A LA LUMIERE FROIDE DE LA TERRE – Deuxième Partie – Chapitre 2

Chapitre 2

Fin de la  saison d’hiver de l’an 1

Environ 10 mois terrestres

En très peu de temps, beaucoup de femme firent retirer leurs implants et je les voyais sortir du cabinet de Mafalda, un sourire nouveau sur les lèvres et une expression de contentement si fort que je les enviais. Mais je n’étais pas prête. J’avais le sentiment que ma mission n’était pas achevée et qu’il n’était pas temps pour moi d’avoir des enfants.

Joshua ne dit rien pendant plusieurs mois, mais quand la première d’entre nous déclara devant l’assemblée réunie pour le repas collectif hebdomadaire, qu’elle était enceinte, le silence qui suivi, puis les exclamations de joie et les félicitations, le troublèrent visiblement. Le soir, quand nous nous retrouvâmes dans notre lit il me dit :– tu pense que nous aurons des enfants nous aussi ? Tu y réfléchis parfois ?

– bien sur, répondis-je avec toute la sincérité dont j’étais capable, mais je ne suis pas prête pour le moment.

– tu ne crois pas que c’est à cause de moi ?

– mais non ! pourquoi en serais-tu responsable Joshua ?

– je n’ai pas dit que c’était ma de faute, mais je crois que c’est ce que tu penses.

– bien sur que non, pourquoi imagines-tu une chose pareille ?

Il ne répondit pas tout de suite puis il ajouta finalement :

– tu sais, Zellana, on ne nous a pas laissé le choix. Nous étions jeune, trop  jeune probablement. J’ai eu de la chance que ce soit toi parce que je t’ai apprécié tout de suite et il a été facile de t’aimer par la suite, mais je sais que ces sentiments ne sont pas réciproques. Non ! s’écria-t-il alors que j’allais protester, ne dis pas le contraire, je l’ai toujours su. Tu étais soulagée parce que j’étais plutôt beau…tu aurais pu plus mal tomber, je l’ai vu dans ton regard mais je n’étais pas celui que tu espérais. Je l’ai toujours su Zellana. J’ai fait avec parce que nous n’avions le choix ni l’un ni l’autre. Maintenant que nous sommes installés, nous avons une vie à construire. Je ne t’en voudrais pas d’avoir envie de la construire avec quelqu’un d’autre.

– mais il y a personne d’autre que toi Joshua !

– pour le moment, mais nous ne vivrons pas éternellement coupés du monde et tu es jeune. Je voulais juste te dire ça parce que je te connais, tu es loyale…je ne veux pas avoir d’enfants avec toi si je dois être un partenaire par défaut, ajouta-t-il après un long silence.

Je ne répondis rien, Joshua venais de mettre des mots sur tout ce que je ressentais confusément depuis des années. Je n’avais rien à dire, il avait raison. Ce n’était pas avec lui que je voulais fonder une famille et même si je l’aimais tendrement, cet amour était fraternel. J’aimais être avec lui parce que nous nous comprenions si facilement que notre relation était simple et agréable. Nous pouvions rire ensemble, nous aider, passer du temps à travailler côte à côte, prendre soin l’un de l’autre, faire l’amour ensemble aussi parce que cela faisait du bien. Mais ce n’était pas de l’amour, pas pour moi en tout cas et j’en étais désolée pour lui car je ne voulais pas le blesser.

– qu’allons-nous faire Joshua ?

– rien, nous n’allons rien faire. Nous allons continuer à vivre comme ça. Les choses changeront d’elle-même. Peut-être finiras-tu par m’aimer un jour, ou peut-être rencontreras-tu enfin ton âme sœur…je te le souhaite.

– et toi ?

– moi, je suis patient, tu le sais. J’attendrais. Pour le moment, il faut dormir, il est tard et demain j’ai beaucoup de travail.

Durant quelques jours, nous observâmes une sorte de respect prudent. Nous étions plus prévenant l’un envers l’autre, nous multiplions les attentions mais un malaise s’était installé qui ne se dissipait pas. C’est lui qui me poussa à explorer notre territoire un peu plus loin que nous ne l’avions fait jusque là. Je repérais quelques criques plutôt plaisantes sur ma table lumineuse puis, munie d’un sac à dos remplis de vivres et de matériel de toute sorte, je partis en expédition. Je longeais la côte durant toute une journée, croisant mes amies les musaraignes et quelques singes volant dont je constatais qu’ils ne s’approchaient pas de l’eau. J’allais de plages en plages, me baignant quand la chaleur était forte et me mettant à l’abri dans ma tente pliable quand la pluie commença. Je passais de longues heures allongées dans le sable, protégée du soleil par un chapeau de paille tressé au village, rêvassant en contemplant le ciel bleu à travers les trous. Je passais la nuit dans une anse calme au sable clair et fin où je ramassais d’étranges coquilles animales vides. Leurs couleurs bleues inhabituelles me plurent énormément et j’en remplis un plein sac. Au milieu du deuxième jour, après avoir traversé une prairie où je détectais un mouvement rapide et des bruits qui ressemblaient à un galop, sans pour autant voir le propriétaire de ses petits sabots, je découvris une crique plus profonde que les autres. J’avais cheminé sur un sentier qui montait lentement, pour me retrouver sur une falaise assez élevée. D’en haut, la crique avait l’air similaire aux autres, mais quand je trouvais enfin un chemin d’accès pour y descendre, je découvris que la falaise était percée de tunnels profonds, même si leurs entrées semblaient basses. Je m’approchais prudemment en allumant une lampe et j’inspectais l’entrée de l’un d’eux. Je m’aperçus rapidement que les ouvertures communiquaient et donnaient sur une immense salle au plafond haut comme un dôme à la rotondité presque parfaite. Des reflets irisés recouvraient les parois, éclairant l’ensemble d’un halo multicolore. C’était magnifique ! Je restais longtemps à contempler les lumières mouvantes sur les parois et sur le plafond dont les aspérités pierreuses modifiaient inlassablement les motifs. A un moment, la lumière fit luire ce que je pris pour une pierre dans le fond de la grotte. Je m’approchais, intriguée par ce phénomène, pour découvrir une lampe métallique en partie rouillée. Je la retournais dans tout les sens pour parvenir à la conclusion qu’elle ne pouvait appartenir à aucun d’entre nous. Son oxydation était bien trop avancée pour avoir était déposée récemment. Elle devait avoir été laissée là bien des années plus tôt, ce qu’elle me prouva rapidement en laissant mon doigt traverser sa coque sans difficulté. Et soudain, une question que nous aurions tous dû nous poser depuis longtemps me vint à l’esprit : qu’étaient devenus les premiers colons ? Ces hommes envoyés pour coloniser la planète et la préparer à la grande migration qui allait suivre. Ils étaient partis une dizaine d’année avant nous par les premiers vaisseaux et ils étaient bien arrivés puisque nous avions bénéficié de leur travail de préparation. Les baraquements avaient été stabilisés et les canalisations partiellement installées. Puis ils s’étaient volatilisés, ne laissant même pas un seul outil, une seule inscription, la moindre trace de leur passage. Où avaient ils séjournés ? Qu’avaient ils mangé ? Où dormaient-ils ? Autant de questions qui me venaient comme une cascade qui ne s’interrompait plus. Je fouillais la grotte consciencieusement mais ne trouvais aucun autre objet attestant de leur présence. Cependant, ils étaient venus ici, l’un d’entre eux au moins. En repartant, le long d’un tunnel, je ramassais un petit caillou plat, visiblement travaillé et poli, percé d’un trou central légèrement ovoïde et d’un autre beaucoup plus petit dans lequel je passais un bout de ficelle fine que j’attachais autour de mon cou. Ce collier me ravit. Le contact de cette pierre semblait apaisant même si je me doutais bien qu’il ne s’agissait là que de mon imagination bien trop enthousiaste. Je passais les jours suivant à longer la côte à la recherche de grottes similaires mais je n’en trouvais aucune. Ayant pratiquement épuisé mes vivres, je rebroussais chemin, insatisfaite et bien décidée à élucider ce mystère. Mon absence avait du inquiéter les villageois car je fus accueillie avec des cris de joie et Joshua se précipita vers moi et m’examina sous toute les coutures pour s’assurer que j’allais bien. J’avais juste besoin de dormir mais je dû assister à un repas en mon honneur durant lequel je fis état de mes questions demeurées sans réponse.

L’assemblée était partagée. Certains estimaient qu’il ne fallait pas chercher ce que nous apprendrions probablement un jour, d’autres comprenaient mon envie de savoir et me promirent de m’épauler dans mes recherches. Je passais les jours suivant à étudier la carte virtuelle à laquelle j’apportais des modifications que j’avais notées dans un carnet, dernier vestige de ma vie sur terre. Les latitudes et les longitudes me permirent de situer la grotte et de la faire apparaitre telle que mes capteurs l’avaient enregistrée. Je l’explorais en détail et notais quelques marques usées sur une paroi que je n’avais pas vues mais que la sensibilité des capteurs avait mise en évidence. Une fois agrandie, elles ne me donnèrent aucune autre indication que le fait que quelqu’un était venu là, avait gravé quelque chose dans la roche, avait laissé ou perdu sa lampe et s’en était allé sans aucun indice pour retrouver sa trace. Il s’était volatilisé, ils s’étaient tous volatilisés ! Une autre question me hantait que je gardais soigneusement pour moi, ne m’autorisant même pas à la noter où que se soit : y avait-il une forme de vie évoluée sur cette planète avant que nous arrivions ? Car personne ne l’avait jamais mentionné au moment de la préparation de l’exode.

Si tel était le cas, les êtres qui la peuplaient semblaient eux aussi avoir disparus. Auraient-ils étaient victimes d’un virus que les premiers colons avaient apporté ? Cette possibilité n’était pas à exclure. Il y avait des précédents dans l’histoire de l’humanité qui la rendait plausible. Toute ces questions, j’en avais bien conscience, venaient combler mon inactivité momentanée et mon désir de fuir d’autres questions concernant mon avenir au sein du village. En effet, si je ne souhaitais pas fonder une famille avec Joshua, cela ne voulait pas dire que je ne ressentais pas l’envie d’avoir des enfants et un homme à aimer. Mais le village étant exclusivement composé de couple marié, je ne voyais pas qu’elle autre solution s’offrirait à moi que de partir un jour en quête d’autres humains. Alors, chercher les premiers colons m’occupait. Je repris ma carte virtuelle et en agrandissant au maximum le relief, je cherchais des traces. J’envoyais des capteurs aussi loin que possible en direction des terres et quand ils revinrent, porteur d’informations nouvelles, je passais des jours à les répertorier et à les étudier. Le continent que nous venions d’investir était cinq fois plus grand que la surface totale des terres que comportait notre planète d’origine. La planète elle aussi était plus grosse, beaucoup plus grosse. L’océan représentait pratiquement soixante dix pour cent de sa surface. Quand nous étions encore sur terre, on nous avait appris que la chaine montagneuse qui partageait le continent en deux, était infranchissable par voie terrestre. Les sommets culminaient à quinze mille mètres pour les plus hauts et aucun passage n’était possible. Ce qui était au sud restait au sud. Ce qui expliquait d’ailleurs la grande diversité de la faune et de la flore entre le nord et le sud. Les hommes avaient prévus d’utiliser la navigation pour rallier les ports des deux parties du continent, et si un jour nous trouvions sur Matria une forme de carburant propre, d’installer un système de navette aérienne. Le percement de tunnels avait été envisagé mais il semblait que le matériel prévu à cet effet se soit perdu au départ de la terre. Peut-être était-il dans un des vaisseaux qui n’avaient pu décoller ou dans ceux qui avaient explosé par la suite. De toute façon, faute de gouvernement, tout cela risquait de prendre beaucoup plus de temps. Je ne doutais pas que tout ceux qui avaient atterrit comme nous sur un site exploitable, étaient bien plus occupés à s’installer et à assurer leur survie, qu’à se préoccuper de franchir les distances considérables qui nous séparaient les uns des autres. Pourtant, je ne pouvais m’empêcher de penser que quelque part, un rêveur ou une rêveuse comme moi, imaginait déjà un moyen de nous transporter ailleurs. La situation était tout de même ironique : nous avions parcouru une distance phénoménale pour parvenir jusque à Matria et nous n’étions plus capables de nous déplacer que dans un périmètre assez limité.

J’allais rendre visite à Martial pendant qu’il travaillait sur la conception d’un barrage hydro-électrique de grande taille qu’il comptait installer sur le fleuve qui se jetait dans l’océan, plus à l’Est. Il m’expliqua que notre consommation d’énergie était constante et que la production des panneaux solaires suffisait à l’autonomie d’un village de la taille du notre, mais qu’il allait probablement grandir et qu’il fallait se préparer à fournir de l’électricité à des véhicules et à des outils de plus grande puissance que ce que nous possédions actuellement. Quand je l’interrogeais sur ce à quoi il pensait, il resta évasif. J’en profitais pour le questionner sur l’éventualité de partir à la recherche d’autres villages et je compris à son sourire retenu, que nous avions les mêmes préoccupations.

– n’en parle pas, me dit-il, les gens ne sont pas prêts à entendre ça.

– je sais, je n’ai plus rien dit depuis que j’ai ramené cette lampe. J’ai bien vu que cela en dérangeait certains. Tu sais, j’ai étudié toutes les cartes que j’ai trouvées, mais la table n’est pas à jour et mes capteurs ont une portée limitée. Je les ai envoyés le plus loin possible et rien d’humain n’apparait à des kilomètres alentours. Il me faudrait des capteurs qui puissent se déplacer sur de plus grandes distances et dont la mémoire de stockage soit plus importante. Mais nous n’avons plus de réseau informatique.

– ne crois pas ça, me coupa t’il. J’ai sauvé plusieurs ordinateurs que j’ai cachés dans une des navettes. Je n’osais les remettre en fonction car je ne voulais pas effrayer tout le monde. Ce sont les machines qui nous ont tous perdus !

– pas celle là. En tout cas, pas si nous l’utilisons de façon intelligente…

– en serons-nous toujours capable ?

– je ne sais pas…Tu ne pense pas que localiser d’autres hommes et d’autres communautés soit important ?

– si, j’en suis persuadé. Je pense aussi que nous devons surveiller le territoire qui nous entoure. Nous sommes totalement démunis si quelqu’un décidait de nous envahir…

Il soupira puis ajouta :

– Nous ne savons pas comment les autres ont atterris. Tout le monde n’a peut-être pas eu notre chance. Je voudrais construire un petit satellite que nous enverrions en orbite pour qu’il nous renseigne sur les mouvements au sol. Il pourrait aussi alimenter ta table, si nous le faisons voyager au dessus du continent.  

– c’est génial ! Tu penses que nous pourrions le construire rapidement ?

– pourquoi pas, si tu m’aides et que tu restes discrète.

– bien sur !

Je réfléchis un moment puis  je lançais :

– et si nous utilisions un des vaisseaux mère pour servir de relais ? Ils ont tout l’équipement nécessaire pour nous permettre une exploration de tout le continent…

– j’y ai déjà pensé mais nous ne pouvons pas utiliser une navette pour nous y rendre sans la reprogrammer, et ça, je ne sais pas le faire. Je suis ingénieur en électrotechnique, pas informaticien. Tu comprends, elles ont été conçues pour venir jusqu’ici, pas pour naviguer à travers le territoire et encore moins remonter sur les vaisseaux.

– c’est tout de même dommage d’avoir toute cette technologie à notre disposition et ne pas savoir l’utiliser ! m’exclamais-je. Il doit bien y avoir un informaticien parmi nous puisque nos navettes avaient été programmées pour atterrir ici !

– oui, me répondit-il, mais il s’agit d’une femme austère et assez conservatrice. Je ne suis pas sure qu’elle nous aidera. Elle tient surtout à sa tranquillité. Elle occupe la dernière maison sur le tertre, près des cultures.

– Je vois de qui tu parles. Tu ne crois pas que la perspective de toucher à nouveau à un ordinateur la motiverait suffisamment pour travailler avec nous ?

– je ne sais pas…je lui parlerai quand j’aurai fini ce barrage. Sans énergie, tout ça ne sert à rien !

– qu’est ce que je peux faire pour t’aider ?

– construit moi un atelier. J’en ai marre de bosser dans ces baraquements. Les panneaux solaires ne fonctionnent pas assez pour mes besoins en électricité et j’ai trop chaud !

– d’accord, je m’en occupe.

Je me précipitais chez moi où les petits grésillements de l’allumage de la table d’illusion me procurèrent un frisson de plaisir anticipé. Je sélectionnais un emplacement un peu à l’écart, proche de la rivière, ce qui permettrait à Martial de travailler en paix tout en étant à proximité de sa maison. La végétation d’arbres et de buisson qui le séparait du village lui assurerait la discrétion qu’il semblait souhaiter.

Puis je recrutais quelques personnes disponibles, car chacun avait des tâches établies mais nous étions suffisamment nombreux pour que nos obligations quotidiennes nous laissent du temps libre. Cependant, nous n’étions pas oisifs, loin de là. Chacun d’entre nous avait son domaine de prédilection et la vie s’organisait doucement autour des responsabilités que les habitants du village avaient choisi d’assumer en fonction de leur formation ou de leurs gouts respectifs. Nous avions mis au point un système de « corvées » tournantes où chacun notre tour, nous consacrions un moment de nos journées à la récolte des fruits et des légumes, au nettoyage des enclos, au stockage des denrées…Je réussis cependant à dégager suffisamment de temps pour me consacrer à l’atelier de Martial qui fut rapidement érigé car nous stockions du bois de construction en prévision d’agrandissement et de constructions nouvelles. Martial pu prendre possession des lieux en quelques semaines. Il s’installa avec un plaisir évident, caressant longuement le bel établi que je lui avais fabriqué dans un tronc sombre et si dur qu’il résisterait aux coups et aux chocs.

– bien, dit-il, on va enfin pourvoir s’y mettre sérieusement. J’ai bientôt fini ce barrage. D’ici quelques jours je l’aurai installé. Ensuite, on verra ce que l’on peut faire avec les ordinateurs.

Il m’avait demandé de lui adjoindre une pièce attenante sans fenêtre, munie d’une ventilation conséquente. Il ne tenait pas à ce que tout ceux qui passaient, chargés de paniers de fruits ou de légumes, voient l’installation informatique qui allait bientôt orner les plans de travail. Ce travail achevé, je me retrouvais avec du temps libre à foison – chacun au village trouvant que je fournissais plus que les autres ma part de travail – et je décidais d’apprendre à monter à cheval. Je voulais pouvoir me déplacer rapidement. Mon expédition pédestre, bien que très agréable, avait eu des limites. Avec un cheval je serai surement allé plus loin et j’aurais pu le charger de plus de nourriture. Je me rendis aux champs des chevaux que gérait avec amour et passion Amozzo, un ancien garde du gouvernement. Il travaillait en étroite collaboration avec Nuncio, tous les deux chargés des animaux. Quand je me présentais, l’un réparait une selle avec des chutes de cuir et l’autre pansait un petit cheval isabelle à la crinière claire. C’était une pouliche dont Amozzo m’expliqua qu’elle ne grandirait plus beaucoup. Je lui demandais s’il aurait du temps pour m’apprendre à monter, ce qui le fit rire :

– pourquoi veux-tu apprendre à faire du cheval ? Tu veux te pavaner dans les rues du village ?

– non, je veux poursuivre mes relevés topographiques et j’irai plus loin avec un cheval et puis je ne serais pas seule.

– à quoi te serviront des relevés topographiques ? Nous n’allons pas étendre le village au-delà de cette partie de la côte !

– en effet, mais nous auront besoin de matières premières, fut la première réponse qui me vint à l’esprit. Toutes les mines que j’ai recensées jusqu’à présent sont beaucoup trop éloignées de notre village. Il faudrait des jours pour les atteindre. Il faut que je cherche par moi-même car je ne dispose plus de la technologie du vaisseau, et pour une raison que j’ignore, cette partie du continent semble avoir été totalement ignorée par les géographes. La plupart des relevés sont erronés.

– tant mieux ! s’écria Amozzo, ainsi ils ne penseront pas à nous y chercher !

– n’en soit pas si sûr, dit Nuncio dans son dos, si j’étais à la recherche de fugitifs, je fouillerais les endroits reculés et improbables. C’est ce que nous avons fait quand nous cherchions un site pour nous établir. Ils suivront le même raisonnement que nous. Au demeurant, je ne serais pas contre une mine de fer qui nous permettrait de nous armer un peu mieux. Dans notre précipitation, nous n’avons pris que peu d’armes et nous ne disposons pas de beaucoup de munitions pour repousser un éventuel envahisseur.

– mais qui voudrait nous envahir ? lui rétorqua son ami.

– les premiers colons, s’il en reste, bien que je doute qu’ils soient aussi organisés que nous, ni aussi bien équipés. D’autres fugitifs aussi, s’ils ont atterri dans de mauvaises conditions ou si leur site n’était pas exploitable ; et puis tu n’empêcheras jamais les humains d’être cupides et de convoiter ce que les autres possèdent, répondit Nuncio, campé sur ses jambes comme s’il s’apprêtait à combattre un ennemi.

– c’est ce que tu as en tête toi aussi ? me demanda Amozzo

– j’avoue que j’y ai pensé,  même si ce n’est pas ma motivation principale, mais ma recherche en tient compte. Au demeurant, je vous rassure, mes capteurs n’ont rien repérés de vivant aussi loin qu’ils ont pu aller. Nous avons du temps. Personne ne peut se déplacer rapidement sur ce continent. Il n’y a pas de route et pas de navette de transport.

– ne crois pas ça, répliqua Nuncio, il y en a eu ! Les gardes supervisaient l’installation des sites et je sais qu’ils étaient équipés de petits appareils volants. On pouvait s’y tenir à trois ou quatre.

– comment sais-tu cela ?

– parce que j’ai vu les plans qui trainaient sur un bureau avant que nous partions. L’état major les avait sortis un jour qu’ils parlaient de la colonisation. Tu sais, les premiers colons étaient traités en esclaves. Je ne suis pas sûr qu’on les ait laissés en liberté une fois le travail achevé, ce qui expliquerait pourquoi le territoire est vide.

– et les gardes ?

– ça, c’est une autre affaire. S’ils ont éliminés les colons, ils doivent encore trainer quelque part. Dix ans, ça laisse le temps de s’installer et de se préparer à l’arrivée des migrants. Il est probable qu’ils se soient formés en bande armée…c’est eux que je redoute le plus. Mais à mon avis, ils ont du se regrouper près de Materia. En tout cas c’est ce que j’aurai fait si j’avais du attendre les vaisseaux.

– pourquoi ?

– parce que c’est là qu’aurait dû se trouver la plus grande concentration de  population et de richesse.

– ce que tu dis est assez effrayant, dit Amozzo à voix basse. Moi qui espérais que nous allions enfin vivre en paix !

– nous vivons en paix et à mon avis nous serons tranquilles pour un bon moment, mais nous devons nous préparer et donc réfléchir à nos choix, répliqua Nuncio qui semblait avoir longuement réfléchit à la question. J’aimerai que nous érigions un grand mur ou une palissade tout autour du village, histoire de ne pas être pris au dépourvu. Un portail pourrait aussi avoir son utilité. Ainsi, le bétail et les récoltes seraient à l’abri et nous aussi. Car, si nous devions être attaqués, ce serait probablement de nuit. Si nous avions un satellite géostationnaire qui nous indique tous mouvements, cela nous serait d’une grande utilité.

Je ne dis rien mais me promis de rapporter cette discussion à Martial car il était important qu’il sache que nous n’étions pas seul à vouloir surveiller et protéger le village. Finalement, Nuncio me présenta la pouliche qui piaffait maintenant dans son enclos et me dit :

– tu sais, elle est très douce, mais si elle sent que tu as peur, elle te fichera par terre sans aucune hésitation. Avec un cheval, tu dois te montrer ferme sans être brutale. Il ne faut jamais lui faire mal mais il ne faut jamais non plus lui laisser faire ce qu’elle veut. C’est toi le cavalier, c’est toi qui commande. Viens ! dit-il en ouvrant l’enclos et m’entrainant près de la bête dont les flancs frémirent d’excitation à notre approche. Je te présente « gazelle » ; elle a trois ans. Pose ta main entre ses naseaux, elle a besoin de connaitre ton odeur, après tu pourras la bouchonner avec moi, elle adore ça.

Je posais délicatement ma main sur le nez sombre de l’animal est fut surprise de la douceur de sa peau veloutée. Malgré les poils longs et drus qui le parsemaient, le contact était d’une tendresse surprenante. J’avais l’impression de caresser une pèche ou une peluche au duvet ras. Gazelle sembla apprécier et me laissa explorer sa tête, se penchant un peu pour me permettre de remonter jusqu’à la naissance de sa crinière. Je grattais le front plat au dessus des yeux et elle ferma ses paupières proéminentes, alors je m’enhardi à lui frotter doucement l’œil. Elle se mit à dodeliner de la tête et la laissa peser de plus en plus lourdement dans ma main.

– eh bien, tu es faite pour ça on dirait ! s’exclama Nuncio en riant, il ne t’a pas fallut longtemps pour trouver son point faible. Elle adore qu’on lui frotte les yeux, ça la met en transe, regarde !

En effet, le cou de « gazelle » ployait de plus en plus et j’avais du mal à soutenir la lourde tête mais je continuais à frotter les yeux du cheval pendant un long moment. Puis, aussi soudainement qu’elle s’était abandonnée, elle se redressa et s’éloigna comme si elle regrettait de s’être ainsi dévoilée.

– elle est magnifique !

– tu veux la monter ? me demanda l’ancien garde, qui en avait toujours la démarche stricte et raide.

– tu crois que je peux ?

– il faudra bien que tu essaies un jour ou l’autre. Elle t’aime bien, alors ça me semble le bon moment.

Pendant une bonne vingtaine de minutes, Nuncio et Amozzo m’expliquèrent les bases de l’équitation : toujours monter par le flanc gauche de l’animal sous peine de se faire mordre les fesses. Lui tenir la tête tournée de l’autre coté pendant qu’on montait, pour les mêmes raisons. Bien assurer mes pieds dans les étriers et tenir les brides serrées, au moins au début, sans pour autant lui arracher la bouche. Ils me montrèrent comment lui installer les mors, ce que je fus incapable de faire dans un premier temps et comment la sceller. C’était moins difficile même si j’avais du mal à comprimer le ventre de l’animal pour faire tenir la selle.

– ne t’inquiète pas, elle a l’habitude,  c’est comme quand tu serres la ceinture de ton pantalon pour le faire tenir.

– oui mais moi j’ai choisi de mettre un pantalon, pas elle.

– si tu commences à être sentimentale, il va falloir que tu apprennes à monter sans  mors et sans selle !

– on peut ?

– pas au début non.

– Allez, monte maintenant, tu as assez parlé, m’enjoignit Nuncio en me tendant ses mains en coupe pour que j’atteigne l’étrier. Pendant que je m’accrochais au pommeau de la selle, il me souleva jusqu’à ce que mon pied trouve appuis. Je fis ensuite basculer mon corps par-dessus le dos de l’animal et faillis glisser de l’autre coté. Je me rattrapais de justesse en me cramponnant alors que la pouliche commençait à s’agiter. Je glissais mon pied dans le second étrier et retrouvais ainsi mon équilibre. La sensation de puissance et de plaisir fut immédiate. Nuncio fit avancer l’animal en lui tenant la bride et elle tourna lentement dans le corral. Puis, voyant que mon assise était bonne, il la lâcha doucement. L’animal fit mine de partir au trot mais je la freinais en tirant doucement sur les brides que je tenais courtes. J’avais vraiment l’impression de sentir ses pensées à travers les frémissements de ses flancs, les petits hennissements de mécontentement ou d’excitation, l’accélération involontaire de ses pattes qui ne demandaient qu’à galoper. Je passais un long moment à tourner en rond et commençais à trouver cela frustrant, quand Amozzo dit :

– allez, il faut descendre maintenant. Tu reviendras demain et si tout se passe bien, nous partirons en ballade tous les trois, tu es d’accord Nuncio ?

– j’en rêve depuis que nous avons atterri, mais nous n’en avons jamais eu le temps ni l’occasion. J’ai hâte d’être à demain !

– moi aussi je répondis en descendant de la pouliche et en la flattant pendant que je la ramenais vers son enclos.

Je la dessellais et la libérais de son mors. Elle partit immédiatement caracoler dans le champ attenant avec un plaisir évident.

Dans les jours qui suivirent, nous effectuâmes de longues ballades qui nous conduisirent sur la plage, dans la forêt et dans la végétation de buissons qui recouvrait la majeure partie de la frange côtière. Les chevaux firent quelques embardées quand ils virent les petites musaraignes, nombreuses et affolées, courir de tous les cotés pour disparaitre dans les herbes hautes que le vent de la mer faisait ployer au rythme langoureux de son souffle frais.

En une semaine, je maitrisais gazelle et je demandais l’autorisation de la monter le plus souvent possible pour ne pas perdre l’expérience acquise et la connexion fabuleuse que j’avais établie avec elle. J’avais l’impression qu’elle me comprenait. Elle anticipait presque mes mouvements. Galoper sur son dos était un véritable bonheur.

Nuncio et Amozzo me regardèrent stupéfaits.

– pourquoi vous me regardez de cette manière ? leur demandais-je agacée.

– c’est à cause de ta question. C’est étrange que tu nous demandes une autorisation à nous.

– je ne vois pas pourquoi, c’est vous qui vous occupez des chevaux tout de même !

– bien sur, mais ils ne sont pas à nous, ils appartiennent au village, et le village…

– quoi, le village ?

– et bien, nous avons toujours pensé que c’était toi et Joshua qui dirigiez le village, c’est tout. Voilà pourquoi ta demande est surprenante.

– mais je ne dirige pas le village ! m’écriais-je surprise autant que contrariée.

– tu n’en as peut-être pas conscience mais pourtant c’est ce que tu fais.

– mais je n’ai jamais voulu ça !

– interroge un peu les gens et tu verras ce qu’ils te diront. Vous représentez l’autorité aux yeux de tous les habitants. Toutes les décisions passent pas vous, tu ne t’en ais pas aperçue ?

– non, et je ne le souhaite pas ! répliquais-je en bougonnant.

– mais tu ne peux rien contre ça. Les gens ont besoin de leader et ton autorité naturelle t’y prédispose ! me répondit Amozzo.

– vous racontez n’importe quoi !

Je les quittais, contrariée qu’ils pensent cela. Je ne voulais pas diriger le village. J’avais tellement mieux à faire. Cela supposait des responsabilités dont je ne voulais pas ! J’en parlais le soir à Joshua qui, loin d’abonder dans mon sens, me prévint que les villageois avaient parlé d’élire un chef et que mon nom était revenu fréquemment.

– et si je ne me présente pas ?

– J’ai l’impression qu’on ne te demandera pas ton avis.

– et si je refuse ?

– tu créeras une grande confusion dans leurs esprits. Ils ont besoin de sentir que quelqu’un pense pour eux et les protège. Il te retrouve dans cette fonction. C’est toi qui as conçu leurs maisons, tu as décidé de l’emplacement de chaque chose et c’était pertinent. Tu as donné une priorité aux taches à accomplir et tu ne t’ais jamais trompée. Ils te font confiance. Ils ont besoin de toi, tu ne peux pas te dérober.

– mais je ne veux pas diriger qui que se soit ! J’ai déjà du mal à me diriger moi-même et à donner un sens à ma vie !

– ça c’est ce que tu crois, mais si tu prends le temps de regarder tout ce que tu as fait ces derniers temps, tu verras que tout concoure au même aboutissement. Tu as une idée en tête Zellana, je te connais bien, et même si tu sembles aller à droite et à gauche, en réalité, tout ce que tu fais est lié. Les longues promenades, l’atelier de Martial, le cheval…

– comment sais-tu tout cela ?

– parce que je t’observe. J’essai de comprendre ou tu vas, et les choix que tu fais actuellement me semblent raisonnés et intelligents. Tu cherches quelque chose et tu te donnes les moyens de le trouver…et visiblement, tu n’es pas seule, tu as ralliés des gens à ta cause.

– je ne le dirais pas de cette manière. Ca c’est plutôt fait naturellement. En discutant nous nous sommes aperçus que nous souhaitions des choses similaires, que ce soit avec Martial ou avec Nuncio et Amozzo.

– c’est bien ce que je dis, tu fédères les gens autour de toi mais tu ne t’en aperçois pas encore. Bientôt, vous serez un petit groupe et vous formerez une sorte de gouvernement. C’est une bonne chose. Si cela ne se fait pas, chacun partira dans sa direction et le village finira par s’autodétruire. C’est le rôle d’un chef que de maintenir la cohésion du groupe.

– pourquoi tu ne te présentes pas toi ? Tu sembles avoir une bien meilleure vue d’ensemble que moi ! lui reprochais-je, agacée d’avoir été si vite démasquée par Joshua.

– c’est bien le problème, répondit-il, je maitrise les concepts mais je n’ai pas ton charisme. Je suis celui qu’on vient consulter pour des réponses techniques mais pas celui à qui on a envie de confier son avenir. Toi oui.

– j’aimerai avoir le temps d’y réfléchir, lui répondis-je boudeuse.

– tu as le temps. La discussion commence juste à prendre forme. Mais prépare-toi à être interpellée dans quelques temps. Les gens comptent beaucoup sur toi. Ce que tu fais et ce que tu dis a de l’importance pour eux. Tout le monde t’a vu partir à cheval et les gens s’interrogent : que fait-elle ? Où va-t-elle ? Je leur réponds que tu complètes tes relevés topographiques, mais bientôt ils ne se contenteront plus de mes réponses. Ils voudront entendre les tiennes.

– je vais y réfléchir, et pour ton information, demain, je vais avec Martial chercher les ordinateurs qu’il a cachés dans une navette. Nous allons remettre un système informatique en fonction.

– c’est une bonne idée mais à quoi cela va-t-il vous servir ? m’interrogea Joshua étonné.

– pour le moment, on s’occupe de l’installation et de la mise en réseau. Une fois que ce sera fait, je t’expliquerais notre idée si elle est réalisable.

– n’oublie pas de tenir les gens informés, me conseilla-t-il. D’abord parce qu’il faut utiliser les compétences de chacun et ensuite parce qu’il ne faut pas les tenir dans l’ignorance. Ils prendraient ça pour une trahison.

– d’accord, j’y veillerai. Mais pour le moment, Martial tient à ne pas ébruiter l’information car certaines personnes sont hostiles à l’utilisation des ordinateurs, et je les comprends. Mais je suis la première à en avoir besoin pour mes relevés topographiques.

– je suis content que tu m’ais parlé Zellana, ajouta Joshua après un long silence. Ca faisait longtemps que tu ne me disais plus rien.

– je suis désolée, j’ai été très occupé et toi aussi…

– non, je ne te dis pas ça pour te culpabiliser, je te dis juste que je suis content. Prends-le pour ce que c’est.

Je l’embrassais pour le remercier, même si je savais que ce baiser était plus pour lui que pour moi. Il tenta de me repousser puis il me serra dans ses bras et s’abandonna à mon étreinte. Mes sentiments pour Joshua avaient évolué très rapidement. Je savais maintenant que je n’étais pas amoureuse de lui et que je ne le serais jamais. J’allais peut-être passer ma vie à ses cotés, faute de pouvoir faire d’autres choix. Pourtant je l’appréciais énormément. Sa gentillesse, sa sagesse et sa générosité étaient restées intactes et je lui en étais reconnaissante.

 

 

 

 

 

 

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