LA GROTTE DES VOYAGEURS – chapitre 10

Chapitre 10

256° jour de la saison d’automne de l’an 1

 

Pratiquement tous étaient partis en fait. Seuls restaient Moya et sa compagne Joypur, Phasim et Chicorée, Alex et moi. Garheban et Plutarque avaient insisté pour nous tenir compagnie car nous étions encore blessés et affaiblis.

Deux hommes, habitant maintenant dans la ville de la plaine, nous avaient rejoints pour relever ceux qui gardaient le commandant Farahawk. J’appris ainsi, lors d’une conversation privée avec Moya, que la relève avait lieu toutes les semaines car les hommes ne tenaient pas très longtemps seuls dans ce climat hostile, à proximité de cet homme qui représentait tout ce qu’ils détestaient. 

Pour ne pas les soumettre à la tentation de le tuer et pour que l’usure ne leur fasse pas baisser leur résistance mentale, il était convenu que deux hommes nouveaux arriveraient tous les huit jours. Le commandant, qui avait passé autant de temps en captivité qu’Alex, montrait pourtant une forme étonnante. Il était correctement nourrit et semblait se contenter des quelques mètres dont il disposer pour s’entretenir. La flamme dans ses yeux brillait toujours de la même folie guerrière et je sentis la force de son esprit la deuxième fois que je le vis. J’avais demandé à y retourner car il exerçait sur moi une fascination où la répulsion se mêlait à l’attraction. Son visage froid et dur était une énigme. Comment cet homme, en captivité depuis des centaines de jours, parvenait-il à conserver autant de contrôle ? 

En arrivant devant sa cellule, il nous fournit une partie de la réponse quand nous le surprîmes en train de faire des pompes avec une régularité mécanique effrayante. Ses bras noueux et musculeux se tendaient pendant qu’il redressait la tête, les yeux clos, le corps ruisselant de sueur malgré le froid, puis ils se pliaientjusqu’à ce que son visage effleure le sol et s’y maintienne un instant, Ensuite, le mouvement reprenait, hypnotique. Comme la première fois, il sentit notre présence, bien que je n’eus pas émis un son cette fois-ci. Il s’arrêta au milieu d’un mouvement et levant la tête, maintint une position épuisante pour tout autre que lui. Mais aucun muscle ne trembla. Seuls ses yeux s’activaient comme s’ils étaient capables de traverser la porte pour nous découvrir. Cette fois ci, je ne bougeais pas et il sembla déconcerté durant un instant, puis son esprit se mit à sonder nos pensées, mais ça aussi nous y étions préparé et il se heurta à un mur. Cependant, comme pour sa musculation, il ne désarma pas et après s’être laissé glissé au sol comme un serpent, il se releva lentement et s’approcha de la porte jusqu’à y coller son corps. J’avais l’impression de pouvoir le sentir respirer à travers la paroi. Je reculais car je n’aimais pas cette sensation.

« Vous me craignez, n’est-ce pas ? »

Je fus tentée de lui répondre, mais Phasim qui m’avait accompagné, posa sa main sur mon bras et me fis remonter rapidement.

« Je découvrirai qui vous êtes…vous n’êtes pas comme eux, vous êtes faible… » furent les dernières mots qui résonnèrent dans ma tête avant que la porte ne se referme, coupant ce contact insidieux et déplaisant.

– ne te laisse pas intimider, il tente d’effrayer tous ceux qui descendent. Au début, c’est épuisant de lui tenir tête, mais au bout d’un moment, on s’y habitue. Mais on ne peut pas se soumettre à son esprit trop longtemps sans en ressentir des effets désastreux. Plus d’une fois, un des hommes a faillit ouvrir la porte pour le tuer. Il n’attend que ça. Je suis sur qu’il a fabriqué des armes qu’il cache quelque part dans sa cellule. Nous ne pourrons jamais le laisser sortir. Il est trop dangereux.

– alors pourquoi le gardez-vous ?

– parce que, nous espérons toujours réussir à le briser. Il détient tellement de secrets…si un jour il baisse sa garde, nous en apprendront beaucoup !

– c’est comme posséder un trésor dans un coffre, sans en avoir la clé…

– c’est exactement ça ! Mais il semble ne rien redouter, ajouta t’il au bout de quelques secondes de silence durant lesquelles nous avions marché sur les plaques de givre qui recouvrait une partie du chemin ; Il ne craint ni la solitude, ni l’obscurité, ni le froid, ni le bruit…nous avons essayé de l’épuiser en l’empêchant de dormir avec de la musique, mais il est insensible à tout…

– je suis sure qu’il a une faille. Nous en avons tous une. Il suffit de la trouver. Je ferai des recherches sur lui quand je serai rentrée au village. Je n’ai jamais pris le temps de m’intéresser aux membres du gouvernement…à part Sobia qui semble bien inoffensive comparée aux autres…

– je ne lui fais pas confiance !

– a qui, à Sobia ?

– oui !

– Moya l’a sondée et n’a rien trouvé de troublant dans son esprit et elle n’a pas de pouvoir particulier. Pas encore en tout cas.

– je sais, mais je ne l’aime pas…

– je comprends, elle est assez particulière mais…

–  tu vas lui trouver des excuses, m’interrompit-il, et tu auras probablement raison, mais je me méfie d’elle. 

– J’ai eu les mêmes craintes au début mais cela fait trois ans qu’elle vit avec nous et elle a l’air de se suffire du village. J’aimerai que sa présence reste secrète pour le moment. Elle peut aussi représenter un atout si elle reste cachée. 

– tu a probablement raison. Je suis rassuré de savoir que vous la surveillez.

– Pour en revenir au commandant, dis-je, pour couper court à cette discussion car je savais que les premiers colons ne désarmeraient jamais contre Sobia, je découvrirais sa faiblesse tôt ou tard et là, nous le tiendrons.

– dépêche-toi alors, je voudrais enfin  voir ce type s’effondrer !

Nous arrivâmes aux abords du grand bâtiment terne. Le brouillard persistait bien que le vent ait enfin cessé de siffler dans la toiture. Il entourait le paysage de gaze et progressait rapidement dans la forêt, s’enroulant autour de toute chose. Les arbres disparaissaient peu à peu, englouti par le coton blanc. Le ciel semblait se confondre avec la terre et je me sentis isolée comme jamais je ne l’avais été. Nous étions sur une ile blanche aux sons étouffés et craquants, et plus rien ne semblait pouvoir nous en extraire, jamais ! Nous nous engouffrâmes dans la pièce avec la sensation de recouvrer la vue. Alex m’attrapa et me serra contre lui. Le repos et des repas copieux commençaient à faire leur effet et, à défaut d’avoir retrouvé son poids originel, ses traits n’accusaient plus la même fatigue. Je me pelotonnais contre lui, recherchant sa chaleur pour oublier l’homme qui vivait reclus dans le sous sol, autant que le brouillard qui nous coupait du monde. 

– je veux partir d’ici, dis-je dans un souffle.

– on part quand tu veux, me répondit Alex en faisant voleter mes cheveux.

Nos corps s’étaient tant manqués que nous avions pris le temps de nous redécouvrir lentement. Sa maigreur m’avait effrayée quand j’avais vu son corps nu, mais il avait montré tant d’empressement que je m’étais abandonnée à lui avec délice. Nous avions tellement de temps à rattraper. Cependant, je voulais revoir le soleil avec lui. Je voulais paresser sur la véranda comme nous avions l’habitude de le faire tous les deux.

– nous aussi nous souhaitons partir rapidement dit Moya. Laissons le brouillard se lever d’abord.

– et s’il ne se lève pas ? demandais-je, inquiète. 

– nous partirons de toute façon. Les chevaux ne se perdent jamais, même dans le brouillard le plus épais.

– je vous y conduirais demain, dit Amastram, le nouvel arrivant.

– et moi je resterais là, tout seul, dit Stépano, d’une voix mélodramatique.

– non, tu ne seras jamais seul ici…répliqua Moya avec un fin sourire.

– ne plaisante pas avec ça ! répondit Stépano, visiblement affecté.

– N’oubliez jamais quelle est votre mission ! leur répondit Moya en les scrutant de ses yeux si bleus.

– avec ce brouillard, il serait facile de se laisser aller à dormir tout le temps, fit remarquer Amastram, mais ne t’inquiète pas, nous savons pourquoi nous sommes là !

– bien !

Je regardais Alex qui tentait de suivre cette conversation qui n’avait pas de sens pour lui et je remarquais les cernes autour de ses yeux, autant que l’inquiétude qui crispait son visage et plissait son front pale.

– viens, luis dis-je en le prenant par la main, allons dormir.

– je vais bien, tenta-t-il de dire mollement, mais je savais que ce n’était pas vrai.

J’attendis que nous soyons arrivés dans notre chambre – petite pièce austère où deux lits avaient été rapprochés pour nous permettre de dormir ensembles, une tablette en métal bricolé et un lavabo accroché à un mur, formaient le reste de l’ameublement – pour lui demander :

– ça ne va pas ?

– ce camp me rappelle de si mauvais souvenirs dit-il d’une voix sourde

– tu y as été en détention toi aussi.

– oui et les conditions sont les mêmes dans tous les souterrains de Matria. Des cellules si petites qu’on peut à peine bouger, des rations si maigres qu’on peut à peine survivre…

– comment se fait-il que ce camp soit à l’abandon ? Dis-je pour le détourner de la noirceur de ses pensées.

Je suppose que faute de prisonniers…et puis, ils ont arrêté l’extraction du Mitreion depuis longtemps. Les hommes étaient tous partis et nous avions tué beaucoup de gardes. 

– c’est ici qu’a eu lieu l’insurrection ?

– non, c’est dans un camp qui se situe plus au centre du contient nord. Il y fait très froid tout le temps, même en été.

Viens dormir, lui dis-je, déjà somnolente, ce temps me lénifie…

Je sentis à peine son corps osseux se glisser contre le mien avant de m’endormir.

Quand je me réveillais, Alex dormait toujours. J’enfilais un pull supplémentaire car la température avait encore chutée et me rendis dans la grande pièce où Moya et Phasim parlaient au coin d’un feu ronflant. Des flammes hautes et colorées s’élevaient régulièrement, éjectant par moment des myriades d’escarbilles brillantes et orangées. 

– bien dormi ? me demanda Moya un peu inquiet, en voyant mon visage fermé. 

– oui, ça va, mais je me fais du souci pour Alex. Il a besoin de repos et de soleil.

– nous avons tous besoin de soleil, dit Chicorée qui arrivait à ce moment-là.

Joypur qui la rejoignait, ajouta :

– je vais préparer le repas, tu m’aides ? dit t’elle à l’attention de son amie, avec un regard éloquent vers notre petite assemblée.

J’arrive, répondit celle-ci en déposant un baiser sur les lèvres de son époux.

Dès qu’elles furent parties, je m’assis à côté des hommes et leur fit part de mes réflexions :

– je vous avoue que je suis fascinée par la présence de Farahawk. Le revoir m’a effrayé au début mais maintenant, je brule d’envie d’y retourner.

– il exerce cette même attraction sur tout le monde, mais après quelques visites en bas, tu ressentiras de la peur rien qu’à l’idée de descendre les  escaliers…

– je te crois, pourtant je sens que je dois y retourner une dernière fois avant de partir.

– qu’espères-tu ? Qu’il te révèle à toi ce qu’il nous a toujours caché ?

– non, je n’aurai pas cette prétention, mais je voudrais lui parler.

– non, c’est trop dangereux ! Nous interrompit Moya qui avait laissé Phasim alimenter la conversation. Tu risquerais de lui révéler des secrets sur le village qui pourrait causer notre perte.

– du fond de son cachot ? Répliquais-je, sans pouvoir masquer une ironie qui blessa Moya et dont je me repentis immédiatement. Excuse-moi, je sais que vous faites beaucoup d’effort pour le garder au secret, mais je t’assure qu’il ne soutirera aucun renseignement de mon cerveau.

– après tout, c’est toi qui décides…c’est pour toi qu’on l’a capturé…

– pour moi ?

– oui, dit Moya un peu gêné. On aurait pu le tuer comme tous les autres, mais on a décidé de lui laisser la vie sauve parce que ton discours, avant la bataille, nous a touchés. Nous avons été contents d’entendre quelqu’un qui ne cherchait pas la guerre, pour une fois. Alors, quand il est entré dans la grotte, nous l’avons capturé et amené ici. 

– vous avez eu raison. Quelque chose me dit qu’il aura un rôle à jouer par la suite.

– j’espère que nous ne le regretterons pas…

– je vais y descendre toute seule. Il ne sentira pas votre présence ni vos peurs.

– non, je t’accompagne ! rugit Moya a qui Martial semblait avoir délégué son rôle protecteur.

– laisse là faire ce qu’elle veut ! dit la voix d’Alex, que nous n’avions pas entendu entrer dans la pièce.

Il parlait doucement mais son regard été tendu, prêt à me défendre s’il le fallait :

– sans Zellana, je serai en train de croupir dans ma prison et vous, vous seriez toujours dans vos villages perdus…je crois qu’on peut faire confiance à son instinct !

– Tu as raison, répondit Moya en se levant pour soutenir Alex qui avait mis toute son énergie dans son discours et qui tremblait d’épuisement.

Dès qu’il fut assis, je l’embrassais en l’assurant que tout se passerais bien, sans lui préciser pour autant le sujet de notre altercation et le but de ma nouvelle expédition à l’extérieur. Je ne savais pas s’il connaissait la présence de du commandant dans ces lieux mais je pensais qu’il serait heureux de l’apprendre. Cependant, le moment n’était pas venu de le lui confier, j’avais fait une promesse et je me devais de la tenir pour la sécurité des hommes qui se dévouaient pour garder Farahawk en captivité depuis des jours. Il dû sentir ma prudence à son égard, car il me serra fortement contre lui, puis me laissa me lever. Je sortis sans oublier de me munir d’un lourd et chaud manteau de fourrure.

Dehors, le brouillard plombait tout le paysage qui avait disparu dans une sorte de nuit blanche et opaque. Cependant, au fur et à mesure que j’avançais, il semblait s’écarter devant moi pour m’ouvrir un passage. Je me retournais et découvris qu’il se reformait immédiatement derrière moi. Je ne savais plus où j’étais, alors je fis confiance au couloir qui me traçait un chemin dans la ouate opaque et presque palpable. Le tunnel de brume me conduisit jusqu’à la lourde porte que j’ouvris dans un grincement sinistre. J’étais seule et je ne me sentais pas rassurée, pourtant je savais que je devais descendre. L’escalier semblait glissant dans le froid qui s’installait durablement et je l’empruntais prudemment, retardant ainsi le moment de la confrontation. Finalement, je me retrouvais devant la porte mais je ne pris même pas la peine de regarder par la petite fenêtre, je savais qu’il me détecterait rapidement.

« Qui est là ? » dit sa voix profonde et cassante ;

« Je suis Zellana, nous nous sommes déjà rencontré »

« C’est à cause de vous que je suis ici ! » en même temps que sa voix résonnait dans ma tête, je sentis une onde de haine et de colère si forte que j’eus l’impression qu’elle pouvait traverser la lourde porte et m’envahir, tant son esprit le désirait. Mais je lui en refusais l’accès et lui répondis :

 « Non, c’est à cause de vous ! Je vous avais dit de ne pas attaquer notre village. Maintenant, nous sommes plus fort que vous, nous sommes plus nombreux et mieux armés »

« Ne soyez pas si sure de vous, fillette !»

« Je n’affirme rien que vous n’ayez vérifié par vous-même ! Vos hommes sont morts et vous croupissait ici depuis des jours ! »

«  Pour le moment, mais ça ne durera pas ! Un jour, je sortirais d’ici et je vous massacrerais tous ! Quant aux hommes, ils sont remplaçables. Pour un que vous avez tué, j’en aurai dix !»

« Vous êtes bien sûr de vous ! »

«  J’ai de bonnes raisons de l’être…certains hommes ici… »

Un long silence suivi cette déclaration avortée, mais je ne savais s’il avait trop parlé où s’il tentait de semer le doute dans mon esprit.

«  Vous ne savez plus que penser, n’est-ce pas ? » reprit-il.

«  Si, je sais qui vous êtes, vous êtes un psychopathe froid et calculateur. Mais vous êtes aussi affaibli et isolé, alors vos insinuations ne m’effraient pas »

Et je coupais le contact, finalement moins frustrée que je ne l’avais crains. Dehors, le brouillard commençait à se dissiper et j’entrevoyais les baraquements gris dans le blanc ambiant. La forêt alentour semblait fantomatique, mais elle ne m’effrayait pas. Les souterrains étaient bien plus affreux que ce blanc propre et enveloppant comme un duvet protecteur. Alors que j’arrivais à la porte, j’aperçu soudain à la lisière des arbres,  une petite silhouette dans la brume plus épaisse. Un enfant seul dans ce brouillard ? Mais j’eus à peine le temps de m’interroger qu’elle avait disparue. Je scrutais en vain la blancheur épaisse sans la revoir nul part. Lasse, je me retournais et mon regard fut attiré par une autre pierre plate et percée, posée sur le pas de la porte. Je la ramassais intriguée et regardais à nouveau vers la forêt où je crus distinguer, un fugace instant, une présence fantomatique que la brume épaisse engloutit à nouveau. Je défis le lacet de mon collier et y glissais ce bijou chaud et réconfortant, puis je rentrais dans le baraquement où je retrouvais tout le monde autour du feu. Tous les visages étaient graves et se tournèrent vers moi quand j’entrais, laissant le froid derrière moi.

– qu’est ce qui se passe ? Dis-je, devant leurs regards anxieux.

– tout va bien, nous étions juste inquiet pour toi mais ça a l’air d’aller…dit Moya.

– oui, tout va bien. Le brouillard semble se lever. Je pense que nous pourrons rentrer bientôt.

– ça me va, dit Alex dans un souffle, le soleil me manque tellement…

– nous mangeons et nous rentrons, lui dis-je tendrement en me serrant contre lui assise sur la banquette munie de coussins qui courrait le long d’un mur. 

Il me prit par la taille et me tint collée contre lui.

– tu m’as tellement manqué, chuchota-t-il dans mon cou.

Je sentis son souffle chaud et cela me réconforta définitivement. Il était vraiment temps de retourner au village et de reprendre une vie normale. Alex se remettrait de cette longue captivité et nous serions heureux. J’en étais persuadée. Comment pourrait-il en être autrement. Nous avions tout ce dont nous avions besoin. Nous nous étions retrouvés et une longue vie nous attendait sur Matria, calme et paisible, comme nous l’avions tous souhaité avant le grand départ.

A table ! Cria Joypur du fond de la salle.

Je me levais sans aucun scrupule de ne pas avoir participé à l’élaboration du repas. Je n’étais pas faite pour être une femme au foyer. Je me demandais quelle genre de mère je serais et j’eus un moment d’arrêt quand je réalisais que pour la première fois, je m’imaginais avec des enfants. Je pris place à côté d’Alex et mangeais sans vraiment y prêter attention tant cette pensée, quasi volatile pourtant, m’avait troublée. Alex bouleversait totalement mes certitudes. Le retrouver après tant de jours d’attente, d’espoir anéanti après chaque communication cérébrale, de peur viscérale de ne jamais sentir à nouveau son odeur, de ne plus jamais toucher sa peau chaude, m’avait transformée irrémédiablement. Je l’avais tant espéré et je l’avais enfin retrouvé. Maintenant, je pouvais faire des projets pour un avenir à deux.

Je sursautais presque quand Alex posa sa main dans mon dos, geste tendre et affectueux dont le but était précisément de me ramener parmi eux. J’étais loin, profondément perdue dans mes réflexions et il me fallut quelques instants pour reprendre pied dans la conversation qui tournait autour du village, de l’hiver qui arrivait et qui serait nettement plus agréable dans le sud.

Peu après, tout le monde se leva de table et chacun parti préparer son paquetage. Alex et moi étions peu chargé, aussi fûmes nous les premier à quitter le camp après un salut rapide à nos camarades qui restaient pour leur pénible tâche.

Dehors, le brouillard s’était levé et un pâle soleil éclairait la blancheur glacée. Les feuilles, les herbes, les branches et même la terre étaient recouvertes d’une pellicule irrégulière de givre qui donnait au paysage un aspect féérique. On aurait dit que tout avait été saupoudré de sucre cristallisé. Nous montâmes dans la charrette qui nous avait amené et nous nous serrâmes l’un contre l’autre pour conserver la chaleur autant que pour profiter ensemble de ce paysage magique. Les chevaux avançaient lentement. Leurs sabots faisaient craquer la fine pellicule de glace à chaque pas et le bruit était magnifique dans le silence de la forêt. Plus nous nous éloignons du camp, plus les montagnes apparaissaient  pointues, immenses, terrifiantes et pourtant majestueuses et puissantes. Leur blancheur s’était encore accentuée avec le froid qui était arrivé subitement. La neige les recouvrait sur plus des deux tiers, mais la pierre sombre et torturée apparaissait dans les fissures et dans les failles de leurs reliefs acérés. 

Nous arrivâmes finalement à la grotte et nous saluâmes notre guide qui repartait chercher nos amis restés au camp. Le couloir sombre nous paru presque chaud en comparaison de la température extérieure qui avait baissé subitement pendant notre bref séjour. Je laissais Alex ouvrir la porte, ce qu’il fit posément, comme s’il voulait me montrer comment s’y prendre. Quand nous fumes installé sur la large pierre lumineuse, il se tourna vers moi et avec un sourire taquin, me dit :

– allez, fais toi plaisir, montre moi ce que tu sais faire.

– tu es fâché que j’aie appris si vite ? lui demandais-je sérieusement.

– non, je plaisante. Je suis fier de toi !

– je n’ai pas de mérite. Tu m’as donné un bracelet de Mitreion et puis il y a ça, dis-je en sortant mon collier.

– mais comment…dit-il, regardant éberlué les quatre pierres tintinnabulantes qui brillaient doucement dans la pénombre.

– tu as déjà vu la première. Je l’avais trouvé dans la grotte de la falaise. La deuxième, je l’ai ramassée durant ma visite au village de Shebaa, la troisième…je l’ai trouvée dans tes affaires…et la quatrième était sur le pas de la porte tout à l’heure, quand je suis revenue dans le baraquement. C’est étrange d’ailleurs, j’ai cru voir un enfant dans la brume, mais je pense que ce n’était qu’un buisson.

– tu as vu un enfant ?

– oui, enfin, je n’en sais rien. J’ai vu une petite silhouette puis j’ai trouvé la pierre. En relevant la tête, j’ai cru la voir qui s’éloignait…comme si elle s’assurait que je l’avais trouvé. En fait, c’est ce que j’ai pensé en la voyant, mais je suis sure que j’ai rêvé.

– tu sais, dit Alex d’une voix anxieuse, ce n’est pas la première fois que des hommes pensent voir des enfants dans la brume. Ce camp a mauvaise réputation car on dit qu’il est hanté par…des créatures…

– et toi, tu y crois ?

– s’il y a des créatures, elles ne nous veulent pas de mal. Personne n’a jamais été attaqué et personne n’a jamais disparu…enfin…pas du fait des créatures en tout cas, ajouta t’il dans un murmure, comme si de lourds souvenirs revenaient malgré lui.

– Moya m’a raconté que des hommes auraient trouvés des ossements d’enfants vers l’ouest du continent Sud…tu penses que ça pourrait avoir un rapport ?

– je n’en ai aucune idée. Mais ça n’est pas totalement absurde. Cette planète est viable pour nous. Ce serait étrange qu’elle n’ait produit que des formes de vie animale et qu’aucune espèce dominante ne soit apparue.

Je me serrais contre son corps et je repris, en changeant volontairement de sujet car je voyais qu’il était troublé :

– tu ne m’en veux pas d’avoir fouillé dans tes affaires ?

– non ; j’avais laissé le coffre à ton intention…tu as vu…

– la photo ?

– le tableau…

– oui…la ressemblance…

– je sais, c’est pour ça que je pensais que je rêvais quand je t’ai rencontré la première fois…tu étais…enfin, j’avais l’impression que le rêve devenait réalité et j’avais du mal à en croire mes yeux. Tu sais, cette reproduction, cette femme, elle m’a aidé à tenir quand j’étais captif. Je l’ai trouvé quand je travaillais dans les souterrains. Je la regardais le soir avant de m’endormir et j’avais le sentiment de la connaitre. Puis tu es apparue dans ma vie, et…

– qui a peint ce tableau, Alex ?

– en fait, je n’en sais rien. C’est un artiste inconnu. C’est une toile qui a été trouvé dans une cabane. Il y a des œuvres comme ça, dont les auteurs resteront à jamais anonymes, celle là en fait partie. Je ne sais pas pourquoi elle m’a tant touchée ; je l’ai aimé dès le premier coup d’œil.

– mais tu as vu le tableau ?

– oui, il est dans les archives des œuvres d’arts. Il doit avoir de la valeur pour quelqu’un car il est arrivé dans une caisse blindée et scellée. J’ai pensé que c’était une toile célèbre, mais en l’ouvrant, j’ai découvert ce portrait, simple et magnifique. Cette jeune femme confiante et sereine qui semblait danser dans son petit haut noir et sa large jupe rouge. J’en suis tombé amoureux immédiatement.

– c’est elle que tu aimes alors ! Pas moi !

– ne dis pas de bêtises. Je te préfère vivante qu’inaccessible sur un morceau de papier…

Puis il arrêta de se justifier quand il vit que je souriais.

– bon on y va ? Il me tarde d’être à la maison, ajouta t’il sans réfléchir. Enfin, chez toi je veux dire…

– c’est ta maison aussi, tu sais, je veux que tu en sois persuadé, maintenant que nous nous sommes retrouvés, je ne veux plus jamais que nous soyons séparés. Tu me le promets ?

– je te le promets, répondit-il d’un ton solennel, puis il ajouta plus légèrement, allez, ramène nous à la maison…

J’allais poser mes mains sur les empreintes qui menaient à la grotte centrale, quand des traces lumineuses plus fines apparurent justes en dessous.

– tu as vu ? M’écriais-je en passant la main pour faire apparaitre deux fins contours de main aussi luminescents que la pierre qui nous supportait.

– quoi ?

– ça ! Les lignes lumineuses ! lui dis-je en les montrant du bout des doigts.

– non ! Je ne vois rien !

– regarde ! Insistais-je. Elles étaient si évidentes pour moi que je m’étonnais qu’il ne puisse les voir.

– non, je t’assure, je ne les vois pas. Tu es sure que tu ne rêves pas ?

– mais non, regarde, dis-je en appuyant mes mains résolument dessus.

L’éclair nous aveugla tous les deux et il nous fallut un moment pour nous apercevoir que nous étions dans ma chambre souterraine, dans la maison de la plage. 

– comment as-tu fais ça ? s’exclama Alex.

– je ne sais pas ! C’était la première fois que je voyais ces marques. 

– mais pourquoi as-tu mis tes mains dessus ?

– je ne sais pas ! Je voulais te prouver que je ne rêvais pas…il semblerait qu’elles permettent de…je ne…peut-être ont-elles lu dans mes pensées ? J’avais tellement envie de me retrouver ici avec toi…

– tu imagines ce que ça voudrait dire…il existerait un système parallèle pour voyager où l’on veut…mais pourquoi les vois-tu et pas moi ?

– je n’en ai aucune idée. Est-ce qu’on pourrait laisser ça de coté pour le moment et…

– tu as raison dit tendrement Alex en m’embrassant et en me basculant sur le lit moelleux. 

La température de la pièce était chaude en comparaison de la région du nord dont nous arrivions. Elle monta en flèche quand nous nous enlaçâmes amoureusement. 

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