SUR LE FOND – Chapitre 5 – Le soleil

Chapitre 5

Le soleil

J’ai roulé un moment, traversant le village aux volets fermés jusqu’aux beaux jours,et j’ai aperçu l’enseigne du supermarché. J’ai hésité. J’ai fait trois fois le tour du rond-point désert en cette belle matinée de printemps puis le visage de Thomas m’est revenu en mémoire et je me suis garée.

J’ai errée un moment dans les rayons, désœuvrée. Je n’avais plus de courses à faire, plus de repas à préparer, plus de linge à laver et à repasser, plus de ménage qui m’attendait à la maison. Je n’avais plus de maison non plus. Je n’avais besoin de rien et c’était très nouveau pour moi qui passais mon temps à faire des listes pour ne rien oublier, qui réfléchissais toute la journée au menu du soir pour que mon mari soit content. Finalement, j’ai avisé le rayon vêtements. Pas très grand et peu fourni, il offrait tout de mêmes quelques modèles de sous-vêtements, des maillots de bains assez laids – probablement les invendus de l’été précédent – et quelques vêtements basiques. J’ai attrapé trois tee-shirts à ma taille, un pull et un gilet, un jean tout simple, quelques culottes en coton et un petit soutien-gorge blanc sans fioritures. Le choix du maillot a été plus difficile. Ils étaient très laids. Surtout les modèles une pièce avec leur bretelles larges, leur renfort au ventre et leurs coques de poitrine raides. J’ai finalement dégotté un modèle adolescent dans le rayon enfant. Une petite culotte à fleur et un petit haut triangle assorti, le tout agrémenté d’un volant bleu sombre à peine visible. Je n’allais pas faire la difficile, ça m’allait et c’était bien suffisant. Je suis ressortie du magasin avec mes achats et je me suis sentie soulagée d’un poids. Je commençais à construire quelque chose. Ça n’était presque rien, des prémices, mais ça me faisais du bien.

J’ai repris la voiture et j’ai longé l’étang. Une route partait à travers de hauts buissons. Je l’ai empruntée en cahotant dans les ornières sur un bon kilomètre et je me suis arrêtée à son extrémité, sur une sorte de presqu’ile de terre rouge, pointe de terre abandonnée qui s’avançait dans l’eau. Quelques cabanes en ruines attestaient d’une vie antérieure. L’étang, bleu profond, s’étirait presque à perte de vue à ma gauche. Au loin, je distinguais à peine le liseré de la terre. Mais à droiteen arrière-plan, au-delà des premières collines verdoyantes ou se mêlaient le sombre de la garrigue et le tendre des jeunes pousses de vignes, se dressaient, superbes, les trois pics enneigés des Pyrénées. Je me suis assise sur un large rocher qui, avec d’autres assemblés en cercles, avait contenu un feu, et j’ai contemplé ce paysage envoutant. La mer et la montagne se côtoyant, se rejoignant à l’horizon. Je les embrassais du regard et leur contraste me touchait plus que tout ce que j’avais pu contemplerjusque là. L’air était saturé d’iode et d’un relent de pourriture émanant de l’étang qui ne me dérangeait pas. Presque à mes pieds, une écume beige et épaisse, comme de la mousse de savon solidifiée, promenait sa lèvre sale sur quelques centimètres. Les mouettes volaient bas en poussant des cris retentissants et quand enfin elles se taisaient, la nature bruissait de mille vies. Un léger vent s’était levé, froid, vif, acéré. Je l’ai supporté un moment puis, le sentant traverser cruellement les mailles lâches de mon pull, j’ai trouvé refuge dans la voiture. Là, dans l’habitacle protecteur, j’ai contemplé le paysage et ma vie comme à travers un écran. Le panorama me semblait presque surréaliste et je l’aurais pensé irréel si je ne l’avais pas contemplé de mes propres yeux quelques minutes auparavant. Me trouver là, seule, sur cette étendue perdue, abandonnée par les hommes, m’effrayais un peu mais j’ai contenu cette angoisse en essayant de me projeter dans l’avenir. J’hésitais encore. J’avais déjà parcouru tant de kilomètres, je pouvais rester…ou continuer…Le visage de Paul se superposait à celui de Thomas. La brutalité de mon mari, la douceur de ce jeune homme. J’étais confuse, égarée. C’est la fatigue qui l’a emporté. Elle m’a conseillé de faire le choix le plus simple, celui qui devenait si évident au fur et à mesure que la voiture me reconduisait à la maison de la falaise. Me poser, m’arrêter, rester, retrouver Thomas. J’ai franchi le portail, remonté l’allée presque en courant, grimpé les escaliers et je me suis jeté dans ses bras. Il m’attendait. Il m’a réceptionné, serrée contre lui, blottie. Il ne m’a pas lâché, même quand ila fallu que je me déshabille. J’ai gardé mon pull roulé en boule sous mon menton et il m’a fait l’amour avec tant de passion et de tendresse que j’ai joui comme on ouvre une fleur, pétale après pétale, jusqu’à dénuder le cœur et à la fin il ne restait plus que ma peau brulante et son souffle chaud et tendu dans mon cou. Nos corps étonnés se sont assoupis, cheveux emmêlés sur le grand canapé dans les rayons joyeux du soleil de midi. Je me suis réveillée lentement ; il avait dû bouger. J’ai eu un instant de panique, j’ai cru que c’était Paul. Son corps plaqué au mien me rappelait de mauvais souvenirs mais quand j’ai ouvert les yeux, il me regardait et son sourire m’a rassuré. Je l’ai embrassé, reconnaissante :

– merci, je lui ai dit.

– de quoi ?

– d’être toi.

– merci à toi d’être revenue.

– …j’ai acheté un maillot…alors…qu’aurais-je pu faire d’autre ?

Il a ri et il m’a embrassé. Ses boucles un peu longues m’ont chatouillée et j’ai ri avec lui.

– je me sens bien avec toi, tu es si…

– je suis si quoi ? J’ai dit, un peu tendue.

– si douce, si simple…enfin, si facile à vivre…tu m’embrouilles avec ton regard noir. Ce que je veux dire c’est que tout à l’air simple avec toi. Tu es là et je suis heureux, c’est ça, c’est simple.

– simple…je ne crois pas savoir ce que c’est. Rien n’est simple sinon je ne serai pas là.

– et si tu te trompais, si c’était ça justement qui était simple ? Que tu sois là, quelques soient les raisons qui t’y ont amenées. Si tout cela avait pour but que tu sois là, sur ce canapé, maintenant, pour que je puisse à nouveau te faire l’amour.

J’ai senti son sexe durcir le long de ma cuisse. Je l’ai embrassé, savourant le désir qui envahissait mon corps. Je me suis redressée et je l’ai regardé. Il était si beau. Son corps encore presque adolescent me donnait envie de le protéger. J’ai caressé sa queue dure et chaude et elle a frémit dans ma main. Elle était douce. Son extrémité pointue, fendue d’une petite ligne plus sombre sur le rose pâle du gland, m’a attiré. J’y ai posé mes lèvres et il m’a laissé faire, il s’est offert à moi sans résistance. Je l’ai savouré un moment, le gardant dans ma bouche jusqu’à ce qu’il gémisse doucement en caressant mes cheveux. Alors, délicatement, je l’ai fait jouir, laissant le sperme chaud se répandre dans ma gorge, le gouttant avec plaisir. Il était liquide et anisé, il coulait facilement. Rien à voir avec le sperme épais et gluant de Paul que j’avalais en fermant les yeux comme on se force à avaler un chewing-gum, avec répulsion. Ses gémissements sont devenus des cris purs et légers, comme si le plaisir le parcourait lentement de part en part. Il s’est enfoncé dans le canapé, les yeux brumeux et le sourire doux.

– viens là, il a dit en me tirant doucement à lui, viens, je veux te sentir contre moi. Je me suis rallongée à ses côté et il a ajouté :

– et toi, qu’est-ce que tu veux ?

-…toi…

– bon, ça je peux.

Il s’est retourné lentement jusqu’à ce que son corps soit au-dessus du mien. J’ai écarté les cuisses et il est entré. Tout simplement. Il y a des évidences qu’on ne peut ignorer. Il a pris son temps et je l’ai laissé faire, je n’ai pas forcé, je n’ai pas réclamé, j’ai attendu que ça monte régulièrement et ça a explosé dans l’extrémité de mon sexe, dans mon ventre, dans ma chair.Ça a couru le long de ma peau,aussi longuement que le cri sans fin qui est sorti de mes lèvres ouvertes. Je l’ai regardé jouir, tendu, concentré, les yeux rivés aux miens, attentif et heureux. Il a souri et je l’ai serré dans mes bras si fort que j’aurai pu l’étouffer.

– Virginie ?

– oui,

– arrête, tu me fais mal.

– pardon !

J’ai laissé tomber mes bras le long de mon corps, effarée et honteuse. C’était si facile de faire mal…

– je suis désolée, je ne voulais pas…

– je sais, ne t’en fais pas.

Il a déposé un baiser tendre sur mes lèvres et il a dit :

– tu as faim ? Viens, on va manger.

Il s’est levé et il a enfilé à nouveau sa robe de chambre. J’ai tâtonné pour trouver ma culotte et j’ai redescendu mon pull.

– Thomas, on a pas mis de préservatif !

– oh, tu sais, ça fait un petit moment que je suis célibataire et je me suis toujours protégé. Quant à toi, il me semble que tu étais mariée…

– quand même !

– ne t’en fais pas. Je sais ce que je fais, avec moi tu ne risques rien et j’ai confiance en toi.

C’était tellement plus qu’on ne m’avait jamais dit ! Personne ne m’avait fait de si belles déclarations. Ça semble stupide, à posteriori, mais j’étais si peu habituée à être aimée que ça m’a émue aux larmes. Il m’a pris dans ses bras, contre le tissu épais, et il m’a embrassé les cheveux en me berçant comme une enfant.

– je…je t’aime…

– non, tu ne peux pas. Tu me connais depuis hier. Je ne suis rien pour toi, tu as une vie, une famille…

– Virginie je t’aime. Ne me demande pas comment c’est possible, je le sais, c’est tout. Je t’ai vu hier matin sur la plage et j’ai eu envie de te rejoindre immédiatement. Je te regarde, je t’écoute, je te respire, je t’embrasse, je te touche…

– arrête !

– je te caresse, je te fais l’amour, je te désire et je t’aime.

– c’est pas un jeu !

– non, c’est une énumération  et j’en ai oublié mais c’est la vérité.Je t’aime, c’est une évidence.

Je comprends ce qu’il veut dire parce que je l’ai ressenti aussi cette sensation d’être là où je devais être mais je n’ai pas le droit de lui imposer mon histoire, mon passé, mes peurs et mes secrets. Moi aussi je peux énumérer, mais je ne dis rien, juste :

– on mange ?

Il me lâche et se dirige vers la cuisine où il retire un plat du congélateur et l’enfourne dans lemicro-onde.

Nous restons silencieux durant un long moment. Ce n’est qu’après avoir nettoyé nos assiettes que je lui dis :

– qu’est que tu aimes ? Comme il ne répond pas, je précise :

– manger…

– ah ! Tout ; ça m’est égal.

– non, ton plat préféré, c’est quoi ?

– je ne sais pas…mon plat préféré…des paupiettes de veau avec du riz. Ma mère les fait avec des olives et des amandes effilées, c’est délicieux.

Je t’en ferai ce soir si tu veux.

– non, je ne veux pas que tu cuisines pour moi.

– ça me fait plaisir. Tout à l’heure j’irai faire quelques courses et je te préparerais un bon repas. Tu aimes le soufflet au citron ?

– je n’en ai jamais mangé mais je suis sûr que je vais aimer. Mais tu n’as pas besoin de faire tout ça. Il y a tout ce qu’il faut ici…je n’aipas envie tu repartes…

– Je le dois !Ma réputation de cuisinière est en jeu.

Il rit.

– bon, d’accord, mais d’abord on va se baigner. Je suis sûr que tu n’es pas capable de rentrer dans l’eau !

– alors ça, méfies toi, je pourrais t’étonner !

Je vais mettre mon maillot, tu viens ?

– j’arrive, je dis en attrapant le sac resté intact en haut des escaliers. Je le suis dans la chambre où sans hésitation, il ôte sa robe de chambre et attrape un grand bermuda rouge et bleu qu’il enfile aussitôt.

– alors, ce maillot ? Tu me montres ?

Je sors l’ensemble du sac. Il parait ridiculement petit dans mes mains, mais quand j’enfile la culotte, après avoir fait glisser l’autre en me tortillant sous le long pull, elle me va parfaitement. Elle couvre à peine mes fesses mais elle ne me serre pas. Je suis obligé d’enlever le gros pull pour attacher le soutien-gorge, alors je me retourne, gênée. Je bataille un peu avec les ficelles qui ne serrent pas beaucoup. Le soutien-gorge forme un petit cache pour ma poitrine mais ne couvre pas le plus gros des bleus qui déborde jusque sous mon aisselle et descend le long de mes côtes. Thomas me regarde et y dépose délicatement un baiser avec une grimace de douleur. Je repense à cette soirée, il y a une semaine, où Paul s’est approché de moi, l’œil vicieux. Je repense à cette conversation absurde dans laquelle il m’a entrainé pour m’ordonner ensuite de « fermer ma gueule ». J’attendais les coups, ils allaient venir, ce n’étaient qu’une question de temps, et depuis quelques mois, Paul aimait faire durer. Parce qu’il ne me faisait plus l’amour, alors il avait tout son temps, toute sa soirée pour me martyriser jusqu’à ce que le mot de trop, le geste, le regard – peu importe ce qui le faisait partir – déclenche le premier coup. En général une gifle qui me faisait tomber par terre ou ricocher contre le mur. Ensuite, les coups de pieds si j’étais par terre. Mais ce qu’il préférait, c’était les coups de poings. Je le voyais prendre littéralement son pied à frapper avec la même détermination qu’il mettait à baiser. Le rythme, la cadence, même les cris y ressemblaient. Il ne s’arrêtait que quand le sang commençait à ruisseler et il me forçait à nettoyer tout de suite. Il ne voulait pas que ça tache. Alors, épongeant mon visage et mon corps avec mes vêtements sales, je lavais le sol en essayant de ne pas faire tomber des gouttes de sang. Puis je me retirais dans la salle de bain où je m’enfermais. Il ne venait jamais me chercher après mais je me sentais si fragile, si vulnérable, que ça me rassurait un peu. S’il l’avait voulu, il aurait fait sauter la porte d’un coup d’épaule. Ma protection était symbolique mais je n’avais que ça. Je prenais une douche, évitant de mouiller les parties de mon corps trop amochées puis je me séchais. Je me pansais comme je pouvais :désinfectant, gaze, sparadrap, bandage,anti-douleur, arnica. J’avais tout ce qu’il fallait. Cela faisait bien longtemps que je n’allais plus aux urgences. Ils posaient trop de question. Une fois, Paul lui-même avait dû m’y emmener quand je m’étais évanouie. Je ne me réveillais plus, il avait eu peur. Il m’avait déposé devant les urgences et un jeune type qui fumait une cigarette m’avait découverte inanimée sur un banc. Je souffrais d’une commotion cérébrale sévère. Les médecins craignaient que je ne recouvre pas toute mes capacités, mais j’étais coriace, et j’avaissurvécu, comme toute les autres fois. Elles furent si nombreuses ! Ce bleu et le dernier vestige de ce passé que je tais à Thomas. Je saisis la serviette qu’il me tend et regrette de ne pas avoir trouvé une petite robe pour sortir sur la plage.

L’après-midi est bien entamé et le soleil a chauffé le sable qui crisse sous nos pieds nus. Juste dessous, à quelques millimètres, il est reste froid. Je dépose ma serviette et m’approche de l’eau. Elle vient à moi tranquillement, d’une vaguelette insouciante. Elle me lèches les orteils et repart aussitôt. J’ai le temps de ressentir le froid glacial sur ma peau et je me dis que ce n’est peut-être pas une si bonne idée. Au loin, plus proche du village, des promeneurs baladent leurs chiens sur la plage. Monsieur Alexandre, qui nous a accompagnés, se tient sage, profitant de la chaleur et du plaisir d’être au grand air. Thomas s’approche et me tenant par la taille, attend la vaguelette suivante. Il pousse un cri et dans un grand rire, se réfugie sur le sable chaud en disant :

– oh, non ! Moi, j’y vais pas ! Elle est trop froide !

– mauviette !

– parle, tu n’y as pas mis un pied !

– regarde…

Je m’avance lentement, laissant le froid aborder mes chevilles puis remonter le long de mes mollets. Arrivée à mi-cuisse, j’ai un temps d’arrêt. J’ai la chair de poule et je devrais renoncer mais la douleur qui brule ma peau reste supportable et je sais que quand je l’aurais dépassée, je serais heureuse de nager.Alorsje m’enhardis et, tout en mouillant mon corps avec mes mains pour le préparer à la sensation cuisante, je continue à avancer.

Thomas crie :

– Virginie, arrête, elle est vraiment trop froide !

– ne t’inquiète pas, je me suis baignée dans la mer du nord. C’était bien pire. Prenant mon courage et une grande respiration, je me laisse tomber dans l’eau. Je nage le plus rapidement possible pour faire circuler mon sang qui se fige sous l’effet du froid et j’entends les cris d’encouragements de Thomas, resté prudemment au bord de l’eau. La première sensation est terrible. Ce froid glacial qui me saisit se transforme rapidement en brulurepuis ma peau s’habitue et je me sens bien. Mais je ne peux pas arrêter de nager, le froid est trop intense pour rester sans bouger. Je parviens à me maintenir au moins cinq bonnes minutes. Puis soudain, le froid devient incontournable, si insupportable que je sors de l’eau en criant. J’ai le gout du sel dans la bouche et j’aime bien cette sensation. Je me réfugie dans la serviette que me tend Thomas et dans laquelle il m’enroule en me serrant contre lui. Il voudrait me frotter mais je ne le laisse pas faire, ma peau souffre trop. La douleur est partout comme si on m’avait pelée et que mes chairs étaient à vif. Thomas se contente de me tenir contre lui pour me réchauffer en relâchant la pression de ses bras dès que je crie de douleur.

– petite folle, il dit, je ne pensais pas que tu le ferais !

– je te l’avais dit, je parviens à articuler en claquant des dents.

– regarde toi, tu es glacée, tes lèvres sont violettes !

– et je ne sens plus mes doigts, regardes mes mains sont toutes blanches, je lui dis en lui tendant deux extrémité presque jaunes et inutiles.

Il tente de les réchauffer en soufflant dessus mais cela ne sert à rien. Le sang s’est retiré et je dois courir un moment sur la plage, accompagné du chien qui semble trouver l’exercice très drôle, pour que ma circulation se rétablisse. Enfin épuisée, je me blottis contre Thomas qui s’est assis sur le sable encore tiède. Nous restons longtemps à contempler la mer. Nous sommes si bien. La plage est à nous. Les promeneurs ressemblent à des petits bâtons colorés dans le lointain. Le chien s’est couché contre mes jambes et je l’en remercie silencieusement en lui flattant la tête. Il me tient chaud. Quelques bateaux à moteur passent au loin et de petites voiles blanches agrémentent l’horizon.

– C’est toujours comme ça ?

– le week-end, il y a du monde. Un peu plus. Et l’été tu ne trouves pas une place pour te garer. Mais on est loin de l’envahissement de la Côte d’Azur. On peut encore s’installer sur la plage sans se marcher les uns sur les autres. Quand tu vas sur la plage surveillée, là, il y a beaucoup de monde. Mais, tu as vu comme elle est étrange ? Elle est immense ettoute plate, et tout à coup, elle descend en pente raide jusqu’à la mer. Les vacanciers semassent tous là, dans la descente. Tu me diras, ils ont raison, sur le reste de la plage, éloignée de l’eau, le sable est si brulant qu’il est impossible d’y marcher pied nu. D’ailleurs, tu vois la petite ligne sombre là-bas, dit-il en me montant un point indistinct – mais je hoche tout de même la tête.  C’est un chemin en bois qui même jusqu’à la mer, ou presque. Pour circuler sans se bruler les pieds  et crois-moi que l’été, on dirait une colonie de fourmis. Mais pas ici. La plage est plus étroite par ici et les gens savent qu’on se gare mal. Alors, seuls ceux qui connaissent y arrivent. Et encore, beaucoup dépassent les rocher, là-bas, pour aller sur les plages naturistes. Dit-il en montrant l’extrémité est de la plage où les rochers rejoignent l’eau.

– ah bon ? Il y a des naturistes ?

– oui mais il y a surtout quelques très jolies petites plages que l’on atteint par la falaise ou en bateau. Je t’y emmènerai, tu verras, c’est magnifique.

– d’accord, je lui dis en me calant contre lui.

Je suis bien. Mon corps s’est réchauffé et la baignade a chassé momentanément Paul et mes problèmes.

– Au fait, tu avais raison, tu y es allé et pas moi.

– je sais mais je n’ai pas de mérite. Là d’où je viens la mer est grise et glacée même l’été. Une fois, je suis descendu plus au sud, à Étretat, tu connais ? J’ai trouvé l’eau très agréable. C’est pour te dire.

– Étretat, c’est le sud ?

– pour moi, oui.

Mais tu viens d’où, d’Islande ? De Norvège ? Tu es une petite esquimaude ?

– non, juste du nord, du nord Est très exactement.

– on fait pas plus précis que ça, dit-il en riant. Tu ne veux pas m’en dire plus ?

– viens, on rentre, il faut que je me douche et que j’aille faire les courses.

– eh, il faut, il faut ! On a tout notre temps.

– non, toi tu dois travailler et moi je dois te faire à manger.

– non, tu ne dois pas. Tu le veux, mais rien ne t’y oblige, précise-t-il doctement.

– si, les plats surgelés, j’en ai eu assez pour…longtemps !

– t’es dure là, c’est ma nourriture depuis presque deux mois !

– raison de plus pour que je te cuisine quelque chose de bon et de frais ! Tudois avoir pleins de carence. J’irais aussi acheter des fruits et des légumes, j’ai vu que tu n’avais rien et des céréales pour le petits déjeuner.

– j’ai des céréales, tu sais les petits carrés fourrés au chocolat.

– ça, c’est pas des céréales, c’est un truc dégeu qu’on donne aux enfants quand on ne les aiment pas !

– eh ! C’est ma mère qui me les a achetées !

– pardon, mais quand même. C’est pas bon.

– tu sais, pour les fruits et les légumes, attends demain, on ira au marché. Au supermarché, ils sont chers. Et puis ça nous fera une sortie.

– d’accord, mais je dois quand même aller acheter de quoi faire les paupiettes.

– mais tu es terrible toi, tu ne tiens pas en place.

– je sais ; c’est ma nature.

– je vais t’apprendre à devenir un peu feignasse, moi !

– ça veut dire quoi : feignasse ?

– paresseuse.

– ça va être dur. Je crois que je ne me suis pas arrêté depuis que j’ai seize ans et encore, même avant, j’aidais ma mère à la maison. Bon allez viens, on y va !

– d’accord ! dit-il en se levant soudainement, le premier arrivé fait l’amour à l’autre.

J’ai beau partir comme une dératée, il est plus jeune et plus en forme. En quelques enjambées amples et rapides il m’a doublé et se paie même le luxe de me narguer dans la montée. Quand j’arrive en haut des escaliers, il m’attend comme le matin, et il me cueille dans ses bras. Mon maillot mouillé valse à travers la pièce et me revoilà, voguant sur une mer de délice. Il prend son temps.

– il faut que je te réchauffe complètement, il dit.

Mais c’est inutile, je suis déjà parfaitement à température et je me sens si bien que je fais durer le plaisir. Quand je sens arriver l’orgasme, je le freine doucement, une simple crispation du vagin, un léger effleurement de mes mains sur les fesses de thomas et il ralentit. Le plaisir se transforme en boule brulante que je maintien muselée, présence presque insoutenable dans mon vagin. Chaque mouvement, même lent, chaque frottement de son gland au fond, de sa queue qui écrase mon clitoris, est un défi à relever. Tenir, repousser le plaisir qui brule toujours,encore un peu, un peu plus longtemps, et puis le laisser exploser, me prendre et m’emporter en vagues lentes mais irrépressibles. Il se déclenche au fond de mon corps et se répand partout à une vitesse prodigieuse. On dirait de la lave qui court le long de ma peau. On dirait des boules de feu qui explosent dans mon ventre. Tant qu’il bouge, et il bouge longtemps, je les sens qui reviennent sans relâche. Elles sont là, présentes, chaudes, et comme moi, elle hurle leur joie. Quand j’ouvre les yeux, thomas semble étourdis.

– ça va ?

– oui, ça va, je n’avais jamais donné autant de plaisir à une fille et je t’avoue que j’en suis très ému.

Je repense aux orgasmes violents et brutaux que Paul savait provoquer en moi et je les compare à ce plaisir heureux que je vie depuis deux jours. Avec Paul, le sexe était une dépendance. Il me tenait. Je lui appartenais et même si j’aimais ça, je ne me sentais pas libre. Il fallait le sucer quand il le disait, me laisser enculer quand il le voulait. Je n’avais pas le choix. Au demeurant ça m’allait tant qu’il m’aimait et me faisait jouir. Mais grâce à Thomas je réalise à quel point notre univers était sombre. Sexe, odeurs, sueurs, violence. Positions acrobatiques, forcées, imposées. Relations sadiques que j’acceptais et que j’avais appris à aimer. Avec Thomas, l’amour est lumineux, épanoui, heureux et tendre. C’est le pendant solaire de mes dix années de baise. Je fais l’amour. J’apprends et c’est bon.

– je me sens bien avec toi, ça fait du bien. Je n’ai plus peur. J’ai lâché ça dans un souffle et je m’en veux. Je ne dois pas lui faire partager cet univers. Il n’a pas à savoir tout cela et le reste. Les autres filles qui venaient à la maison et que Paul baisait dans le garage, même quand j’étais là. Je ne peux pas lui raconter tout ça où je le perdrais et je me perdrais avec. Parce que c’est la pire chose qu’il m’ait fait subir. Il savait que je l’entendais, que je les entendais. Parce il faut lui reconnaitre ça, il arrivait toujours à les faire jouir. Peut-être qu’il savait bien les choisir. Elles me ressemblaient si peu en fait. Des blondes provocantes, c’était ce qu’il préférait. Des Vanessa Rabatto avec leurs seins siliconés et leurs cheveux décolorés. Je pouvais même les voir à travers la lucarne de la porte de séparation. Parfois, il m’y surprenait, pleurant, le ventre en vrac et le moral en berne. Une fois, il avait voulu que je participe mais je m’y étais refusée, bravant les coups qui n’avaient manqués. Ça, je ne pouvais pas le faire. Je pouvais m’avilir avec lui tant qu’il le voulait, c’était mon mari. Mais je refusais que d’autres entre dans ma vie privée. C’était tout ce qui me restait. Une petite sphère intime dans laquelle il me frappait et me donnait du plaisir.

 

– donc vous saviez que votre mari vous trompait !

– je n’ai jamais dit le contraire ; bien sûr que je le savais  mais ça datait du début. Dès le début il m’a trompé. En fait, pour être exacte, c’est la blonde qu’il a trompé avec moi,au début. Parce qu’ils étaient ensemble. Et puis, allez savoir ce qui lui a pris, il s’est entiché de moi et il a décidé de m’épouser. Là, il s’est mis à me tromper. Mais il n’a jamais cessé de coucher avec d’autres femmes.À commencer par cette fille qu’il voyait régulièrement. Je l’ai toujours su. On ne peut pas garder pour soi un homme qui a un tel appétit. Il voulait les posséder toutes ! Il ne pouvait pas voir une femme sans la convoiter et comme il avait beaucoup de charme et qu’il était très beau, dans son genre, je rajoute, parce que maintenant je sais ce qu’est la vraie beauté, aucune ne lui résistait, même si ça devait lui prendre du temps. Et puis un jour, une autre passait, et la chasse reprenait. Parce que c’est ce qu’il faut comprendre pour avoir une image réelle de lui, c’était un chasseur. Tout à l’heure j’ai parlé d’un lion, et bien, c’est tout à fait ça : un prédateur sexuel. Attention, il n’a jamais tué ni violé personne. Il n’avait pas besoin, il avait un charme fou et une capacité de persuasion hors du commun. C’était un excellent commercial.

– je ne vous comprends pas madame Fauré.

– Sappa, Virginie Sappa, s’il vous plait.

– Virginie, je ne comprends pas votre déposition. Vous vous rendez compte que vous me donnez tous les éléments dont j’ai besoin pour vous accuser du meurtre de votre mari ?

– non, je ne vous donne aucun éléments, je vous explique ma vie et qui était mon mari pour que vous compreniez pourquoi je suis partie quand je l’ai trouvé mort, et pourquoi j’ai décidé de disparaitre. Je veux que les choses soient claires. Je suis restée silencieuse trop longtemps. Alors je vous explique. Et puis le temps a passé, ma vie est si différente maintenant. Vous ne pouvez pas comprendre. Je dois en finir avec tout ça pour pouvoir définitivement passer à autre chose, vous comprenez ?

Il semble songeur. On dirait que quelque chose dans ma réponse l’a fait réfléchir. Tant mieux. Je veux qu’il comprenne et qu’on tourne enfin cette page.

– j’aimerai tant vous croire mais il demeure tellement de questions autour de la mort de votre mari que c’est difficile. Par exemple, pourquoi lui avoir mis le torchon sur la figure ?

– quel torchon ?

– quand nous avons trouvé son corps, quelqu’un lui avait posé un torchon sur la figure. Or, nous savons que quelqu’un est entré dans la maison dans l’après-midi et n’a pas vu de torchon. Bon, vous avez au moins éclairci le problème du couteau puisque vous reconnaissez l’avoir vous-même enlevé.

– oui, je vous l’ai dit. J’étais encore conditionnée. J’avais peur qu’il me frappe s’il trouvait quelque chose dérangé, comme s’il allait se réveiller ou revenir d’entre les morts. Je n’en sais rien. Je crois que je n’ai pas réfléchis de façon rationnelle. J’ai juste pensé que le couteau ne devait pas restait là, comme je l’aurai fait avec n’importe qu’elle objet qui n’aurait pas été à sa place dans la maison.

– bon, admettons. Je comprends l’histoire du conditionnement et du geste irréfléchis dicté par la peur et la surprise. Mais le torchon ? Pourquoi lui a-t-on poser un torchon propre sur le visage ? Vous ne trouvez pas cela très étrange ?

– Je pense que vous devriez demander à la personne qui l’a tuée, si elle n’est pas revenue plus tard, après mon départ.

– je le voudrais, je l’ai fait d’ailleurs, au début de l’enquête, mais malheureusement, ce n’est plus possible.

– alors vous resterez avec vos interrogations car je n’ai pas la réponse à vos questions.

Je m’évade à nouveau et je retourne auprès de Thomas qui déguste mes paupiettes en faisant des « hum ! » de contentement. Je le regarde manger pendant que je picore dans mon assiette. La faim qui me tenaillait le ventre depuis deux jours est enfin partie. Il semblerait que j’ai réussi à me rassasier. Je mange tout de même plus que dans les derniers mois avec Paul ou je ne parvenais qu’à grignoter tant mon estomac était noué. Je vomissais régulièrement des filets de biles acides qui me retournaient l’estomac, me brulant l’œsophage et la gorge pendant des heures.

Le lendemain matin, comme il l’avait suggéré, nous sommes allé au marché et je me suis pendue à son bras, si heureuse de me sentir libre et en sécurité. Puis j’ai vu mon visage en pleine page dans le journal. Et le froid s’est à nouveau installé. Je n’ai rien dit à Thomas et j’ai espéré qu’il ne le lise pas. Il n’en a pas parlé et nous avons continué nos courses, mais j’étais tendue. J’avais l’impression que tout le monde me reconnaissait et que les gens parlaient derrière mon dos. Je m’attendais à sentir une main s’abattre sur mon épaule à tout moment et j’ai demandé à Thomas de rentrer rapidement. Il n’a pas protesté. Nous sommes rentrés avec la moitié de ce que nous avions prévu d’acheter en oubliant le pain. Quand nous sommes arrivés à la villa, il m’a regardé ranger les provisions fébrilement, la main tremblante. Il s’est assis sur le canapé. Il a attendu que je le rejoigne puis il a dit :

– tu sais, si tu veux circuler tranquillement, tu devrais teindre tes cheveux.

Je suis resté sans voix, alors il a ajouté :

– Je t’ai reconnu Virginie. J’ai vu ta photo dans le journal, et ce matin, pendant que tu prenais ta douche, j’ai mis la radio. Il parlait de ta disparition. Le prénom m’avait intrigué, la ville aussi. Quand j’ai vu ta photo, j’ai compris que tu fuyais autre chose qu’un mari violent. Mais ne t’en fait pas, je suis sûr que tu es innocente. Je ne pourrais pas aimer une criminelle. Je le saurais.

Je me suis mise à pleurer. Je ne pensais pas que mon passé me rattraperai si vite.

– je suis désolée Thomas, je ne devrais pas t’imposer ça. C’est pour ça que je ne voulais pas rester. Tu n’as pas à être mêlé à tout ça.

– écoute Virginie, je suis un grand garçon. Je me fiche de ton passé. J’ai vu les traces de coups, tu les as toujours et tu les porteras encore longtemps. Je pense que tu as droit à du repos, à un moment de répit. Maintenant que je sais ce que tu aimes, je préférerai que tu le partages avec moi.

Il m’a souri et j’ai hésité. J’ai failli renoncer à la main tendue mais son sourire était trop tentant alors j’ai dit oui et je suis restée.

 

– Écoutez, Virginie Sappa, ou madame Fauré, ou ce que vous voulez, arrêtez de me raconter ce qui s’est passé après. Ce qui m’intéresse moi, c’est ce qui s’est passé avant !

Et il repart en claquant la porte. Décidément, ça va devenir une habitude chez lui.

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