A LA LUMIERE FROIDE DE LA TERRE – Deuxième Partie – Chapitre 3

Chapitre 3

Début de la sison de printemps de l’an 1

Environ une année terrestre

Quand Martial appuya sur le commutateur et que tous les écrans s’allumèrent, nous ressentîmes un élan de joie extraordinaire. Nous étions quatre à sursauter dans la pièce sombre à la lueur blafarde des écrans : Martial, Nuncio, Amozzo et moi.

Martial avait confiance en eux et quand je lui avais parlé de la convergence de nos idées, il m’avait autorisé à les mettre dans la confidence. Grace à lui, le réseau était opérationnel même si pour le moment, il marchait en circuit fermé ; aucun signal externe ne venait l’alimenter en information d’aucune sorte. Au mieux, si nous en équipions toutes les habitations, il pourrait nous servir, en l’état, à nous envoyer des messages les uns aux autres. Mais il était plus rapide et plus agréable de sortir de la maison et de se rendre chez son voisin que de lui faire parvenir un message sur un écran gris. Sur le plan informatique, nous étions revenus à un mode binaire basique et les écrans affichaient des petits signes blancs sur fond noir.

– maintenant, il faudrait nourrir la base de données, dit Martial, mettant un terme au long silence religieux qui suivit l’illumination. On pourrait y brancher ta table lumineuse pour y stocker toutes les informations que tu as collectées depuis que tu travailles dessus.

– si tu veux, mais ça servirait à quoi ?

– A rien. A me sentir utile et à avoir l’impression que je n’ai pas travaillé pour rien.

– mais ce n’est pas le cas ! Rappelle-toi notre projet : envoyer un satellite géostationnaire en orbite.

– ça c’est un rêve Zellana, le satellite est pratiquement prêt, mais nous n’avons pas la technologie nécessaire pour l’envoyer en orbite.

– nous non, dit soudain Nuncio, mais sur le vaisseau mère, il y a tout ce qu’il faut.

– je sais, lui répondit Martial en se abandonnant un instant sa jovialité habituelle,  mais nous n’avons aucune idée d’où il se trouve maintenant et les navettes ne peuvent pas remonter jusqu’à lui.

– si elles le peuvent…l’interrompit Nuncio avec des airs de conspirateur. Elles comportent un programme qui leur permet de retrouver le vaisseau et d’y retourner. Tu sais, ils avaient pensé à tout. Ils envisageaient d’utiliser les vaisseaux comme base de commandement une fois que la cité serait édifiée. De là haut, ils pouvaient surveiller tout le territoire et utiliser leurs armes.

– dans quel but ? m’exclamais-je, ne sachant quelle information était la plus surprenante.

– faire régner l’ordre, leur ordre ! me répondit Nuncio sombrement.

– tu saurais nous ramener sur le vaisseau ? demanda Martial soudain intéressé.

– moi non, mais je connais quelqu’un qui peut le faire…

– qui ?

– celle qui a conçu le programme et qui l’a paramétré.

– tu veux parler de Serarpi ?

– oui…

– mais elle ne voudra jamais nous aider, s’écria Martial. Elle a déclaré à ma femme qu’elle ne voulait plus jamais voir un ordinateur de sa vie, que c’était eux qui avaient causé notre perte !

– elle disait ça en arrivant, mais depuis, elle s’ennuie dans sa serre à regarder pousser les fleurs. Je suis sûr que si on le lui demande intelligemment, elle sera ravie de nous aider, lui rétorqua Nuncio.

– j’en parlerai ce soir en réunion, dis-je sur une impulsion et je vis des sourires apparaitre sur leurs visages.

– quoi ? leur demandais-je en virant à l’écarlate.

– rien…C’est bien que tu te décides enfin à prendre ta place, c’est tout.

– on se demandait quand tu le ferais, on avait même pris des paris…

– ah oui, et qui a gagné ? m’exclamais-je en sentant ma colère s’éloigner, remplacer par une furieuse envie de rire.

– c’est moi ! dit Amozzo.

– tu as gagné quoi ? je l’interrogeais.

– deux tours de corvée d’ordure.

– oh mince, les ordures ! J’avais promis à Joshua que je m’en occuperais dès que le village serait fini et j’ai été tellement prise…m’exclamais-je soudain ramené à la réalité.

– ne t’inquiète pas. Le tri est déjà efficace et nous faisons du compost avec tout ce qui est dégradable.

– beurk !

– peut-être, mais c’est une bonne chose. Ajouté au fumier que nous récupérons dans les enclos des animaux, nos légumes et nos fruits n’ont jamais été aussi beaux. Bodal, le mari de Serarpi, a planté une série d’arbres fruitiers qui attendaient d’avoir grandis pour être mis en pleine terre. Nous allons avoir des pommes, des poires, des cerises et je ne sais quoi d’autre encore.

– Ce soir c’est Julianne qui prépare le repas, ajouta Amozzo fièrement.

– on va se régaler alors, ton épouse cuisine vraiment bien, lui répondit son compère sous le regard amusé de Martial.

Et sur ces paroles joyeuses, nous fermâmes le local et nous nous dirigeâmes vers nos maisons respectives afin de nous rafraichir et de nous changer en prévision du conseil et du repas qui suivrait.

Quand nous arrivâmes dans la salle commune, beaucoup de gens étaient déjà réuni et le silence se fit un cours instant. Je saluais ceux que je n’avais pas vu dans la journée, puis j’allais m’assoir à un bout de la table. J’aimais bien cette place. De là, je voyais la mer et je pouvais rêvasser quand les discussions trainaient ou ne m’intéressaient pas. Finalement, tout le monde fut installé et Martial se leva :

– bonsoir à tous, je me permets de prendre la parole en premier ce soir car Zellana et moi avons des choses importantes à vous annoncer.

Je le regardais méchamment et j’espérais qu’il se sentirait mal, mais son sourire me prouva qu’il était très fier de son introduction.

– j’ajouterai que comme l’idée n’est pas de moi, je cède avec plaisir la parole à Zellana pour qu’elle vous expose ce sur quoi nous travaillons actuellement. Allez, Zellana, lève toi et viens au centre, qu’on te voit tous, ajouta-t-il en me gratifiant de son plus beau sourire.

Je le détestais de toute mon âme mais l’assemblé attendait, silencieuse mais impatiente et je n’eus pas d’autre choix que de me poster face à eux. Nuncio avait apporté une sorte de chevalet, ce qui conférait une solennité à ma présence dont je me serais bien passée.

– bonsoir ; je n’ai pas l’habitude de faire des discours, vous le savez tous. Mais puisqu’il faut en passer par là, permettez-moi d’abord de féliciter Bodal pour ses plantations toutes récentes. J’espère que nous croquerons bientôt dans de belles et bonnes pommes.

Je vis Bodal piquer du nez et rougir sous le compliment. Son sourire heureux me fit du bien.

– je trouve que nous avons fait du bon travail dans ce village, ajoutais-je. La collecte des ordures est déjà au point sans que j’aie eu besoin de m’en occuper, merci à tous. Nous avons réussi le pari de vivre en autarcie. Nous ne manquons de rien et si tout se passe bien, cela n’arrivera jamais. Ce qui m’amène à la suite. Vous avez pu constater que ces derniers temps j’ai beaucoup travaillé avec Martial…

– oui, et il a eut un atelier alors que moi je réclame un endroit pour fabriquer des tissus et coudre des vêtements depuis longtemps m’interrompit Zoléa, son épouse.

– très bien, j’en prends note et je ne manquerais pas d’y remédier très rapidement, je te le promets…

– merci, dit-elle avec sincérité.

– bien, pour les réclamations concernant les ateliers et autres constructions, venez donc me le dire en personne, on gagnera du temps.

L’assemblé se mit à rire et je me sentis détendue et calme, tous ces gens étaient mes amis.

– parfait, donc Martial et moi-même, rapidement rejoint par Nuncio et Amozzo, avons remis en fonction une bonne partie des ordinateurs. Je sais que pas mal d’entre vous verront cela d’un mauvais œil, mais nous avons un objectif et un seul, nous souhaitons collecter des données sur la région qui nous entoure à une échelle plus importante que nous ne pouvons le faire actuellement. De plus, ajoutais-je en levant les mains en signe d’apaisement pour faire taire les protestations naissantes, cela nous permettra aussi de surveiller notre territoire un peu plus efficacement que nous ne le faisons actuellement.

Il y eut un silence durant lequel tout le monde réalisa que nous ne surveillions rien du tout.

– en effet, comme vous êtes certainement en train de vous en faire la réflexion : nous n’exerçons actuellement aucune surveillance sur les alentours. Nous nous pensons à l’abri et nous le sommes surement, mais nous avons tout de même quelques inquiétudes légitimes. Nous sommes sans nouvelles des premiers colons, ceux qui ont installé ce site par exemple. Personne ne sait ce qu’ils sont devenus. Les gardes qui les accompagnaient n’ont pas réapparu non plus. Peut-être sont-ils morts, peut-être pas…d’autre part, nous sommes aussi sans nouvelle de nos amis qui ont atterris sur d’autre sites. Rien ne nous garanti que tout s’est aussi bien passé pour eux que pour nous. Loin de nous l’idée de ne pas leur venir en aide s’ils en faisaient la demande, mais nous aimerions être informé de leur arrivée et bénéficier d’un minimum de protection. Notre village est prospère. Quand il attirera l’attention, cela risque de ne pas être pour de bonnes raisons. Aussi, voilà les suggestions que nous avons à vous faire : tout d’abord, nous souhaiterions ériger un mur d’enceinte autour du village qui engloberait les cultures et les animaux, ainsi qu’un portail que l’on pourrait fermer la nuit. De cette façon nous serions à l’abri.

Il y eut quelques protestations dans l’assemblée et un certain tumulte s’installa. Je me raclais la gorge et repris, ce qui fait taire tout le monde :

– ensuite, nous souhaiterions envoyer un satellite géostationnaire en orbite au dessus du village que nous pourrions piloter de telle sorte qu’il nous renseigne sur les mouvements bien sur, mais aussi sur ce qui nous entoure, par exemple les sites miniers, ajoutais-je sur une impulsion, nous allons bientôt avoir besoin de matière première pour fabriquer différents objets. Comme vous le savez, notre région a été peu explorée et nous ne disposons finalement d’aucune information réelle sur ses ressources naturelles. Ce satellite permettra de repérer tout cela facilement. Pour ma part, la topographie du continent m’intéresse aussi car je me dis que dans un avenir plus ou moins proche, nous souhaiterons peut-être nous déplacer. Nous pouvons le faire en bateau, mais cela nous limites aux côtes. Si nous repérons des accès qui peuvent servir de route, nous saurons où nous diriger. Comme vous le savez, ma table cartographique n’est pas à jour et je ne dispose que de peu d’information sur le reste du continent à part ce que nous savions tous avant d’arriver ici. Joshua et moi par exemple, aurions du nous rendre sur un site dans les plaines centrales. Je peux le localiser sur ma carte, mais tel qu’il était prévu, non pas tel qu’il est actuellement. Il est probable que beaucoup de lieux soient restés vides faute d’occupants. Je serais curieuse aussi, je ne sais pas si c’est votre cas, de savoir ce qui se passe à Materia. Devons-nous nous attendre à une répression massive et violente de leur part ou en sont-ils encore à se construire des cabanes ? Autant de question auquel un satellite apportera des réponses claires et fiables.

Je laissais le brouhaha s’installer un moment, chacun avait besoin de parler et de réfléchir. Puis je repris la parole :

– enfin, nous aimerions utiliser une des navettes pour retourner sur le vaisseau mère afin de nous connecter à sa base de données. Elle nous renseignera efficacement sur tout ce que l’on nous a caché durant tant d’année. Nous savons que cela est possible, le programme existe, mais il nous faut une spécialiste pour le faire fonctionner…

Cette dernière annonce figea tous les convives dans un silence pesant. Je voyais bien que cette information réveillait des douleurs que tous avaient cru disparues pour toujours. Je laissais le silence s’installer, puis alors qu’il devenait trop lourd, une voix s’éleva :

– je suppose que c’est de moi que vous parlez, dit une femme grande et sèche à la peau pale et aux cheveux coupés à la va vite.

– Serarpi ? demandais-je.

– oui, c’est moi…Écoutez, j’ai besoin de temps pour réfléchir à tout ce que vous venez de dire. Je viendrais vous voir chez vous dans quelques jours.

Puis elle se mura dans un silence dont il était évident qu’elle ne sortirait pas.

– bien, merci Serarpi de prendre le temps d’y réfléchir. Je n’ai plus rien à ajouter. Je propose que nous passions au délicieux repas que nous a préparé Julianne.

Je commençais à m’éloigner vers le fond de la salle quand une vois cria :

– attendez !

Tout le monde s’arrêta.

– vous ne croyez pas qu’il serait temps de parler de la nomination d’un chef pour notre village ? s’écria Martial dont la voix portait. Pour ma part, le discours de Zellana m’a convaincu, si cela était encore nécessaire, qu’elle doit occuper cette fonction. Depuis notre arrivée, nous nous en remettons à elle chaque fois que nous avons besoin d’aide, chaque fois que nous devons prendre une décision. Je crois que ses qualités ne sont plus à démontrer alors je vous propose de voter à mains levées.

L’assemblé eut un moment de flottement puis une autre voix repris :

Je suis d’accord, terminons-en ! Nous savons tous qu’elle sera parfaite ! regardez, elle est déjà entrain de penser à l’avenir alors que nous plantons des fleurs dans nos jardins et nous nous réjouissons de manger des tomates bien mures.

Plusieurs personnes crièrent qu’elles étaient d’accord et soudain une première main se leva. C’était Joshua, puis une seconde, celle de Martial, ensuite Nuncio et Amozzo, puis, peu à peu, toute l’assemblée tendit la main en l’air. Quelqu’un dit :

Je crois que nous avons largement dépassé la majorité, nous sommes plus proche de l’unanimité : Zellana, tu es maintenant notre représentante, notre chef de village. Nous te félicitons !

Et avant que je comprenne ce qui m’arrivait, je me retrouvais portée par des bras puissants qui me firent traverser la salle sous un tonnerre d’ovations et d’applaudissements.

– j’aurai aimé qu’on me demande mon avis, dis-je d’une petite voix que personne n’entendit.

Je me retrouvais assise à la place centrale et Joshua s’installa à mes cotés. La table fut mise à une vitesse record et le repas servi immédiatement. J’étais un peu abasourdie mais je constatais que tous étaient joyeux. Le vin coulait à flot et les gens riaient sans retenue. A la fin de la soirée, il y eut des chants et quelques danses auxquelles je ne pris pas part mais que je contemplais, encore un peu sonnée. Puis Joshua me ramena à la maison.

– heureusement que je t’avais prévenu, si tu avais vu ta tête ! Je n’ose imaginer comment tu aurais réagis si tu n’avais pas été au courant ! En tout cas, je trouve tes propositions excellentes et je vais t’en faire une aussi : forme rapidement un gouvernement. Entoure-toi de gens en qui tu as confiance, qui soutiendront tes projets. Donne des responsabilités à chacun et apprend à déléguer, sinon tu vas t’épuiser en vaines discussions.

-merci Joshua, fut la seule chose que je trouvais à répondre. Il fallait que je dorme pour digérer tout cela. L’excellent repas de Julianne n’aidait pas à rester éveillée.

 

 

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