JE LA REGARDE – Chapitre 3

Chapitre 3

Je la regarde parler, elle est debout dans l’encadrement de ma porte dont elle n’a pas franchit le seuil. Elle me cueille au réveil et Je suis encore vaseux. Je mets un moment à me demander comment elle m’a trouvé dans ce coin reculé.

En fait je crois que je lui pose la question car elle me dit finalement :

– tu sais Jeff, l’île est petite et les informations circulent vite et puis tu n’es pas quelqu’un de très discret.
Et merde, je me dis, est-ce qu’elle sait aussi pour l’australienne ? Je voudrais me lever mais je suis nu, à peine couvert d’un drap qui a glissé et ne me couvre plus du tout. Je le remonte pudiquement mais j’ai le temps de voir le regard de Chloé passer mon corps en revue et apercevoir mon érection naissante, c’est le matin !
– tu peux entrer si tu veux, tu n’es pas obligée de rester à la porte. Il faut que je m’habille, je dis, et pendant qu’elle pénètre dans le bungalow, je m’enroule dans le drap et sautillant, vais jusqu’à la commode pour en retirer un short que j’enfile rapidement. Ainsi vêtu, je me trouve plus à l’aise pour lui proposer un café. J’ai envie d’uriner mais le simple fait qu’elle m’entende pisser à travers la mince cloison en bambou, me dérange. Comment avons-nous pu perdre ainsi une intimité qui était si simple et si évidente !
Sa présence en ces lieux m’intrigue. Je pensais qu’elle me donnerait rendez-vous dans un endroit neutre ou me proposerait de revenir à l’hôtel. Je ne m’attendais pas à ce qu’elle débarque ici tôt le matin. Enfin, il est dix heures, mais c’est tôt pour moi en ce moment. Elle refuse mon café dans un premier temps, puis voyant ma cafetière italienne, accuse un sourire et accepte. J’ai trouvé des galettes de pain en sachet que je sors du frigo à gaz, ainsi que tout ce qui me tombe sous la main. Je ne suis pas encore très organisé.
Elle s’installe sur l’un des deux tabourets branlants que j’ai laissé là parce qu’ils permettent d’occuper le coin cuisine. Je prends enfin le temps de la regarder. Elle porte une petite robe noire tout droite, sans manche, décorées d’un motif floral orange et jaune, un truc de grand-mère sauf que la robe est très courte et que sur elle on dirait…tout lui va ! C’est impressionnant. Elle a chaussé des tongs décorées de perles noires, pratiques et élégantes. Un grand chapeau et des lunettes de soleil qu’elle a ôtés en entrant, complètent sa panoplie. Elle est sublime. Sa robe moule un peu trop sa poitrine et remonte légèrement sur ses cuisses bronzées. Elle est si belle que je me jetterai à ses pieds rien que pour avoir le droit de la toucher. Elle s’en rend compte et tire légèrement sur la robe pour la faire redescendre, sans succès.
– je suis heureux que tu sois venu Chloé, j’avais peur de ne jamais te revoir !
– A vrai dire j’ai longtemps hésitée, répond-elle du tac au tac, mais je me suis dis que je ne résoudrais pas le problème en te fuyant. Tu sais où me trouver, alors je préfère qu’on éclaircisse notre situation rapidement pour qu’il n’y ait pas de malentendu entre nous.
– quel malentendu pourrais t-il y avoir ?
– tu pourrais penser que parce que tu es là, nous allons reprendre notre relation là où nous l’avions laissé…
– non Chloé ! Je sais bien que les choses ont changés ! Je ne tiens pas à ce que nous reprenions comme avant. J’ai changé et toi aussi. Je viens voir si le temps qui s’est écoulé et qui nous a transformés, nous donne une chance de réessayer ! Alors elle s’énerve et ce n’est pas bon signe :
– comment peux-tu penser une seule seconde que je le souhaite ? Après tous les efforts que j’ai fait pour te fuir, jusqu’à abandonner ma vie et mon identité, comment peux tu penser un seul instant que je veuille encore de toi ? N’as-tu pas compris que c’était fini pour toujours ? Que toi et moi, nous ne pourrons plus jamais être ensemble ?
– ne dis pas ça Chloé, tu ne sais pas à quel point je suis différent ! J’ai changé pour toi ! J’ai tout abandonné moi aussi dans l’espoir d’être meilleur pour toi, de te mériter !
– grand bien te fasse ! Je félicite la prochaine qui profitera du nouveau Jeff, du philanthrope et humaniste Jeff, de l’homme qui change quand il est trop tard ; Parce qu’il est top tard Jeff, c’était il y a cinq ans. Beaucoup de choses se sont passées dans ma vie et il n’y a pas de place pour toi ! C’est ça que j’étais venu te dire ! J’espérais te le dire plus diplomatiquement mais il semblerait que tu ais toujours autant l’art de me faire sortir de mes gongs!
Elle se lève, prête à partir, mais je la retiens en lui attrapant le bras. Elle se dégage et recule en criant :
– ne me touche plus jamais !
Je n’arrive pas à savoir si elle a peur où si elle est en colère.
– pardon Chloé, je ne voulais pas t’effrayer, excuse moi ! Ecoute, pourrions-nous boire notre café tranquillement puis nous nous séparerons calmement, tu veux bien ?
Elle me regarde, méfiante, mais s’installe à nouveau sur le tabouret, dévoilant involontairement le rose pale de sa culotte. Mon cœur fait un bond et je me retourne vivement vers le fourneau où la cafetière commence à siffler, pour cacher mon trouble.
Je sers le café, les mains tremblantes et m’installe en face d’elle. Je n’ai pas le cœur à avaler quoi que ce soit et c’est dans le plus grand silence que nous sirotons un café plutôt bon, vu les circonstances.
– laisses moi faire une dernière chose, Chloé, je t’en prie, une dernière !
Elle hésite, je le vois dans ses yeux. Elle était déterminée à en finir avec moi une bonne fois pour toute mais pour une raison que j’ignore, elle n’y parvient pas.
Je me lève, m’approche d’elle, pas trop près pour ne pas la toucher, et fermant les yeux, je la respire. Je sens son parfum frais et sucré, le même. Son odeur n’a pas changée. Je lève les mains à la hauteur de son visage et sans la toucher, caresse le vide qui nous sépare. Je descends le long de son cou et arrête un moment mes mains sur ses épaules, juste au dessus. Je peux en sentir la chaleur ! Puis je reprends mon inspection et longe ses bras. Par mégarde je la frôle et elle sursaute mais ne bouge pas. Elle me regarde intensément, elle est comme moi elle se teste. Je continue mon inspection et réuni mes mains devant sa poitrine. Il serait si simple de les y poser, d’entrer enfin en contact avec ces seins qui m’ont tant manqués. Je ferme un moment les yeux, respire profondément, puis les rouvrant, descend jusqu’à son ventre. Elle pousse un tout petit soupir, presque indistinct si le silence entre nous n’étais pas si grand, si nous n’étions pas attentif à la moindre de nos respirations. Je reste un moment, les mains à la hauteur de son bassin, imaginant sa peau, l’élastique de sa culotte, les petits poils de son sexe, puis je repars le long des hanches pour m’arrêter à nouveau au sommet de ses cuisses. Je vois son fin duvet qui se dresse à l’approche de ma main et malgré elle, sa poitrine se tend en avant. Je reprends mon osculation et descend jusqu’à ses pieds. Je m’autorise à déposer un léger baiser sur son gros orteil. Elle sursaute et bondit du tabouret :
– c’est bon, tu as fini ? Tu as ce que tu voulais ? Alors au revoir !
Et elle détale à toute vitesse. Mais j’ai entendu sa voix trembler et je sais que nous n’en avons pas terminé. Elle reviendra. Il suffit d’attendre.
J’ai une trique d’enfer et aucune envie de m’en débarrasser tout seul. Chloé, tu m’as encore mis dans tous mes états ! Comment vais-je faire avec une gaule pareille ? Je regarde autour de moi. L’océan m’appelle et au moment où je vais me résoudre à y plonger pour fatiguer mon corps et vider mon esprit, Ariel monte les marches. Elle tombe bien celle là ! C’est d’ailleurs exactement ce que je lui dis pendant qu’elle me demande qui était cette femme qui vient de sortir de chez moi en courant.
– Elle pleurait, ajoute t’elle tout en me laissant la déshabiller et l’allonger sur le lit, dos à moi. Je ne veux pas la voir, je veux la baiser. J’enfile rapidement un préservatif, écarte ses jambes, et d’un doigt habile la travaille un peu pour qu’elle mouille. Ça va vite, elle est très docile. Dès que je la sens prête je la pénètre et lui tirant les cheveux en arrière et lui mords l’épaule. J’ai envie de laisser ma trace quelques part. Chloé m’a frustrée et m’a fait peur. J’ai envie de faire mal à Ariel alors je la baise comme un fou, sans écouter ses cris, sans tenir compte de son plaisir, mais ça doit lui plaire parce que quand j’éjacule enfin, laborieusement, après avoir repensé dix fois au corps de Chloé, elle gémit avec moi. Je tombe lourdement sur le lit à ses cotés. J’ai envie de pleurer. Chloé pleurait ! Pourquoi pleurait-elle ? Elle avait ce qu’elle voulait ! Elle était venue me dire que c’était fini et elle l’avait dit ! Je ne l’avais pas empêché de partir ! Je suis déchiré, ravagé. Cette immersion brutale dans ce nouvel univers, celui de Chloé, celui de cette île si particulière où tout est excessif, à commencer par la végétation, semble avoir une influence néfaste sur moi. Mon chagrin est immense, incommensurable. Une blessure ouverte suppure à l’intérieur et rien ne vient la guérir. J’alterne entre euphorie et perte immense. Je suis à nouveau perdu et j’ai beau me dire qu’il faudra du temps, que je dois être patient, en cet instant, je pense que je l’ai perdue et je n’entrevois plus aucun avenir possible. Mes travers passés reviennent à grand pas et la sérénité des derniers mois m’a désertée. Mes larmes coulent sans que je puisse les empêcher et Ariel, qui aurait du repartir vite fait, tente de me consoler.
– fous moi la paix, connasse, tu ne comprends pas que je me fous complètement de toi, cette femme que tu as vu sortir, c’est la femme de ma vie ! Il n’y en aura jamais d’autre qu’elle. Toi et toutes te semblables, minables petites poupées, vous ne pourrez jamais la remplacer !
Je suis tellement en colère que je ne me suis pas rendu compte que je lui parle en français et qu’elle ne comprend rien. Je finis par me calmer. Ariel retire le préservatif qui pend entre mes jambes, inutile, et après un regard hésitant, introduit ma bite molle dans sa bouche. Chloé aimait tellement faire ça. Elle pouvait disserter durant toute une fellation sur le plaisir qu’elle prenait à sentir mon sexe grossir dans sa bouche et évidement ça ne durait pas longtemps ! Ariel est plus malhabile et ma queue tarde à durcir. Elle la lèche un peu mais j’ai plus le sentiment, pour une raison que j’ignore, qu’elle la met à l’abri et ce geste me touche alors je commence à bander et je lui en veux parce que je ne veux pas qu’elle m’excite. Je la laisse se débattre un moment avec mon membre durcissant qui encombre de plus en plus sa bouche, puis sans aucune retenue, j’attrape la base de ma queue et commence à me branler. Elle me regarde faire. Elle ne sait pas comment entrer dans mon jeu. Je comprends que je puisse lui sembler déroutant, tour à tour attentionné puis grossier, exigeant, autoritaire. Je me dégoute de lui faire subir ça, ce n’est pas moi, ce n’est plus moi et dans le même temps, la sentir démunie à mes côté, perdue, ne sachant que faire de ses mains, de son petits corps nerveux et crispé, augmente mon excitation, mon envie de l’avilir. Je commence à grogner car mes mouvements sont efficaces et précis mais je m’arrête avant de jouir. J’ai envie d’autre chose. Je regarde Ariel qui me rend un regard de chiot attentif et j’attrape un préservatif. Elle sourit, contente, on va remettre ça ! En effet, on va remettre ça, mais pas exactement comme tu l’imaginais. Il est tôt pour une baise débridée mais t’avais qu’à rester avec tes potes ! Je la bascule à nouveau sur le ventre et docile, elle écarte les jambes, prête à la pénétration. Je rentre un peu dans son vagin, histoire de lubrifier l’engin et d’un doigt rapide je commence à malaxer son cul pour le préparer. Elle crie, mécontente, et commence à se débattre, mais je ne relâche pas la pression et malgré ses protestations, fini par introduire mon pousse entier dans son cul. Là, elle est vraiment énervée mais je la cloue au lit avec ma bite et ma main qui appuie sur son épaule. Elle finit par renoncer à résister, ce qui me permet, en la tenant fermement par le bassin, d’introduire ma queue dans sa rondelle. Là elle se cambre vraiment ; Elle ne devrait pas, ça n’en sera que plus douloureux. Je la calme en l’embrassant doucement dans le cou et en lui malaxant un moment les seins, excitant ses tétons pointus jusqu’à ce qu’elle s’abandonne à nouveau. Alors, je laisse entrer encore un peu plus ma bite qui peine à se frayer un passage dans l’orifice étroit. J’ai l’impression que je suis le premier ! Merde, si j’avais su, j’y serais allée plus doucement mais comment pouvais-je imaginer que cette petite conne ne s’était jamais fait sodomiser ! Maintenant que j’y suis, il serait dommage de s’arrêter. Je commence à bouger lentement, je ne suis pas un salaud non plus, et elle grogne de douleur, mais elle ne proteste plus. Je trouve un petit mouvement qui me convient, même s’il n’est pas aussi ample que celui que j’aurai choisi avec une pouliche plus aguerrie, mais il ne la fait plus crier, c’est déjà ça ! Je n’aime pas faire mal aux femmes, surtout quand je les baise. Il faut aussi qu’elles y trouvent leur compte ! Son cul se dilate un peu et sa résistance tombe. Je vois ses épaules qui se décrispent, et je ne dirais pas qu’elle y prend du plaisir, mais elle souffre moins, plus j’espère. En fait, tout de suite je m’en fous. Pour moi, c’est bon. J’accélère un peu, trouvant sa limite à nouveau, et d’un va et vient tranquille, monte en puissance peu à peu, passant en revue toutes les parties du corps de Chloé que j’aimerai toucher, embrasser, lécher, là tout de suite, et ça me prend du temps parce qu’il y en a beaucoup. Son cul en fait parti bien sur, mais une vision de ses aisselles blanches et douces au parfum fruité me fait brusquement décoller et j’éjacule en beuglant comme un porc au souvenir de sa peau fraiche. Dès que je me laisse retomber sur elle, Ariel se tortille pour se dégager. Elle a les larmes aux yeux et je me dis que je vais perdre ma petite poupée si je n’y fais pas attention, or, j’ai encore besoin d’elle pour calmer mes nerfs à vif, surtout des matins comme celui-ci ou tout va de travers. Mais pourquoi Chloé a-t-elle débarqué chez moi sans prévenir ? Elle ne m’a même pas laissé le temps de me préparer, de pense à ce que j’allais lui dire, quelle garce ! Elle ne veut plus me voir ? Ça m’étonnerai. De tout façon ça n’est pas envisageable, pas après tous les sacrifices que j’ai fait pour elle ! Arrête, Jeff, tu ne peux plus penser ce genre de chose, tu sais où elles t’ont conduites. Laisse du temps à Chloé ! Laisse-lui du temps.
Pendant que mon Jiminy Criket personnel murmure à mon oreille, Ariel se barre. Je la rattrape et la couchant à nouveau sur le lit, lui écarte les jambes et me colle à son bouton. Elle résiste un peu pour la forme, mais elle sait pourquoi elle est venue et elle va avoir ce qu’elle veut !
Je décide d’être sympa et de la faire vraiment décoller, alors je prends mon temps, je lèche, je masse, je travaille ses pointes de seins, j’embrasse, je caresse et quand enfin elle jouit, ses cris plus affirmés résonnent dans le bungalow comme une libération. Elle se colle à moi et se met à pleurer. Elle me demande comment je peux être aussi horrible et aussi gentil à la fois. Je lui réponds qu’elle est jeune et naïve et que les choses ne sont pas aussi simple. Elle veut savoir qui était la femme qui vient de sortir mais je la préviens que si elle reparle d’elle, je lui enfonce ma bite au fond de la gorge jusqu’à ce qu’elle s’étouffe. Elle prend un air effrayé, j’espère qu’elle l’est parce que je ne plaisante pas vraiment. Je me lève, prend une serviette et fonce vers l’océan ou les quelques touristes sur la plage on l’honneur de voir mes fesses bronzées leur passer sous le nez. Je m’en fous aussi, je me fous de tout, je veux me laver du sexe d’Ariel, de son petit gout acide. Je veux ressentir le corps de Chloé sur mes mains, je veux me perdre, loin. Je nage comme un fou jusqu’à l’épuisement et quand je m’arrête, la plage n’est qu’une mince ligne à l’horizon. Il fait un temps splendide mais d’énormes nuages blancs, comme de la chantilly en suspend, sont entrain de s’accumuler en hauteur et il est probable qu’il va pleuvoir fort. Je rentre lentement, ménageant mes forces. Je suis allé un peu loin mais je peux le faire. Quand j’arrive enfin sur la plage, le soleil est chaud et Je suis seul. Je ramasse ma serviette et m’installe sur un des transats de la terrasse. Je suis épuisé et affamé mais je n’ai pas envie de bouger. Cette matinée a été aussi longue et mouvementée que plusieurs de mes semaines passées. J’offre mon corps nu au soleil qui tente de résister aux nuages qui se massent à présent haut dans le ciel. Il finit par disparaitre, englouti par la chantilly dont les plus hauts nuages atteignent des hauteurs impressionnantes. Le blanc épais, en meringue ramassé commence à noircir au sommet et rapidement le ciel s’assombrit et les premières gouttes tombent, énormes, formant des motifs ronds et creux sur le sable ondulé. Alors je rentre, avale quelques truc qui trainent sur la table, certains grouillent déjà de fourmis, et m’affale dans mon lit où je m’enfonce dans un sommeil profond.
Je suis réveillé par le grondement du tonnerre et le sentiment aigu que quelque chose ne va pas. Il fait presque noir et je ne saurais dire si c’est à cause de l’heure ou si le monstrueux orage qui se déchaine au dessus de moi a englouti le soleil pour toujours. La pluie cascade tout autour. J’ai l’impression que mon bungalow est posé sous une chute d’eau. Je remarque une immense flaque sur le sol et sautant du lit, commence à inspecter la structure. Le vent qui s’est joint à la fête, fait trembler les cloisons et s’infiltre entre les bambous. Dehors, la végétation se courbe, docile, ployant sous le poids de l’eau et les rafales de vent. Le bungalow souffre et moi avec. L’eau commence à goutter du toit, d’abord par petites fuites épisodiques, puis à jets réguliers, à plusieurs endroits stratégiques de ma maison. Mon lit, mon coin cuisine et ma commode. Putain, qu’est ce qu’il va me rester ? Je n’ai aucun outil et aucune idée de ce que je dois faire. Je chope des serviettes, des draps, tout ce qui me tombe sous la main pour tenter de sauver mes affaires. Je tire le lit loin de la cascade qui le noie mais tout est déjà ruisselant et je ne peux que me résigner à attendre dans le bruit et la fureur de l’orage. L’océan est zébré d’éclairs qui explosent en grondements plus assourdissants les uns que les autres. Je les photographierai volontiers si j’avais la moindre idée d’où se trouve mon appareil photo. Finalement, je récupère tant bien que mal tout ce qui a un peu de valeur : portable, bouquins mais aussi tout ce qui me tombe sous la main et je pose tout en tas sur mon lit dont j’ai viré les draps trempés. Heureusement l’alèse a protégé le matelas et je n’ai plus qu’à recouvrir le tas ainsi formé, d’une couverture.
Au dehors, le déluge continue. L’eau rentre partout : les fenêtres, la porte, le toit, qui ressemble littéralement à une passoire. Je me sens tout petit au milieu des éléments déchainés. J’ai l’impression que cette tempête tropicale, plutôt inhabituelle en dehors de la saison des pluies, m’est destinée, comme un message que l’on m’adresserait pour me mettre en garde ou me faire part d’un gros mécontentement, mais de quoi ? D’avoir voulu retrouver Chloé ? Non ! Personne ne peut me tenir rigueur de cela après qu’elle ait disparu de la sorte. Je devais la retrouver pour comprendre ! L’australienne ? Mais non, cette petite chose s’en sortira très bien dans la vie. Il n’y a qu’à voir comment elle m’a mis le grappin dessus, parce que soyons réaliste, c’est elle qui est venue me chercher. Je ne lui ai jamais rien demandé. Elle est entré là, dans cette chambre, elle s’est déshabillée et s’est laissée baisée sans rien dire, sans rien demander non plus. Elle s’est offerte et j’ai pris parce que c’était nécessaire, parce que j’étais entrain de me noyer. Elle est une sorte de petite bouée qui me permet de tenir la tête hors de l’eau pendant que Chloé tergiverse, parce qu’elle tergiverse, je le sais, je la connais. Elle reviendra ! Putain, dites moi qu’elle va revenir ! Que je n’ai pas suivi ce chemin douloureux pour rien ! Mais qui peux me le dire, qui peux me le promettre ? Je suis seul, tout seul, pelotonner dans mon lit, serrant dans mes bras le peu d’affaire et de dignité qui me reste, pendant qu’autour de moi le monde s’envole, s’arrache, s’écroule.
Soudain, un souvenir me revient. J’ai quinze ans. Ma mère et moi vivons à New York. Je suis allé faire du skate dans Central Park avec une bande de pote et demain j’ai une compétition de natation extrêmement importante. A cette époque, je suis le roi. Je suis un bel adolescent, déjà grand et musclé, et j’impressionne autant les filles que les mecs. Je règne sur ma petite bande, un frenchie, c’est classe ! Et puis un truc con se produit, je calcule mal mon hollie, peut-être suis-je un peu trop dilettante, je mate une fille depuis un moment et je frime pour l’impressionner, enfin bref, je retombe mal sur ma planche et ma cheville se tord complètement, à angle droit ! La douleur me cloue au sol et je manque m’évanouir. Mes potes appellent les secours et on m’emmène en urgence à l’hôpital et là, on prévient ma mère. Je pleure au téléphone :
– j’ai mal maman, ça fait super mal !
– écoute chéri – elle m’a toujours appelé chéri, je pense que ça lui évite de chercher mon prénom ! – je suis en pleine séance de méditation avec un maitre bouddhiste extrêmement réputé, je ne peux pas tout interrompre dès que tu te fais un petit bobo !
– mais, ils veulent m’opérer, maman, il faut ton consentement !
– Chéri je te l’ai déjà dis, je préfère que tu m’appelle Diane. Maman, à ton âge c’est un peu ridicule ! Bon, je vais voir ce que je peux faire pour l’opération, mais là je dois vraiment te laisser, prends soin de toi chéri, et elle a raccroché. Comme ça ! Une demi-heure plus tard son avocat arrive, il signe tous les papiers et on m’opère.
Ma mère ne vient pas une seule fois à l’hôpital où on me garde pourtant une semaine – avec le fric qu’elle a du leur lâcher, ils m’auraient volontiers gardé un mois. Quand je rentre enfin à l’appartement, elle dit :
– bon sang chéri, outre le fait que je me sois fait énormément de souci pour toi, tu as raté ta compétition de natation. Il serait vraiment temps que tu grandisses et que tu te prennes un peu en charge. Je ne serai pas toujours là pour m’occuper de toi ! Puis elle part s’habiller parce qu’elle a une réception. Ce soir là, je prends la première d’une longue série de cuite, et la natation commence à devenir secondaire dans ma vie. Peu après, je négocie avec mon père, et je rentre à Paris.
Je me demande ce qu’elle me dirait si je l’appelais, là tout de suite, et que je lui décrivais la situation catastrophique dans laquelle je me trouve. Je n’arrive même pas à imaginer quel genre de réplique tordue elle pourrait me sortir.
J’ai du lâcher prise à un moment malgré le déchainement extérieur, et je me suis endormi.
A mon réveil, Chloé est là. Elle porte un short kaki et un débardeur assorti qui moule joliment sa poitrine. Elle erre dans les décombre de mon bungalow, inquiète.
Quand j’ouvre enfin complètement les yeux, elle me dit :
– ça va Jeff ? Je me suis fais du souci pour toi, cette tempête a été si soudaine ! Nous avons eu beaucoup de dégâts à l’hôtel. Je voulais voir si tu avais survécu. Tu devrais t’installer dans un hôtel plus résistant, tu sais. Ici, personne ne peut prévoir de telles intempéries !
Pendant qu’elle parle, elle dégage ce qu’elle peut dans la cuisine et récupérant la cafetière, met en route du café, fort heureusement préservé dans le frigo. Je ne suis pas sure qu’elle se soit rendu compte à quel point elle a fait ça naturellement, comme si cela allait de soi. C’est bien Chloé ça, toujours prévenante et attentionnée !
Je m’aperçois alors que je serre dans mes bras un petit paquet enroulé dans du linge ; j’ai du le tenir toute la nuit parce que j’ai les muscles endoloris. A l’intérieur, il y a l’album photos que j’ai fait de Chloé. Je laisse le paquet soigneusement enveloppé et examine le bungalow. Autour de mon lit, on dirait qu’il y a eut la guerre. Tout est mouillé. Une partie du toit est tombée dans la chambre. La cloison de la salle de bain n’existe plus. Je suis impressionné. Seuls les murs extérieurs ont résistés. Mais la porte, du moins ce que j’en vois, a été arrachée de ses gonds et semble avoir disparu. Je me lève et fait un rapide inventaire des dégâts.
Les meubles principaux ont résistés, même si je découvre que le contenu de l’armoire est trempé, mais le canapé a cédé sous le poids du toit et il est foutu.
– je n’aimais vraiment pas ce mobilier, il était temps d’en changer !
C’est tout ce que j’arrive à dire et Chloé rit malgré elle. Elle semble soulagée que j’aille bien. Je suis fourbu et j’ai des courbatures partout, comme si j’avais lutté toute la nuit. Je m’assieds en face d’elle, comme la veille, et je la regarde en silence. Les épreuves de la nuit ont été dures et je n’ai rien à dire. Je ne fanfaronne pas aujourd’hui. Elle aussi reste silencieuse. La cafetière commence à siffler et je devrais me lever pour l’arrêter et servir le café mais je suis un peu hébété alors Chloé s’en charge. Puis elle s’assied, posant deux tasses fumantes devant nous. Je m’aperçois que je n’ai rien mangé depuis…les grillades des australiens et un peu de grignotage rapide hier. J’ai faim ! Mais toute la nourriture est foutue.
– putain qu’est ce que j’ai faim, j’ai oublié de manger avec tout ça !
C’est sorti tout seul. Chloé se lève et sort sur la terrasse d’où elle revient avec un panier qu’elle pose entre nous. Elle en sort des boites en plastique dans lesquelles se trouve plein de trucs appétissants. Elle me les tend et dit :
– je me suis doutée que tu rencontrerais des problèmes de nourriture, ça n’était pas déjà génial hier, alors après la tempête…
– merci, j’ai dit ça doucement parce que je ne veux pas qu’elle voit à quel point j’ai envie de pleurer. Elle a même pensé à m’apporter à manger.
– mange, tu en as besoin ! Il faut que je m’en aille maintenant mais je reviendrai prendre le panier dès que je pourrais.
– reste un peu s’il te plait, juste pendant que je mange. Je me suis senti si seul cette nuit. J’ai eu l’impression d’avoir été abandonné sur une ile déserte !
Elle hésite mais je dois vraiment faire pitié parce qu’elle reste et boit lentement son café. J’ai attrapé une fourchette et je dévore sans distinction tout ce qu’elle a apporté. Il y a de la langouste fraiche, un régal, un plat de riz traditionnel, des petits cubes de viande dans une sauce relevée et sucrée, une salade de fruit exotique et quelques petites pâtisseries françaises que je n’ai pas vu depuis longtemps : des petits éclairs au chocolat et des choux à la crème sont entassés dans une boite. Je me régale de tout et quand j’ai fini, la vie ne me semble plus aussi dramatique.
– que vas-tu faire maintenant ? dit-elle calmement.
Je regarde autour de moi :
– eh bien, je vais tout reconstruire. Je pense que c’est ce qu’il faut faire quand tout été cassé. Il faut tout reconstruire !
Elle soupire :
– Tu ne crois pas que tu devrais rentrer en France maintenant ? Tu ne vas tout reconstruire tout seul ?
J’entends de la désapprobation dans sa voix et cela m’agace alors je m’insurge :
– je n’ai rien d’autre à faire, Chloé ! La fondation tourne sans moi et personne ne m’attend nulle part. Je suis tout seul ! Ma maison est là aujourd’hui et je dois la réparer.
– mais c’est idiot ! Tu pourrais t’en payer des dizaines comme celle là, ou faire appel à une entreprise. Pourquoi veux-tu rester ici ? Je ne comprends pas, c’est dangereux !
– d’abord je ne pense pas que nous ayons ce genre d’intempéries tous les jours et si je reconstruis solidement ma maison, elle résistera à la prochaine tempête, et ensuite…parce que tu es là, et que je ne sais pas où vivre si tu n’y es pas !
– tu ne peux pas rester ici, Jeff. Tu dois rentrer, retourner à tes affaires et me laisser à ma vie !
– je n’ai rien à faire d’autre et je te laisse à ta vie, je ne t’importune pas tu as remarqué. Je ne suis pas revenu à l’hôtel. Tu me l’avais demandé et je m’y suis tenu. Je vais reconstruire cette maison parce que je m’y sens bien et peut-être même l’acheter et peut-être que ça n’a rien à voir avec toi en plus, peut être que c’est vraiment ce qu’il me faut ! Je dis d’un ton plus convaincu que je ne le suis réellement.
– c’est ridicule, s’écrit-elle agacée maintenant. Je suis sure que tu as beaucoup mieux à faire que de retaper ce bungalow perdu dans la jungle !
Non, pas pour le moment. Mais ne t’inquiété pas pour moi Chloé, je suis grand, je sais ce que je fais !
– mais si je m’inquiète pour toi ! Tu semble complètement perdu ! Comment veux tu que je ne m’inquiète pas ? Ce n’est pas toi ça, Jeff !
– ce qui prouve que tu ne me connais plus aussi bien que tu le penses ! Parce que je n’ai jamais été aussi authentique depuis très longtemps !
Je suis si désireux de la convaincre que je ne m’aperçois pas que je suis debout devant elle et que j’ai attrapé ses mains que je tiens dans les miennes. Ce n’est que quand j’en prends conscience, que je ressens l’effet foudroyant du contact de sa peau. Elle a du s’en apercevoir aussi parce qu’elle ne bouge plus. Nous sommes tous les deux tétanisé, debout, presque l’un contre l’autre. Une chaleur vive gagne mes bras, monte jusqu’à mes épaules et se répand dans tout mon corps comme une feu qui galope.
J’ai l’impression d’avoir la tête qui tourne tellement sa présence est forte et tangible. Je lâche ses mains très lentement et remonte jusqu’à son visage. Je pose la paume de ma main sur sa joue et mes jambes tremblent. Un frisson de plaisir et de douleur que je ne peux réfréner. Mon autre main, même sensation de confusion et de vide dans ma tête pendant que mon cœur s’emballe si fort que j’en entends les pulsations accélérées résonner dans mon crane et qu’une douleur violente me serre la poitrine. Quitte à mourir, autant que se soit dans le plaisir, alors je m’approche si lentement que s’en est presque hypnotique. Je vois son visage de plus en plus proche du mien, ses yeux un peu écarquillés, grands comme des soucoupes, puis je ne vois plus rien parce qu’au contact de sa bouche si douce, si tendre, si chaude, j’ai faillit tomber et j’ai fermé les yeux pour savourer ce baiser que j’attends depuis cinq ans ! Je ne vais pas dire que c’est le meilleur, mais il est si intense ! Moi qui n’est plus embrassé personne depuis…si longtemps, depuis elle ! Si fort, si brulant, que je dois me retenir pour ne pas la serrer contre moi et lui faire l’amour, là, dans les décombres de la maison. Dans le même temps je réalise que je ne bande pas. Ce baiser n’a rien de sexuel, c’est de l’amour pur. C’est ce que je ressens pour elle au plus profond de moi. Elle ne résiste pas et s’abandonne même un moment. Elle me répond en enfonçant sa langue dans ma bouche. Je retrouve le gout de sa salive, l’odeur de son corps, la vraie odeur, celle qu’on ne partage que dans l’intimité. Elle pousse un gémissement et s’arrache à ma bouche, s’arrache à mes mains, s’arrache à mon corps, puis elle file en courant, comme la veille. Décidément, ça va devenir une habitude de décamper comme un lapin !
Je la laisse partir, je ne veux pas l’effrayer et puis je suis si heureux, si plein d’elle que je n’ai pas envie de gâcher cette sensation magnifique en lui courant derrière. Je reste un moment pétrifié, savourant le souvenir de ce baiser et bien sur Ariel débarque. Je la fous dehors en hurlant. Je ne veux même pas la repousser parce que je ne veux pas la toucher. Je ne veux pas que sa peau vienne contaminer le souvenir de Chloé. Elle repart vexée et humiliée, mais je ça me laisse indifférent ! Pour le moment, je suis tout à ma joie et personne ne viendra la troubler. Je passe un moment ainsi, flottant dans le bungalow, faisant des listes qui s’étiolent au fur et à mesure, riant bêtement tout seul, ramassant des objets que je laisse tomber ailleurs. Finalement je me ressaisis et me décide à agir. D’abord trouver de quoi m’habiller : tout est mouillé. Qu’à cela ne tienne, je mets un tee-shirt et un short sur la balustrade, dans une heure ils seront secs. Pendant ce temps là je m’organise. J’ai repéré des caisses vides dehors, près des voitures. Quand je sors de la maison, je découvre une plage ravagée, du bois et des détritus de toutes natures ont été apportés par les vagues déchainées et les sacs en plastiques s’éparpillent, sales et colorés, bien au-delà de mon bungalow. Je vais chercher deux grandes caisses, enjambant les débris et y entasse tout ce qui est cassé dans la maison. Cela me permettra de voir ce qu’il faut remplacer. Je sors ensuite sur le sable, derrière le bungalow, tous les restes pathétiques de la maison : chaumes, chevrons, bambous, tuyauterie…rejoignent un tas de poubelles qui encombraient déjà les lieux à mon arrivée.
Deux nouvelles caisses. Cette fois ci pour tout ce qui est intact et que je dois protéger. Deux suffisent amplement. Je mets tous le linge à sécher sur les cordes à linge tendues elles aussi à l’arrière, puis retournant dans le bungalow, entreprend de lister les dégâts. La salle de bain n’existe plus, pas que la cloison de la salle de bain. Le lavabo est tombé visiblement sur le treillage qui servait de douche et il est passé au travers, emportant la tuyauterie. Les toilettes sont toujours raccordées, mais la cuvette est fendue sur le dessus. Elle peut encore servir mais il ne faudra pas tarder à la changer. Le canapé n’est plus. Je l’ai sorti malgré le poids du meuble spongieux gonflé par le déluge. Mon dos a souffert quand le meuble a résisté. Il a laissé des traces mouillées derrière lui, comme une limace que j’aurais trainé jusqu’au tas d’ordure. Heureusement, l’armoire et la commode, une fois vidées, ne demandent qu’à sécher. La cuisine, quant à elle a été épargnée mais je remarque que l’évier, qui tient sur des petites cloisons, est branlant. Le toit…il n’y en a plus ou ce qui reste est dangereux et menace de tomber au moindre souffle.
Bon, comme ça c’est clair. Tout est à refaire. Mais le bungalow est dégagé et il suffit de s’y mettre. C’est là que ça coince, je ne sais rien faire ! Je n’ai jamais planté un clou de ma vie ! Peu importe, je vais apprendre mais je dois d’abord acheter le matériel nécessaire. Là aussi j’ai un problème, je n’y connais rien. Finalement l’illumination me vient. Je connais l’homme de la situation. Monsieur « agence de voyage », Monsieur Wayan ! Voilà quelqu’un qui peut m’aider à résoudre tous mes problèmes. Je farfouille à la recherche de sa carte que je dégotte dans une poche, un peu délavée mais encore lisible et je l’appelle. Il répond dès la deuxième sonnerie. Il se rappelle très bien de moi et après les politesses d’usage où il est question de ma santé, de mon bien être etc. – il va vraiment falloir que je m’y mette moi aussi – il me laisse lui expliquer mon problème. Il fait des « euh, euh » pendant que je parle, comme s’il prenait des notes. Quand je lui ai enfin tout raconté, il me dit de ne pas bouger. Il m’envoi un jeune neveu à lui, Nyoman, qui va venir me donner un coup de main.
– je n’ai pas besoin d’un coup de main, je veux savoir ou acheter le matériel…
– vous besoin help ! dit-il en « franglais », mettant ainsi un terme à la conversation. Ça a le mérite d’être clair.
Alors j’attends, longtemps, et en milieu d’après midi, un jeune homme vêtu d’un sarong bleu foncé et d’un débardeur blanc, débarque. Il semble très jeune, je lui donnerai quinze ans si je ne me fiais qu’à son allure, mais à son air sérieux, je déduis qu’il doit en avoir vingtaine d’années. Il pénètre dans le bungalow, me salue poliment, puis inspecte les dégâts. Il prend des notes sur un bout de papiers avec un tout petit crayon qu’il a tiré d’une poche. Il mesure visuellement le toit et je me demande si sa méthode est rigoureuse. Je le lui demande en anglais, mais il jette vers moi un regard un peu perdu et j’en déduis qu’il ne me comprend pas. J’essai le français, rien ! Ça va être pratique pour communiquer !
Il prend sa respiration et dit lentement, pensant à chacun de ses mots :
– toi venir moi, acheter maison…
– je ne veux pas acheter une maison, je veux la réparer.
Il reprend lentement, comme s’il parlait à un attardé :
– toi venir moi, acheter, ok ?
– ok !
Nous sortons du bungalow pour monter dans sa fourgonnette qui démarre après quelques essais laborieux. Je tente de lui expliquer que nous pourrions prendre ma voiture, mais devant son air étonné, j’y renonce.
Nyoman nous conduit dans une banlieue de Denpasar où sont situées plusieurs entreprises de constructions. La première, dans laquelle nous nous arrêtons, vend un tek sombre qui sent fort. Les odeurs qui émanent de l’entrepôt sans cloisons, sont si enivrantes, que je me sens momentanément ivre.
Nous commandons les poutres porteuses et un pilier central pour mon bungalow, dont je comprends qu’il a fait défaut durant la tempête. Nyoman choisit une poutre déjà travaillée, ciselées de fines sculptures en bas-relief représentant les mêmes dieux dansants et grimaçants que dans les temples balinais. Je ne suis pas sur de vouloir contempler ça tous les jours mais il semblerait que je n’ai pas mon mot à dire ! La base et le sommet de la poutre sont travaillés en chapiteaux carrés. Exceptions faites des figurines, le pilier est plutôt beau. Nyoman négocie ensuite les poutrelles et les plaques de tôles ondulées qui vont venir couvrir mon toit. Mais je veux de la paille alors je me dirige vers la cahute qui sert de bureau et montre le toit en disant :
– c’est ça que je veux !
Les deux hommes se regardent et Nyoman dit en montrant le toit :
-alangalang ?
– ok, je veux alangalang !
– ok !
Ils repartent dans de longues discutions sur le prix ou la quantité ou tout à fait autre chose…peut-être sont ils entrain de dire que je suis complètement fou et qu’à la prochaine tempête je m’envolerai avec mon bungalow. Quoi qu’ils disent, la camionnette se charge peu à peu et même la poutre porteuse, que je pensais trop grande, est fixée sur le plateau. Nous repartons après que j’ai laissé une bonne liasse de billets aux vendeurs plus un billet pour le Segehan, le panier à offrande, qui a cette heure avancée de la journée, est déjà plein de fleurs, de grains de riz et d’argent. La petite fourgonnette croule sous le poids et la quantité de marchandise, mais elle résiste et nous ramène jusqu’au bungalow où, pour une fois, nous nous garons tout près pour décharger le matériel. Puis Nyoman grimpe sur une chaise intacte et fait tomber les poutres encore suspendues dans un équilibre précaire, manquant écrabouiller mon lit et ses précieux trésors. Après quoi, il s’en va en disant :
– tomorrow morning.
– ok, je lui réponds. Ça, c’est sans risque.
La nuit commence à tomber. Je n’ai rien à manger et ma maison, qui ressemble à une décharge, n’a plus de toit. Je tourne en rond un moment, puis décide de m’accorder un peu de bien être. Je ramasse des vêtements qui ont séchés dans l’après midi, un pantalon en lin beige tout froissé, mais n’est-ce pas la caractéristique principale du lin ? Et un polo noir griffé d’un petit crocodile. Je ne peux pas me doucher alors je fais un plongeon dans l’océan et nage un moment pour délasser mon corps fatigué. Pas trop loin cette fois ci, je ne tiens pas à m’épuiser. Ensuite, je me rase devant l’évier avec un petit miroir de voyage, je m’habille et me voilà prêt. Je monte en voiture et roule vers l’hôtel de Chloé. Le trajet n’est pas très long et quand je m’arrête devant l’entrée, un voiturier prend mes clés. Je me dirige vers le restaurant, mais un serveur zélé m’indique qu’il est complet. Je lui demande à parler à Mademoiselle Laforge.
– Il n’y a pas de Mademoiselle Laforge ici Monsieur, me répond-il d’un ton obséquieux et légèrement agacé.
– pardon, je voulais dire Mademoiselle Deschamps, la Directrice.
– Monsieur, je ne peux pas déranger la Directrice comme cela, elle est très occupée !
– s’il vous plait, je suis un ami, je veux juste manger. Appeler la, elle vous le confirmera.
Tout en disant cela, je me demande ce qu’elle doit lui confirmer : que je suis bien un ami, ou que j’ai faim ?
Il hésite un moment mais mon assurance le déstabilise, alors il saisit un téléphone sous le comptoir, compose un numéro et il dit :
-Il y a ici un client qui voudrait manger au restaurant, il dit qu’il est un ami de madame la Directrice…d’accord…se tournant vers moi : pourriez vous me donner votre nom, Monsieur s’il vous plait ?
– François joseph Vaucanson. Il me dévisage étrangement, il semble troublé. Il répète mon nom au téléphone puis attend. Au bout d’un long moment il se retourne vers moi et dit :
– nous allons vous préparer une table, Monsieur Vaucanson. Vous pouvez attendre au bar si vous le souhaitez, et d’un geste, il fait signe à une hôtesse qui me conduit jusqu’à un tabouret où je me perche et commande un martini blanc. C’est léger et ça fera l’affaire, pas question de rouler sous la table, j’ai traversé un peu trop d’épreuves ces derniers jours. Au bout d’un temps extrêmement long, j’ai bu trois martinis en les sirotant, on me conduit vers une petite table un peu à l’écart de la salle. Je suis loin des baies vitrées et j’aperçois à peine les lumières de la terrasse. Le menu est apporté par un serveur qui se présente sous le nom de Kadek Balik. Il me recommande les poissons et je lui dis de choisir pour moi. Je n’ai aucune idée de ce que je veux, j’ai juste faim. En fait, je commence à apprécier le principe de madame Soda qui m’amène ce qu’elle a cuisiné. Je suis rapidement servi et avale mon entrée et mon plat, sans presque en avoir conscience, au demeurant, la cuisine est raffinée et copieuse. Le chef n’est pas un de ces enquiquineurs qui font des portions pour anorexiques. Je prends le temps de savourer le dessert, et pour cause, c’est une délicieuse tarte Tatin tiède avec une boule de glace à la vanille maison. Rien de bien extraordinaire à priori, sauf qu’on est à Bali et que c’est de loin la meilleure tarte Tatin que j’ai mangé depuis des années. Un petit café et me voilà repu, mais je n’ai pas vu Chloé dont j’espérais silencieusement la venue.
Je paie mon addition et sors du restaurant mais au lieu de rejoindre sagement ma voiture qui m’attend probablement déjà, je me glisse discrètement le long de l’hôtel, dans une petite allée qui mène aux jardins en s’éloignant de la mer. Le chemin serpente, bordé d’arbustes d’essences variées. Au sol, un dallage clair suit les courbes du chemin qu’éclairent de petites lumières encastrées. Cette lumière douce et apaisante donne envie de se promener entre les taillis, de se laisser porter par le chemin de lumière et de se perdre au cœur de ce jardin faussement sauvage. Plusieurs ramifications s’offrent à moi à diverses reprises et pour une raison obscure, je décide de prendre systématiquement celle qui tourne le dos à la mer et s’enfonce vers le fond de la propriété. Quelque chose me dit que c’est là que je dois aller. J’ai passé de longues années dans des hôtels et si j’en ai appris une chose, c’est que les architectes résonnent à peu près tous de la même manière. Le personnel est logé loin des touristes, mais, plus il est haut en grade et mieux il est logé. Si je veux trouver Chloé, c’est vers le fond qu’il faut que je la cherche. Soudain je réalise ce que je suis entrain de faire. Ne lui avais-je pas promis de ne pas empiéter sur son territoire, ne le lui ais-je pas juré ce matin même ? Au moment où je vais rebrousser chemin, j’entends sa voix. Je n’entends pas ce qu’elle dit mais je reconnais son intonation, son timbre et je suis sidéré, cloué sur place un instant par l’excitation et la peur. Elle est là, tout près. Merde, si elle me trouve, que va-t-elle dire ? Comme fais-je pour toujours tout gâcher avec elle ? Il faut que je me tire d’ici en vitesse, mais c’est trop tard. Tout près de moi, débouche un petit chemin qui mène à un bungalow que je devine à travers la végétation. J’entends la porte claquer doucement et j’espère qu’elle est rentrée mais elle me percute littéralement et pousse un cri de surprise. Je vois quelque chose comme une immense frayeur dans ses yeux.
– désolé, Chloé, je ne voulais pas te faire peur ; je me suis perdu en sortant du restaurant. Je voulais faire une petite ballade jusqu’à la plage et voilà !
J’avoue, je n’ai pas trouvé mieux.
Je craignais qu’elle ne se mette en colère, qu’elle crie, qu’elle m’engueule, mais elle ne dit rien. Elle me prend par le bras et me faisant presser le pas, me ramène, sans me lâcher un instant ni me regarder, jusqu’à ma voiture.
Ce n’est que quand je suis monté à l’intérieur, qu’elle se penche par la vitre ouverte et dit d’une voix où elle contient difficilement une rage que je ne lui connais pas :
– ne revient jamais ici ! Tu m’entends ! Jamais ! Si je te retrouve en train de trainer dans les parages, je te fais arrêter immédiatement ! Maintenant vas t’en ! Que je ne te revois plus jamais !
Elle s’apprête à s’en aller mais se ravise et ajoute :
– je savais que tu n’étais pas fiable ! Encore une fois, je t’ai fais confiance, et voilà comment tu me remercie. Va au diable, Jeff, tu es le mal incarné ! Je te hais !
Et là elle s’en va.
Il faut avouer que cette sortie a du panache et j’en serais admiratif si je n’étais pas totalement anéanti. Mais quel con ! Comment puis-je être aussi con ? Je l’ai perdue à nouveau et je vois mal comment je peux réparer une pareille erreur ! Elle commençait à revenir lentement vers moi et comme d’habitude, j’ai voulu accélérer et comme d’habitude avec elle, je me suis planté. Je ne suis pas sur qu’elle me pardonne une connerie pareille.
Je rentre à mon bungalow, au bord de l’épuisement et je réalise à peine que je m’allonge dans un lit plein de bosses. Je m’endors d’un sommeil lourd mais agité, peuplé de cauchemars où je tombe dans des gouffres sans fond. Je me réveille plusieurs fois en nage, pelotonné dans mon lit, face à l’immensité étoilée du ciel et je me sens si petit, si seul.

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