LA GROTTE DES VOYAGEURS – Chapitre 2

Chapitre 2

14° jour de la saison d’été de l’an 1

Deux Années terrestres

Comment avais-je pu commettre deux fois la même erreur ? J’étais devant la paroi et six empreintes s’alignaient devant moi, chacune surmontée d’un symbole que je n’avais pas mémorisé.

L’éblouissement me jouait des tours. Je descendais de la pierre en omettant de regarder dans quelle trace se trouvait mes mains ! Je devais recommencer à errer de grotte en grotte en espérant retrouver celle qui me ramènerait à la grotte de la plage. Je décidais d’appliquer la même méthode que précédemment. Je recopiais les symboles et leur emplacement, puis j’optais pour la troisième en partant de la gauche. Cette fois-ci je pensais à fermer les yeux et je vis la lumière éblouissante à travers mes paupières closes. Je repensais avec un pincement au cœur à mes amis que j’avais laissés à l’aube, pour la plupart encore endormis dans leurs maisons. Shebaa et Horacio s’étaient levés et m’avait offert un copieux petit déjeuner, insistant pour que je reste quelques jours encore parmi eux. Devant ma détermination à poursuivre mon voyage, et sans me poser de question – j’avais intercepté le regard interrogateur que Shebaa avait lancé à son époux sans qu’ils osent pourtant me faire part de leur curiosité – ils avaient aussi remplis mon sac de provisions puis il m’avait regardé m’éloigner dans le soleil qui se levait en me faisant promettre de revenir les voir bien vite et de leur raconter mes aventures.

Après avoir remonté le chemin jusqu’à la rivière où j’avais rencontré Shebaa la veille, j’avais envoyés cinq capteurs survoler leur village et leurs plantations. En dix minutes ils avaient quadrillés la zone et leurs images resteraient mémorisées jusqu’à ce que je les connecte à ma table lumineuse. Je pensais que cela pourrait m’aider à estimer leurs besoins, même si nous avions établis une liste ensemble, parmi lesquels les armes figuraient en tête, même si nous en étions tous désolés.

J’allais retirer mes mains de la paroi quand je me souvins que je devais impérativement regarder sur quelles empreintes elles se trouvaient. Je fus étonnée, bien que confortée dans mon hypothèse, de constater qu’elles étaient positionnées sur la trace la plus à droite du mur qui me faisait face dans ce nouvel espace où je venais « d’atterrir ». Je n’étais donc pas revenu à mon point de départ. Je notais les différents symboles et leur organisation et je sortis dans un couloir dont je repérais la porte. Il menait à une grotte qui desservait d’autres couloirs que je dessinais tous et dont je repérais les différents accès et les différents symboles. Puis, guider par la lumière du jour, j’empruntais un couloir qui menait vers l’extérieur pour savoir où je me trouvais. L’air froid me saisit et j’enfilais rapidement une veste avant de sortir d’une colline située aux pieds de gigantesques montagnes. Les sommets des plus proches, recouverts de neiges, étincelaient dans le soleil levant. Au dessus, je distinguais dans un brouillard que j’imaginais perpétuel, les pointes acérées des premières grandes montagnes. Les plus hautes culminaient à plus de dix mille mètres. Il était impossible de les voir de là où je me trouvais. J’envoyais deux capteurs enregistrer la zone de la grotte. Quand ils revinrent, je les connectais à mon petit écran et pu ainsi avoir un aperçu de ma position. J’étais au centre du continent, dans une zone qui avait dû abriter des mines car des camps désaffectés, du moins je l’espérais, apparaissaient distinctement. Je repartis rapidement. Je ne tenais pas à m’attarder dans ce lieu glacial et probablement dangereux. Je retournais dans la petite salle qui m’avait conduite ici et posait mes mains sur la trace la plus à droite pour revenir à la grotte de Shebaa et Horacio. Le flash et je descendis de la plateforme en vérifiant que mes mains se trouvaient bien dans l’emplacement de la troisième trace en partant de la gauche. Je sortis à l’air libre par acquis de conscience : j’étais bien dans la forêt que je venais de traverser quelques minutes auparavant en quittant mes amis et leur village endormi. Je retournais dans la zone de « navigation » et tentait ma chance avec les empreintes de droite. Elles me conduisirent à l’extrême sud-ouest du continent, dans une région océanique faiblement peuplée. Je lançais mes capteurs à nouveau pour qu’ils établissent une topographie réelle des lieux et retournais à mon point de départ. La deuxième empreinte en partant de la droite me conduisit dans un nouveau sous-bois qui devait se situer en bordure d’océan car la végétation y était plus tropicale et ressemblait à celle de notre village. La troisième empreinte m’amena dans une zone relativement désolée du centre-ouest du continent. Dans chacune d’elles, je ne m’attardais que le temps d’envoyer mes capteurs survoler et enregistrer les zones. J’étais en train de me créer une cartographie détaillée du continent qui, même si elle ne le couvrirait pas en totalité, me permettrait de repérer où chaque grotte se situait. Je laissais la quatrième qui m’avait conduite dans les montagnes et tentait ma chance avec la cinquième. Elle m’amena dans une immense grotte. Après avoir pris toutes les notes nécessaires, je sortis pour lancer mes capteurs et fus assaillis par une chaleur lourde et moite. Le soleil qui se levait à peine, dardait déjà des rayons brulant sur une végétation maigre et une terre rouge que je reconnus. J’étais à la pointe sud Ouest de Matria. Je ne devais pas être très loin de la cité gouvernementale !

Mes capteurs me le confirmèrent. Je m’empressais de retourner à l’intérieur de la grotte et après un crochet par mon point de départ, je me retrouvais enfin dans l’immense grotte dans laquelle j’étais arrivée la veille. Je sortis un moment pour respirer l’air frais du matin et manger une galette. Je commençais à appréhender le fonctionnement mais je ne savais toujours pas quel symbole me ramènerait à la grotte de la plage. J’y retournais et éliminait le symbole qui desservait la grotte de Shebaa. Je repérais un symbole que j’avais déjà dessiné. Il s’agissait, j’en eu confirmation en consultant mes croquis, de la grotte proche de Materia. Il  en restait donc quatre parmi lesquelles, l’une d’elle me ramènerait chez moi. J’optais pour la trace la plus à gauche et après l’éclair aveuglant auquel j’étais maintenant habituée, j’ouvris les yeux pour découvrir que mes mains reposaient sur une trace unique située au centre de la paroi. Un espoir fou m’étreignit et je sortis précipitamment pour me retrouver enfin sur la plage. Le soleil était haut et j’étais épuisée. Ces voyages fulgurants devaient éprouver l’organisme. Je rejoignis la cabane, heureuse de la trouver là et sortis le boitier gris dont Serarpi m’avait équipée. J’eus à peine le temps de l’actionner que la voix de Martial retenti, inquiète et pressée :

– tu vas bien ?

– oui, je suis à la falaise. Vous pouvez m’envoyer quelqu’un avec un cheval ? je suis fatiguée.

– on arrive. Laisse-nous deux heures et on est là.

– à tout à l’heure, répondis-je avant de couper mon communicateur.

Je m’allongeais sur le matelas et m’endormis aussitôt, bercée par le bruit doux et régulier de l’océan autant que par le plaisir de me savoir en sécurité, proche des miens. Je me réveillais dans l’après midi et sortis de la cabane sous un soleil de plomb pour trouver Amozzo et Martial, tournant en rond sur la plage.

– mais où étais-tu passée ? dit ce dernier exaspéré. Il était en nage et devait attendre impatiemment de retrouver son atelier où la climatisation marchait à plein régime pour maintenir la température des ordinateurs qui tournaient en permanence.

– j’étais là, dans la cabane.

– mais où est-elle ?

– ici, derrière les rochers. Je suis désolée, j’aurai du te le dire.

– tu vas bien ? dit-il, calmé, en me tenant par les bras et en me détaillant de la tête au pied.

– je vais parfaitement bien, j’étais seulement très fatiguée. On peut rentrer maintenant ?

– on t’attendait !

– arrête de râler, dit Amozzo à Martial, on l’a trouvée et elle va bien. Allez rentrons, tu semble avoir encore besoin de repos et Martial ne sera tranquille quand nous serons de retour au village.

– j’ai l’impression d’être parti des jours, leur dis-je pendant que nous cheminions au pas sur le chemin.

– alors, tu nous racontes ? dit Amozzo.

– oui mais je vous demande de ne pas en parler autour de vous, promettez le moi. Je réunirais le conseil demain pour raconter tout en détail mais je ne veux pas que cela s’ébruite. Il ne faut surtout pas que Moya et les familles des colons soient au courant pour le moment.

– mais pourquoi ?

– je vous expliquerai quand j’aurai compris le fonctionnement de ces voyages. Pour le moment, sachez que j’ai trouvé comment me rendre d’une grotte à une autre.

– c’est tout ce que tu vas nous dire ?

– oui. Laissez moi tranquille, je n’ai pas envie de parler et j’ai un énorme travail à faire en rentrant. Je dois mettre les cartes à jour et recopier toutes mes notes au propre. Je les mettrai à votre disposition par le réseau dès que ce sera fait.

Les deux hommes ayant bien compris que je n’ajouterai rien, nous cheminâmes en silence. Malgré la chaleur qui déployait toute sa puissance sur l’immense plateau, créant des illusions d’optique sur la route qui semblait parfois disparaitre dans une immense flaque d’eau incertaine, j’appréciais ce retour. Les chevaux harassés marchaient lentement, les hommes méditaient, silencieux et moi je contemplais ce paysage maritime que j’aimais tant. L’océan semblait avoir sorti son plus beau bleu pour m’accueillir et sa limpidité ne cessait de me troubler. Nous le dominions d’une centaine de mètres et je voyais le fond sablonneux presque à perte de vue. Le sable clair laissait apparaitre des rochers bruns autant que des animaux marins surprenants qui évoluaient calmement dans l’eau. Tout semblait pacifique et beau dans cette partie reculée du continent. Je repensais fugacement au sentiment d’oppression que j’avais ressenti aux abords de Materia. Cette terre rouge et aride, si belle soit-elle, était cependant inhospitalière et angoissante et je m’interrogeais à nouveau sur les raisons pour lesquelles le gouvernement avait choisi d’établir la capitale dans cet endroit reculé et peu accueillant. Je me souvins que Maitre Wong ne m’avait pas décrit la région de Materia sous ce jour. Peut-être n’en savait-il rien lui non plus. Peut-être croyait-il à l’éden tant attendu. Mais je savais maintenant, même si ma connaissance du continent était limitée, que nous avions trouvé le paradis sur terre en choisissant la pointe Est.

Arrivée au village, après avoir abandonné Gazelle aux bons soins des palefreniers complaisants, je rentrais chez moi sous les regards scrutateurs des villageois qui s’affairaient à leurs occupations quotidiennes. Moya était assis sur le pas de sa porte. Sa maison en rondins de bois récupérés sur la défunte palissade, se situait près du portail à nouveau érigé. Il me dévisagea longuement et je me sentis troublée par ce regard insistant. Ces yeux trop bleus ressemblaient tant à ceux d’Alex ! Quand j’arrivais à la maison, Boulette hésita un moment entre bouder ou se jeter sur moi en quémandant des caresses. Elle finit par opter pour une solution médiane que je lui fournis moi-même : je lui servis une pleine assiette de pâtée qu’elle dévora, puis elle sortie dans le jardin un petit moment et revint ensuite se nicher contre moi, installées toutes deux dans un confortable fauteuil pendant que je relisais fébrilement mes notes. J’étais si fatiguée que j’aurais dû aller me coucher immédiatement mais la faim me tenaillait et l’excitation de mes découvertes me tenait éveillée. Après un en-cas conséquent, Je passais le reste de l’après midi à reporter les données des capteurs dans ma table lumineuse. Je voyais les corrections s’opérer au fur et à mesure que les mises à jour s’effectuaient et j’étais stupéfaites parfois de la différence entre la végétation référencée et celle qui poussait réellement sur les différentes zones. Tout n’était pas faux, mais j’avais l’impression que certaines régions avaient été oubliées ou embellies. C’était le cas de Materia que je vis se dévêtir de sa verdure, rougir sous le poids de la terre, se crevasser et se fissurer pour montrer enfin son vrai visage de terre aride. Mes capteurs n’ayant pas un immense rayon d’action, ils n’avaient pas survolés la ville elle-même et je restais donc sur ma faim pour en affiner l’évolution. Il me restait encore pas mal de données à collecter quand Martial vint me chercher à la nuit tombée et me trouva un peu hébétée d’avoir passé l’après-midi à jouer avec des images virtuelles. J’aurai souhaité me baigner pour calmer mon corps fatigué et mon cerveau en ébullition mais il ne m’en laissa pas le loisir. Il m’emmena manger chez lui où Serarpi nous attendait devant une table couverte de victuailles.

– alors, me dit sobrement cette dernière, tu vas mieux ?

– ça va, j’ai tant de choses en tête que je vais avoir du mal à dormir. Regarde, je lui dis en lui montrant, les plans, les croquis et les griffonnages qui s’étalaient sur des dizaines de pages.

– il faut que tu m’expliques, reprit Serarpi.

– en fait c’est plus simple qu’il n’y paraît. Dans chaque grotte il y a au moins une porte qui conduit à une petite salle. Dans cette salle se trouve une pierre lumineuse, comme une plateforme. Ne me demandez pas d’où elle vient ni comment elle est éclairée, je n’en sais rien. Elle flotte à quelques centimètres au dessus du sol, comme si elle était aimantée. Bref, chaque salle mène à une ou plusieurs autres grottes.

– tu peux être plus claire, dit Martial, impatient et visiblement agacé de ne pas comprendre.

– j’aimerai mais je n’ai pas encore compris comment cela fonctionne. Par exemple, la grotte de la falaise n’a qu’une seule destination. Une immense grotte qui se situe, si je ne me trompe pas, au milieu des plaines centrales du sud. Je m’avance un peu mais je pense que c’est comme une sorte de gare centrale. Dans cette grotte j’ai compté dix-sept portes, chacune surmonté d’un symbole. Tu vois, ils sont tous là ! lui dis-je en montrant mes croquis. Quand je suis revenue dans la salle qui m’avait conduite là, j’ai découvert qu’il y avait six destinations possibles.

– excuse moi de t’interrompre, dit Serarpi, mais je ne comprends pas comment tu voyages.

– moi non plus. Je me contente de poser mes mains sur les empreintes verticales, toutes les autres sont des indications pour trouver les portes…Attend, je vais te montrer.

Je me levais de table et branchais un des capteurs à l’ordinateur mural, il restitua immédiatement l’image de la grotte centrale.

– vous voyez ces empreintes de mains qui scintillent, elles indiquent une direction, et celle là, dis-je en zoomant avec mes doigts sur l’écran tactile, elle indique une porte, et voilà le symbole qui correspond. Là par exemple, c’est la…quatrième porte dis-je en reprenant mes notes. Je ne sais pas qu’elle destination elle dessert. Celle-ci c’est la douzième porte, c’est celle par laquelle je suis arrivée. Notre grotte est une destination relativement annexe, c’est pour ça que les gardes ont mis du temps à arriver. Il n’y a qu’une seule salle et elle est petite. En se serrant bien on doit pouvoir y tenir à quatre ou cinq. Je suppose qu’on peut emporter du matériel puisque mon sac est resté sur mon dos ainsi que mes vêtements, ajoutais-je en riant.

– bon, donc tu es arrivé dans la grotte centrale, et après ? commenta Serarpi calmement car elle voyait que je m’égarais à nouveau.

– après j’ai voulu revenir ici, seulement il y avait six empreintes quand je suis retourné dans la salle et je ne savais pas laquelle choisir. J’en ai essayé une au hasard et je me suis retrouvée dans une clairière. C’était une grotte plus petite et qui n’avait qu’une porte, comme notre grotte de la plage, dis-je en tournant les pages à toute vitesses. J’ai entendu le bruit d’une rivière et je me suis arrêtée pour manger et me reposer. J’étais un peu sonnée par ces deux voyages, à cause de l’éclair. Il est très déroutant si on ne ferme pas les yeux et bien sur, j’ai oublié de fermer les yeux les premières fois ! Et c’est là que je les ai entendues. J’ai cru qu’elles criaient mais en fait elles s’amusaient dans l’eau.

– mais qui ? dit Martial exaspéré par ce discours échevelé.

Je me rendais bien compte que je parlais trop vite et que ce que je disais manquais de sens pour quelqu’un qui n’avait pas vécu toutes ces expériences, mais j’avais tellement de choses à dire ! Je pris cependant la peine de répondre le plus calmement possible :

– mes amies de l’Académie ! J’ai retrouvé le village dans lequel nous aurions du nous installer Joshua et moi ! Elles m’ont reconnue et j’ai passé la journée et la nuit dans leur village. C’était si bon de les retrouver. J’avais peur qu’ils soient tous    morts. Je leur ai promis qu’on retournerait les voir avec du matériel. Ils sont bien moins équipés que nous et la vie est assez dure pour eux.

Malgré mes tentatives pour me tempérer, je parlais toujours à toute vitesse et mon exaltation perçait dans les intonations aigües que je n’arrivais pas à contrôler. Tout cela représentait beaucoup en peu de temps et mon organisme avait du mal à assimiler. Martial et Serarpi essayaient laborieusement de me suivre.

– ils sont nombreux ? dit Martial un peu inquiet

– environ quatre-vingt et ils n’ont eu que dix naissance !

– qu’est-ce que ça a d’extraordinaire ? répondit-il

– c’est peu pour une population aussi jeune !

– bon et après, dit Serarpi que les problèmes de natalité n’intéressaient pas, qu’as-tu fais ?

– le lendemain, je suis repartie mais je n’avais pas repéré sur qu’elle empreinte j’étais arrivée parce que j’avais encore été aveuglée. Alors je me suis retrouvée au pied des montagnes. Il faisait froid malgré la saison et je voyais les pics enneigés, c’était beau mais inquiétant. J’ai repéré des camps de mineurs aussi. Je n’ai pas pris le risque d’essayer une autre porte. Je suis revenue dans la grotte de Shebaa et j’ai essayé une autre empreinte. Elle m’a amenée à l’ouest du continent, au bord de l’océan. Je ne pouvais pas le voir mais je le sentais à la végétation et mes capteurs me l’ont confirmé. Retours à la grotte de Shebaa. J’ai procédé par élimination. J’ai atterris dans le centre-ouest du continent. C’était assez désolé, je n’ai pas aimé. Ensuite, ajoutais-je en compulsant mes notes en même temps que les images défilaient sur l’écran, après un crochet par mon point de départ, j’ai trouvé Materia, du moins je n’étais pas loin. La grotte est très grande, elle comporte douze portes. Je pense qu’elle dessert presque tout le territoire sud. Et enfin, j’ai retrouvé la grotte centrale. Là, j’ai repéré le symbole qui menait à la grotte de Shebaa, celui de Materia aussi et voilà le notre, leur dis-je en leur montrant une forme ronde un peu molle. Je pense qu’il s’agit d’un baveau.

– ou d’un nuage…dit martial

– ou d’un rond mou, surenchérit Serarpi qui se prenait au jeu.

– voilà, vous savez tout ! dis-je, ignorant volontairement leurs plaisanteries sarcastiques.

– non, nous ne savons pas comment cela fonctionne !

– je n’en sais rien non plus ! répondis-je. Je pense que ça a un rapport avec le Mitreion mais je n’en suis pas sure.

– mais tu n’en as pas !

– si j’en ai…en fait, leur avouais-je en leur dévoilant mon bracelet caché par la cordelette. Alex me l’a donné avant de partir en me demandant de le cacher, en particulier aux yeux des colons. Quand je ne l’avais pas, je voyais à peine les traces de mains. Maintenant, elles scintillent dès que je les touche et les portes s’ouvrent !

– voilà donc la valeur de ce précieux Mitreion ! Il permet de voyage à travers le continent par une sorte de téléportation, dit Martial soudain très excité. C’est génial, il faut que nous nous en procurions !

– je ne suis pas sure que ce soit une très bonne idée, le tempéra  immédiatement Serarpi. Tu sais Martial, nous n’avons pas besoin de parcourir le territoire dans tous les sens. Je pense qu’il faut être très prudent avec ce type de pouvoir.

– tu plaisante j’espère ! tonitrua-t-il. Nous venons découvrir les propriétés de ce minerai pour lequel des milliers d’hommes sont morts et tu voudrais que je ne m’y intéresse pas ?

– Martial, calme toi, tu sais bien qu’on entend tout, repris Serarpi conciliante. Zellana a eu raison d’être discrète et il faut qu’elle le reste. Parle moins fort et ne t’emballe pas. Pense aux conséquences que cela peut avoir pour notre village, lui expliqua-t-elle fidèle à elle-même et toujours pragmatique. Les gens s’éparpilleraient sur le continent, feraient de mauvaises rencontres, rameraient avec eux d’autres personnes qui ignorent encore notre existence…

Martial accusa le coup et resta silencieux. J’en profitais pour ajouter :

– je pense que Serarpi a raison. Alex devait savoir pourquoi il me demandait d’être prudente et pourquoi il voulait que je cache mon bracelet. Je crois que ce métal a d’autres pouvoirs que nous n’avons pas encore découverts. C’est la raison pour laquelle je ne voulais pas en parler avant d’avoir compris ce que je pouvais faire avec.

– ce qui veut dire que tous les colons en ont sur eux ! Voilà comment ils sont arrivés aussi vite jusqu’ici ! reprit soudain Martial qui enchainait les idées les unes après les autres dans une logique qui lui était propre.

– oui, je le pense. Mais ce que je ne m’explique pas, c’est comment Alex a communiqué avec eux. Il s’est absenté une dizaine de minute, tout au plus. Il n’a pas eut le temps de retourner dans la grotte de la falaise. Ça reste un mystère que je n’ai pas encore résolu. Et même si je pense que c’est grâce au Mitreion que j’ai pu voyager, je ne sais pas pourquoi. Je ne sais pas non plus comment les pierres blanches flottent au dessus du sol. Mais ça me rappelle ce qu’Alex m’avait dit à propos du sous-sol où il travaillait, continuais-je, moi aussi lancée dans une réflexion à voix haute. Ils étaient équipés de plateformes qui avançaient en se maintenant à une trentaine de centimètres de hauteur et qui suivaient une sorte de ligne, comme un guide ou un rail sur le sol. Il m’a expliqué qu’il leur suffisait de se pencher en avant pour le faire avancer et de se pencher sur le coté pour tourner. Peut-être que cela fonctionne sur le même principe…

– cette planète est décidément pleine de surprise, ponctua Serarpi. Ne nous emballons pas. Prenons le temps d’essayer de comprendre avant de nous précipiter, tu es d’accord Martial ?

– oui, bien sur. Tu as toujours raison de toute façon…répondit-il en bougonnant un peu.

– bon, je vais dormir maintenant et je me mets au travail dès mon réveil. Je vous ferais parvenir les fichiers au fur et à mesure. Si vous voyez quelque chose qui vous intéresse, dites le moi, je pourrais y retourner.

– je ne veux plus que tu partes toute seule ! rugit Martial, j’en ai assez de me faire du souci pour toi.

– je ne crois pas avoir le choix. Personne ne peut m’accompagner et puis, je n’ai pas peur. J’aime ça, tu sais Martial. Je sens que je vais sillonner le continent dans tous les sens !

Et je partis là-dessus, laissant Serarpi raisonner Martial qui s’énervait.

Je dormis peu. Boulette avait beau se coller contre moi et ronronner, rien ne réussis à m’apaiser cette nuit là. Ma tête était pleine de questions, d’envies, d’idées confuses et je n’avais personne avec qui les partager. Mon vieil ami Sorel était mort, Martial s’énervait trop vite et Joshua n’était plus aussi disponible qu’avant. L’absence d’Alex, malgré le temps écoulé, se rappelait cruellement à moi dans ces moments-là et je me sentais seule et vulnérable. Après une nuit que j’écourtais volontairement pour cesser de torturer mes draps en bouchon, Je me levais aux petites heures de l’aube et partis prendre l’air sur la plage, regardant les baveaux qui venaient de plus en plus souvent près du village, s’ébattre à quelques mètres du bord et rejetant des geysers d’eau. Le soleil se levait à peine et je profitais de la fraicheur. La journée allait encore être torride et j’aimais ça.

Avant de rentrer pour m’atteler à mon travail, je m’octroyais une longue baignade, faisant refluer les baveaux téméraires vers le large. Après avoir nagé longuement le long de la plage, je flottais un moment, m’amusant à observer l’ombre de mon corps qui ondulait sur le sable clair, comme un dessin en papier qui se serait délicatement posé sur le fond et que le mouvement de la mer aurait déplacé au gré des flots. Ensuite, délassée et calmée, je sortis de l’eau, me séchais et rentrais enfin à la maison.

Après avoir mangé un peu, j’allumais la table lumineuse et terminais le transfert des données des capteurs interrompu la veille par l’arrivée de Martial. Cela me prit toute la matinée. J’étais en train d’examiner le village de Shebaa et d’Horacio quand Joshua frappa à la porte. Depuis le départ d’Alex, il était redevenu aimable. La naissance de sa fille l’avait rendu heureux et il était maintenant capable d’avoir une conversation normale avec moi. La peau halée et l’air serein malgré les cernes de fatigues qui soulignaient ses yeux bruns clairs, il était devenu plus droit et plus fier. Il avait embelli, la paternité lui allait bien. je le regardais entrer et je me fis la réflexion que nous aurions dû être dans ce village que j’examinais en détail, avec nos amis, et que nous serions probablement toujours marié.

– bonjour, dit-il prudemment, tu vas bien ?

– oui, pourquoi tout le monde me pose t’il cette question ? Il ne m’est rien arrivé d’extraordinaire.

– ce n’est pas ce que l’on m’a dit.

– ah, je vois que les rumeurs vont bon train…

– non, ce n’est pas ce que tu crois, c’est Martial. Tu sais comment il est avec toi, il veut que je te raisonne et que je t’empêche de repartir.

– et tu vas le faire ?

– Zellana, ais-je déjà réussi à te faire faire quelques chose que tu ne voulais pas ? dit-il en s’asseyant dans un fauteuil de bureau, récupéré dans un des salons du vaisseau.

Je souris car c’était une question récurrente durant les années où nous étions ensemble.

– il faut que je te dise quelques chose qui va te donner envie de me laisser repartir et même de venir avec moi si tu le pouvais : j’ai trouvé comment voyager dans les grottes, je t’expliquerai plus tard, l’interrompis-je, sentant arriver un flot de questions et j’ai retrouvé le village des plaines centrales. J’ai passé la nuit dans la maison de Shebaa et d’Horacio ! Ils sont tous là, enfin, la majorité de nos amis. J’ai revu Polonia et Forbs, Ludmilla et Feng, Vernassi et Astraor et quelques autres encore dont nous étions moins proches. J’ai passé une soirée fantastique avec eux. Shebaa a chanté comme elle le faisait à l’Académie. Ils m’ont tous demandé de tes nouvelles et te félicite pour la naissance de ta fille.

– tu leur as dit qu’on était séparé ?

– oui, bien sur.

– comment l’ont-ils pris ?

– mis à part Vernassi qui est toujours aussi grincheuse, ils n’ont pas fait de réflexion particulière. Je dois retourner les voir avec du matériel. Ils manquent de beaucoup de choses. J’aimerai qu’on affrète une navette pour leur apporter ce dont ils ont besoin : des armes pour commencer, ils n’en ont presque pas…regarde, c’est leur village, je lui dis en lui montrant l’image en relief sur la table.

– je peux, dit Joshua, en approchant la main. Son corps proche du mien me troubla.

– bien sur, je répondis en me reculant.

Il fit tourner un moment l’image pour regarder l’installation puis se concentra sur les cultures :

– ils n’ont pas beaucoup de terres agricoles, combien sont-ils ?

– une petite centaine en comptant les bébés.

– il faudrait qu’on les aide à développer leurs cultures et qu’on leur apporte des graines à rendement rapide. Je peux m’occuper de ça. Pour la navette, je vais voir avec Martial. Des armes, nous avons assez pour leur en passer, quand aux outils…il faut que je fasse le point avec Guilibath. Tu ne peux pas m’y emmener ?

– je ne sais pas. Les gardes voyageaient à plusieurs, alors, peut-être que c’est possible, mais c’est dangereux de circuler dans les grottes, on ne sait pas qui on va rencontrer. Tu as une femme et une fille maintenant, tu ne devrais pas prendre de risques.

– laisse-moi estimer les risques que je peux prendre, s’il te plait, dit-il en souriant.

Il s’était tourné vers moi et je retins ma main qui allait, par habitude, repousser une mèche qui tombait sur son front. Ce n’était plus mon homme. Il avait une nouvelle épouse et chose extraordinaire pour moi qui n’avait jamais réussi à me projeter dans un avenir aussi concret, il avait une fille !

Pour masquer mon trouble, je pris le temps de lui montrer, tout en lui racontant mon périple, les différentes grottes dans lesquelles j’étais arrivé et le secteur qui les entourait. Il s’intéressa particulièrement, comme moi d’ailleurs, à la grotte de Materia. Les capteurs, qui avaient une portée d’environ cinq kilomètres, n’avaient pu arriver jusqu’à la ville mais des maisons éparses apparaissaient sur le territoire limitrophe.

– tout cela semble bien rudimentaire, fit remarquer Joshua.

– oui, je ne pense pas que les membres du gouvernement vivent là ! À mon avis, ils sont installés dans les sous-sols.

– et s’ils étaient remontés sur un vaisseau ?

– je pense que Serarpi le saurait mais il faudrait lui soumettre l’idée. Il faut réunir un conseil ce soir et faire le point sur toutes ces informations. Tu peux t’en occuper ? Propose à tout le monde que l’on se retrouve ici. Ce sera plus discret. Martial a tendance à crier un peu fort en ce moment.

– je vais les prévenir. Dit-il en s’éloignant.

Il allait repartir quand il se retourna et dit :

– c’est bien ce que tu fais Zellana ! C’est courageux et c’est utile. Je suis vraiment content que tu es retrouvé nos amis de l’académie. Je…je suis fier de toi…j’ai encore le droit de dire ça ?

Il perçait une telle tendresse dans sa voix que j’eus envie de pleurer.

– bien sur, ne t’en prive surtout pas ! lui dis-je en me jetant dans ses bras pour masquer mes yeux embués. Tu sais, ce n’est pas toujours facile d’être seule, tu me manques parfois…Je veux dire, nos conversations me manquent. Avec toi j’ai toujours pu parler librement. Martial s’emporte vite et Serarpi ne s’intéresse qu’à certaines choses. Toi, tu m’écoutes et tu sais comment je raisonne, alors tu arrives à me suivre, ça me fait du bien.

Il me tenait serré contre lui et je réalisais soudain que je venais d’embrouiller une situation que nous avions réussi à simplifier entre nous. Soudain, j’aurai préféré qu’il me lâche mais il me couvrait d’un regard tendre et amusé alors je le laissais faire :

– tu pourras toujours compter sur moi, chaque fois que tu auras envie de parler, je serais là…

Et il m’embrassa sans que j’ais eu le temps de reculer. C’était un baiser fougueux et passionnés que je dû interrompre en le repoussant violement :

– Joshua ! Tu n’as pas le droit de faire ça, je ne suis plus ta femme !

– mais tu es toute seule…et je t’aime toujours Zellana, tu le sais…

– ça n’excuse rien. Pense à Daïa et à ta fille, enfin, Joshua !

Je reculais de l’autre coté de la table et il baissa la tête, penaud :

– je suis désolé, ça ne se reproduira plus, je te le promets.

– j’espère bien, dis-je, consciente cependant de mon rôle ambigu dans ce qui venait de se passer entre nous.

– je m’occupe du conseil, dit-il en descendant les marches qui menaient sur la plage.

Je tentais de me replonger dans l’étude des images, mais ce baiser m’avait troublée. En y réfléchissant bien, je m’aperçus que je ne l’avais pas aimé du tout. Cette période de ma vie était révolue et l’intérêt de Joshua me mettait mal à l’aise, même si j’avais largement contribué à ce qui venait de se produire. Mais il avait mis en évidence un sentiment que je faisais taire depuis des jours. Ce n’était pas lui que j’aimais. Je sentis une immense vague de chagrin m’envahir et je ne lui résistais pas. Les larmes ruisselaient sans que je puisse les arrêter, mais où était Alex ? Pourquoi n’était-il jamais revenu ? Était-il en danger ? J’entendis des pas sur la véranda et j’allais protester en demandant à Joshua de repartir, quand je vis l’imposante carrure de Moya dans l’encadrement de la porte de la véranda :

– je peux entrer ? dit-il de sa voix grave et douce.

-…oui, je t’en prie, répondis-je en essuyant rapidement mes larmes avec le bas de ma robe. Que puis-je faire pour toi ?

– je dirais les choses autrement. Je pense que c’est moi qui peux faire quelque chose pour toi…Et il s’installa confortablement dans un des fauteuils de la pièce principale sans me demander mon autorisation. Je ne sais pas d’où vous sortez ce mobilier, mais il est beau et extrêmement confortable, dit-il en caressant l’accoudoir du fauteuil en cuir usé mais robuste, pendant que son sourire fin devenait presque narquois.

– que veux-tu Moya ? dis-je en me postant sur un accoudoir en face de lui pour que cette visite ne s’éternise pas.

– t’aider…

– à faire quoi ? lui répondis-je interloquée.

– à comprendre !

– je ne vois pas de quoi tu parles, dis-je sur la défensive.

– Allons Zellana, cesses donc de me prendre pour un imbécile, répliqua-t-il en étirant son grand corps dans le fauteuil qui grinça légèrement sous l’outrage. Son fin sourire étirait toujours ses lèvres pourtant charnues ce qui lui donnait un air diabolique. Je restais silencieuse et je me fis la réflexion qu’aujourd’hui les hommes avaient décidé de me contrarier et que je supportais de moins en moins ce regard bleu perçant qui semblait lire en moi comme dans un livre ouvert.

– je sais ce que tu te dis, reprit-il, tu en as assez qu’on vienne t’importuner dans ta maison…

Devant mon regard stupéfait il ajouta, accentuant encore ce sourire énigmatique :

 – j’ai croisé Joshua qui sortait de chez toi…bref, il me semble avoir entendu dire que tu étais partie en expédition et que tu aurais trouvé comment voyager sur le continent…

– oui, avec mon deltaplane, je peux couvrir un assez grand territoire, je répliquais.

– d’accord, admettons. Je vais te révéler un petit secret Zellana. Je dis petit car je pense que cela n’en est plus un pour toi. Le Mitreion a des pouvoirs assez surprenants. Mais tu le savais déjà, n’est-ce pas ?

Je ne répondis rien et me laissais lentement glisser dans le fauteuil. Il commençait à m’intriguer même si ses yeux bleus qui me fixaient me fatiguaient. Je décidais de ne pas me laisser intimider.

Il eut un grand éclat de rire qui s’arrêta aussi vite qu’il avait commencé et il prit un air grave. Ces yeux me semblaient moins bleus et moins insupportables soudain :

– bien, c’est beaucoup mieux comme ça, dit-il sans donner d’explication. Tu devrais rester dans cet état d’esprit tout le temps, reprit-il.

– écoute, Moya, je ne comprends pas un mot de ce que tu dis. Tu veux m’aider ? Très bien, alors parles moi de choses que je peux comprendre mais arrêtes ce discours abscons.

– d’accord, si c’est ce que tu veux, alors plus de secrets : tu as trouvé comment ouvrir les portes des grottes et tu as voyagé à travers le continent sud, de ce que j’en sais. Tu verras que le Nord peut être très beau aussi. Mais si tu dois y retourner, prends des armes et évite la grotte de Materia, il y a beaucoup de circulation. En partant d’ici, tu es obligée de passer par la grotte centrale, mais si tu te rends dans celle que tu as découvert dans la plaine, tu auras plus de possibilité qui t’éviterons de passer par la gare. C’est comme cela qu’on l’appelle, c’est comme une immense gare de triage. Tu arrives par une porte, tu repars par une autre. Les grottes servent à ça, à s’attendre, à se donner rendez-vous. Enfin c’était leur usage il y a longtemps, avant que les gardes ne les rendent si dangereuses.

– tout le monde peut circuler dans les grottes ?

– nous oui mais pas vous.

– pourquoi ?

– parce que vous n’êtes pas encore imprégné de Mitreion. Nous qui avons travaillé à proximité des mines, avons pu voyager au bout de deux ou trois ans, les autres ont du attendre cinq ans.

– nous ne pourrons jamais le faire alors ?

– si, tu y arrives bien toi ! dit-il et son regard était lourd mais je le repoussais ce qui le fit sourire, mais les autres devront attendre d’avoir consommé suffisamment de Mitreion pour que les effets se fassent sentir. D’ici cinq ou six ans, sauf si vous trouvez du Mitreion, bien entendu…il suffit d’être patient et de manger beaucoup de plantes et d’animaux issus de Matria.

– nous mangeons nos fruits et nos légumes qui poussent dans la terre de Matria…

– ce ne sera pas suffisant, il faut consommer les fruits des palmiers qui sont sur la plage, ils en sont gorgés. Les cosses que Joshua récolte en comportent aussi beaucoup et les petits singes volants. Ils sont délicieux et battent tous les record de teneur en Mitreion.

– Puisque tu sembles décidé à me confier des secrets, j’aimerai que tu m’éclaires sur un point, que sais-tu sur Alex ?

Il resta un moment silencieux, ce qui m’irrita.

– écoute Moya, je me fais du souci pour lui. Il est parti depuis des jours et…je ne sais pas…c’est idiot, j’ai le sentiment qu’il lui est arrivé quelque chose.

Il me regarda longuement et je vis plus d’interrogation que de certitudes dans ses yeux. Il ne souriait plus. Il resta longtemps songeur puis il reprit :

– moi aussi, j’ai senti quelque chose. Je ne sais pas où il se trouve. Je n’arrive pas à le localiser pour être plus précis, et ça m’inquiète. Il doit être dans une grotte ou dans un sous sol, sinon…tu sais, dit-il soudain en changeant de sujet, son ancienne compagne, bleuet, elle vit avec un de mes hommes,  Philom. Ils ont un fils qui est né il y a quelques temps déjà. Je ne sais pas pourquoi Alex s’est senti obligé d’aller la voir. Il disait qu’il avait une dette et qu’il devait lui parler pour être en paix. Je ne sais pas du tout à quoi il faisait allusion. Ils se sont vu et se sont expliqués. Il était en train de revenir…et puis je l’ai…enfin, il a disparu.

– comment sais-tu tout ça ?

– nous nous parlons…

– oui mais comment ?

« Comme ça », dit sa voix à l’intérieur de ma tête, ce qui me fit sursauter.

– ne refait jamais ça ! m’écriais-je choquée.

– pourtant, il faudra bien que tu t’y fasses, mais je suis étonné que tu m’ais entendu. Normalement, même le Mitreion porté directement sur la peau ne suffit pas. Tu dois avoir des aptitudes innées.

– peut-être que j’ai mangé plus de produit locaux que tu ne le penses.

– non, sinon je le verrais…

– mais comment ?

– tes yeux, ils sont noisettes…

– et alors ?

– tu n’as pas remarqué que nous avons tous les yeux bleus ?

– si, mais je me suis dit que c’était un hasard.

– ça n’est pas le cas. C’est le Mitreion qui transforme la couleur de nos yeux. Si j’en juge à la couleur des tiens, tu ne devrais pas pouvoir m’entendre.

– et pourtant, j’ai entendu ta voix.

– c’est bien, cela veut dire que tu peux me parler aussi si tu le veux, en fait tu peux parler à chacun d’entre nous mais il faut que tu te concentres et que tu penses à une personne précise. Si elle est d’accord pour t’écouter, tu le sauras. Elle peut aussi bloquer l’accès à ses pensées si elle le veut, comme tu l’as fait tout à l’heure quand tu as décidé que tu ne voulais plus que je lise en toi comme un livre ouvert. Tu as bloqué ma capacité de lecture.

– pourquoi me dis tu tout ça Moya ?

– parce que tu nous as accueillis ici alors que rien ne t’y obligeait et nous y sommes heureux. Nos compagnes se sentent enfin chez elles, elles ont une vraie maison plutôt qu’une grotte, vous les traitez comme si elles étaient des vôtres et non des…enfin, nous ne sommes plus traqués par les gardes grâce à toi. Nos enfants vont à l’école, nous avons été soignés par votre médecin, vous avez pris soin de nos morts…La liste est longue Zellana.

Je me détendis un peu il eut un sourire :

« Sors de ma tête ! » lui dis-je.

« Cela ne dépend que de toi »…

« Je ne veux plus que tu lises mes pensées ».

– Tu comprends pourquoi le gouvernement voulait faire main basse sur les filons de Mitreion ? Voilà aussi pourquoi ils se terrent probablement dans les souterrains de Materia plutôt que de vivre au grand jour. Comme les balises, on ne peut plus communiquer avec quelqu’un qui est dans de la roche.

– Comment vais-je faire pour retrouver Alex ?

– je ne sais pas. Il faut arpenter le territoire et le chercher. Mais s’il est dans un sous-sol, tu ne pourras lui parler qu’en étant toi-même entourée de roches. Les roches sont chargées de Mitreion et forment des conducteurs fantastiques. C’est grâce à elles que l’on voyage si vite ! Pour bien faire, il faudrait que je vienne avec toi et que nous le cherchions ensemble. Je connais beaucoup de monde chez les rebelles, ils ont peut-être entendu quelque chose, mais je ne peux pas les interroger tous en même temps.

– je ne pense pas que Martial nous laisse partir tous les deux, ni Joshua d’ailleurs.

– ton ex mari semble avoir du mal à démêler ses sentiments à ton égard. Reprit-il après un temps de réflexion.

– je sais, je ne lui en veux pas…Nous étions programmés pour passer notre vie ensemble et Joshua n’aime pas trop les changements. Mais il a trouvé la compagne qu’il lui faut. Il s’y fera, c’est juste qu’il me pense plus vulnérable que je ne le suis et qu’il a envie de me protéger et puis il s’en veut aussi de ne pas avoir su me garder.

– c’est lui qui t’a dit tout ça ?

– oui…non…pas exactement, disons que je l’ai compris…tu veux dire que je l’ai lu dans ses pensées sans le savoir ?

– je ne peux que le supposer mais il semblerait bien que tu en sois capable. Tu devrais t’exécrer et développer ce talent, il te sera fort utile. Les gens ne se méfieront pas de toi à cause de la couleur de tes yeux.

– Moya, j’ai une dernière question : est-ce vous qui avez creusé toutes ces grottes et mis en place ce réseau de circulation ?

– c’est drôle que tu poses cette question, peu de gens s’interrogent là-dessus étonnement. Non, ce n’est pas nous. Je fais partie des premiers qui sont arrivés ou presque, et tout ça existait déjà depuis longtemps.

– alors, à qui sont ces mains ?

– je n’en sais rien, je me suis souvent posé la question mais je n’ai aucune réponse à te fournir. Si tu penses à des êtres qui vivaient ici avant nous, probablement, mais je peux te garantir qu’ils ont tous disparus. Depuis le temps que je traverse le continent, je t’assure qu’il n’y a personne d’autre que nous.

– merci d’avoir répondu et merci pour tous ces précieux renseignements. Je vais les garder pour moi pour le moment. Le village n’a pas besoin de le savoir. Je n’ai pas envie de déclencher une ruée sur le Mitreion. J’en sais suffisamment sur les mines pour ne souhaiter à personne d’y pénétrer.

– c’est une sage décision, je savais que tu ferais bon usage de ces informations me répondit-il en souriant.

Il se leva, regarda longuement autour de lui puis vissa ses yeux dans les miens durant un bref instant et je sentis sa présence dans ma tête. Il me sourit et je le regardais avec moins de colère que je l’aurais voulu. Puis il se retourna et se dirigea vers la porte sans ajouter un mot. Après son départ, je restais longtemps perplexe, autant à cause de ce qu’il venait de me révéler et que je subodorais sans arriver à mettre de mots dessus, que sur le fait qu’il m’ait confié ses secrets. Je ne savais pas si je pouvais réellement lui faire confiance. Ses intentions m’apparaissaient brouillées et contradictoires. J’y lisais une grande soif de pouvoir, mêlée à une envie de ne plus jamais se battre. Cet homme était aussi énigmatique que son sourire, même si j’avais élucidé, grâce à lui, le mystère de ses yeux bleus.

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