SUR LE FOND – Chapitre 10 – De la boue sur les mains

Chapitre 10

De la boue sur les mains

Je n’en peux plus de l’entendre me raconter sans fin les vicissitudes de ses amours. Certes, elle témoigne et je ne la presse pas. Quelque chose me dit qu’il faut la laisser cheminer à son rythme.

Mais, tout ce sexe, moi qui suis confiné ici depuis des heures, ça devient éprouvant. J’ai envie de rentrer chez moi et de faire l’amour à Jenny, là tout de suite, de la trousser sur la table de la cuisine, de la violenter sur la machine à laver, de lui fourrer ma queue dans la bouche pour ressentir tout ce plaisir qu’elle étale devant moi depuis des heures.

Depuis le début, ce crime est une affaire de sexe. Tout, autour de ce couple, est affaire de sexe. Alors je la laisse aller dans son récit. Je ne sais pas où il me mènera, vu ce que je sais déjà mais qui sait, au détour d’une phrase, d’une anecdote, une petite erreur, une petite faiblesse et je tiendrai enfin un élément nouveau, quelque chose de tangible. Alors je prends mon mal en patience et je cache mon érection en tirant sur ma veste. Jenny, ce soir, ça va être la fête. J’ai plein de nouvelles idées mon amour, un vrai festival.

Parce que Jenny est restée, elle s’est installée même, et nous avons, sans nous en apercevoir, entamé une vie de couple. Pas un couple de petits vieux, même si nous ne sortons pas beaucoup à cause de nos emplois du temps décalés. Mais nous avons nos trucs à nous. Elle me fait la lecture le soir quand je rentre, fatigué d’avoir couru après des voleurs à la tire ou des petits escrocs. Notre commissariat s’occupe de tout. Nous ne sommes pas dans une ville assez importante pour avoir des brigades spécialisées. Ici, on peut aussi bien arrêter des petits dealers que passer la journée à inspecter des voitures qui viennent de passer la frontière. Parlons-en de cette frontière. Située à une trentaine de kilomètre d’ici, c’est une vraie passoire. Tout y circule : came, filles mineures venues tapiner, demandeurs d’asile, pièces détachées volées ou de contrefaçon. Certes les frontières sont sensés ne plus exister, mais ça c’est ce qu’on raconte aux gens pour qu’ils se sentent plus libre d’aller et venir. Mais c’est faux. Elles sont toujours surveillées, différemment. Plus de barrière physique, plus de passage au pas, plus de fouille systématique mais une surveillance plus pernicieuse, qui observe, note et vérifie si besoin est. Les douanes travaillent à leur manière et je n’en dirais rien, ça ne me regarde pas mais parfois je me demande comment ils font pour laisser passer un camion entier de mineures bulgares de quatorze à dix-sept ans, pour la plus âgée. La plus jeune était à peine formée. Ses grands yeux bruns rougis par les larmes et le froid, affichaient tous le désarroi d’une enfant. C’était une enfant, mais pas dans son pays où elle se prostituait déjà depuis plusieurs mois. Je ne comprends pas l’attraction des hommes pour ses gamines pré-pubères. Certes, elles sont jolies, mais j’ai plus envie de leur faire un chocolat chaud et de les border dans leur lit que de les baiser comme une vulgaire marchandise.

Bref, Jenny s’est installée et nous avons trouvé un rythme qui nous convient à tous deux. Nous avons des horaires souvent décalés mais nous nous en accommodons. Quand nous nous retrouvons pour une soirée ensemble, nous ne la gâchons pas devant la télé, sauf pour un super bon film. Parfois, nous prenons la voiture et j’emmène Jenny au théâtre ou au cinéma. Les concerts, c’est plus compliqués. Elle aime le rock bien dur, moi je suis plutôt pop electro. Alors on préfère s’abstenir. Quand j’arrive, l’appartement raisonne d’un bon vieil AC/DC quel éteint dès que j’ouvre la porte. Quant à moi, j’écoute Cold Play ou Greg Laswell dans la voiture ou dans mes écouteurs quand je fais mon footing le matin. C’est reposant et entrainant à la fois. Les émotions fortes, je les laisse au boulot. Sauf celles du sexe et j’en reviens à Madame Fauré dont les récits successifs me filent la gaule et me foute mal à l’aise. Est-ce que je pourrais raconter en détail ma vie sexuelle à un inconnu ? Je ne crois pas, sauf si ma vie en dépendait…Je me demande ce qu’elle craint. Nous n’avons rien et elle a un alibi. Et pourtant elle dévide sa vie sans pudeur, sans retenue, comme un robinet que l’on a ouvert et qui est resté bloqué. Les mots coulent de sa bouche comme si elle expiait, à travers eux, une faute passée. C’est pour ça que je la laisse dévider sa bobine sans rien dire, j’attends que ça s’arrête. J’ai tout mon temps et elle, elle a fait un choix, elle est là et elle parle.

Je me souviens d’un autre robinet que j’ai ouvert et qui ne s’est plus tarit non plus : celui de robert Rabatto.

Après les confessions intimes de son épouse, nous l’avons fait revenir. Le pauvre gars, il avait pris dix ans. Il était gris et épuisé, il n’avait pas dormi depuis des jours, ça se voyait. Il tremblait quand il parlait et j’avais pitié de lui mais je devais aller jusqu’au bout.

– donc Monsieur Rabatto, vous nous avez déclaré l’autre jour que vous vous étiez rendu chez Paul Fauré vers seize heures le jour du meurtre, c’est exact ?

– oui, dit-il dans un souffle.

– parlez plus fort, je ne vous entends pas.

– oui !

– pourriez-vous nous dire pourquoi votre épouse prétend que Paul Fauré est rentré à dix-sept heures ?

– j’en sais rien mais elle se trompe. Je suis sûr de moi. J’ai regardé l’heure avant de partir du travail, je savais combien de temps il me fallait pour terminer mon boulot et en m’absentant une heure, je pouvais terminer à temps.

– donc vous aviez planifiez votre visite ?

– oui, je vous l’ai dit. Je voulais lui parler.

– et toutes les autres fois où vous vous êtes absenté, c’était aussi pour parler à Monsieur Fauré ?

Il reste interdit, comme statufié. Son regard se vide de vie.

– Monsieur Rabatto ?

– oui…

– j’attends. Les autres fois, qu’alliez-vous faire…

– rien…je prenais l’air…je…c’est dur de rester toute la journée devant un ordinateur…

– Monsieur Rabatto !Ne nous prenez pas pour des imbéciles, votre épouse nous a tout dit. Elle nous a parlé des films.

– mais c’est pas possible, elle les a pas vu !

– pourquoi n’avez-vous pas voulu les lui montrer ?

– parce que ça ne la regardait pas, c’était ma vie privée !

Là j’avoue que je nage en plein brouillard. Je ne sais pas du tout de quoi il parle.S’il s’agit des films que son épouse faisait pour lui, il ne peut pas prétendre qu’elle n’en a pas connaissance.

– qu’est-ce qu’il y avait sur ces films Robert ? dit doucement Isabelle.

– ce que nous faisions ensemble…

– …avec Monsieur Fauré ?

– …oui…

– que faisiez-vous avec lui ? Elle est si douce quand elle parle, on dirait une mère qui s’adresse à un enfant effrayé. Les yeux de Rabatto reprennent vie, il se redresse un peu.

– ben, il me…disons que…enfin des choses qu’on fait entre hommes…

Celle-là, je ne m’y attendais pas. Monsieur Fauré, à voile et à vapeur. Cet homme aura donc tout exploré, si je peux me permettre cet expression un peu facile.

– vous voulez dire que vous et Monsieur Fauré, aviez des relations sexuelles ?

– …oui…enfin, il me…vous voyez ?

Non justement, je ne vois pas et je n’y tiens pas, mais il a soulevé le couvercle et il ne s’arrête plus.

– en fait, c’est à cause de ce truc, là, le godemichet que j’ai ramené. J’étais désespéré, j’arrivais plus à faire l’amour à ma femme. Elle ne m’attirait plus. Attention,je suis pas pédé !C’est juste qu’avec les femmes, j’y arrive plus. Quand j’ai essayé ce truc, ça a été la révélation. Mais je pouvais pas m’en servir à la maison, j’avais trop honte. Et je pouvais pas, comme Paul, revenir chez moi quand mon épouse était absente. Elle était toujours là ! Je l’ai amené au travail mais c’était trop risqué et ça megênait trop. En même temps, je savaisqu’il fallait que j’réessaie. Alors, un jour, je suis rentré à la maison et j’ai découvert que Vanessa n’était pas là. J’en ai profité. J’ai mis un film et puis ce truc dans mon…anatomie…et ça a marché. Je me sentais à nouveau vivant. Quand elle est rentrée des courses, je me suis faufilé par la porte de derrière et je suis retourné au travail. Ça a fonctionné comme ça un certain temps et puis un soir,l’été dernier, le soir où on avait fait un barbecue avec les Fauré, je les ai vus. Il était assis dans la pénombre. Il a ouvert sa braguette, et juste avant qu’elle s’asseye dessus et qu’elle le cache avec sa jupe, j’ai vu son…son engin énorme et j’ai eu immédiatement…une érection. Je les ai regardé faire l’amour devant nous, ils étaient discrets attention, je crois pas que quelqu’un d’autre les ai vu à part moi, et je me suis…enfin…tripoté dans mon pantalon et j’ai…vous voyez…en même temps que lui. Il avait tellement d’aplomb. Faire ça comme ça devant tout le monde. Après, elle est partie et on s’est baigné dans la piscine gonflable. À un moment, j’ai pas pu m’empêcher d’y mettre la main, vous voyez, juste pour vérifier et je l’ai senti contre ma peau, si grosse, si chaude, et j’en ai eu envie. Il m’a senti, il a attrapé ma main et il m’a dit à l’oreille : « alors, petit porcinet, tu veux gouter à ma grosse friandise ? Viens chez moi une après-midi, je te ferais essayer… ». C’était répugnant mais ça m’a tellement excité que j’étais comme fou. Après j’ai plus attendu que le moment d’y aller. Je tournais en rond au boulot en pensant à lui, à sa beauté et à son…membre qui m’attirait. Je savais qu’il fallait que j’y aille pour voir si ça me ferait le même effet que le truc en plastique. Je bâclais mon boulot. J’avais la tête ailleurs. Un jour je me suis finalement décidé à y aller. Je savais qu’il serait à la maison, je l’avais entendu parler avec Vanessa le matin dans le jardin. Je suis passé par le sentier quand j’ai été sûr qu’elle était partie faire les courses.Il m’a pas dit un mot quand j’ai toqué à la porte de derrière. Il est venu m’ouvrir comme s’il m’attendait. Il m’a fait entreret m’a emmené dans le garage. Il m’a dit de me déshabiller. J’avais honte de me mettre tout nu devant lui, il était si beau, si parfait. On aurait dit un de ces types qui posent dans les calendriers. Il était bronzé et musclé. Son corps était magnifique et son regard me rendait complètement fou. Il avait des yeux splendides avec de longs cils. Un regard si pénétrant qu’on avait l’impression qu’il pouvait lire en vous. Et puis ce petit sourire en permanence, comme si la vie était une vaste plaisanterie, ça le rendait tellement sûr de lui, tellement attirant !  Dès que je l’ai vu nu j’ai su que c’était ce que j’attendais depuis toujours. Parce qu’après ses yeux, ce qui était remarquable, c’était son sexe ! J’ai eu la trouille en le voyant si démesuré. Je suis pas trop bien…bâti moi, je pouvais pas concurrencer avec ça mais j’en avais terriblement envie même si j’ai eu peur quand il s’est approché de moi. Il m’a fait mettre à quatre pattes sur une couverture et il m’a…

– sodomisé ?

– oui, voilà, et c’était ce que je cherchais depuis longtemps. J’ai même pas eu mal. C’est rentré tout seul tellement, je l’attendais et c’était magique. Après, on a recommencé chaque fois qu’il voulait bien. Il fallait que je l’appelle d’abord. Parfois il me laissait juste le…enfin…le prendre dans ma bouche…mais même ça, ça m’allait. C’était bon pour moi. Mais une fois j’y suis allé sans prévenir parce que j’avais trop envie de lui. Il était très attirant, vous voyez, une fois qu’on avait commencé, c’était comme une drogue, on ne pouvait plus s’en passer. Il était comme ça Paul, il avait du charisme. Enfin, donc c’est la fois où je l’ai surpris avec Vanessa. J’étais atterré. Je savais qu’elle couchait avec d’autres hommes, c’était normal puisque je ne lui faisais plus rien, je n’étais pas jaloux mais pas avec Paul, il était à moi ! C’était ça que je voulais lui dire ce jour-là, que je voulais qu’il soit à moi, qu’il arrête de coucher avec ma femme.

– vous étiez amoureux de Monsieur Fauré ? J’ai essayé de garder un ton neutre mais je ne crois pas y être parvenu.

Isabelle me regarde d’un air réprobateur. Elle a peur que le brave homme se taise. Il est si bien parti que dans deux minutes, il avoue le meurtre. Mais il se met à pleurer :

– oui, je crois que j’étais amoureux de lui, j’ai ressenti de la haine quand je les ai vus ensemble.

– vous en avez parlé à votre épouse ?

– non, je pouvais pas lui dire ce qui se passait entre nous. C’était notre secret.

– et ?

– et rien, il a continué à coucher avec Vanessa et il la filmait. Le soir elle me donnait les films. Je les visionnais en accéléré et je m’arrêtais sur les passages où on le voyait lui, tout seul. J’étais malheureux, je le lui ai dit. Alors il m’a obligé à assister à leur partie de jambes en l’air et à me masturber. C’était la condition pour qu’on continu à se voir tous les deux, et je ne devais rien dire bien sûr. En fait, il voulait un cameraman pour que les films soient plus professionnels. Mais de temps en temps, il me faisait venir et j’avais droit à une petite séance privée, en tête à tête. Je me sentais aimé.

Je n’en reviens pas. Ce type mort dans sa cuisine a provoqué un nombre considérables de bouleversement dans la vie de son entourage. Je suis même étonné que personne ne l’ai tué plus tôt.

– c’est pour ça que vous l’avez tué, parce que vous étiez jaloux ?

– non, je l’ai pas tué, j’aurais jamais pu, je l’aimais trop et j’avais besoin de lui. Il m’avait fait découvrir une nouvellesexualité. J’étais heureux avec lui.

On dirait un adolescent énamouré. J’ai presque honte de le tourmenter comme ça mais je dois le pousser à bout parce qu’il y a trop de zone d’ombre. Ce Paul a tout de même était assassiné et sa femme est portée disparue !

– allez, ce serait si simple de nous dire la vérité. Vous y êtes allé, vous lui avez dit que vous étiez amoureux de lui. C’était un homme froid et cruel. Il s’est moqué de vous, peut-être vous a-t-il menacé de ne plus coucher avec vous ou de tout révéler à votre femme ou à votre travail. Alors vous avez perdu votre sang froid, vous avez pris un couteau et vous l’avez tué.

– NON ! J’aurais jamais fait ça ! Ça m’avait pris top de temps de le rencontrer. Je savais qu’il ne m’aimait pas, qu’il ne m’aimerait jamais. Je m’en accommodais même si c’était pas facile de l’entendre dire des horreurs sur moi pendant qu’il baisait ma femme. Il avait un truc, Paul, il me comblait. Avec lui, j’étais heureux, même quand il me traitait mal.Vous pouvez pas comprendre. Il faut avoir vécu cette passion physique pour comprendre.

Celle-là, c’est la meilleure !Voilà que Monsieur Rabatto, du haut de son mètre soixante au carré vient me parler de passion physique. Mais si je sais ce que c’est la passion physique moi, mon petit monsieur ! Depuis quelques jours, entre ta femme et toi, vous alimentez des fantasmes plutôt salaces qui pimentent ma vie sexuelle. Ma Jenny en est toute retournée, c’est le cas de le dire. Je l’initie aux joies de l’amour par la petite porte et malgré quelques réticences au début, elle se laisse faire. Mais j’y vais en douceur. Beaucoup d’amour, de préliminaires et d’huile de massage pour l’assouplir et rendre le tout bien glissant et ça passe. Lentement mais surement. Et, étonnamment, elle qui avait du mal à trouver son plaisir, là, après quelques résistances systématiques en début d’exercice –encore Samuel ? Tu es sur que tu veux pas quelque chose de plus simple ? Non, minou, je ne veux rien de simple. Je veux te faire crier comme une chienne déchainée, voilà ce que je veux ! – elle se lâche et fini dans des hurlements d’extases. La dernières fois, la voisine est venue frapper à la porte pour voir ce qui se passait. Je suis allé lui ouvrir, en nage, une serviette minimaliste autour des reins. Elle a dit :

– eh, qu’est ce qui s’passe ici, tantôt. On dirait un cochon qu’on égorge !

– non, c’est rien. Ma femme et moi on fait des exercices de yoga. Les cris c’est vers la fin, quand on se détend.

Je lui ai claqué la porte au nez et j’ai retrouvé Jenny, encore à quatre pattes, l’œil presque révulsé qui disait :

– oh, Samuel, c’est fou, j’en reviens pas que ce soit aussi bon !

– essais de t’en souvenir la prochaine fois.Çam’évitera de batailler avec toi.

– Oui mon amour elle a dit, promis.

Mais je sais qu’il n’en sera rien et que je devrais recommencer des plombes de préliminaires pour qu’elle finisse par me laisser faire un truc qui va la mettre cul par-dessus tête. Je tiens une de ces formes moi !

Bref, leurs coucheries, aux uns et aux autres, ça me met en appétit et pourtant, ils ne sont pas beaux à voir tous les deux. RobertRabatto avec ses grosses cuisses et ses fesses…non je ne veux même pas y penser ! Et la mère Rabatto qui se rapproche du squelette un peu plus chaque jour !

Quand Monsieur Rabatto s’arrête de parler, je ne sais plus quoi lui dire. De quels arguments pourrais-je user pour le pousser dans ses retranchements ?C’est isabelle qui s’en charge.

– bien, puisque vous refusez d’avouer, nous allons devoir raconter à votre épouse tout ce que vous venez de nous dire. Peut-être révisera-t-elle l’heure à laquelle elle dit avoir vu Paul Fauré rentrer chez lui. Parce que vous savez ce que je crois Monsieur Rabatto…je crois que votre épouse vous protège. Peut-être se sent-elle coupable, peut-être au fond, vous aime-t-elle encore. Parce que je ne vois aucune autre raison pour qu’elle mente sur un point comme celui-là. Elle n’a pas plu d’alibi pour l’après midi, alors ça ne change rien pour elle.

– non, ne faites pas ça, ça la détruirait. Elle est déjà si malheureuse. Vous l’avez vu ? Vous avez vu comme elle a maigri ? Elle ne mange plus, elle pleure tout le temps ! Je ne sais plus quoi faire pour la consoler. On dirait qu’elle a perdu son soleil mais moi aussi je l’ai perdu. Paul a détruit nos vie et nous allons le payer jusqu’à la fin de nos jours. Nous vivions déjà en enfer quand il était vivant, mais mort, c’est pire encore. Alors je vous en supplie, ne lui dites rien.

– très bien, alors dites-nous que vous l’avez tué et nous en resterons là. Nous lui dirons que vous étiez jaloux qu’elle vous trompe. Votre honneur sera sauf.

– si seulement ça pouvait être vrai…

Il s’effondre en larme, triste marionnette manipulée par un homme pervers. Isabelle doit lui apporter des dizaines de kleenex tant il chiale et se barbouille de morve. Le barrage s’est rompu, le masque est tombé ; On dirait un enfant, il est pitoyable. Je quitte la salle d’interrogatoire en le laissant au bon soin de ma collègue, elle a plus de compassion que moi. En ce qui me concerne, ce type est un abruti et je refuse d’avoir la moindre peine pour lui.

Finalement, il semblerait que Paul Fauré soit un grand manipulateur. Si sa femme était dans les parages, qui sait ce qu’elle nous apprendrait sur lui. D’ailleurs, où est-elle bon sang ? Comment a-t-elle pu se volatiliser de la sorte ? J’yréfléchis souvent le soir avant de m’endormir. Je sillonne la région en pensé et me remémore toutes les fouilles que nous avons effectuées. Les fondrières des mines laissées à l’abandon, les lacs, le moindre marigot a été dragué ! Mais la région regorge de trous profonds, de puits à peine fermés. Impossible de tout fouiller si on n’a pas au moins une piste, une trace de pneu, un témoin qui aurait vu le véhicule ou une femme, quelque chose bordel de merde !

J’en parle de temps en temps à Jenny.Ça semble l’intriguer elle aussi. Parfois je vois dans son regard quelque chose d’étrange, une impression, une sensation qui n’a pas de nom, pas de forme, comme si elle savait quelque chose mais je me tais. Je l’aime trop pour laisser cette affaire entrer dans notre vie privée.

Après avoir pris l’air un petit moment, je rentre dans le commissariat. Isabelle est assise à son bureau. Elle a l’air triste et fatiguée.

– ça va ?

– non, ce type me déprime. Je lui ai tenu la jambe un moment et puis j’en ai eu marre de l’entendre chialer. Depuis que tu es parti, il n’a pas arrêté.

– ok, j’y vais. Je vais le renvoyer chez lui. On a rien de probant pour le moment.

– non, on a rien, sauf qu’il reconnait qu’il était sur place dans l’après-midi mais je trouve que toute cette histoire pue.Ça semble trop facile,qu’est-ce que tu en pense ?

– je t’avoue que je n’en sais rien, Isabelle. Si Madame Fauré était dans le coin, elle pourrait probablement nous éclairer, mais là !Ils ont tous les deux des mobiles, tous les trois d’ailleurs, parce que son épouse a aussi de bonnes raisons de le préférer mort et j’aurai bien du mal à déterminer lequel des trois a planté le couteau dans le cœur de ce…

– sale type, tu peux le dire. C’était un sale type !

– oui, j’ai un peu du mal avec la déposition de Rabatto, je t’avoue…

– pourquoi ? Parce qu’il est homo ? C’est ça qui te pose problème ?

– non, ce qui me pose problème c’est d’arriver à comprendre comment ce type, vendeur de photocopieuse de son état, a réussi à asservir sexuellement son épouse, ses voisins et qui sait d’autre encore ! Ça, ça me pose problème !

– ah, l’amour…

– il ne s’agit pas  d’amour, là, il s’agit de sexe !

– mais non ! Tu confonds tout. Il s’agit d’amour ! Le sexe c’est le vecteur. Paul Fauré prenait son pied à baiser tout le monde mais ces deux-là, ils l’aimaient je pense, et son épouse aussi probablement pour supporter tout ça !

– tu dois avoir raison même si ça me dépasse.

Je m’apprête à partir puis je me retourne :

– tu aurais pu tomber amoureuse d’un type comme ça toi ?

– moi non mais je ne suis pas frustrée comme Madame Rabatto, je n’ai pas découvert mon homosexualité grâce à Paul Fauré et je ne l’ai pas épousé à l’âge de seize ans.

– tu marques un point. Bon, qu’est-ce que je fais avec le chialeur ?

– relâche le pour le moment, je ne pense pas qu’il va se tirer. Par contre, il faut revoir la mère Rabatto, il y a cette histoire d’heure qui ne colle pas. Le patron de Fauré dit qu’il est parti en fin de matinée pour aller voir des clients. Il a visité trois entreprises et il a quitté la dernière, proche de son domicile, vers treize heures. Qu’a-t-il fait de treize heures à  seize heures, c’est ça la question.

Je pars avec cette interrogation et me dirige vers la salle déprimante où nous avons laissé notre témoin. Avachi sur la table, Robert Rabatto git, pâle fantôme du sémillant quadragénaire qui nous avait rejoints quelques semaines auparavant, quand nous avions découvert le corps de Monsieur Fauré. Je m’arrête un instant et le contemple. Il doit sentir mon regard car il se redresse :

– vous ne comprenez pas n’est-ce pas ? M’apostrophe-t-il violement.

– non, vous avez raison, je ne comprends pas l’attraction que ce type exerçait sur les gens qui le côtoyaient.

– c’est normal, vous ne l’avez pas connu. Il était…irrésistible. Il avait une force de persuasion hors du commun, il pouvait obtenir ce qu’il voulait de qui il voulait. Je n’étais certainement pas le premier homme avec lequel il couchait, ça c’est sûr.Ça lui a été bien trop facile de me…enfin, de coucher avec moi. Mais je crois que ce qu’il aimait surtout c’était nous posséder, avoir du pouvoir sur nous et pour ça il avait une arme fatale, son sexe. Sa maitrise du sexe. Ce type aurait dû jouer dans des films pornos. Il avait tout de l’acteur porno. Il était beau, séduisant, bien monté et il était infatigable.

Je ne réponds rien. Que lui dire ? Je n’ai pas connu Paul Fauré vivant mais je suis sûr que je l’aurai détesté. Rien que sa voix m’avait exaspéré dès la première écoute.

– vous pouvez rentrer chez vous monsieur Rabatto, mais ne quittez pas la ville. Je lui dis à la place.

– ou voudriez-vous que j’aille ? Chevrote-t-il. Je ne vais pas abandonner Vanessa maintenant, elle est anéantie elle aussi. Finalement, celle qui s’en tire le mieux, c’est sa femme !

– vous pensez ? Et si elle était morte ? Vous avez réfléchis à ça ?

Il sursaute violemment.

– pourquoi serait-elle morte ? Qui aurait eu intérêt à la tuer ? Elle n’était jamais là, et si elle y était, elle se gardait bien de se montrer. En tout cas, je ne l’ai jamais vu chaque fois que j’étais avec Paul.

– et votre épouse, elle aurait eu des raisons de lui en vouloir ?

– non pourquoi ? Virginie était toujours au travail quand j’allais chez eux, seul ou avec…Vanessa.Nous avions trouvé un arrangement tous les trois dans lequel Virginie n’avait rien à voir.

– justement, elle aurait pu le découvrir et devenir gênante !

– tout le monde savait ce qui se passait chez les Fauré.

– même quand vous n’étiez que tous les deux ?

– non, ça c’était notre secret. Il m’avait juré de ne pas en parler.

– et vous l’avez cru ?

– je n’avais pas le choix.

– si madame Fauré vous avez découverts, elle aurait pu vous faire chanter. Vous l’auriez tuée, fait disparaitre son corps et tué son mari pour qu’il ne parle pas.

– c’est aberrant ! Comment pouvez-vous imaginer une chose pareille ?

– parce-que, de vous trois, c’est vous qui aviez le plus à perdre. Votre réputation, votre amant…J’imagine qu’en cas de scandale, Monsieur Fauré vous aurait laissé vous débrouiller tout seul…

Il a baissé à nouveau la tête et ne répond plus.

– allez, rentrez chez vous. Allez dormir. Nous aurons l’occasion de nous reparler.

Il se lève et commence à sortir de la pièce à pas lourds puis il s’immobilise et, sans que je l’aie vu arriver, il vient pratiquement se coller à moi :

– vous ne direz rien n’est-ce pas ? Sa voix tremble de fatigue et de peur mais elle contient une violence qui me surprend.

Je ne réponds pas. Après tout s’il a peur, il se passera peut-être quelque chose. Au point où j’en suis, tout est bon à prendre.

– rentrez chez vous !

Je crie si fort qu’il sursaute et décampe comme un lapin. J’entends ses semelles de crêpes crisser sur le lino râpé longtemps après qu’il est disparu de mon champ de vision. Pauvre fou qui se préoccupe plus de sa réputation que d’une éventuelle condamnation pour meurtre.

Isabelle a raison, il faut interroger Vanessa Rabatto mais ça ne nous avancera à rien. Nous découvrirons encore un autre petit secret sordide et nous serons encore plus embrouillés.

Rendez-vous sur Hellocoton !

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.

Proudly powered by WordPress | Theme: Baskerville 2 by Anders Noren.

Up ↑