LA GROTTE DES VOYAGEURS – Chapitre 3

Chapitre 3

15° jour de la saison d’été de l’an 1

Deux Années terrestres

Le lendemain soir, le conseil se réunit. Tout le monde se retrouva dans mon salon à la tombée de la nuit. Comme je l’avais suggéré, Amozzo avait remplacé Nuncio. Malgré le chagrin que cela lui inspirait, il prenait ses nouvelles responsabilités très à cœur avait beaucoup œuvré pour la construction de la nouvelle fortification, chère au regretté Nuncio.

Après forces salutations et une collation prise dans le salon où les conversations furent plaisantes, nous nous installâmes tous autour de la table lumineuse, et pendant que chacun prenait place, je me fis la réflexion que le temps de la bataille semblait lointain à tous. La mémoire humaine est surprenante. Les blessures étaient pansées, les plaies refermées, la vie avait repris son court.

Je me levais et réexpliquais succinctement mon périple et les quelques informations que je jugeais nécessaires à la compréhension du processus du voyage, sans m’appesantir outre mesure sur le Mitreion. Mes amis me connaissaient suffisamment pour savoir que si je n’en parlais pas, il était inutile de m’interroger. Pourtant je distinguais confusément la masse brouillée de leurs réflexions mêlées. Moya avait raison, je commençais à pouvoir lire dans les pensées mais je n’étais pas capable de les trier, comme si j’étais équipée d’un capteur qui recevait toutes les fréquences en même temps. Je ne tentais pas de me concentrer sur l’un d’eux, je ne jugeais pas utile de violer leur intimité. J’aurai certainement d’autres occasions durant lesquelles je mobiliserai à meilleurs escient ce potentiel balbutiant.

Le conseil se montra particulièrement intéressé par la découverte du village de nos amis et accepta de les aider après que je leur eus expliqué leur dénuement. Je voyais leur peine pour ceux qui possédaient moins que nous et leur fierté d’appartenir à un village dont les habitants avaient su exploiter au maximum les compétences de chacun. Je faillis répliquer qu’ils en faisaient de même avec des moyens plus faibles, mais je m’abstins quand je réalisais que le silence régnait dans la pièce. Tout le monde regardait la table, absorbé par des pensées convergentes cette fois-ci. Je me contentais de caresser doucement la pierre de mon collier comme je le faisais depuis le jour où je l’avais ramassée sur le sol et portée en bijou. Je rompis finalement le silence qui devenait pesant en disant :

– je suis contente que nous puissions leur venir en aide, ce sont des gens biens et ils nous aideront certainement en retour.

– comment ? dit Mafalda prosaïque, comment pourraient-ils nous aider ?

– je ne sais pas encore. Si on arrive à faire circuler une navette, ils pourront peut-être venir en renfort si nous devons affronter les gardes à nouveau. De toute façon, c’est bien que nous ne soyons plus tout seul. Je compte trouver d’autres villages et rencontrer leurs habitants. Nous devons commencer à nous regrouper. Le gouvernement ne souhaite probablement pas que nous nous unissions, il compte sur l’isolement de chacun. Mais je pense que nous devons y mettre un terme. Je n’ai pas oublié la promesse que j’ai faite à Farahawk et aux habitants du village. Les nôtres ne doivent pas être morts pour rien. Le gouvernement ne doit pas reprendre le contrôle de nos vies. J’ai trop tardé à réagir et je m’en veux, mais c’est fini. Nous devons agir pour pouvoir continuer à vivre en paix sur cette planète !

Le conseil resta silencieux un moment. Chacun méditait ses propos lourds de conséquences. Certains n’aspiraient qu’à vivre en paix et à préserver ce qu’ils avaient laborieusement acquis, d’autres craignaient l’expansion du village ou son éradication, comme cela aurait pu être le cas si la bataille nous avait échappée. Quelques uns enfin, comme Joshua dont la voix m’apparaissait plus clairement que les autres, pesaient consciencieusement les conséquences de cette déclaration. Je sentais au plus profond de moi que nous ne gagnerions pas une nouvelle bataille si nous ne faisions rien. Fédérer les colons et les habitants des autres villages m’apparaissait comme la solution la plus cohérente.

– je pense que Zellana a raison, dit finalement Joshua. Il faut trouver des alliés. Si Moya et ses hommes n’étaient pas venus à notre aide, nous serions probablement tous morts ou réduits en esclavage. Je ne sais pas pourquoi le gouvernement nous accorde ce répit mais il faut en profiter pour renforcer nos protections et trouver de l’aide auprès des nôtres. Ils ne le savent peut-être pas encore, mais ils ont besoin de nous autant que nous avons besoin d’eux. Si Zellana est d’accord, je partirai avec elle. Nous retournerons chez nos amis des plaines centrales, puis dans les autres villages où les nôtres se sont installés.

Il s’était levé en parlant et il dominait l’assemblé, tendant le bras vers cette planète fictive qui étalait son continent devant nous avec ses reliefs si réalistes qu’on voyait bouger les arbres des grandes forêts du centre et scintiller la neige des sommets éternels.

Après quelques protestations de principes, particulièrement de Martial qui nous avait habitué à discuter toutes les décisions, le conseil approuva à contrecœur.  Ils avaient bien conscience qu’ils laissaient partir leur chef et son bras droit. C’est en substance ce que dirent Martial et Amozzo mais les autres, Serarpi la première, soutinrent le projet et il fut décidé que nous partirions rapidement.

A l’issue de cette décision qui désunissait le conseil pour la première fois, chacun prit le chemin du retour. Seuls Martial et Joshua s’attardèrent. Le premier essayait encore de nous dissuader et le second voulait planifier le voyage. Je les renvoyais rapidement chez eux en leur démontrant que nous aurions le temps de parler de tout ça plus tard. Je dus les accompagner jusqu’au bas des marches de la véranda pour qu’enfin ils acceptent de partir.

Je m’apprêtais à fermer la maison pour aller me coucher quand Moya frappa à la porte à claire voie. Je le laissais entrer, que pouvais-je opposer à sa présence chez moi ? Comme la fois précédente, il s’installa sans vraiment me demander la permission et attaqua immédiatement :

– je veux venir avec vous. Vous aurez besoin de moi pour ce voyage. Je connais bien les grottes, les gardes et les différentes régions du continent. Moi aussi je dois retrouver des hommes qui pourront nous être utiles si nous devons faire face à un nouveau conflit.

Je ne savais que répondre à cette demande qui n’en était pas vraiment une, car même si la forme était polie, je sentais une détermination qui m’empêcherait de refuser sa présence.

– je ne suis pas sure que Joshua soit d’accord, fut la seule parade que je trouvais. Je me tortillais d’un pied sur l’autre, debout, face au colosse assis bien droit dans mon fauteuil et je me sentais totalement désemparée.

– il t’appartient de le convaincre de l’utilité de maprésence et puis, je peux t’aider à retrouver Alex…

La porte claquait déjà alors que je restais plantée au milieu de la pièce, tentant de peser les avantages et les inconvénients de sa présence durant ce voyage, sans pouvoir contenir l’image d’Alex que je refoulais depuis si longtemps.

Je finis par me coucher après avoir longtemps repoussé le moment, trouvant toujours une dernière chose à faire car je craignais d’être obnubilée par l’image d’Alex. Comme je l’avais redouté, je dormis peu  et mal. Dès le lendemain, après une toilette rapide et un habillage plus que succinct – je me contentais d’enfiler une robe à bretelle légère que je retrouvais au fond de mon armoire – je me rendis chez Joshua où je dû subir le regard assassin de Daïa qui craignait encore que je lui reprenne son homme. Il accepta de me rendre visite à la fin de la journée. Il était déjà absorbé par ses préparatifs de départ et sa compagne semblait bouillonner de rage. Ma présence sur le pas de leur porte redoubla sa fureur. Je sentais toutes les mauvaises ondes qu’elle dégageait, et toutes me concernaient et me vouaient à des supplices effrayants. Je pris mes jambes à mon cou et me réfugiais chez Martial et Serarpi qui m’offrirent un café et de grandes tartines de pain beurré accompagnées d’une confiture locale absolument délicieuse. J’adorais ce petit déjeuner qui me réconforta. Avec eux, je me sentais en sécurité.

Une fois rassasiée, je passais la journée à observer ma table lumineuse et cet étrange continent qui déroulait complaisamment ses milliers de kilomètres de territoire d’une simple pression du doigt. Puis je paressais dans l’eau ou à l’ombre de la véranda aux heures les plus chaudes.

Joshua arriva alors que la nuit tombait sur une journée torride et totalement improductive pour moi.

– Joshua, je suis désolée d’avoir dérangé ta compagne possessive mais il fallait que je te parle de toute urgence. Hier soir, après votre départ, Moya est venu me voir et il m’a proposé de partir avec nous…

– il n’en est pas question !

– laisse-moi le temps de t’expliquer. Il y a beaucoup de choses que tu ne sais pas. Tout d’abord, Moya et ses hommes voyagent depuis longtemps dans les grottes et nous gagnerons du temps grâce lui, ensuite, il connait bien le territoire. Il pourra nous éviter de nous perdre ou de faire de mauvaises rencontres. D’autre part, il veut lui aussi retrouver des hommes.

– je ne veux pas que ce sauvage vienne avec nous !

– mais ce n’est pas un sauvage ! m’écriais, consciente que je devais à toute force convaincre Joshua sans lui révéler la véritable raison qui me motivait. Tu le vois vivre avec sa famille depuis de nombreux jours. C’est un bon père et un mari visiblement amoureux. Il peut sembler impressionnant de prime abord, mais c’est une apparence. Les années passées en captivité ne l’ont pas rendu très tendre mais il ne représente pas un danger pour nous, fais moi confiance.

– comment peux-tu en être sure ? me répondit-il sur la défensive.

– je le sais, c’est tout ! dis-je entêtée, ce qui avait le don d’exaspérer Joshua.

– ça n’est pas suffisant pour prendre ce risque !

– mais de quel risque parles-tu ? Tu ne penses pas que nous risquons bien plus si nous tombons sur une bande de rebelle ou sur des gardes en maraude ? Je ne crois pas qu’il faille avoir peur de lui. S’il avait voulu nous faire du mal, il aurait eu de nombreuses occasions de le faire. Ses hommes sont heureux ici, ils ont enfin trouvé la paix. Tu le sais, tu travailles aux champs avec eux tous les jours. Allez, Joshua, s’il te plait, je me sentirais rassurée si nous partons tous les trois.

– pourquoi me demandes-tu mon avis si tu as déjà pris ta décision !

– parce que je souhaitais t’en informer et puis cela rassurera Daïa…

– de le savoir avec nous ?

– de ne pas nous savoir seul tous les deux !

Il resta silencieux et je sentis que j’avais touché un point sensible. Je voyais que Joshua préparait déjà les arguments qui lui permettraient de convaincre sa compagne de le laisser partir sans lui faire une scène épouvantable.

Je mesurais le chemin que j’avais parcouru depuis que nous avions débarqué du vaisseau, à une époque où je me sentais encore totalement dépendante de lui. Je lui devais la vie. Sans lui, je serai probablement morte dans ma cellule ou, comme cela avait été prévu, dans le crash de la navette dans laquelle j’aurai embarqué avec d’autres condamnés comme moi. Puis, le désamour nous avait lentement séparé et je l’avais quitté pleine de remords mais sans regrets. Je savais que ma vie était ailleurs et je croyais avoir trouvé celui qui allait la partager. Ce que nous avions vécu, Alex et moi, était si intense, si pur et si évident que je ne pouvais pas imaginer un seul instant qu’il partit comme il l’avait fait, me laissant seule et sans nouvelles. Je réalisais, en regardant Joshua s’éloigner dans la nuit, qu’Alex me manquait tellement que la douleur de son absence m’enserrait la poitrine dans un étau qui me coupait le souffle quand je m’autorisais à penser à lui. Je descendis les marches en courant, emplie d’un chagrin que j’avais refoulé si longtemps et je m’enfonçais dans la nuit en direction de l’océan. La première lune descendait déjà alors que la deuxième commençait à apparaitre, faisant miroiter l’océan de leurs lumières croisées. Le chant des baveaux dans le lointain me troublait. Il ressemblait à une plainte, comme la nuit où nous pleurions nos morts. Je m’assis sur le sable frais et j’attendis, je savais qu’ils viendraient même si je ne pouvais dire d’où me venait cette certitude. En effet, ils s’approchèrent du rivage et l’un d’eux sortis de l’eau, me dominant de sa masse gigantesque. Il se tenait à quelques mètres de moi et sa patte nageoire battait doucement le sable, en en projetant dans ma direction. En le regardant, j’eus le sentiment distinct qu’il m’appelait, alors je me levais et je remontais vers sa tête. Je me tins un moment debout devant lui, plongeant mon regard dans ses yeux bleus laiteux. Une vague de calme et de sérénité m’envahit alors que nos yeux s’accrochaient. J’avais envie de me perdre dans ce regard doux et rassurant. Comme je l’avais fait le soir où deux d’entre eux m’avaient sauvé la vie, je me collais contre son flanc et sa peau visqueuse émit un bruit de succion quand je m’y appuyais. Cela aurait du me repousser mais j’étais irrésistiblement attiré par ces animaux dont le contact apportait tant de bien-être. Je restais longtemps ainsi, rêvassant, la tête emplie de pensée agréable dont la dominante aquatique ne m’échappa pas. Je me demandais s’il pouvait lire dans mes pensées lui aussi et il cligna des yeux. Alors je me mis à rire, ce monde était vraiment extraordinaire ! Je me détachais à grand-peine de l’étrange animal, m’arrachant à ce calme salvateur que m’apportait son contact et je le regardais reculer lentement en se tortillant pour rejoindre l’eau. Ses congénères émirent de longs jets d’eau pour accueillir son retour et ils repartirent dans les profondeurs de cet océan dont nous ne savions rien. Je remontais à la maison mais Alex n’était pas là pour m’embrasser. Cette constations bien qu’attristante, ne parvint pas à entamer la douce béatitude dans laquelle je baignais. Après m’être sommairement essuyée, je me couchais pour une longue et paisible nuit, ce qui ne m’était pas arrivé depuis longtemps.

Le lendemain, à peine lavée et habillée, je me rendis chez Martial et Serarpi. Lui, boudait dans son coin mais elle m’offrit un déjeuner somptueux, ce qui était étonnant pour une femme aussi mince et sèche d’allure. A la fin du repas, elle m’entraina dans la salle informatique et me donna un petit ordinateur :

– tien, je l’ai fabriqué pour toi. Tu peux y relier tes capteurs au fur et à mesure, ce qui te permettra d’avoir immédiatement des images. Je serais plus tranquille si tu sais à l’avance ce qui t’attend. Grace au satellite, il te servira aussi de GPS. Le signal ne peut normalement pas être repéré autrement que par nous, ce qui nous donnera l’occasion de savoir où tu es, murmura-t-elle, tu comprends, il s’inquiète tellement quand tu n’es pas là.

– parce que toi, tu ne t’inquiètes pas ? cria Martial de la pièce voisine.

Serarpi rougit et répondit à voix plus haute :

– tu le sais très bien et Zellana aussi. Puis elle se détourna, me laissant retourner vers Martial qui avait retrouvé le sourire.

– il était temps qu’elle le dise ! vociféra-t-il.

– merci Serarpi, dis-je à la porte qu’elle avait déjà repoussée derrière moi. Merci Martial. Ne vous inquiétez pas, je ne serais pas seule cette fois ci et nous aurons des armes. Je fais confiance à Joshua et Moya pour s’équiper convenablement.

– qu’est-ce que Moya vient faire là dedans ? tonna Martial, soudain sur le qui vive.

– il vient avec nous, dis-je prudemment.

– Alors là ! Mais tu es folle ma pauvre fille, laisser ce bandit partir avec vous ? Il va vous…

– quoi, que penses tu qu’il va nous faire ? lui répondis-je, énervée que sa présence contrarie tellement les hommes de mon entourage.

– je ne sais pas mais je m’y oppose ! cria le géant barbu.

– tu n’es pas en position de le faire et Joshua est d’accord ! répliquais-je en criant presque aussi fort que lui, ce qui me demanda beaucoup d’efforts.

– vous êtes aussi fous l’un que l’autre ! hurla Martial qui s’échauffait visiblement.

– non, je trouve plutôt rassurant de le savoir avec nous, dis-je en baissant le ton car je ne voulais pas me fâcher avec mon irascible ami. Il nous sera d’une grande aide pour nous diriger dans les grottes et nous voyagerons plus en sécurité à ses cotés. Nous pourrons nous consacrer plus sereinement aux taches qui nous importent.

– tu dis ça pour te rassurer…

– un peu oui, mais je pense que je ne me trompe pas.

– je te le souhaite…dit-il résigné. Tiens, je t’ai fabriqué une arme spécialement pour toi, c’est un bricolage que j’ai fait, ajouta t-il en me tendant un petit pistolet ; il est puissant et il vise juste. Il ne dispose pas de beaucoup de coups mais voilà des chargeurs, poursuivit-il en me tendant plusieurs étuis métalliques dans lesquels luisaient des balles argentées. Avec ça, tu devrais pouvoir te défendre. Garde le toujours avec toi,  promets le moi. Dit-il en me le mettant dans la main et en refermant délicatement mes doigts dessus comme s’il craignait de me lâcher la main.

– je te le promets, lui répondis-je ne le serrant dans mes bras et en déposant un baiser sur son front bronzé. Bon, je vais préparer mon sac, nous partons demain matin.

Il me laissa m’en aller après m’avoir serré brièvement mais vigoureusement contre lui et le temps d’un éclair, je vis ses yeux briller de larmes mais il se retourna immédiatement. Je sortis dans le soleil du matin, émue et heureuse de toute cette affection et de toute cette attention. Je calais le petit pistolet dans ma ceinture et redescendis le long du chemin principal, longeant des maisons plus nombreuses maintenant, qui semblaient déjà écrasées par le soleil qui se levait même si elles miroitaient encore de la lueur rose du matin. Les fleurs et l’herbe verte du printemps avaient séché dans les jardins car les pluies ne tombaient pratiquement plus. Nous n’étions qu’au début de l’été et déjà, certains d’entre nous, peu habitué, attendaient impatiemment l’arrivée de l’automne qui nous apporterait la fraicheur à laquelle nous aspirions. Les tables et les chaises ne servaient que le soir, quand, à la nuit tombée, la fraicheur de l’océan nous arrivait enfin, traversant le village comme un souffle apaisant, faisant tinter les rideaux en perles de bois et remuant doucement les branches des arbres qui nous ventilait de leur doux mouvements bruissant. 

A la hauteur du magasin d’alimentation, je croisais Julianne qui transportait un panier débordant de pèches et un autre de tomates d’un rouge sombre. Je lui volais deux belle pèches et deux tomates pour mon repas et lui dit que je passerai dans l’après-midi faire le plein de provisions pour le voyage. Elle me sourit et continua sa route, chaloupant sous le poids de ses paniers dans la belle robe rouge qu’avait confectionné Zoléa et qui froufroutait agréablement quand elle se déplaçait.

Depuis plus de deux saisons que nous étions installés, les habitants du village étaient de plus en plus épanouis. Ils semblaient vivre un rêve éveillé malgré leur labeur quotidien. Quelle était loin cette terre inhospitalière qui nous avait poussés à partir ! Son climat épouvantable commençait à s’estomper dans nos mémoires et nous chantions bien plus fréquemment Matria et son soleil que les chants lugubres de la terre agonisante que l’on nous apprenait à l’Académie. Les bébés naissaient régulièrement. Gentiane avait donné naissance au fils de Nuncio, un beau bébé prénommé Tibère. Somaya avait mis au monde Sakatan, la fille du regretté Fluon et Itrish avait accouché de Mauricio, fils de Dalloc. Les trois femmes, qui s’étaient un temps soutenues dans ce deuil éprouvant, avait repris leurs habitudes et élevaient leurs bébés dans la sérénité, sinon dans la joie, avec l’aide indéfectible de Tamina qui les accueillait à volonté à la crèche. Itrish s’était portée volontaire pour lui donner un coup de main car les bébés devenaient nombreux et beaucoup de mamans souhaitaient continuer à travailler. Zoléa y déposait quotidiennement ses jumeaux pour faire marcher son atelier de confection où le tissu sortait maintenant en grande quantité. Les femmes nouvellement arrivées s’étaient vite intégrées et beaucoup d’entre elles s’étaient spontanément proposées pour assumer des taches diverses dans le village. Ainsi, l’atelier de couture trouva du renfort inattendu en la personne de Flora et Zibeline, toutes deux mères de famille. Pendant que Séquoia, l’épouse de Champollion, le bras droit de Moya, et Pâquerette venaient étoffer les effectifs de la crèche. Les hommes de Moya s’étaient investis dans les travaux des champs ou l’entretien et la construction des maisons et du mur d’enceinte. Le travail ne manquait pas et le village résonnait toute la journée d’une agitation joyeuse. Les villageois se croisaient et se saluaient, prenaient le temps de parler un moment avant de retourner à leurs occupations. Les invitations à manger chez les uns ou chez les autres étaient quotidiennes et des affinités apparaissaient peu à peu. Orep se remettait lentement de la perte de Sorel qui s’était sacrifié pour moi durant la bataille des gardes et Sobia ne la quittait pas. Pourtant, au petit matin, après avoir déposé les fournées brulantes dans les paniers en osiers, il n’était pas rare de voir Kompur se glisser discrètement dans la demeure de cette dernière et y disparaitre une bonne partie du jour, laissant le fournil à Bruek et à son épouse Bégonia dont les pâtisseries faisaient accourir tous le village. Leur fille Colia était une des plus âgées de la classe de Copland qui accueillait quotidiennement une dizaine d’enfant de plus de trois ans. Tout le monde semblait avoir trouvé sa place et personne ne rechignait à donner un coup de main ou à travailler tous les jours. L’harmonie régnait, balayant les craintes de certains à l’arrivée des colons. Ils avaient apporté leurs forces vives plutôt que la dissension et le trouble redouté. Je partais donc sereinement à la conquête de nouveaux territoires et à la recherche d’Alex, qu’un secret espoir me permettait de penser en vie, m’attendant quelque part. J’espérais que Moya m’aiderait à le trouver car c’était l’unique raison qui m’avait fait accepter sa présence parmi nous. Il le savait mais Joshua l’ignorait.

J’emballais des affaires propres et constatais que je manquais de vêtements chauds. Nous irions probablement près des montagnes et même si c’était le plein été ici, les colons m’avaient raconté le froid redoutable qui régnait sur les premiers contreforts des monts enneigés et dont j’avais brièvement fait l’expérience quelques jours auparavant, durant mon périple dans les grottes.

A la maison, Boulette tournait et miaulait sans cesse. Elle sentait mon départ imminent et comme à chaque fois, elle manifestait son mécontentement. J’eus beau la câliner et la gaver de nourriture, rien ne la calma et elle finit par s’enfuir en crachant le long de la plage. Je ne la revis pas de la nuit. Je soupçonnais qu’elle avait trouvé refuge sous la maison car j’entendis des bruits diffus sous le plancher de ma chambre. Malgré toute l’affection que j’avais pour elle, je partais l’esprit tranquille. C’était le seul chat du village et tout le monde l’adorait. Elle n’était jamais délaissée quand je m’en allais et pouvait profiter de la maison pour elle toute seule. Depuis son expérience malheureuse dans le champ de blé où elle avait faillit être dévorée par une sorte de belette à grandes pattes, elle préférait la tranquillité des jardins du village. Il me semblait que notre petite communauté avait su trouver un équilibre durable et ma quête de nouveaux villages n’avait pas pour but de multiplier les habitants mais plutôt de créer des liens indispensables à une vie commune sur le territoire.

Après être allé m’approvisionner au magasin alimentaire, je fis un passage éclair chez Zoléa qui me fournit deux pantalons chauds et un gros pull en laine. Nos moutons s’étaient reproduits et leur belle laine était devenue épaisse grâce à la nourriture riche de Matria.

Je passais la soirée à poser des pointeurs sur ma table lumineuse, marquant les lieux dans lesquels j’avais repéré des installations similaires à la notre, puis j’y branchais le petit écran-ordinateur que m’avait donné Serarpi pour y stocker les données en mémoire. Je rangeais les capteurs, ailes et petites pattes repliées, serrés dans un sac en toile que je laissais accessible dans une poche extérieure de mon sac à dos. Ils n’étaient pas plus gros qu’une petite boite d’allumette et seul l’arrondi de la caméra, qui en bombait le dessous, là où les pattes se refermaient et la protégeaient, les différenciait d’un boitier quelconque. L’arme de Martial viendrait s’accrocher à ma ceinture, je le lui avais promis et le communicateur était rangé tout au fond de mon sac. Mais je ne l’utiliserai qu’en dernier recours. Je me doutais que les deux hommes qui m’accompagnaient dans mon périple avaient eux aussi des armes et des appareils électroniques, aussi je décidais de ne pas me charger outre mesure. Je fermais la boucle de mon sac, préparais mes vêtements pour le lendemain, descendis jusqu’à l’océan pour une traversée rapide de la baie et rentrais à la maison où je pris une longue douche fraiche puis me couchais pour une nuit courte mais paisible. J’étais prête !

 

 

 

 

 

 

 

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