter les sous sols de Materia.

– c’est ça ! je criais sans m’en apercevoir, tu peux faire une capture d’image ? Ce sont les plans des sous-sols, regarde : là ce sont les différents stocks et là, des salles de…d’entrainement, de sport…je ne sais pas, et…change de plan ! Criais-je inutilement à la main qui restait en suspens.

Quand elle se décida à faire disparaitre le plan d’un petit mouvement de la main et que le suivant apparu, je poussais un soupir de soulagement.

– j’avais raison ! Regarde, des routes souterraines ! Tu vois, elles partent vers…la mer…dis-je d’un ton étonnée. Mais ça n’a pas de sens ! Regarde là, m’écriais-je en désignant des petits rectangles de tailles différentes accolés les uns aux autres en bordure de la falaise. On dirait, une ville sous la ville.

Je restais un instant songeuse, mon cerveau travaillant à pleine vitesse, puis je m’exclamais :

– Ça y est, j’ai compris ! Tu vois tous ces petits modules, ce sont des logements à flanc de montagne. Voilà comment ils vivent au grand air. Nous ne pouvions pas les voir avec le satellite. Ils ont du percer la falaise et faire des ouvertures directement dans la roche. Ainsi, ils ont vue sur l’extérieur tout en restant protégés en sous-sol ! C’est génial ! Il faudrait prévenir nos hommes ! Regarde ce logement, il est beaucoup plus grand que les autres, je suis sure que c’est celui de Wong. Il a toujours eu la folie des grandeurs, déjà quand nous concevions Materia…

– s’il te plait Zellana, arrête de crier !

– désolée, je voudrais tellement leur dire !

– et bien dis le à Moya, tu peux lui parler.

– mais je risque de le faire repérer !

– pas plus que quand tu parles à Alex.

– tu as raison.

« Moya ? »

« Zellana ? » s’étonna la voix dans ma tête.

« Oui, vas regarder les plans sur le bureau »

« J’y suis »

«  C’est toi la main que je vois au dessus du plan ? »

« Tu vois ma main ?» dit-il en agitant bêtement ses doigts.

« Oui, arrête de remuer et concentre toi sur le plan. Tu vois les traits qui partent dans différentes directions ? Ce sont des routes souterraines. Elles permettent d’accéder à la ville cachée de Materia. Regarde tout en haut, à la limite de la falaise, c’est là qu’ils vivent et je suis sure que vous trouverez Wong dans le plus grand des logements »

«  Ok, je vais faire passer l’info, coupe maintenant ! »

J’interrompis la communication mentale, heureuse d’avoir contribué à ma manière à l’opération en cours.

– alors ? demanda Serarpi  anxieuse.

– c’est Moya. Je lui ai dit où chercher et il va contacter le groupe qui est en bas.

– oh mon dieu ! cria soudain Serarpi, ils ont été repéré ! On leur tire dessus !

– calme toi Serarpi, ils savent se battre et ils ont emporté des armes, dis-je autant pour la rassurer que pour calmer mon cœur qui s’était emballé à ces mots.

J’entrais immédiatement en contact avec Moya pour assurer la sécurité des hommes regroupés dans le souterrain, pris en étau dans un feu croisé :

« Moya ? Les hommes en bas se font tirer dessus, vous ne pouvez pas les aider ? »

« Nous y allons ! »

– Moya et ses hommes vont les rejoindre ! dis-je à Serarpi pour la rassurer.

– et ils vont tous mourir ou se faire attraper, ce qui sera encore pire ! hulula-t-elle en réponse.

– ne t’inquiète pas…

– mais je ne peux rien faire, glapit Serarpi, d’habitude, je prends le contrôle des machine mais là je suis impuissante. Martial ! s’écria-t-elle soudain en regardant l’écran, il vient de tomber ! Regarde, il est à terre !

– non, il bouge ! Il a dû se baisser pour se mettre à l’abri, viens ! Arrête de regarder ces écrans ! Nous ne pouvons rien pour eux, lui dis-je en la tirant par le bras pour qu’elle sorte de la pièce  mais elle résista :

– non, je ne peux pas ! Je ne peux pas l’abandonner comme ça ! S’il revient vivant, je le tue ! Cria-t-elle. Il n’a pas voulu que je vienne avec eux mais qu’est-ce que je vais devenir s’il meurt ?

– Serarpi, il est vivant ! Regarde ! Il tire sur leurs attaquants !

– aide-les, tu peux communiquer avec eux, guide-les s’il te plait ! me supplia-t-elle en me fronçant à m’assoir.

– je vais essayer…

« Moya, ça va mal, les hommes sont pris au piège dans les souterrains »

«  Nous y sommes presque, je les vois ! » puis la voix se perdit, étouffée par la roche.

– je ne peux plus entrer en contact avec eux, dis-je à Serarpi. En tout cas, pas d’ici. Il faudrait que je descende dans un sous-sol mais je n’aurai plus d’image…

Une série de tirs silencieux illumina le couloir que nous montrait Moya sans le savoir et nous vîmes apparaitre Martial et Joshua. Les différentes images se superposèrent et je suggérais à Serarpi de dédoubler les écrans pour que nous puissions continuer à suivre les opérations.

– active toutes les caméras que tu as placées sur les uniformes ! lui dis-je. Ainsi nous pourrons avoir une vue plus complète.

Elle s’empressa d’obtempérer, heureuse d’occuper ses mains. En quelques secondes, huit images différentes apparurent sur deux écrans qu’elle avait divisé en quatre. Elle montrait toutes le même lieu mais sous des angles différents.  Une seule m’inquiéta qui montrait le sol, immobile.

– un des hommes a été touché, regarde, la caméra est au sol.

– qui est-ce ? cria t’elle épouvantée.

Ce n’est pas Martial, il est là ! lui répondis-je en lui montrant un des huit écrans dont l’image mobile était en permanence éclairée par les tirs qui ne cessaient pas. Ni Joshua…ajoutais-je, soulagée de voir apparaitre le visage de mon ex-mari dans le viseur d’une des caméras.

– je déteste être là, impuissante ! cria t’elle en tapant rageusement sur la table.

– je te comprends. Si je pouvais descendre dans les souterrains je pourrais communiquer avec eux…

– laisse-moi quelques secondes, je dois pouvoir te relier à un écran transportable. Tu devras te contenter d’une seule image à la fois mais…regarde, dit-elle en me tendant un petit boitier presque plat, tu peux changer d’image en faisant défiler l’écran.

Je regardais ses doigts crispés changer d’image en glissant sur la surface mate de l’appareil.

– c’est parfait, je descends dans le stock, c’est tout près et…comment allons nous communiquer toute les deux ?

– je ne sais pas, les communicateurs marchent dans les souterrains ?

– non, sauf si je le laisse en haut des marches…comme ça je devrais t’entendre.

Je filais dans la nuit claire et descendis quatre à quatre les marches du stock après avoir posé le communicateur au sommet des escaliers. Je m’arrêtais en bas des marches et appelais :

« Moya ? »

Pas de réponse. J’avançais encore un peu et recommençais quand soudain la voix d’Alex me fit sursauter :

« Tu es là ? »

« Oui, je suis là »

«J’essais de te joindre depuis un long moment »

« Je suis désolée, j’étais occupée »

« Il se passe quelque chose ici, j’entends des bruits, comme des coups de feu… »

« Tu les entends ? »

« Oui, les gardes semblent totalement affolés, c’est vous ? »

« Oui »

« Dis-moi que tu n’es pas avec eux ! »

« Non » me contentais-je de répondre laconiquement.

« Tu sais ce qui se passe ? »

« Je ne peux rien te dire »

« Je comprends…je te remercie… »

« Pourquoi ? »

« Tu ne m’as pas oublié… »

«  Jamais, Alex, jamais ! Tu m’entends ; c’est pour toi tout ça ! Pour… »

«  Je sais » m’interrompit-il.

« Je dois te laisser maintenant »

« D’accord »

Et il disparu de ma tête.

« Moya, je viens d’entrer en communication avec Alex. Il entend les coups de feu, il doit être tout près de vous »

« Il y a une porte blindée au bout  de couloir où les gardent nous ont coincés. Il doit être quelque part derrière,  si nous passons la porte, nous essaierons… »

« Merci… »

Puis le silence revint et je regardais les diverses caméras toujours actives. Soudain une autre tomba au sol et je pensais à Serarpi qui devait s’affoler.

– Serarpi, tu m’entends.

– oui…je ne vois plus Martial !

– je suis sure que ce n’est pas lui ! répondis-je pour la rassurer alors que je ne savais pas quel homme était tombé à terre.

– Serarpi ? criais-je pour qu’elle m’entende dans le communicateur qui se trouvait loin de moi.

– oui ? répondit sa voix assourdie tant pas la distance que par l’émotion.

– est-ce que la caméra en haut à gauche bouge toujours ?

– sur quel écran ?

– celui de droite !

– oui, pourquoi ?

– je crois que c’est celle de Martial.

– tu es sure ?

– pratiquement !

– demande à Moya, je t’en supplie !

« Moya ? Qui est à terre ? »

« Moi, j’ai pris une balle dans la jambe  mais ça va aller »

« Je suis désolée, comment ça se passe ? »

« Mal pour le moment, ils sont supérieurs en nombres et mieux armés mais les lieux ne les avantagent pas tant que ça. Les couloirs sont étroits. Ils ne peuvent pas être à plus de deux côte à côte ».

Soudain tous les écrans s’illuminèrent d’une lumière aveuglante ?

« Qu’est-ce qui se passe ? » criais-je pendant que Serarpi glapissait dans le communicateur.

« Nous avons fait sauter la porte du fond. Nous allons pouvoir avancer mais il faudrait que tu nous guide »

« Je m’en charge, il me faut une minute »

« Dépêche-toi ! »

– Serarpi ? Il me faut un deuxième écran avec les plans de Materia que tu as capturés tout à l’heure !

– je t’apporte ça tout de suite !

Je regardais les hommes avancer prudemment et franchir enfin les montants fumants d’une porte gisant par terre, comme arrachée de ses gongs par un géant en colère.

« Zellana ? »

« Alex ? »

« Les bruits se rapprochent,  j’entends des voix ! »

« Moya, Alex vous entends, il doit être tout près de vous ! »

« Je le contacte, déconnecte toi »

« Alex ? Moya va te parler directement »

Le silence revint à nouveau. Puis j’entendis Serarpi dévaler les escaliers, porteuse de deux écrans. Elle se laissa tomber à coté de moi dans le couloir et me tendis un écran pendant qu’elle se cramponnait à un autre.

– qu’est-ce qui se passe ? dit-elle à bout de souffle.

– Alex est tout près, ils vont essayer de le libérer.

– c’est formidable ! C’était quoi l’explosion ? dit-elle en tentant de reprendre son souffle.

– ils ont fait sauter une porte. Maintenant ils ont besoin que je les guide pour sortir de là, dis-je en examinant le plan qu’elle venait de m’apporter. Ils devraient être ici, ajoutais-je en lui montrant le plan. Tu vois, ils sont entrés par là et ici, je pense que c’est l’intersection où ils ont été attaqué, lui montrais-je en faisant courir mes doigts sur le plans comme s’il allait me donner des réponses. Là c’est la porte qui a sauté. Maintenant ils se dirigent vers les cellules, regarde, elles sont là. Alex est dans la cellule 3512. Il faut que je le dise à Moya.

Alex va le lui dire, ne t’inquiète pas, me reprit-elle en serrant ma main.

– viens, allons nous installer plus confortablement. Dans le stock de meubles, il y a des fauteuils et des canapés. J’ai même dû y laisser des jus de fruits et des provisions.

Nous nous dirigeâmes rapidement, les yeux rivés à nos écrans, vers un grand canapé dans lequel nous nous laissâmes tomber. C’était tout de même plus agréable que le sol dur et froid du couloir. Soudain une voix venue du haut des escaliers nous fit sursauter :

– on peut venir nous aussi ? dit la voix douce mais anxieuse de Joypur.

– bien sûr, venez, il y a de la place pour tout le monde ! répondit impatiemment Serarpi.

Nous vîmes arriver une petite procession de femmes qui comptait Joypur, Daïa, Flora, Chicorée, Julianne, Zibeline, Coquelicot, Tamina, Iris, Bégonia, Flavy, Parmaya, Verveine, mésange et Hebraï. Toutes les femmes s’installèrent comme elles pouvaient, sur les bras des canapés, debout derrière nous, qui avions posé nos écrans sur une table pour libérer nos mains.

– qu’est-ce qui se passe ? dit finalement l’une d’elle

Je leur fis un bref résumé de la situation mais omis volontairement de mentionner l’homme à terre pour ne pas les effrayer toutes.

« Zellana ?» m’interrompis Moya

« Oui ? »

« Le numéro de la cellule ? »

« 3512 ! »

Le silence revint et Joypur dit :

– c’était Moya ?

– oui.

– je n’ai pas compris ce qu’il disait mais j’ai reconnu sa voix…

– comment peux-tu entendre sa voix mais ne pas comprendre ? lui demandais étonnée.

– parce que je le cherchais mais il ne s’adressait pas à moi, alors le message était brouillé.

Je suivais les hommes qui progressaient dans le couloir des cellules pendant que d’autres les couvraient en continuant à tirer sans interruption.

– Il faut que je leur trouve une sortie…dis-je aux femmes qui regardaient, comme nous, le spectacle étranges de ses hommes évoluant sur des écrans, filmés par des caméras perpétuellement en mouvement et dont les gestes saccadés de leurs porteurs, rendaient parfois la vision difficile.

Je repris le plan et suivis du doigt la ligne du couloir. Des conduits de ventilations aéraient les immenses souterrains. J’en repérais un à quelques mètres derrière eux.

« Martial, tu m’entends ? Si tu m’entends, passe ta main devant le bouton supérieur de ton uniforme ! »

Après quelques secondes d’attente je vis une main obstruer momentanément notre vision.

– qu’est ce qui se passe ? glapit Serarpi.

– c’est Martial qui me fait un signe.

– il va bien ? reprit celle-ci surexcitée

– pas maintenant Serarpi, s’il te plait, je lui dis d’une voix calme mais ferme. Elle se recula au fond du canapé, blessée et malheureuse, mais ne dit plus rien.

« Derrière vous, à une vingtaine de mètres, il y a un conduit de ventilation. Il a l’air suffisamment large pour que vous puissiez y rentrer les uns après les autres. Il remonte à la surface à…attend », dis-je en changeant de plan pour revenir à la surface en m’aidant de la cote, je trouvais la bouche d’aération extérieure située le long d’un grand réseau de baraquement. Il était déjà assez loin du centre de Materia, vers l’ouest de la péninsule.

« Il débouche à l’ouest de Materia,  le long d’un grand groupe de baraquement. Si c’est ok passe la main sur le bouton »

L’écran s’obstrua à nouveau quelques secondes. Puis la caméra se dirigea vers le fond du couloir et s’arrêta devant une grille vissée dans le mur. La main de martial passa deux fois devant la caméra

« Il y a un problème ? »

Un passage de main

« Tu ne peux pas l’ouvrir ? »

Un nouveau passage de main. Je regardais attentivement la grille et je remarquais qu’elle était abondamment rivetée, n’offrant qu’une surface lisse, impossible à soulever.

« Vous ne pouvez pas la faire sauter ? »

Le pouce levé de Martial surgit soudain dans notre champ de vision et j’eus envie de rire.

– qu’est ce qui se passe ? S’impatienta Serarpi.

– J’ai indiqué à Martial où se trouvait la bouche de ventilation mais il ne pouvait pas l’ouvrir, alors je lui ai suggéré de la faire sauter.

Ce à quoi il s’employa immédiatement en collant des petits morceaux de pâte qu’il détachait précautionneusement d’un pain qu’il portait dans son sac. Après en avoir posé sur les différents rivets, nous le vîmes prendre de la distance et un éclair violent illumina à nouveau les écrans, puis le couloir réapparu, emplis de fumée immédiatement aspirée par la ventilation. Ensuite, nous vîmes la grille tordue et pratiquement arrachée déjà, se soulever, emportée par quatre mains puissantes qui la laissèrent tomber au sol. L’accès était ouvert !

Sur l’écran de Serarpi, une cellule s’ouvrait en même temps que toutes les portes se déverrouillaient et je vis Alex se lever, chancelant. Il était maigre et faible mais le sourire avec lequel il accueillit les hommes qui l’attrapaient déjà en le soutenant et qui l’emmenaient avec eux, me fit chaud au cœur.

Nous les regardâmes, haletantes, s’engouffrer un à un dans le large conduit où l’on distinguait une échelle. Les hommes montaient les degrés le plus rapidement possible mais durent s’immobiliser vers le milieu. Les tirs continuaient dans le couloir et une nouvelle explosion fit voler en éclat la bouche d’aération extérieure. Par la caméra de Martial, qui avait dû mener la colonne, nous regardâmes les hommes sortir un à un. Alex fut hissé péniblement dans le conduit par nos compatriotes, pendant que d’autres, postés en bas, maintenaient toujours les gardes à distances. Finalement, il fut dehors et je le vis, grâce à la caméra de Martial qui l’étreignit un instant, regarder le ciel avec un soulagement immense. Mais il était très faible et les hommes qui filaient à travers les rues sombres, durent presque le porter pour l’aider à avancer.

– il faut remonter criais-je soudain, sinon nous ne pourrons pas leur parler !

Toutes les femmes des colons comprirent immédiatement et se ruèrent dans les escaliers, mais Serarpi dû expliquer aux femmes de notre communauté, la capacité de communiquer que certains d’entre nous avaient acquis grâce aux pouvoirs mystérieux de Matria.

– Allons dans la salle informatique, dis-je en courant et en tenant toujours mes écrans dans les mains.

Massées dans le petit local, nous regardâmes les derniers hommes sortir du conduit et courir à travers les rues en se dispersant par groupes de quatre. Leurs silhouettes éclairées par deux lunes, projetaient des ombres doubles sur le sol, ce qui brouillait encore plus notre perception des évènements. Des tirs épars éclairaient encore momentanément la nuit mais les hommes s’enfoncèrent dans la végétation dans laquelle ils disparurent aux yeux de leurs assaillants.

– ils n’ont plus de satellite ! dit Serarpi belliqueuse. Ils ne les retrouveront jamais dans cette végétation !

– non, mais ils peuvent les attendre à la grotte, dis-je soudain inquiète. Tu peux aller voir l’entrée de la grotte s’il te plait ? lui demandais-je alors qu’elle se saisissait des commandes.

– il y a des hommes qui remontent là, dit Flora en montrant une longue rangée de gardes qui courraient en direction de la grotte. Pourvu qu’ils y arrivent avant !

« Moya, il y a une colonne d’homme à votre droite, sur la route principale »

« D’accord !»

Nous vîmes tous les hommes accélérer pendant que leurs poursuivants maintenaient leur course soutenue. Martial, qui se trouvait dans le premier groupe, arrivait déjà aux abords de la grotte.

« Martial, attention ! Il y a certainement des gardes dans la grotte ! »

Le pouce apparu puis la main de Martial tenant une sorte de torche qu’il dégoupillait occupa un instant l’écran avant de disparaitre. Quelques secondes plus tard, une vive lumière sortit de l’ouverture et Martial leva à nouveau le pouce puis pénétra dans la grotte dans laquelle une dizaine d’hommes gisait sur le sol, momentanément sonnés par une bombe incapacitante. Martial avait préféré cela à une explosion qui les aurait tués mais aurait risqué d’endommager la grotte. Je lu cela dans ses pensées pendant qu’il disparaissait avec trois autres hommes par une porte.

– où vont-ils ? demanda Iris

– je ne sais pas ; lui répondis-je. Je ne suis pas au courant de leurs plans.

« Moya ? Où allez-vous ? » Dis-je à mon ami.

« À l’endroit dont je t’ai parlé.  Demande à mon épouse, elle connait » dit-il en disparaissant à l’intérieur de la grotte, soutenant toujours Alex qui peinait à courir au même rythme que les autres. Finalement, tous disparurent à l’intérieur et nous vîmes la colonne de gardes arriver et chercher en vain. Le réseau de communications des grottes était infini et personne ne les retrouverait, s’ils ne le souhaitaient pas.

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