A LA LUMIERE FROIDE DE LA TERRE – Troisième Partie – Chapitre 1

L’intégration

Chapitre 1

Milieu de la saison de printemps de l’an 1

Le printemps s’était installé durablement et les champs, à l’extérieur du village, ployaient sous les fleurs sauvages pendant que nos cultures connaissaient une soudaine frénésie de pousse. L’air était plus chaud, bien qu’encore parfaitement supportable. Il fallait cependant se mettre au frais durant les deux heures où le soleil était au zénith mais la pluie faisait rapidement retomber la température et les plantes scintillaient de gouttelettes aussi vite absorbées.

Nuncio et Amozzo, ainsi que tous les hommes et femmes qui s’étaient portés volontaires, avaient commencé à ériger une haute palissade de bois formée de troncs acérés à leur sommet. La palissade allait demander du temps car le périmètre du village était très grand. Personne ne voulait laisser les cultures et les animaux à l’extérieur. Plus elle progressait, plus le village prenait un aspect médiéval mais ça lui allait bien. A force de circuler à pied et en charrette, des chemins bien délimités s’étaient tracés d’eux même entre les maisons qui étaient suffisamment espacées pour que chacun jouissent d’un jardin de bonne taille. Nous avions de

l’espace en quantité et nous l’avions exploité intelligemment. Plutôt que de surcharger le village de granges et d’entrepôts, nous avions creusés des sous-sols qui contenaient maintenant tous nos stocks. De grandes salles pourvues de rangements étaient reliées par des couloirs. Une entrée était accessible par la boutique de Julianne, une autre se situait à l’intérieur de la salle commune, desservie par une trappe que nous n’utilisions pas et par précaution, nous avions pourvu les souterrains de trois issues cachées, situées à l’extérieur du village.

Leurs entrées en partie enterrées, étaient cachées par des buissons denses et épais que Joshua avait planté autour, mais elles permettraient peut-être un jour de sortir du village discrètement.

De mon côté, j’avais enfin obtenu que Serarpi me connecte à ses ordinateurs et un matin j’allumais enfin ma table, bien décidée à me pencher sur le problème des colons. Je trouvais rapidement un fichier recensant toutes les expéditions. Du premier vol de reconnaissance qui avait balayé le continent pour en mesurer l’air, l’eau la superficie etc. aux suivants, ils avaient été nombreux à partir pour la terre promise avec des missions diverses. Les premiers débarqués étaient des mercenaires et des hommes volontaires, recrutés dans des prisons. Leurs profils étaient consciencieusement reportés en regard de chaque photo et ils me firent froid dans le dos. C’était pour la plupart des hommes violents, sans états d’âme, venus coloniser une planète nouvelle sans savoir ce qu’ils y trouveraient. Une fois débarqués, ils c’étaient scindés en petits groupes et semblaient n’avoir eu de cesse de se massacrer entre eux à chaque fois qu’ils se rencontraient.

Les expéditions suivantes avait envoyé le même type d’homme, escortés de gardes fortement armés dont la mission était de les surveiller et de les obliger à travailler. Cette fois-ci, tous les hommes étaient équipés de colliers qui permettaient de les localiser et de les immobiliser par une décharge paralysante sur simple commande d’un garde. Je trouvais ce procédé épouvantable malgré la violence que je décelais dans les comptes rendus des gardes. Les vaisseaux porteurs de matériels étaient arrivés peu après et ils avaient amené avec eux des techniciens. Leur fonction était de repérer des sites viables, possédant de l’eau, et au moins un plateau vaste et stable pour y installer les prémisses des villes et des villages. Ces hommes là ne ressemblaient en rien aux mercenaires et aux prisonniers. Ils étaient plus cultivés, plus éduqués et ils ne portaient pas de colliers. Ils auraient peut-être dû, car je compris aux transmissions des gardes, que beaucoup d’entre eux tombaient sous les coups des quelques survivants de la première colonisation.

Les arrivées se faisaient de plus en plus régulières, amenant à chaque fois son lot d’hommes. Il n’était pas fait mention des procédés utilisés pour les motiver, mais ils arrivaient visiblement plein d’espoir sur cette planète nouvelle pour y mourir rapidement de toutes sortes de maux. Ils semblaient avoir été choisis pour être remplaçables. Un homme tombait, un autre prenait sa place dans l’expédition suivante. J’appris ainsi que des vaisseaux assez semblables à ceux qui nous avait amené, repartaient vers la terre et restaient en orbites en attendant que les navettes viennent s’installer à leurs bords. Je lus le récit d’un vol épouvantable dont le récit était relaté par le commandant de bord. Les conditions de vie sur le vaisseau étaient proches de l’inhumanité totale. Une mutinerie avait éclatée. Les hommes, parqués comme du bétail, s’étaient rebellés et après des batailles sanglantes, avaient pris le commandement du bâtiment et avaient disparus dans l’espace. Les derniers mots du commandant de bord étaient :

« Que dieu nous vienne en aide ».

L’avait-il fait ?

Par la suite, les hommes furent mieux sélectionnés. Is devaient faire preuve de capacités physiques indéniables mais leur profil faisait l’objet de plus d’attention. Plus les années passaient, plus le recrutement devenait sélectif. Il était clair, à la lecture de ces textes, que les effectifs demeurant sur la planète allaient en diminuant. Je me demandais si ces hommes avaient survécus.

Puis, cinq ans avant que nous ne partions, les voyages s’interrompaient sans explications. Le travail était il achevé ? Les hommes déjà installés avaient-ils été jugés en assez grand nombre ? Leur était-il arrivé quelque chose ?

Rien n’était spécifié et je trouvais cette absence d’information troublante. Je résumais rapidement les étapes clés de cette première colonisation pour mettre de l’ordre dans mon esprit, puis je me rendis à l’atelier où Serarpi et Martial travaillaient chacun sur un ordinateur.

– bonjour, vous ne sortez jamais ? demandais-je en préambule, en voyant leurs teins pâles et leurs yeux rougis.

– regarde, me dit Martial, en guise de réponse, c’est formidable ! Ils avaient pensé à tout. On dirait qu’ils ont stockés toutes les données informatiques de la planète avant de partir. Je trouve tout ce que je veux. Je tape n’importe quel mot et j’obtiens des milliers de fichiers en réponse. C’est génial !

– tu viens de découvrir internet ? m’exclamais-je en riant.

– ne sois pas bête ! C’est inespéré de récupérer autant de données. Tu voulais fabriquer du verre, tu te souviens ? Mais est-ce que tu sais comment on fait ? Non ? Eh bien moi si !

– d’accord, tu as gagné, c’est génial.

– et toi, qu’est-ce que tu as fait ces derniers jours ?

– j’ai fait des recherches sur les colons…

– et alors ?

– c’est étrange…on dirait qu’il manque des fichiers.

– ce n’est pas possible, nous interrompis Serarpi, tout est là !

– non, pas au niveau de la base de données. On dirait qu’ils on arrêté de communiquer à ce sujet où qu’ils ont effacé les données suivantes.

Serarpi interrompit son travail et m’ayant demandé où j’avais trouvé mes informations, lança un scan de recherche. Après quelques minutes elle dit :

– tu as raison, il y avait des fichiers mais ils ont été supprimés. Il en reste une trace fantôme inexploitable.

Elle farfouilla encore un moment puis elle s’exclama :

– ils sont dans le vaisseau présidentiel !

Elle s’absorba dans des recherches auxquelles nous ne comprenions rien. Nous regardions son long visage fin, concentré sur l’écran, ses doigts volant sur le clavier, quand elle s’écria :

– il faut retourner sur le vaisseau présidentiel ! Nous n’avons qu’une infime partie des données. Tous les plans de Matria sont sur ce vaisseau. Leurs perspectives d’expansions, leurs ambitions politiques et démographiques, les données sur le contrôle de la population…il faut y aller, Martial !

– tu en es sure ? l’interrogea-t-il peu pressé de repartir sur ce vaisseau particulier.

– oui regarde ! Tous ces fichiers fantômes, lui dit-elle en montrant l’écran où apparaissaient des lignes grisâtres indescriptibles. Ce sont des fichiers effacés mais j’ai pu remonter à la source. Ils se trouvent sur le vaisseau présidentiel. Il faut y aller et établir une connexion avec lui. C’est lui le vaisseau principal. C’est lui qu’il faut prendre et verrouiller. Il faut les empêcher de mettre leurs plans à exécution !

– d’accord, d’accord, nous allons repartir, répondit Martial en soupirant, mais il faut y aller mieux préparé et armé cette fois…

– tu crois ? Dis-je un peu surprise.

– je le crains. Je doute qu’ils aient abandonné un vaisseau aussi précieux, surtout après que nous les ayons dépouillés de leur matériel et de leur main d’œuvre.

– combien restait-il de personnes après que nous ayons fuis ? lui demandais-je.

– je dirais une centaine, peut-être deux cent, pas plus. Nous n’avions pas de liste mais nous avons fait partir tous les ouvriers, tous les techniciens et tous les ingénieurs condamnés comme toi, ainsi que tous ceux qui se sont ralliés à notre cause, et ils ont été nombreux. Tous travaillaient sur des projets sensibles qui leur posaient problèmes sur le plan éthique. Comme toi qui construisais une ville somptueuse alors que nous aurions du être raisonnables et parer au plus urgent. Ils se sont éparpillés sur tout le continent en choisissant, comme nous, des endroits reculés et inoccupés, en fonction des vaisseaux qui étaient portés disparus. Répondit Martial.

– j’imagine que les membres restants ont tous dû se poser sur Materia.

– si tu étais en possession du vaisseau principal, celui qui a le plus d’armes, qui détient toutes les données sensibles, tu le laisserais à l’abandon ? ajouta-t-il, plus pour lui-même que pour nous.

– probablement non…mais pourquoi penseraient-ils que quelqu’un va y revenir ? je l’interrogeais.

– je ne sais pas, mais je pense qu’ils l’ont probablement protégé. Soit ils y ont laissé des hommes, soit ils l’ont programmé pour empêcher toute intrusion …va savoir ce qu’ils ont pu imaginer…

– ça, je dois pouvoir le savoir. Je pense que je peux entrer en contact avec le vaisseau présidentiel pour accéder à sa base de données émergente, intervint Serarpi.

– et tu ne peux pas récupérer les fichiers qui nous manquent de cette manière ? lui demandais-je.

– non ; ils sont cachés quelque part au cœur du système sous des tonnes de codes et de pare feu mais je les aurai. Simplement il faut que j’y aille. Quand à l’accès, je dois pouvoir me connecter sans donner l’alerte. Il va me falloir du temps et beaucoup de calme…beaucoup de calme…répéta t’elle lentement afin que nous l’entendions bien.

Je sortis de la pièce suivi de boulette et Martial me rejoignit en fermant la porte derrière lui.

– quand elle est comme ça, même moi je l’agace…

– j’entends tout ! cria-t-elle.

Alors nous nous éloignâmes et durant une longue promenade le long des champs de blés presque à maturité – c’était déjà notre troisième récolte – nous partageâmes nos petits secrets, nos petites vies qui prenaient formes. Martial envisageait sérieusement de vivre avec Serarpi même si Zoléa attendait un enfant de lui. Elle se disait heureuse de vivre seule à condition que Martial assume ses responsabilités de père. Le mari de Serarpi, Bodal, arpentaient le littoral et ses alentours à la recherche de…bref, il s’occupait. Il était géologue de formation et il avait tout à découvrir sur cette planète nouvelle. Il avait promis de nous informer de toute découverte intéressante. Il partait rarement très loin. Quand c’était le cas, il se faisait accompagner par un ami dont nous comprîmes peu à peu qu’il lui était très cher. Sotomayor et Bodal partaient pour de longues expéditions et revenaient, le sourire aux lèvres, porteurs de cailloux de toutes natures. Un jour ils ramenèrent une pierre aux reflets irisés comme celles de la grotte et comme le bijou que je portais toujours autour du cou. L’épouse de Sotomayor, Suriel attendait elle aussi un enfant mais refusait de parler du père. Elle travaillait à l’atelier de couture de Zoléa et il fut rapidement décidé que les deux femmes vivraient dans la même maison et élèveraient leurs enfants ensembles. Elles semblaient heureuses de leur complicité même si leur relation ne montrait rien d’autre qu’une grande amitié.

Le village se modifiait lentement, au gré des libertés que chacun s’octroyait enfin, et je me sentais moins seule. Heureusement, cela n’avait en rien modifié la bonne entente qui régnait entre nous. L’exubérance et la joie faisaient enfin leur apparition et c’était agréable à voir et à entendre. Il n’était pas rare que les gens rient sans retenue en passant dans le village, ce qui aurait été impensable quelques temps auparavant. Nous venions d’un monde sombre ou beaucoup d’entre nous n’avait connu que la peine et le labeur. Nous avions était élevés pour la tâche à accomplir, pas pour vivre librement notre vie. Mais nous avions conquis cette liberté et personne ne reprochait aux autres de vivre heureux. Voilà ce dont nous parlions Martial et moi en arpentant les champs, fidèlement suivi par boulette qui disparaissait régulièrement dans les hautes herbes pour réapparaitre comme une bombe, la queue en panache, affolée et surexcitée. Elle sautait loin devant nous, visiblement poursuivie par un animal invisible, puis s’immobilisait, sautait à nouveau, effectuant un demi tour en l’air, crachant et grognant, puis repartait dans les blés. Nous entendions le froissement des feuilles à son passage et nous pouvions ainsi la suivre dans sa course folle. Elle appréciait particulièrement de ressortir à la hauteur de nos jambes qu’elle venait percuter en sursautant comme si elle nous reprochait de nous trouver là. Elle miaulait, furieuse et repartait aussitôt. Ce jeu pouvait durer jusqu’à l’épuisement.

Martial me demanda si j’allais bien. Il savait que je voyais de moins en moins Nuncio qui se rapprochait d’une jeune femme vivant plus haut dans le village.

– je vais bien, Martial, crois moi. Je sais que quelque chose va se produire. Je l’ai toujours su. Je ne suis pas pressée ; je vais avoir vingt deux ans ! Joshua semble heureux et Nuncio…nous ne nous étions rien promis. Je ne peux pas lui demander de se tenir à ma disposition. J’ai ma boulette qui me tient compagnie et j’ai beaucoup de recherche à faire. Je dois trouver des mines, aller explorer cet immense territoire, trouver les villages les plus proches…et faire du deltaplane. Je t’en prie, construis-moi une balise afin que je puisse m’éloigner un peu. Je me languis de voler. Je pourrais aller beaucoup plus loin. Avec le satellite, je peux repérer les pistes d’atterrissage et de décollage.

– et s’il t’arrive quelque chose ? me demanda-t-il sans pouvoir masquer son inquiétude.

– apprends à voler avec moi !

– ah non, alors, ça jamais ! Déjà la navette…ça va parce que je la pilote, mais un deltaplane…je ne sais pas comment tu fais ! Je serai terrorisé. Je le suis chaque fois que tu t’élance de ton promontoire !

– ne t’inquiète pas, je le maitrise parfaitement et je le vérifie avant chaque vol. Il est en parfait état, je ne risque rien. J’adorerai voler avec quelqu’un mais personne n’a semblé intéressé.

– nous avons tous une occupation qui nous tient à cœur. Regarde la boulangerie ! Qui aurait pensé que Kompur se mettrait à faire du pain. Il était astrophysicien ! Et maintenant il fournit du pain à tout le village et il est excellent. J’ai parlé avec lui l’autre jour, il m’a dit qu’il réalisait un rêve d’enfant, tu te rends compte ? me dit-il comme pour se justifier.

– c’est le mari de Gentiane ? demandais-je sans arrière pensée.

– oui, la nouvelle amoureuse de Nuncio, la boucle est bouclé, il travaille la nuit, elle tient la boutique le jour. Chacun à ses occupations le reste du temps.

– tu ne trouve pas tout cela un peu fou ? lui répondis-je.

– non, pas du tout, et tu es mal placée pour t’en plaindre, me rétorqua t-il.

– vous allez arrêter de me faire endosser cette responsabilité ? J’ai eu une conversation privée avec mon mari où nous avons partagés nos sentiments et nos souhaits pour l’avenir. Il en tiré la conclusion qu’il pouvait aller voir ailleurs. Je ne l’y ai pas poussé. Depuis, tous se séparent et me montrent du doigt à la première occasion comme si cela les dédouanait de leurs responsabilités. Je te rappelle tout de même que je n’ai fréquenté Nuncio qu’après que j’ai appris que Joshua et Daïa était ensemble !

– je sais, tu as raison. Tu as juste insufflé un vent de liberté dont nous avions tous besoin mais c’est plus facile de t’en laisser la responsabilité. Ne t’inquiète pas, tout le monde t’en est reconnaissant. Même moi qui ais eu la chance de choisir mon épouse, enfin presque, je suis bien plus épanoui avec Serarpi et je sais que cela te parait étrange…Si, je l’ai vu à ta grimace ! Mais tu ne la connais pas, ajouta-t-il avec un enthousiasme qui ne cachait rien de ses sentiments amoureux. Elle est très drôle et puis nous avons la même passion et ça me manquait. Parler chiffon durant le repas ne me passionnait pas plus que Zoléa qui se fatiguait vite de mes histoires de machines. Tu vois, les choses vont bien pour la plupart d’entre nous. C’est pour toi que je me fais du souci. Cette histoire de colon, ça t’occupe, mais ça ne remplira pas ta vie !

– oh mais je n’ai pas que ça ! Tu te rappelles que vous m’avez demandé de tenir un registre de recensement ? Avec tous les nouveau bébés qui arrivent et ces couples qui se font et se défont, j’ai du mal à suivre. Mon registre tout neuf est déjà plein de ratures.

– tu n’as qu’à l’informatiser, me suggéra-t-il.

– ah non !  On n’a pas construit tout ça pour refaire les mêmes erreurs. On a besoin des ordinateurs pour des recherches précises mais il ne faut pas qu’ils envahissent à nouveau notre vie ! Regarde, finalement, personne ne s’y intéresse vraiment dans le village. Et puis j’aime bien mon gros cahier. J’aime l’odeur du papier et de l’encre.

– c’est pour ça que je t’aime, petite. Tu tiens à ce que les choses soient bien faites…Tu es un bon chef, tu sais ça ?

– non, je ne vois pas en quoi je suis un bon chef. Je tiens les registres, c’est à peu près tout…

– non, c’est faux ; tu insuffles de l’espoir et de l’énergie à tous. Tu as tout le temps de nouvelles idées et elles fédèrent le village. Regarde la palissade, elle avance vite et tout le monde y travaille dès qu’il a du temps. Tu aurais pensé qu’une telle chose était possible quand on était sur terre ?

– non, en effet, on se serait plutôt entretué pour que quelqu’un d’autre le fasse.  Mais je te rappelle que l’idée de la palissade vient de Nuncio et d’Amozzo.

– oui, mais tu donnes envie aux gens de se surpasser. Ils sont actifs parce que tu ne t’arrêtes jamais.

– merci Martial. Je ne m’en rends pas compte mais ça me fait du bien que tu me le dises.

A ce moment là, Boulette surgit tel un boulet de canon et fila en miaulant si fort qu’elle nous fit sursauter. Elle fut immédiatement suivie par une sorte de furet bleu pale à poil court, dont les longues pattes vigoureuses lui permettaient de rattraper le chat sans difficulté. Heureusement pour elle, quand il nous vit, il s’immobilisa et disparu immédiatement dans les blés, presque silencieux dans sa course fuselée. Je rattrapais Boulette, haletante, et la portait jusqu’à la maison où je la nourris, abandonnant Martial le long du champ de blé. Elle mit du temps à se calmer et passa la soirée collée à moi. Elle tremblait encore par moment dans son sommeil. Je supposais que rien, dans les informations innées qu’elle possédait, ne l’avait prédisposée à rencontrer un tel animal. Elle serait probablement plus prudente à l’avenir.

Dès le lendemain, ayant épuisé les fichiers sur les colons, je m’attaquais à l’exploration du territoire. Le satellite nous avait fournis des données très précises sur un immense périmètre dans lequel notre village apparaissait et que j’ajoutais à ma table lumineuse. Je cherchais des zones habitées, sans succès.

Ma table pouvait me montrer le relief, ses détails, je pouvais agrandir une zone jusqu’à y lire des inscriptions sans difficultés, mais elle n’était pas équipée d’un programme permettant de repérer une activité humaine. Je devais donc m’en remettre au hasard. Grace à des fichiers trouvés dans l’ordinateur, eux aussi en partie effacés, j’avais noté les cotes de quelques sites qui auraient pu être occupés, malheureusement, ils s’avérèrent exempts de toute vie visible. Les baraquements semblaient toujours emballés et aucune trace de construction nouvelle n’apparaissait. Sur les douze sites dont j’avais trouvés les coordonnées dans la zone côtière du sud Est, seul le notre était en activité. Il apparaissait d’ailleurs dans toute sa splendeur, les champs bien alignés aux cultures en rangs parfaits, attestant de la rigueur de Joshua. Je remontais le fleuve un moment sans rien repérer de particulier.  Puis, comme durant mon vol, je vis briller quelque chose dans les buissons en bordure du fleuve. J’agrandis le point lumineux sans pouvoir déterminer son origine. Sa position se situait à un large tournant d’où partait une colline. La première d’une série qui pénétrait lentement à l’intérieur des terres. Je m’interrogeais longuement sur cet éclat lumineux : une autre lampe abandonnée, une pierre luminescente ? Il fallait que j’y retourne mais aucun endroit à proximité ne me permettait d’atterrir. Il me fallait m’y rendre à pied ou fabriquer une pirogue. Le fleuve était vaste mais calme et à ma connaissance, ne cachait pas dans ses fonds limpides, d’animaux dangereux susceptibles de me couler ou de me manger ! Mais je savais que si je parlais de cette expédition à qui que ce soit, on me l’interdirait où on m’adjoindrait au moins une personne pour m’accompagner. Hors, quelque chose me disait que je devais effectuer ces recherches toute seule. Je continuais mes explorations après avoir mis un repère sur le lieu qui m’intéressait. Je slalomais au hasard, faisant défiler la carte sans beaucoup de rigueur. Plusieurs collines qui se transformaient en montagne, partaient vers le centre du continent. Je ne pouvais pas aller jusqu’à la chaine centrale, le rayon du satellite ne le permettait pas, de même qu’il n’était pas possible de voir Materia dont le site était placé sur une péninsule qui s’enfonçait profondément dans l’océan à l’extrémité sud ouest. Il faudrait que Serarpi le déplace mais elle avait catégoriquement refusé d’y toucher tant qu’elle n’aurait pas terminé de décrypter les codes lui permettant de nous introduire sur le vaisseau de commandement. Je musardais donc au hasard, faisant glisser le continent du bout de mes doigts, comme une feuille que l’on fait tourner sur une table lisse et cirée, quand je reconnus l’entrée caractéristique d’une grotte. Je posais un repère puis repris de la distance pour la situer par rapport à nous. Elle devait se trouver à une centaine de kilomètre du village, à l’intérieur des terres. Elle était facile à repérer car elle se détachait au pied d’une colline qui apparaissait de façon inexpliquée au milieu d’une plaine. Un de ses flancs formait une falaise dans laquelle était percée l’entrée de la grotte. De l’autre côté, elle redescendait en pente douce et disparaissais dans le sol. On aurait presque dit qu’elle avait été créée de toute pièce pour être visible de loin. Je sentais germer une idée. Je me mis en quête de toutes les falaises ou collines isolées, d’une hauteur approximativement équivalente à celle-là. Outre celle de la plage et celle-ci, j’en repérais une autre, pratiquement à l’autre bout du continent. Il y en avait probablement d’autres mais il ne me servait à rien de les répertorier puisqu’il m’était impossible de m’y rendre. Je m’étonnais tout de même de l’imprécision des cartographes qui nous avaient précédés sur ces zones spécifiques. Peut-être n’avaient-elles retenues l’attention de personne ? Le relevé topographique de notre village avait bien était bâclé lui aussi ! Pourtant, je voyais bien la minutie et le travail de fond qui avait été fait à d’autres endroits stratégiques comme Materia par exemple. Ayant travaillé sur l’immense table du vaisseau, j’avais eu l’occasion de constater la netteté des images qui y apparaissaient. Les fichiers auraient-ils étaient volontairement tronqués pour que nous restions concentré là ou le gouvernement le souhaitait ? y-avait-il dans ses zones, des lieux que nous ne devions pas connaitre ? Des camps de prisonniers ? Des stocks secrets ? Des bases militaires ? Des cimetières de colons ? Mon imagination s’emballait et aucune réponse ne pouvait me convenir. Il fallait fouiller et approfondir.

Je retournais chez Martial et, prenant le risque de déranger Serarpi, j’entrais dans le local informatique où je les surpris en train de s’embrasser amoureusement. Je refermais prestement la porte mais Martial me cria :

– entre petite sotte, mais frappe la prochaine fois.

– je suis désolée, j’étais perdue dans mes pensées et je n’ai pas fait attention…

– qu’est-ce qui nous vaut cette arrivée fracassante, dit-il réjouit.

Serarpi reboutonnais son chemisier, les joues rouges et le regard agacé.

– Il faut absolument aller sur le vaisseau présidentiel, il manque énormément de données cartographique. J’en trouve certaines, grâce au satellite, mais tout ce qui ne nous est pas accessible, doit se trouver à bord du vaisseau et il faut dérouter le satellite. Il faut aller voir Materia, savoir où ils en sont. Il faut survoler la chaine de montagne et passer du coté nord. Il y a des mystères, des blancs, des erreurs qui n’existaient pas sur la table du vaisseau, mais je n’ai pas eu l’occasion d’explorer le territoire. Maitre Wong me surveillait tout le temps. Ils nous ont cachés beaucoup de choses. J’ai plein de questions et aucune réponse, ça me rend dingue !

– je vois ; dit Serarpi froidement, puis elle se tourna vers moi et sourit. Ne t’inquiète pas, j’ai presque fini, nous irons bientôt. Quand au satellite, on va le laisser où il est pour le moment car il échappe au vaisseau présidentiel. Quand j’aurai tout sécurisé, tu pourras venir toi-même t’amuser avec. Mais si nous craquons les fichiers cryptés, nous aurons déjà beaucoup de données manquantes. Je suis d’accord avec toi, nous compléterons ce que nous avons déjà, puis nous vérifierons avec le satellite. Ça te va ?

– merci Serarpi, je déteste ne pas comprendre ! j’avais envie de la serrer dans mes bras et de l’embrasser mais comme c’était impossible, j’ajoutais à la place : – Quand pourrons-nous partir ?

– Dans une semaine, tu tiendras le coup ? me répondit-elle en souriant comme si elle avait compris mon intention réprimée.

– oui, si je fais autre chose ! Je vais aller voler, tant pis pour la balise !

– Hors de question ! s’exclama Martial. Tiens, je t’ai bricolé ça. Ce n’est pas aussi sensible que les bracelets, mais si tu l’attaches à ta ceinture il nous permettra au moins de savoir où tu es.

Il me tendit un boitier noir d’une dizaine de centimètre de haut sur quatre d’épaisseur. Il était un peu encombrant mais si je l’attachais dans le dos, il ne me gênerait pas durant le vol.

– merci Martial ! Je pars tout de suite. J’ai repéré une grotte à une centaine de kilomètre d’ici, en plein milieu d’une plaine. Idéale pour se poser ! Quant au décollage, il me suffira de monter la colline et de m’élancer de son sommet. Si les vents sont avec moi, j’y serais en deux ou trois heures. Je vais prendre de quoi manger et dormir là bas. Je rentrerai demain. Vous pourrez nourrir boulette ? Elle déteste quand je ne suis pas là.

– moi aussi, je n’aime pas savoir que tu vas dormir à des kilomètres de nous. Tu sais que même à cheval, il nous faudrait trois jours pour te rejoindre.

– tiens, je vous ai marqué les coordonnées, l’interrompis-je, pressée de partir,  vous me localiserez plus facilement si vous savez où je me rends.

– et toi, comment fera tu pour t’orienter ?

– c’est facile : je suis la ligne des collines jusqu’à la plaine, et au centre, je suis arrivée.

– c’est ça…c’est facile et si tu dévie ?

– Je retrouverai l’océan et je longerai la cote jusqu’ici !

– ça a l’air si simple quand tu le dis…

– allez je file. Pensez à boulette…

– attend ! Prends ça, on ne sait jamais et garde le toujours sur toi, dit Martial en me tendant un revolver. Fait attention il est chargé, et voilà un autre chargeur au cas où. Ne proteste pas, je ne te laisse pas partir si tu ne me jures pas de l’avoir toujours sur toi, surtout quand tu seras au sol et la nuit aussi !

-d’accord. Ne t’inquiète pas, il ne m’arrivera rien, il n’y a pas âme qui vive à des kilomètres à la ronde.

– il y a des animaux dont nous ne savons rien !

– je file !

Arrivée à la maison, je fis un gros câlin à Boulette qui, me voyant préparer un sac à dos, tournais autour de moi inquiète et collante, puis je la laissais enfermée dans la maison afin qu’elle ne suive pas jusqu’à la falaise. Le furet bleu m’avait inquiétée. Je compris ce que redoutais Martial. Pour lui, j’étais Boulette et il craignait les furets. Je pris mon envol sur une esplanade vide. Les villageois étaient tous occupé en cette belle matinée. Dès la rotation effectuée, je fonçais droit vers l’intérieur en me dirigeant légèrement vers l’ouest. Je repérais rapidement les premières collines et quand je les survolais, je suivis leurs sommets arrondies qui s’enchainaient comme un collier de perles. Les sommets des arbres formaient une toiture protectrice pour la végétation et les animaux qui se trouvaient au-dessous. Vu d’en haut, j’avais l’impression de survoler une couverture épaisse aux formes irrégulières et à la matière dense et rugueuse.  Je planais au dessus et je me sentais libre de toute contrainte, même la pesanteur ne m’entravait plus. Au bout d’un moment, les couleurs s’éclaircirent et j’aperçu la plaine verte aux herbes courtes et aux buissons bas. Le vent était plus frais. Je continuais dans la même direction jusqu’à ce que j’aperçoive la colline. Elle était étrange. C’était une colline ronde, posée au milieu d’un plateau, mais il semblait en manquer une partie, comme un flan démoulé dont on aurait mangé un morceau. J’en fis le tour deux fois et me payais le luxe de me poser au sommet de la colline pour ne pas avoir à tracter le deltaplane jusqu’en haut quand je repartirai. Je l’arrimais soigneusement, plantant de nombreux piquets dans le sol meuble et l’encordais afin que le vent ne le soulève pas malgré lui. Je testais ses cordes. Elles le maintenaient parfaitement au sol et il était si bien attaché qu’il ne pouvait pas bouger d’un millimètre. Ainsi rassurée – je ne me voyais pas rentrer à pied à travers les collines – je descendis lentement, fouillant l’horizon à la recherche de quelque chose qui m’aurait échappé sur la carte. Mais il n’y avait rien. Plus loin, au bout de l’immense plaine, les collines repartaient et se transformaient en montagnes hautes et pointues. La plaine était étrangement vide, presque oppressante car elle ne bruissait d’aucun animal. Aucun arbre ne venait égayer cette herbe verte à l’infini. Peut-être mon arrivée avait-elle fait fuir les animaux ? Peut-être attendaient-ils, terrés, que je disparaisse ? Je l’espérais en tout cas. Je me dirigeais vers la falaise et j’eu tous loisir de l’examiner. Elle était parfaitement droite et sa coupe était étrange. Au sol, nul rocher n’en était tombé. La pierre semblait avoir été taillée, mais cela n’était pas possible. Pourtant, les aplats réguliers qui marquaient son flanc ressemblaient à des marques d’outil. Je lançais quelques capteurs afin qu’ils affinent les images et les proportions. Je savais que Martial et Serarpi pourraient les voir dès que le satellite capterait leurs signaux et cela me rassura. Je me sentais très seule soudainement et je regrettais presque d’avoir pris la décision hâtive de partir. Je pouvais remonter sur la colline, détacher mon engin et être de retour au village dans l’après midi, mais je n’avais pas fait tout ce chemin pour m’enfuir dès l’atterrissage. Alors je pris mon courage à deux main et lançais un capteur à l’intérieur de la grotte. Martial m’avait équipée d’un petit écran en noir et blanc qui me permettait de voir passablement les images ainsi recueillies. La salle semblait vaste et des couloirs en partaient vers le fond. Le lecteur balaya la zone sans repérer de trace de vie. Il ne pouvait pas aller plus loin. Il fallait que je rentre dans la grotte et que je l’envoi en reconnaissance dans les couloirs. Je rentrais prudemment sous la grande arche de pierre qui semblait elle aussi taillée grossièrement. On aurait dit que cette falaise et cette grotte avaient été bâtie de toute pièce mais de telle sorte que l’illusion soit presque parfaite. Si elle n’avait pas était située au milieu de cette plaine vide, je ne me serais probablement poser aucune question mais son emplacement, la régularité de la paroi, la voute de l’entrée et l’arrondi presque parfait de la grotte me firent sérieusement douter. La première salle était immense et vide. Pas de stalactite ni de traces visibles. J’envoyais le capteur dans tous les couloirs. Tous se terminaient en cul de sac. Le couloir central aboutissait à une autre grotte plus petite et étrangement plus lumineuse. Quand j’y parvins, je fus d’abord frappée par la même iridescente que celle que j’avais remarqué dans la grotte de la plage, puis j’aperçu à son sommet, un trou d’aération qui laissait entrer la lumière. Il n’y avait plus de doute possible, rien de tout cela n’était naturel. Une main humaine au minimum, l’avait rendu habitable. Pourtant je ne trouvais aucune trace. Pas de relief de feu, pas de lampe rouillée, pas de trace d’un quelconque passage humain. Le sol était parfaitement régulier même s’il n’était pas lisse. Puis je repérais une sorte de banquette assez profonde taillée le long d’une des parois. Elle devait mesurer une trentaine de mètres de long sur presque deux mètres de large mais cette lumière étrange semblant émaner de la roche elle-même, la rendait presque invisible de prime abord. Je m’en approchais et constatais qu’elle était douce au toucher, comme si de nombreuses personnes l’avaient longuement occupée. J’y pris place un moment, assise au bord et m’imprégnais de l’atmosphère. Je n’avais plus peur. Cette grotte semblait m’apaiser. Je caressais pensivement mon collier, geste que je faisais de plus en plus fréquemment sans y réfléchir car la pierre douce sous les doigts m’apportait une étrange satisfaction. Cette lumière diffuse me calmait. Peut-être était-ce dû à la persistance des reflets changeants comme de l’eau qui ruissèlerait en continu ? Peut-être était-ce le silence troublé par le léger sifflement du vent qui s’engouffrait dans l’ouverture ? J’installais mon sac comme un oreiller et m’allongeais pour contempler le plafond. Je compris en le faisant que c’était la raison première de cette banquette. La vision de la roche colorée, scintillante, comme nacrée de couleurs vivantes, m’emporta dans une longue rêverie et je m’endormis sans y prendre garde. Je me réveillais dans le noir, affolée, jusqu’à ce que je repère le trou lumineux du plafond qu’éclairait une lune. Je cherchais une lampe dans mon sac et quand je l’allumais, la grotte sembla revivre. Les couleurs devinrent encore plus vives et changeantes. Je sortie de la nourriture : des barres protéinées et des boissons énergisantes, prises dans le vaisseau. Je mangeais lentement, savourant le silence morcelé par les entrées sifflantes d’air. Quand j’eus fini, je ramassais les emballages épars et éclairais l’espace autour de moi pour vérifier que je n’avais pas, par mégarde, laissé tomber des petits morceaux de papier d’aluminium colorés. Je ne voulais pas souiller ce lieu. C’est en remontant la lampe le long de la paroi que j’aperçu la premier trace. Au début, j’eu du mal à l’identifier. La luminosité de ma lampe n’était pas assez forte et il me fallut la coller à la paroi pour distinguer…une petite trace de main. La main d’un enfant, une dizaine d’année peut-être. Mais il n’y avait pas eu d’enfant sur Materia ! Il n’y avait pas eu de femme non plus ! Puis je réalisais que la trace était incrustée dans le mur, comme une application sur de la terre meuble qui aurait durcie. La main s’était posée sur la roche, s’y était enfoncée et y avait laissé sa trace indélébile ! Je parcourus le mur plus avant et en découvris une deuxième, puis une troisième et enfin elles m’apparurent toutes. Il suffisait de savoir ce que l’on cherchait. Elles étaient là, comme une ligne tracée dans la roche, toute dans le même sens. Elles semblaient indiquer une direction. Les mains étaient longues et fines, de tailles pratiquement similaires mais on voyait bien que ce n’était pas les mêmes. C’était une longue ligne de mains inconnues, petites, longues et fines. Elles possédaient cinq doigts mais j’aurais parié tout ce que j’avais qu’elles n’étaient pas humaines. Ces traces étaient visiblement très anciennes. Impossible à dater mais elles n’avaient pas dix ans. Je suivi leur indication et elles me ramenèrent au couloir. De l’autre coté de la grotte, elles allaient dans l’autre sens et la ligne indiquait elle aussi la sortie. Je suivie les traces et me retrouvais dans la grande grotte. Les mains étaient plus nombreuses encore et formaient des motifs qu’ils m’étaient impossible de saisir dans leur ensemble, faute d’une lampe assez puissante. Je pouvais éclairer quelques traces en même temps mais pas la paroi entière. Je suivis une ligne de mains qui se dirigeaient vers un des couloirs, plutôt bas. Je l’empruntais en baissant la tête. Ce n’étai pas celui que j’aurai naturellement choisi, probablement en raison de son étroitesse. Je marchais, courbée, suivant les traces des mains qui semblaient se multiplier comme si nous approchions du but et je me retrouvais face à la paroi lisse et sans issue. Je ressentis une frustration épouvantable. Je rebroussais chemin et me dirigeais vers un autre couloir pour m’apercevoir que lui aussi foisonnait d’empreintes qui toutes me dirigeaient à nouveau vers son extrémité fermée. Sur les huit couloirs, six étaient bloqués, tous portant des traces qui incitaient à aller vers le fond. Les deux seuls qui étaient accessibles, amenaient, pour l’un, à la grotte du fond et pour l’autre vers la sortie. Je retournais sur la banquette et je m’allongeais à nouveau, la tête sur mon sac. Je n’arrivais pas à comprendre la signification de ses empreintes qui, comme un marquage signalétique, donnait des indications que je ne parvenais pas à saisir. J’en étais là de mes réflexions quand j’entendis un bruit, comme un éboulement léger, des cailloux qui roulent sur le sol ou que l’on pousse. J’allais m’élancer quand je me souvins des conseils de prudence de Martial. Le temps que je farfouille dans mon sac à la recherche de mon revolver puis que j’éteigne ma lampe, je vis une ombre se profiler à  l’extrémité du couloir, dans la grotte d’entrée. Je me terrais au fond de la banquette tout en sachant que cela ne servirait à rien. Si quelqu’un ou quelque chose empruntait le tunnel, il me verrait forcement, j’étais piégée. Mais l’ombre n’entra pas dans le couloir, par contre je l’entendis distinctement chantonner ! Une vielle chanson très connue au vingt-et-unième siècle. Il me fallut un moment pour l’identifier puis soudain cela me revint, c’était « Viva la vida » d’un groupe qui s’appelait « Coldplay ». C’était très vieux, mais seul un humain pouvait la chanter avec les paroles ! Je me laissais glisser le plus silencieusement possible de la banquette et marchais sur la pointe des pieds dans le couloir. Le sol était parfaitement propre et je ne fis aucun bruit. L’inconnu non plus. S’il n’avait pas chanté, je n’aurais même pas su qu’il était là ! J’eus à peine le temps de le voir tourner dans un des couloirs étroits et sombres dans lesquels il semblait se diriger sans difficulté. J’accélérais le pas tout en conservant une distance prudente quand j’entendis de nouveau des bruits de pierre. Je courus jusqu’au fond du couloir malgré la quasi obscurité, espérant ne percuter personne, mais il était vide ! Arrivé au fond, face à la paroi, je fis une chose idiote, je me mis à crier :

– attendez, ne partez pas ! Dites moi qui vous êtes !

Mais personne ne me répondit et je n’entendis aucun bruit. Je tapais un moment sur le mur pour essayer de le faire bouger mais les roches semblaient scellées. Ce n’était probablement pas un mur mais plus certainement une porte avec une ouverture codée. Il fallait savoir l’ouvrir. Je m’escrimais longtemps, tâtant toutes les aspérités de la roche, cherchant un mécanisme sur les parois, mais je ne trouvais rien. Finalement je retournais sur la banquette, perplexe plus qu’angoissée et je mangeais lentement une autre portion de céréales vitaminées. je n’y comprenais rien, qu’y avait-il au fond de ces couloirs ? D’autres grottes où se terraient les premiers colons ? Qui avait laissé ces traces et fabriqué tous ces réseaux de couloirs ? Dans quel but ?

Je m’assoupis à nouveau, épuisée et sans réponse. Je me réveillais en sursaut. Debout, devant moi, se tenait un homme. Il devait avoir une trentaine d’année tout au plus. Il me regardait. Quand je me redressais, il mit un doigt sur sa bouche pour m’intimer le silence. Derrière nous, au bout du couloir, un groupe hommes traversait la grotte principale en parlant bruyamment. Je les entendis progresser puis leurs bruits s’estompèrent et ils disparurent.

– que faites vous là ? dit l’homme à voix basse. Vous êtes folle de venir ici toute seule !

– et vous, que faites vous ici, et qui êtes vous ? je criais presque.

– chut, ils pourraient vous entendre s’ils reviennent !

– de qui parlez-vous ?

– des gardes ! Ils me pistent depuis des jours. On dirait qu’ils me suivent à la trace. Quoi que je fasse, ils me retrouvent.

– vous n’avez pas de collier ?

– eh) s’exclama-t-il, je ne suis pas un esclave ! Et puis comment savez-vous pour les colliers ?

– j’ai étudié les fichiers du gouvernement.

– vous êtes membre du gouvernement ? demanda t-il d’un ton soupçonneux.

– oh non, je les ai fuis avec quelques amis, nous nous sommes installés…

– et bien parlez !

– non, je ne vous direz rien tant que je ne saurais pas qui vous êtes et d’où vous venez.

– d’accord ! Je suis arrivé il y a huit ans.

Vous étiez dans les derniers vaisseaux ?

– non, les vaisseaux ont arrêté de venir il y a deux ans. Avant ça, ils n’ont cessé d’apporter des cargaisons et des hommes durant des années. Vous n’imaginez même pas ce que j’ai vu débarquer sur cette planète. J’étais chargé de gérer les stocks d’œuvres d’art.

– des œuvres d’art ?

– oui, bien sur. Ils ont emportés tous le contenu de tous les musées du monde. J’ai listé, étiqueté et archivé tous les tableaux, toutes les sculptures, toutes les gravures, toutes les musiques, les partitions, les films, les photos…et j’en oubli. Mais j’ai travaillé trop vite. Quand j’ai eu fini, j’ai cru que je pourrais profiter d’un peu de répit. On m’avait promis une maison à Materia, mais ils sont venus me chercher en pleine nuit pour m’emmener sur le site des charniers. C’est là qu’ils tuent ceux qui ne leur servent plus à rien. Il y a des centaines, peut-être des milliers de corps enterrés ! Mais j’ai eu de la chance. Il y a encore quelques bandes de mercenaires qui errent. Ils sont arrivés à point nommés et ils ont attaqué les gardes. Dans la confusion, j’ai réussi à fuir. Sinon les mercenaires m’auraient tués eux aussi. Ils sont tous devenus fous sur cette planète. Tout le monde veut le pouvoir ! J’ai été capturé au bout de quelques mois et amené dans un camp proche des mines, mais j’ai réussi à m’enfuir à nouveau pendant la grande révolte des mineurs. Et vous, racontez moi votre histoire, mais dépêchez-vous, ils vont revenir bientôt. Je n’arrive pas à leur échapper bien longtemps.

– moi, j’ai fait parti de la grande migration, dis-je prudemment. J’ai atterrit il y a presque un an maintenant et j’ai fui le vaisseau présidentiel à bord duquel j’étais monté par erreur avec mon mari. Ils ont essayé de m’éliminer pour les mêmes raisons que vous. Je suis architecte, j’ai travaillée durant tout le voyage sur la conception de Materia. J’ai créé une ville magnifique qui répondait à toute leurs attentes et comme vous, j’ai travaillé trop vite et trop bien. Je les dérangeais et je ne leur servais plus à rien. Heureusement mon mari m’a sauvé et nous avons réussi à nous enfuir.

Il me dévisageait avec curiosité. J’avais rallumé la lampe pendant qu’il parlait, et même s’il portait des vêtements déchirés et usés, je constatais qu’il était grand, svelte et musclé. Sa peau bronzée apparaissait là où les vêtements ne la couvraient pas. Il avait un beau visage un peu tendu, des yeux bleus perçants et une bouche charnue et retroussé d’une sensualité sidérante. Soudain, il me revint une information que j’avais lue dans un des milliers de fichiers que j’avais consulté.

– attendez, vous permettez ? Il faut que je touche votre nuque.

Il eut un mouvement de recul.

– c’est-à-dire que je n’ai pas vu de femmes depuis longtemps, alors…

– non, vous ne me ferez aucun mal, parce que si je ne me trompe pas, j’ai probablement la solution à votre problème. Asseyez vous à coté de moi et tournez moi le dos. N’ayez pas peur.

– je n’ai pas peur de vous ! s’exclama-t-il.

– parfait, alors asseyez vous…

Il s’exécuta mais je le sentais tendu. Quand je posais mes doigts sur sa nuque, il sursauta. Je parcouru lentement la peau tannée et chaude de son cou et soudain je repérais la capsule :

– j’en étais sure, elle est là !

– quoi ?

– la capsule qui sert de balise. Je savais que j’avais lu un truc là-dessus : pas de colliers pour les techniciens, les ingénieurs et les chercheurs, mais des balises pour les localiser. C’est pour ça qu’il vous retrouve toujours ! Donner moi votre main, je vais vous montrer…

Il tendit se doigts hésitants et je les déposais sur l’imperceptible petite boule oblongue qui affleurais sous la peau.

– ça ? Mais je les toujours eu !

– non, on vous l’a implanté avant le départ. Dès que je vous l’aurais enlevé, vous irez la perdre loin dans la plaine et ils ne vous retrouveront plus jamais.

– comment comptez-vous me l’enlever ?

– je fais une petite incision avec mon couteau, je la retire, une compresse désinfectante, un pansement et dans deux jours vous ne saurez même plus que vous l’avez eu toutes ces années.

– je ne vous laisserais pas vous approcher de moi avec un couteau !

– très bien, alors continuez à courir avec votre balise qui leur donne votre position en permanence.

– non, ça ne marche pas dans les grottes. Ils savent que j’y entre, mais ils ne savent pas où je vais ensuite. C’est pour ça qu’ils ne cessent de repasser. Mais dès que j’en ressors il me retrouve.

– je comprends…Alors laissez-moi faire. Je vous semble dangereuse ?

– non, mais vous apparaissez là, soudain, vous êtes magnifique. J’ai presque du mal à croire que vous êtes vraie. Vous êtes vraie ?

– oui, bien sur, pincez-moi, vous verrez que je suis bien réelle !

– non, je vais éviter de vous toucher.

– parfait. Allez, laissez-moi faire !

– d’accord, je vous fais confiance mais c’est uniquement parce que vos yeux sont si beaux que je ne peux leur dire non.

-arrêtez de dire n’importe quoi.

– je ne dis jamais n’importe quoi. J’ai classé des milliers de tableaux et de photos représentants des femmes de tous les styles et de tout les âges mais aucune n’était aussi belle que vous.

– parce que moi je suis vivante…ironisais-je.

– probablement et incroyablement séduisante aussi. Vous n’avez pas peur de moi ?

– je devrais ?

– je ne sais pas. Je n’ai pas, enfin, je…

– je comprends, mais je suis sûre que vous ne me ferez rien.

– pourquoi ?

– parce que vous l’auriez déjà fait.

– c’est juste. Bon vous m’enlevez ce truc ou vous me tuez ?

– d’abord je vous l’enlève et si vous devenez agressif, je vous tue !

– c’est raisonnable.

– alors arrêtez de bougez et penchez vous un peu en avant. Ca va faire ressortir la capsule.

J’attrapais mon couteau, désinfectais la peau avec une lingette anesthésiante sortie de ma trousse de secours, puis nettoyais la lame et incisais délicatement la peau sur cinq millimètres. Il ne broncha pas. Ensuite, à l’aide de deux compresses, je poussais sur la capsule et la fis glisser par l’ouverture. Je l’attrapais en l’enveloppant dans une des compresses, puis je désinfectais et posais deux points américains sur la plaie que je recouvris d’un large pansement.

– voilà, tenez !

Je déposais la petite balise métallise dans la paume de sa main.

– je n’en reviens pas, c’est minuscule et ça m’a rendu la vie infernale durant deux ans. Merci ! Je ne sais pas comment vous remercier. Je crois que je vais vous embrasser…

Il était si proche que je pouvais voir l’ourlet de sa bouche captivante et la brillance de ses yeux hypnotique. Il s’approcha lentement et quand nos lèvres se rencontrèrent, je ressentis une décharge électrique qui me parcouru la colonne vertébrale, comme s’il m’avait électrifié. Je laissais sa bouche s’enhardir un peu puis je le repoussais doucement. J’étais à bout de souffle.

– arrêtez, il ne faut pas…

– vous avez raison, je risquerai de perdre le contrôle et votre mari…

– nous sommes séparé…

Je ne savais pas pourquoi je m’étais sentie obligée d’apporter cette précision.

– j’en suis désolé pour lui mais c’est une excellente nouvelle. Ecoutez, je dois partir. Je comprends que vous ne vouliez pas me dire où vous vivez mais dites moins au moins dans quelle partie du continent, au nord, au sud ?

– au sud, bien sur, comme pourrais-je aller au nord ? J’ai déjà eu du mal à parvenir jusqu’ici.

– ah bon, vous n’êtes pas venu par les grottes ?

– les grottes ? Non, je me suis fabriqué un deltaplane. Il est là haut sur la falaise et je vais rentrer…vers la pointe Sud Est.

– Un deltaplane ? Vous êtes de plus en plus étonnante ! Parfait, vous connaissez la grotte qui donne sur la plage ?

– oui, celle où j’ai trouvé la lampe.

– oui, celle là. J’espère que vous avez laissé la lampe ?

– non, je l’ai ramené…chez moi, je voulais la montrer…aux autres…

– vous n’auriez pas dû. Il ne faut pas y toucher. Personne ne doit savoir que vous y êtes allé. Tout doit toujours rester à sa place. Chaque trace que vous laissez ou que vous effacez, vous démasque. Ramenez là dès que vous pouvez et remettez là au même endroit. Je vous y retrouverai dans deux jours, vers le milieu de la journée, vous pourrez venir ?

– pourquoi voulez vous que je vous retrouve là-bas ?

– parce que je veux vous revoir. Maintenant que je ne vais plus être traqué, vous allez voir que je suis beaucoup moins fou que j’en ai l’air. Imaginez que vous soyez en fuite depuis deux ans sans savoir comment on vous retrouve tout le temps, il y a de quoi devenir dingue !

– je comprends…Je serais au rendez-vous et je ramènerais la lampe, dis-je un peu mécaniquement, troublée par l’insistance de ses yeux qui me fixaient tant que j’avais l’impression qu’ils pouvaient lire dans mon esprit.

– vous permettez ? dit-il en se penchant et en m’embrassant à nouveau délicatement. C’est toujours aussi délicieux ! Non je vous assure, c’est vous, c’est bien vous. Vous êtes splendide et délicieuse. A bientôt…Ne me suivez sous aucun prétexte. Restez ici et dès qu’il fera jour, reprenez votre engin volant et disparaissez.

Il s’apprêtait à partir et je m’étais levée pour le regarder encore, quand il se retourna brusquement et m’embrassa avec fougue en me serrant violement contre lui puis il me relâcha et s’éloigna en disant à nouveau :

– délicieux !

Je titubais presque tant j’étais bouleversée par cette étreinte passionnée. Le temps que je réagisse, il avait disparu. J’entendis les cailloux bouger, puis le silence revint. Je me terrais au fond de la grotte, espérant que les gardes ne reviendraient pas et je caressais mes lèvres brulantes du bout des doigts. Délicieux était un faible mot pour qualifier cet embrasement qui m’avait saisit lors de ce dernier baiser. Délicieux…j’adorais ce mot.

Dès le levé du jour je me faufilais hors de la grotte et grimpais sur la falaise. Le deltaplane n’avait pas bougé. Je le détachais, ramassais pitons, sangles et cordes que je rangeais soigneusement dans mon sac et m’envolais du sommet en priant pour que les courants soient assez puissants pour me permettre de décoller, car je manquais d’altitude. Je rasais presque le sol quand une brise me souleva et m’emmena suffisamment haut pour que je repère les collines et les remontent les unes après les autres, puis l’océan apparu et je lui criais :

– DELICIEUX ! à plusieurs reprises, grisée par le frais vent marin et la douceur du soleil qui se levait, illuminant les vagues et les rendant scintillantes sous ses rayons clairs.

Je fus de retour au village en fin de matinée car je dus lutter contre le vent de l’océan qui tentait de m’entrainer au large. Je me posais sur la piste et le long miaulement de réprobation de Boulette m’accueillit. Je rangeais le deltaplane dans son hangar, vérifiant soigneusement la voilure plastique et les divers attaches et soudures. Tout allait bien. Je rentrais à la maison, trébuchant sur le chat qui s’enroulait dans mes jambes à chaque pas. Je lui servit un plein bol de nourriture et mangeais tout ce que je trouvais en murmurant « délicieux… » à intervalles réguliers.

Martial fit soudain irruption dans ma cuisine en hurlant :

– alors comme ça tu rentres et tu ne me préviens même pas !

– désolée Martial, j’étais fatiguée et j’avais faim…

– ça c’est mal passé ?

– non c’était…délicieux…

– qu’est ce que tu racontes ?

– rien, je plaisante. En fait, je n’ai rien trouvé.

– pourtant tu as disparu des écrans pratiquement toute la nuit ! J’étais mort d’angoisse !

– ça alors ! C’est quand je suis rentré dans la grotte. Je l’ai explorée et je m’y suis endormie. Je n’en suis ressortie que ce matin…

– oui, je sais. C’est comme ça que je sais que tu es rentrée. Et tu y as trouvé quelque chose d’intéressant ? dit mon ami qui commençait à se calmer.

– rien que de nouveau mystères, mais je t’en parlerai plus tard. Il faut que je dorme…

– je croyais que tu avais dormi toute la nuit ?

– plus ou moins, et puis j’ai beaucoup bataillé avec le vent pour rentrer, ça m’a épuisée. J’ai les bras engourdis et les épaules douloureuses. Allez, laisse moi dormir. On parlera plus tard. Je passerai vous voir à l’atelier et je frapperai avant d’entrer.

Il sourit et se retira en me souhaitant de bien dormir.

Je me pelotonnais dans mon lit, Boulette en bouillotte contre mon ventre, même s’il ne faisait vraiment pas froid et je revécu ces baisers, le dernier en particulier, une centaine de fois avant de réussir à trouver le sommeil. Je ne lui avais même pas demandé son nom, ni dit le mien. Quelle rencontre extraordinaire ! J’étais partie à la recherche des premiers colons et j’en rencontrais un qui avait des milliers de choses à m’apprendre et qui de surcroit, était si séduisant que je me sentais fondre rien qu’en revoyant son visage dans ma tête. Je ressentais l’étreinte de son corps musclé et puissant contre le mien et la chaleur s’emparais de moi comme s’il me serrait encore. J’avais à nouveau quinze ans et c’était délicieux !

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