UN BAISER OU LA MORT Chapitre 4

Le début du week-end fut calme. Je paressais dans le jardin pendant que la famille Anderson investissait la terrasse en faisant un premier (mais pas le dernier) barbecue. Monsieur Anderson disposait d’un engin de la taille d’un piano, avec couvercle rétractable, gaz réglables, table de découpe. Bref, la Rolls des barbecues.

Dès le samedi midi, des odeurs appétissantes de viandes grillées envahir la maison dont les portes fenêtres étaient restées ouvertes en raison de la chaleur de ce mois de septembre. Dans l’après-midi Marina nous invita, ma mère et moi, à venir partager un barbecue le soir même avec toute la famille. Elle avait aussi convié les voisins proches et nous nous retrouvâmes une bonne vingtaine dès dix-huit heures, installés très confortablement dans des fauteuils de jardins super stylés. Jacob n’était pas dans la piscine, ce qui me surprit vu qu’il y passait sa vie. Son petit frère, par contre avait investi l’espace avec trois autres garçons de son âge. Leurs cris et leurs rires résonnaient et le bruit était assourdissant. Finalement, après que l’un d’entre eux eut éclaboussé encore une fois les convives, Marina les pria gentiment mais fermement de sortir de l’eau et de sécher pour le repas. Toujours pas de Jacob en vue. Malgré notre début d’amitié je n’osais monter dans sa chambre pour voir ce qu’il faisait. Marina résolu le problème en me demandant :

Colette, s’il te plaît, pourrais-tu aller voir ce que fais Jacob et lui demander de descendre mettre la table ?

Je m’exécutais sans broncher. Je montais les escaliers en prenant la précaution d’appeler :

– Jacob ?

Pas de réponse.

J’arrivais devant sa chambre dont la porte était entrebâillée et je toquais en redisant : « Jacob ? ».

Silence.

Je poussais la porte. Il était allongé sur son lit. Un casque « Beat » blanc sur les oreilles et un livre dans la main. Je reconnus « l’art de la guerre » de sun Tzu que je lui avais prêté.

Il leva les yeux vers moi comme s’il était étonné de me voir. Il enleva son casque  et il dit :

– j’étais en train de penser à toi…

Mon cœur s’accéléra, Jacob pensais à moi !

– Je me disais que certaine de ces stratégies te seraient bien utiles au lycée, dit-il en montrant le livre qu’il venait de poser sur le lit.

– Comme quoi par exemple ? Je demandais en me laissant tomber dans le fauteuil de son bureau qui était extrêmement confortable.

– Par exemple si tu comprenais que « la connaissance de l’ennemi et l’anticipation de ses actes sont les clés de la réussite militaire» me répondit-il avec son étrange sourire.

Mais je ne suis pas en guerre moi ! M’exclamais-je en me redressant.

– toi non, mais Alicia et sa bande semblent t’avoir déclaré la guerre depuis un moment. Alors même si toi tu n’es pas en guerre, tu dois te défendre et tu sais que la meilleure défense, c’est l’attaque, n’est-ce pas ?

– qu’est-ce que tu veux que je fasse ? Je connais mon ennemi ! Cette grande bringue d’Alicia me terrorise depuis l’année dernière.

– Non, tu ne connais pas ton ennemi, tu le subis. Le connaître c’est aussi connaître ses points faibles et ses forces pour s’en servir contre lui.

– Alicia n’a aucun point faible. Elle est belle, elle a beaucoup d’argent, ses parents lui achètent tout ce qu’elle veut, les filles veulent lui ressembler et les garçons la désirent. Je ne vois aucune faiblesse dans tout ça.

– si elle n’en avait pas, elle ne serait pas si méchante avec toi. Tu ne la connais pas si bien que tu le crois. Tu ne vois que ce qu’elle veut bien te montrer…et puis, tous les garçons ne la désirent pas, ajouta-t-il en me regardant droit dans les yeux.

C’était trop pour moi, je me levais d’un bond et je dis :

– ta mère veut que tu descendes mettre la table…je vais t’aider bien sûr, ajoutais-je en me rendant compte du ton peu aimable que j’avais employé.

– tu vois, reprit-il en se levant paresseusement, étirant son grand corps musclé sous mon nez, toi par exemple, tu t’énerve dès que je te dis quelque chose qui te touche. C’est facile, il suffit d’observer, ajouta-t-il en passant devant moi comme si j’étais transparente mais je le vis sourire avant qu’il disparaisse dans le couloir. Puis il descendit l’escalier et je l’entendis crier :

mom, I’mhere

(Observer ! Je passe ma vie à observer, je passe ma vie à t’observer ! ). Mais il avait raison sur un point, quelque chose avait dû m’échapper concernant Alicia parce que je n’avais jamais rien fait qui mérita qu’elle me martyrise autant.

Je suivis Jacob dans la salle à manger où je le trouvais en train de sortir une énorme pile d’assiettes d’un buffet bas. Il me les tendit mais quand j’essayais de les attraper, je manquais tomber en renversant la pile d’assiette. Jacob stabilisa les assiettes d’une main et me rattrapa de l’autre. Quand je retrouvais mon équilibre, il reprit le chargement pendant que je bafouillais, honteuse :

Désolée, mais c’est vraiment lourd.

– prends les couverts, ils sont dans le premier tiroir. dit-il comme s’il ne s’était rien passé mais je vis qu’il souriait encore comme s’il venait de me faire une bonne blague.

Je décidais de ne pas y prêter attention et je demandais :

– Combien j’en prends ?

– je ne sais pas, compte une vingtaine de chaque.

Quand j’arrivais sur la terrasse, une grande table avait été dressée et Nils alignait les verres pendant que son frère installait les assiettes. J’étais étonnée de voir à quel point cela leur semblait naturel. Quand ma mère me demandait de mettre la table je faisais tellement d’histoire qu’elle finissait par renoncer.

Je disposais fourchettes, couteaux et petites cuillères à leur suite sous le regard étonné mais souriant de ma mère. Puis Nils plaça des serviettes parfaitement pliées et repassées à coté de chaque assiette. Ensuite, dans une synchronisation parfaite, Marina, ma mère et plusieurs autres femmes arrivèrent porteuses d’immenses saladiers. Elles déposèrent sur la table, des salades colorées, du riz au curry, du pain, des carafes d’eau et plusieurs bouteilles de vin. La table était magnifique. Hans arriva du fond du Jardin où le barbecue ronronnait depuis un moment et déposa deux énormes côtes de bœufs, des côtelettes et des saucisses en grande quantité. Un vrai festin !

Marina installa les quatre petits garçons à un bout de la table puis Jacob et moi, de part et d’autre face à face, en tampon entre les enfants et les adultes. Ensuite elle plaça chacun des convives avec soin. Ma mère se retrouva entre un voisin que je connaissais de vue et Hans qui présidait la table, face à Marina qui souriait et parlait à tout le monde.

Le repas fut très agréable et animé. Les enfants riaient et Jacob et moi, bien que peu causant semblions profiter de l’ambiance détendue et plaisante.

Ma mère, un peu en retrait, comme à son habitude, souriait en répondant alternativement à Hans et à l’homme qui se tenait à sa droite. Marian relançait la conversation quand elle faiblissait. Bref tout était parfait.

Quand la sonnette retentit, alors que la nuit était tombée depuis longtemps, Marina eut l’air étonnée puis, posant sa serviette sur la table elle dit avant de disparaitre dans la maison :

– Je vais ouvrir.

Elle revint au bout de quelques minutes, suivie de près par un couple splendide qui éclipsait Alicia, pourtant plus séduisante que jamais. La mère d’Alicia était une magnifique femme blonde aux seins et aux lèvres visiblement refaits dont la plastique parfaite fit tourner la tête de tous les convives. Son époux, bronzé et très bruns était lui aussi impressionnant. Une musculature de bodybuilder, des yeux très bleus et un sourire aux dents d’un blanc éclatant. Alicia avait vraiment l’air terne à côté. Ils saluèrent les convives déjà attablés et s’excusèrent de ne pas avoir pu arriver plus tôt.

-J’étais en « call conférence » avec New York, dit l’homme alors que son épouse se collait contre lui.

– mais asseyez-vous, je vous en prie, dit Marina pendant que Hans ramenait trois chaises de la salle à manger. Tous les trois en bout de table, ils semblaient presque anachroniques dans l’assemblée des convives détendus et repus. Je remarquais qu’Alicia avait été reléguée un peu en arrière et qu’elle semblait très mal à l’aise et je repensais à ce que m’avait dit Jacob précédemment à propos de l’art de la guerre. Le point faible d’Alicia, c’était ses parents. Une mère trop belle qu’elle n’arrivait pas à égaler, et un père visiblement très occupé qui ne semblait pas lui accorder une seconde d’attention. Peut-être était-elle une déception pour ses parents ? Je me souvins qu’elle avait un grand frère qui faisait de brillantes études d’ingénieur. C’était peut-être pour cela qu’elle me détestait tant ?

Au bout d’un moment, l’ambiance se détendit à nouveau et après s’être reculée peu à peu, Alicia se leva et se dirigea vers Jacob en emportant sa chaise. Personne ne lui prêtait attention, du moins c’est ce que je croyais jusqu’à ce que je surprenne le regard de Marina qui était tout sauf aimable à cet instant. Alicia s’assit près de lui et commença à lui parler à voix basse, m’ignorant comme à son habitude. Je l’entendis murmurer :

– Tu ne veux pas qu’on aille dans ta chambre un moment ?

Jacob leva les yeux vers moi puis regarda sa mère et répondit :

– non, ce ne serait pas très poli. Et puis je vais devoir débarrasser la table dans quelques minutes.

s’il te plait, reprit Alicia en lui jetant un regard où la séduction se mêlait à la supplique, y-a rien d’intéressant ici, dit-elle en me regardant ouvertement cette fois ci.

J’allais répliquer quand je sentis un pied effleurer ma cheville. Juste un frottement et le pied disparu. Je levais la tête. Jacob me regardait et ses yeux disaient « laisse tombé ».

Comme si elle avait compris ce qui se passait Marina dit :

– Nils, Jacob, Colette, pourriez-vous débarrasser la table s’il vous plait ?

Le fait d’être ainsi inclus dans les membres de la famille me toucha et je souris à Marina pour la remercier. Elle me rendit mon sourire et je vis à son regard que nous nous étions comprises. Ma mère me regardait et elle aussi me sourit. Peut-être venait-elle enfin de comprendre ce que je subissais quotidiennement.

Je me levais et commençais à empiler les assiettes à un bout de la table pendant que Jacob faisait de même de l’autre côté. Pendant ce temps, Nils ramassait les serviettes. Marina revint de la cuisine avec un grand plateau où elle rangea tous les verres. Puis ainsi chargée, elle disparue dans la cuisine. Je la rejoignis peu après et je m’occupais avec les garçons de remplir un lave-vaisselle d’une contenance étonnante. Visiblement les Anderson avaient l’habitude de recevoir du monde.

Ensuite Marina invita les convives à s’assoir dans le salon d’été, au bord de la piscine et offrit du café et du thé que nous fumes chargés de distribuer, Jacob et moi. J’appréciais d’être mise ainsi à contribution, Je me sentais utile et cela me faisait plaisir. Jacob semblait pour sa part y être totalement habitué car à aucun moment il ne broncha ou ne grogna. Il servit et desservit tout ce que sa mère lui demandait en gardant un air placide et serein.

Alicia qui avait de fait été reléguée dans un coin car elle n’avait pas fait mine de se lever pour participer, le suivait du regard inlassablement. Il faut dire qu’il était vraiment agréable à regarder. Sa mèche rebelle lui tombait régulièrement dans les yeux et il la repoussait d’un mouvement de la tête, son tee-shirt noir  mettait en évidence son torse de nageur et sa taille fine et son jean, qu’il portait plutôt moulant pour une fois lui allait parfaitement.

Quand tout fut rangé, que tous les café furent servis, Jacob regarda sa mère et celle-ci lui répondit :
– c’est bon Jacob, je finirais. Nils, ajouta-t-elle, il est temps d’aller te coucher.

Tous les adultes présents comprirent le message et ma mère fut la première à se lever.

– merci de votre hospitalité Marina, j’ai passé une excellente soirée, dit-elle en tendant la main à Marina qui la prit et la serra entre ses deux mains et dit :

– je pense qu’on peut se tutoyer, tu ne crois pas Olga ?

Ma mère eut un temps d’hésitation, presque imperceptible puis elle dit, mais bien sur Marina, avec plaisir.

Tous les convives se dirent au revoir, certain se serrant la main, d’autres s’embrassant comme de vieux amis et tous retraversèrent la maison pour sortir. Nous étions dans la pièce principale et Jacob s’apprêtait à monter l’escalier quand Alicia le rattrapa et le prenant par le bras, lui dit :

– au fait, Jacob, je voulais t’inviter à une fête chez moi samedi prochain. C’est une fête costumée, dit-elle en regardant sa mère comme si ce n’était pas son idée.

En effet celle-ci acquiesça :

– j’adore les parties costumées, le mystère, le charme des déguisements et des masques, je trouve ça follement excitant. Alicia regarda à nouveau Jacob et reprit :

– tu viendras n’est-ce pas ?

– Bien sûr qu’il viendra, répondit Marina avant que Jacob puisse ouvrir la bouche, et Colette aussi bien entendu ajouta-t-elle.

Alicia faillit en rester bouche bée mais elle fit bonne figure et répondit,

– Colette aussi, bien sûr.

Puis tout le monde s’égaya dans la rue et je rentrais à la maison, décomposée. Je n’avais aucune envie de me rendre à une fête chez Alicia, encore moins une fête costumée. Au regard noir que lui avait lancé Jacob, je me doutais qu’il n’en mourrait pas d’envie lui non plus.

Ma mère qui me suivait de près, ferma la porte d’entrée et me dit :

– ces Anderson sont des gens charmants et leurs enfants sont extrêmement bien élevés. Je trouve Jacob particulièrement agréable. Pas toi ?

– hein ? Je répondis. Ouais, il est sympa. Puis je grimpais dans ma chambre en claquant la porte. Ma mère n’était pas le genre de mère à qui ont fait des confidences de fille.

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