UN BAISER OU LA MORT Chapitre 17

À mon retour de vacances, je retrouvais ma mère souriante et détendue et je m’en félicitais.  Elle aussi avait droit à un peu de bonheur. L’amour semblait lui réussir et elle ne cessait de mentionner « Paul » dans ses bavardages plutôt inhabituels.

Paul, je le compris peu à peu était un collègue récemment arrivé, qui se remettait doucement d’un divorce. Il avait deux garçons d’une dizaine d’année qui vivait chez leur père en garde alternée, ce pourquoi il n’était disponible qu’une semaine sur deux.

Pour ma part, je rentrais de ce séjour à la montagne, fatiguée et heureuse, même si je ne pouvais me départir d’une certaine crainte à la perspective de revoir Alicia.

Pourtant elles n’étaient pas fondées. Alicia m’ignora dès l’instant où elle m’aperçut. Elle ne fit plus aucun commentaire désobligeant durant les cours et cessa de me bousculer dans les couloirs. Il faut dire que j’étais en permanence escortée par Jacob qui faisait office de bodyguard, décourageant par avance toute tentative de m’approcher.

Nous nous affichions maintenant ouvertement ensembles et je découvrais le plaisir et la sensation étrange à la fois d’avoir un boy friend officiellement comme l’avait souhaité Jacob.

Ma mère restait tout de même réticente à ce que je passe trop de temps chez les Anderson et nous n’avions toujours pas réglé le problème des cours de conduite. Jacob profita de mes weekend-end libres –ceux où ma mère voyait Paul – pour m’apprendre à conduire. Nous avions trouvé un grand parking vide dans une zone industrielle. J’appris donc avec crainte et réticence au départ, à passer les vitesses, accélérer, rétrograder…et au bout de quelques après-midi crispée derrière le volant, je commençais à maitriser les marches arrière et même quelques créneaux. Jacob se moquait encore parfois de moi quand j’affichais un air trop concentré mais dans l’ensemble c’était un bon professeur quand il cessait de promener ses mains sur mon corps ou de m’interrompre pour m’embrasser.

– le jour où tu prendras des leçons en ville, tu apprendras très vite, conclut-il un jour où je me garais parfaitement entre les piles de cartons qu’il avait disposé pour symboliser des véhicules stationnés.

– je ne sais pas si ce jour arrivera, je répondis, contrariée par l’entêtement de ma mère.

– ce n’est pas grave, l’essentiel c’est que tu saches conduire. De toute façon, tu dois encore attendre deux ans ici pour pouvoir conduire seule…

– c’est long…il peut s’en passer des choses durant ses deux ans…

– une chose à la fois, dit-il car il savait que je faisais allusion à son départ. D’abord on passe le bac ensuite on voit…

– ensuite…j’ai commencé tous mes dossiers d’inscriptions pour les écoles d’ingénieurs qui m’intéressent mais avec le système de sélection post bac, je ne sais pas du tout ce que ça va donner. Tu n’auras pas ce problème toi…je lui dis en le regardant. Il baissa la tête. C’était un sujet douloureux pour nous deux mais nous n’avions aucune solution. Jacob devait partir et je ne pouvais que rester.

– Je suis désolé Colette, tu sais que j’aimerai rester…J’ai fait une demande de bourse pour Berkeley…Ils ont une bonne équipe de natation et mes parents y ont fait leurs études tous les deux…c’est là qu’ils se sont rencontrés.

Berkeley ! Je m’exclamais en le regardant avec effarement, mais c’est fabuleux !  J’y ai suivis des cours d’anglais pour les étrangers quand j’étais en vacance à San Francisco. C’est mon rêve d’aller dans une aussi bonne université ! Tu as de la chance Jacob.

– attend, je ne suis pas encore pris. Il faut attendre les résultats du bac…si ça se trouve, je ne l’aurais pas…

– tu plaisantes, tu as d’excellentes notes !

– pas aussi bonnes que les tiennes, répliqua-t-il en m’attirant contre lui et en glissant ses mains sous mon tee-shirt avec des intentions évidentes.

– Jacob ! On est dans une voiture…

– c’est une spécialité américaine, murmura-t-il en riant. Tu ne peux pas sortir avec un américain et ne pas essayer la banquette arrière…

– c’est un rite de passage…

– en quelque sorte…

– alors…

Quand je rentrais à la maison, je trouvais ma mère soucieuse pour la première fois depuis plusieurs semaines. Elle s’affairait dans la cuisine, grattant avec obstination une casserole pourtant propre.

– Maman, tout va bien ? Je demandais.

Elle se retourna en sursautant et pendant un instant je lus de la haine dans son regard puis elle se reprit et répondit en bafouillant un peu :

– je…ton…oh et puis tu finiras par l’apprendre, jeta-t-elle comme si j’avais fait quelque chose de mal. Ton père est dans la région…

J’eus l’impression que quelque chose se brisait en moi comme si une immense pyramide de verres venait de tomber, fracassant mes rêves, mes espoirs et la tranquillité que j’avais acquise depuis que nous vivions ici et surtout depuis que je fréquentais Jacob.

– mais comment nous a-t-il trouvé ? Je hululais.

Elle resta un long moment silencieuse puis elle murmura :

– c’est moi qui lui ait dit où nous nous trouvions…

Je me figeais. Comment avait-elle pu faire une chose pareille ? Comment avait-elle pu donner notre adresse à cet homme qui ne m’avait fait tant de mal ?

– je ne reste pas une minute de plus dans cette maison. Tu te rappelles, c’était notre accord ? Je hurlais folle de rage et de peur en attrapant mon sac et en fonçant vers la porte d’entrée.

 Elle m’intercepta, m’attrapant violement par le bras et elle grogna :

– et tu comptes aller où ? Tu n’as nulle part où aller. C’est ici  ta maison!

– non, je criais en la bousculant, ce n’est plus ma maison si je n’y suis plus en sécurité !

Et profitant d’un instant de relâchement, je dégageais mon bras douloureux et fonçais à l’extérieur. Je traversais les quelques mètres qui me séparaient de la porte des Anderson et entrais sans frapper. Marina me vit arriver comme une furie, les joues couvertes de larmes et elle me laissa passer sans rien dire. Je me demandais un instant pourquoi elle était toujours si gentille avec moi puis je chassais cette pensée. J’étais obnubilée par cette peur qui me tenaillait le ventre. Cette peur que j’avais ressentie tellement souvent et qui venait de renaitre d’une simple phrase lâchée par ma mère. Quand j’entrais dans la chambre, je me jetais dans les bras de Jacob en sanglotant et il dut attendre que je retrouve mon calme pour avoir une explication. Avant cela, il me fit assoir sur le bord du lit et m’apporta un verre d’eau. Quand il vit que j’avais suffisamment repris mes esprits il me demanda ce qui m’arrivait.

– c’est ma mère…mon père…Je respirais lentement en fermant les yeux. Si je ne me calmais pas, je ne serais jamais capable de m’expliquer. Après une dernière longue inspiration je repris :

– ma mère a donné notre adresse à mon père et il est dans le coin maintenant…

– où est-il ? demanda Jacob prosaïque.

– je ne sais pas, ma mère a dit « dans la région ». Je ne veux pas rester chez moi. J’ai trop peur. Je ne veux pas que tout ça recommence…

– tu vas rester ici, dit Jacob d’un ton d’autorité.

– merci Jacob mais ma mère ne me laissera jamais rester. Il faut que je parte…

À ce moment-là, la porte s’ouvrit et Marina entra. Elle était calme mais elle ne souriait pas comme à son habitude.

– Excusez-moi mais je n’ai pu m’empêcher d’entendre votre conversation. Colette a raison, elle ne peut pas rester ici. Nous n’avons aucune autorité légale pour la garder chez nous sauf si sa mère l’y autorise. Tu sais ça n’est-ce pas Colette ? dit-elle avec tant de douceur que je sentis mes larmes se remettre à couler.

– oui, je le sais. Mais je ne sais pas où aller…

– malheureusement Colette, tu n’as pas d’autre choix que de rentrer chez toi, mais je suis sure que ta mère ne veux que ton bien. Voudrais-tu que j’aille lui parler ?

J’allais la dissuader de le faire quand quelqu’un tambourina à la porte d’entrée, nous faisant tous sursauter. Nous entendîmes Nils ouvrir la porte.

– ta mère est là ? Dit la voix tendue de ma mère.

– à l’étage avec Colette et Jacob.

Ses pas précipités dans l’escalier n’auguraient rien de bon. En effet, elle entra dans la chambre comme une bombe et s’écria :

– Colette, rentres tout de suite à la maison !

–  et s’il vient ? je m’insurgeais.

– je ne le laisserais pas entrer, dit ma mère avec une hargne qui me fit peur. Je veux que tu rentres à la maison tout de suite et je t’interdis de passer ton temps chez les voisins, ajouta-t-elle sans un regard pour Jacob ou Marina.

Aucun d’eux n’essaya de l’interrompre ou de s’interposer. Ma mère semblait habitée d’une telle rage qu’il valait mieux obtempérer et se taire. Je me levais et restais un instant immobile. J’avais l’impression d’être un animal qu’on envoie à l’abattoir. Jacob se leva à son tour et avant que ma mère n’ait pu s’interposer, il me prit dans ses bras et murmura à mon oreille :

– je suis là, quoi qu’il arrive préviens moi.

Puis il me lâcha. Ma mère le foudroya du regard mais il la regarda fixement et ce fut elle qui baissa les yeux. Elle contourna Marina et sortit de la chambre en lâchant :

Colette, on y va, maintenant !

Je la suivis comme un zombie. J’avais l’impression de m’enfoncer dans un brouillard épais et gluant. J’étais habitée du sentiment douloureux et étouffant d’être revenue des années en arrière quand rien ne s’interposait entre mon père et moi. Je réintégrais la maison  mais elle ne me parut plus du tout rassurante. Je montais dans ma chambre et j’entendis ma mère verrouiller la porte d’entrée mais je savais que rien n’arrêterait mon père s’il décidait de venir me chercher et certainement pas une porte que ma mère lui ouvrirait probablement, malgré tout ce qui s’était passé entre nous.

Je dormis peu et très mal cette nuit-là. Jacob m’envoyait régulièrement des texto et je dus le sommer de dormir un peu. Nous avions des contrôles le lendemain et je ne voulais pas qu’il mette sa scolarité en péril pour moi. Au point où j’en étais, la mienne n’avait à cet instant plus beaucoup d’importance. L’avenir avait soudain rétrécit au point de se limiter aux heures qui passaient.

Je me levais le lendemain avec les jambes en coton et je ne descendis pas déjeuner. À peine avais-je pris ma douche que je filais rejoindre Jacob au coin de la rue. Il avait dû y penser car il me tendit des sandwiches et une bouteille de jus d’orange.

– je suis sûr que tu n’as pas mangé hier soir, me dit-il en me regardant dévorer.

– ni ce matin, j’ajoutais avant de boire la moitié du jus de fruit. Merci Jacob, je suis désolée pour hier soir, pour ma mère…je ne pensais pas qu’elle se comporterait comme ça avec vous, avec Marina qui a toujours été si gentille avec nous. J’espérais que son nouvel amoureux l’aurait changé mais…

– tu n’as pas à t’excuser pour ta mère, m’interrompit-il d’un ton catégorique. Tu n’es pas elle. Tu es quelqu’un de bien Colette, crois-moi et ma mère le sait aussi. Allez, on va être en retard au lycée. On a une journée chargée.

Il démarra la voiture et nous roulâmes en silence. Tout semblait avoir été dit pour le moment. Jacob avait raison, il fallait se concentrer sur l’essentiel : maintenant.

Je fis de mon mieux pour rendre des devoirs irréprochables et même si j’eus quelques absences que Jacob interrompis d’un coup de coude discret, je me sortis plutôt bien des contrôles. Toutes les révisions que je faisais depuis des mois avaient au moins cet avantage, ma mémoire était facilement mobilisable.

Le soir en rentrant, je montais directement dans ma chambre et tentais de me concentrer sur les devoirs à faire et il y en avait pas mal. Eux au moins m’évitaient de penser. En particulier les math et la chimie. Je dormis encore très mal, tourmentées par des cauchemars qui malheureusement dans mon cas étaient aussi des souvenirs.

Je n’adressais plus la parole à ma mère ou alors pour l’indispensable. Lui demander de racheter du dentifrice, de payer la cantine…pour le reste, nous étions toutes les deux murées dans un silence dont nous avions réussis à sortir en arrivant ici. Mais tout cela ne tenait plus maintenant qu’elle avait ramené le mal entre nous. Je ne pouvais pas le lui pardonner et elle ne le demandait pas. Elle affichait un air buté que je lui connaissais bien et qui disait tout le mal qu’elle pensait de moi à ce moment précis. Pourtant, je n’avais rien fait, je le savais et elle aussi mais ce qui s’était passé lui était tellement insupportable qu’elle préférait m’en rendre responsable.

Les jours passaient, sombres, en même temps que la pluie et le froid s’installaient sur la région comme pour illustrer l’humeur noire qui m’habitait en permanence. Il n’y avait que quand j’étais avec Jacob que je parvenais à retrouver le sourire. Lui aussi souffrait de me voir aussi triste et il multipliait les attentions pour me rendre les moments ensembles agréables, drôles et tendres.

Malheureusement ma mère m’avait interdit de sortir le weekend sous prétexte de me tenir à l’écart d’une mauvaise rencontre, avait-elle dit. Il dut escalader la gouttière à plusieurs reprises pour venir me voir car ma mère veillait en bas. Elle semblait avoir écarté Paul de sa vie car elle n’en parlait plus et ne s’absentait plus. Aussi, voir Jacob se limitait souvent aux temps que nous laissait le lycée. Un prof absent représentait une heure de liberté fabuleuse.

Je n’avais pas revue Marina depuis que ma mère était venue me chercher chez les Anderson mais j’avais chargé Jacob de lui présenter mes excuses. Elle ne méritait pas d’être traitée de la manière dont ma mère l’avait fait. Elle avait toujours était bienveillante avec moi sans que je sache ce qui la motivait. Jacob me rassurait régulièrement sur les dispositions de sa mère à mon égard, m’assurant qu’elle était triste pour moi mais qu’elle savait que je ne voulais pas que notre relation s’arrête ainsi.

Finalement le printemps arriva et avec lui l’approche du bac. D’ici quelques semaines nous allions commencer les bacs blancs et le bachotage. J’avais tellement de temps libre toute seule dans ma chambre que j’avais finis les différents programmes et avait commencé, aidée d’internet et de livres que j’empruntais à la bibliothèque, à travailler le programme des prépas de math et de science. Après tout, autant mettre ce temps d’enfermement à profit. Je préparais des fiches comme si j’entrais dans une grande école au lieu de passer le bac. Je ne savais pas ce que ma mère avait prévu pour l’année suivante et plus je m’angoissais pour mon avenir, plus je faisais preuve d’une frénétique boulimie d’apprentissage. Jacob s’inquiétait de me voir toujours dans mes bouquins, mais que pouvais-je faire d’autre, enfermée dans ma chambre dès la sortie du lycée. 

Incapable de parler avec ma mère, je déposais mes dossiers de candidatures dans les écoles supérieures de mon côté sans trop y croire toutefois. J’aurais aimé pouvoir prétendre à une bourse pour pouvoir être autonome mais mon jeune âge et les ressources de ma mère m’empêchaient d’y avoir accès. Pourquoi ne pouvais-je pas accéder à l’indépendance dès l’année prochaine ? Me faire émanciper par exemple ?

Pour écarter toutes ces pensées qui tournaient sans cesse dans ma tête et manquaient me rendre folle, je révisais à longueur de soirée tout en ne sachant pas si j’intègrerais une quelconque école l’année suivante. Ajouté à cela la perspective du départ de Jacob qui devenait de plus en plus présente au fur et à mesure que le temps passait et je pouvais garantir à quiconque me l’aurait demandé que mon moral était au plus bas. À quoi servait d’avoir toujours d’excellents résultats, de tenter encore de les améliorer si je devais rester enfermée dans cette chambre jusqu’à mes 18 ans. Car le jour même de mon anniversaire je prendrais mes affaires et je m’en irais. Ça je me l’étais promis !

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