LE JOUR OU ARIANE DEMONTA LA TOUR EIFFEL

POUR ARIANE

Le matin du 14 Novembre, Ariane se leva de très bonne humeur. 

Aujourd’hui c’était son anniversaire et l’après-midi, elle devait retrouver ses amis au parc pour souffler les 5 bougies de son gâteau et recevoir ses cadeaux. Maman avait accepté d’inviter toutes la classe et Abdelkader avait promis qu’il viendrait. La fête allait être fabuleuse. Elle se voyait déjà courant dans les allées du parc, filant sur le toboggan bossu en plastique jaune, grimpant jusqu’au sommet de l’araignée.
Elle enfila ses pantoufles à tête de chat et s’approcha de la fenêtre. Ariane habitait au dernier étage d’un grand immeuble qui dominait les toits de Paris.
Gris clairs dans leur ensemble, les toits parisiens scintillaient normalement à la lumière rosée du soleil levant. Mais ce matin, ce matin en particulier, les toits étaient gris sombre et la tour Eiffel, habituellement étincelante, semblait avoir absorbé la noirceur des gros nuages qui la surplombaient.
Ariane observa attentivement. La tour Eiffel était si sombre qu’elle apparaissait à peine dans le lointain. Elle remarqua aussi qu’une mince colonne compacte de gros nuages noirs partait de la pointe de la tour et s’élargissait pour former le plafond épais qui recouvrait maintenant toute la ville.
C’était elle la fautive ! C’était elle qui attirait le mauvais temps !
Un autre jour, Ariane n’aurait rien dit mais aujourd’hui, aujourd’hui en particulier, elle n’était pas d’accord !
– Non ! Non ! Non ! s’écria-t-elle furieuse.
Elle ne pouvait pas laisser la tour Eiffel et ses mauvaises ondes gâcher sa fête d’anniversaire. Il fallait qu’elle fasse quelque chose. Peut-être pouvait-elle lui parler ? Lui demander de retrouver sa bonne humeur pour que le soleil revienne et que le ciel soit bleu ? Quoi qu’il en soit, elle devait agir.

Elle jeta son pyjama part terre et enfila une paire de chaussettes vert émeraude, un tee-shirt vert pomme, un pull vert bouteille et un pantalon vert d’eau. Puis elle mit son écharpe son bonnet et ses gants vert menthe et attrapa son sac à dos vert grenouille.
Ainsi parée, elle sortit de la chambre sous le regard ébahi de Maman qui servait le petit déjeuner à son grand frère Gabriel.
– Ariane, s’exclama Maman, tu es déjà prête ? Viens déjeuner…
– Pas le temps, l’interrompit Ariane, j’ai une mission et puis j’ai pas faim !
– prend au moins une tartine, dit Maman ébahie que sa petite fille se soit habillé toute seule.
Mais Ariane était déterminée et rien ne pouvait la stopper.
– je mangerai une banane en route, lui répondit-elle en attrapant trois bananes qu’elle fourra en vitesse dans son sac à dos en se dirigeant résolument vers la porte de l’appartement.
– Où vas-tu ? cria Maman abasourdie. Jamais sa petite fille n’avait quitté la maison sans prendre son petit déjeuner. Mais seul le claquement de la porte lui répondit.

Ariane dévala les escaliers et arriva dans la rue.
Pour se rendre à l’école, le trajet était simple. Elle tournait à gauche au bas de la rue, puis elle traversait le Boulevard quand le bonhomme devenait vert,encore une fois à gauche et les grilles vertes de l’école apparaissaient.
Mais aujourd’hui, particulièrement aujourd’hui, Ariane n’allait pas à l’école. Elle avait une mission bien plus importante.

Elle tourna résolument à droite et descendit la rue jusqu’à la station de métro. Elle se faufila habilement dans l’escalier entre les grandes personnes qui étaient tellement occupées à regarder leurs écrans de téléphone qu’elles ne la virent pas. Elle eut un instant d’hésitation dans le grand couloir carrelé de blanc. Après une grande respiration pour se donner du courage, elle s’engouffra dans un tunnel qui débouchait sur un quai déjà plein de monde.
Les gens piétinaient et s’impatientaient. Ariane se colla prudemment contre le mur et attendit. Quand le métro arriva en faisant hurler ses freins, elle eut juste le temps de se glisser à l’intérieur avant que les portes ne se referment et qu’il redémarre en couinant.
Plusieurs stations passèrent avant qu’elle puisse s’assoir, mais malgré les difficultés, sa détermination était entière. Elle voulait une belle fête d’anniversaire.
Elle finit par trouver un siège libre. Il était recouvert d’un vieux velours bleu à rayures passées. Elle le contempla un instant puis se décida à s’assoir car elle avait faim.
Elleéplucha une banane qu’elle mangea lentement, savourant chaque bouchée. Elle allait avoir besoin de courage.
Quand elle eut terminé, elle ne sut que faire de sa peau de banane. Elle ne voulait pas qu’elle se fasse écraser par tous ces pieds énervés. Pauvre petite peau, elle avait déjà perdue sa banane…
Ariane décida Finalement de la déposer délicatement sous son siège en lui disant :
– dort bien petite peau de banane.
Elle lui aurait fait un bisou si elle avait pu mais elle craignait que les gens la remarque, allongée par terre, tenant tendrement une peau de banane dans ses mains.
Pour se remonter le moral, elle mangea une deuxième banane et coucha la seconde peau à côté de la première. Ellesse sentiront moins seules, pensa-t-elle.
Finalement, le métro s’arrêta dans une station qu’elle reconnut au dessin de la tour Eiffel qui occupait tout un mur . Elle descendit de la rame et s’approcha prudemment de l’escalator. Cet engin était bien pratique mais il avait la mauvaise habitude de croquer les petits pieds comme un jeune chien fou. Ariane ne l’aimait pas vraiment beaucoup. Malheureusement, pour sortir du métro, il n’y avait pas d’autre solution. Elle prit une grande respiration et sauta sur une marche qui passait devant elle.
Celle-ci l’emporta sans histoire vers la sortie et la déposa à l’air libre, au pied de la Tour Eiffel.
Elle allait enfin pouvoir parler àcette tour maléfique qui attirait le mauvais temps comme un aimant.Ariane constata d’ailleurs que le ciel s’était encore assombri et qu’une fine pluie froide tombait maintenant, rendant la visibilité encore plus faible.
Le ciel ressemblait à une poubelle de nuages sales, serrés, écrasés les uns sur les autres.
Non, non et non !cria-t-elle en tapant du pied, tu ne peux pas me faire ça le jour de mon anniversaire !
Elle eut l’impression que l’immense édifice tournait légèrement sa tête pointue vers elle mais elle n’en fut point certaine. Elle attendit un peu mais aucune réponse ne vint.
– Fais partir tous ces vilains nuages tout de suite ou je vais me fâcher ! lui ordonna Ariane qui espérait que la Tour serait impressionnée. Mais il n’en fut rien et pire, le ciel s’obscurcit encore.
Alors Ariane sentit une très grande colère l’envahir. Sa décision était prise. Si cette méchante voulait gâcher sa fête, elle allait l’en empêcher.
Comme dans le métro, elle se faufila au dernier moment dans un des gigantesques ascenseurs qui escaladent la tour jusqu’au deuxième étage. Il faisait si sombre, si froid et si mauvais maintenant, qu’elle passait presque inaperçue dans la grisaille.
Monter dans l’ascenseur central fut plus délicat car il était plus petit et moins fréquenté. Toutefois la chance lui sourit. Un groupe de touristes téméraires se rendait au bar à champagne situé tout en haut et elle réussit une fois encore à se glisser parmi eux. La montée fut longue, interminable. Elle voyait les célèbres croisillons d’acier se succéder à une vitesse impressionnante et la ville disparaitre peu à peu.
Quand les portes s’ouvrirent, elle se colla à une dame et parvint à sortir sans se faire remarquer.
À partir de là, il lui suffisait d’escalader le reste de la tour comme quand elle montait en haut de l’araignée au jardin public.
Ariane commença son ascension. Ses gants la protégeaient du froid et de la pluie.
Une main, un pied, puis une autre main, un autre pied, et ainsi de suite jusqu’au sommet.
Arrivée à la pointe de la tour, elle s’assit un moment et mangea sa dernière banane. Elle regarda la peau et regretta de ne pas l’avoir laissée avec ses copines dans le métro. Elle aurait été au chaud. Finalement elle la fourra dans la poche avant de son sac à dos. En regardant à ses pieds, Ariane s’aperçu que la ville avait totalement disparue. Il était temps qu’elle intervienne !
Alors ? dit-elle à la tour, tu as réfléchis ? Tu veux bien arrêter ce mauvais temps tout de suite ?
Aucune réponse, pas même un petit grincement !
Alors Ariane sut ce qui lui restait à faire. Elle se cala sur un des montants les plus hauts et sortit précautionneusement de son sac tous les outils qu’elle avait emportés (avant de quitter la maison, Ariane avait vidé la boite à outil de papa au cas où).
Le ciel était si noir et compact autour d’elle, qu’elle n’y voyait presque plus. Assez cependant pour trouver le premier boulon à dévisser.
Les uns après les autres, Ariane démonta tous les boulons, écrous, vis, rivets, fixations et poutres métalliques qui maintenaient la tour debout. Elle les glissait au fur et à mesure dans son joli sac à dos vert.
Le ciel restait sombre mais Ariane ne se décourageait pas. Elle descendait rapidement maintenant qu’elle avait trouvé un bon rythme de travail. Quand elle arriva au deuxième étage, elle fit un tour dans les cuisines du « Jules Verne » et se régala d’un délicieux gâteau au Chocolat en forme d’écrou, puis elle reprit son travail. Finalement, au bout d’un long moment, elle déposa dans son sac déjà bien rempli, la dernière poutre du dernier pilier qui soutenait la tour.
S’en était fini de la tour Eiffel !
Par habitude, elle leva la tête vers le ciel mais la tour n’était plus là.
– tu l’as bien cherché, cria-t-elle au vide et son sac frémit sur son dos.
Le ciel semblait s’être aperçu de l’absence de l’imposant bâtiment car il commençait déjà à s’éclaircir par endroit. En son centre, là où se trouvait précédemment la tour, un peu de bleu commençait même à apparaitre.
Autour d’Ariane, les passants semblaient perdus. Ils tournaient en rond, scrutant le ciel et l’espace maintenant vide, comme s’ils étaient victimes d’une hallucination.
Un peu inquiète, Ariane décida de ne pas trainer dans les parages. Elle fila vers le métro malgré le poids de son sac à dos.
Avant de disparaitre dans les profondeurs, elle eut le temps de voir que le ciel devenait bleu à une vitesse impressionnante et que le soleil commençait à percer par endroit.
Elle avait eu raison : la tour était bien responsable du mauvais temps qui régnait sur Paris !
Quand elle monta dans le métro, elle le senti s’affaisser un peu sous son poids mais le conducteur de la rame ne sut jamais pourquoi sa machine peinait tant à avancer.
Toutefois, le métro parisien fonctionne depuis si longtemps qu’il ne se laissa pas impressionner par si peu. Il tracta fièrement ses wagons en s’arque-boutant sur ses roues.
Juste avant de sortir, Ariane prit le temps de déposer la troisième peau de banane à coté de ses copines endormies .
Puis elle quitta le métro et se retrouva sur le quai de sa station de départ. Elle remonta à la surface par les escaliers car l’escalator s’était arrêté dès qu’elle avait posé le pied dessus.
Elle regarda les passants mécontents grimper les trop hautes marches d’un pas de canard énervé et se demanda comment ils feraient s’ils portaient la tour Eiffel sur leur dos.
Quand elle arriva à la maison, Maman, Papa et Gabriel étaient sortis. Elle posa son sac dans sa chambre et se demanda ce qu’elle pouvait en faire.
Il n’était pas question de sortir les pièces de la tour Eiffel pour les ranger dans une boite, elles prendraient trop de place. Elle doutait même que son appartement soit suffisant pour entreposer la tour entière.
Elle décida de tout laisser dans le sac-à-dos vert qu’elle glissa finalement sous son lit, loin, loin, dans le coin contre le mur. Le lit étant très bas, personne ne pouvait le voir.
Ainsi débarrassée de cet encombrant fardeau, elle prit le temps de regarder par la fenêtre.
Dehors, le soleil brillait, le ciel était d’un bleu magnifique et la température remontait à toute vitesse. L’après-midi allait être splendide.
Quand maman rentra pour midi, elle s’étonna qu’Ariane fut si sale. Elle l’envoya changer de vêtements et se débarbouiller les mains et le visage. Mais comme c’était le jour de son anniversaire, elle ne la gronda pas.
Comme prévu, l’après-midi au parc fut merveilleuse. Tout le monde s’amusa beaucoup. Ariane reçu pleins de beaux cadeaux, couru dans toutes les allées en criant, glissa de nombreuses fois sur le toboggan et monta même au sommet de l’araignée en rigolant car elle était vraiment minuscule, comparée à la tour Eiffel.
Cet anniversaire était, comme elle l’avait espéré, fabuleux. C’était même, et de loin, le plus beau jour de sa vie.

Le lendemain matin, tous les journaux s’interrogeaient sur la mystérieuse disparition de la tour Eiffel et aucun d’eux n’était capable de fournir la moindre explication.

Ariane décida qu’il était plus prudent de ne rien dire. Le soleil était toujours là. Elle comptait bien en profiter encore quelques temps.

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