A LA LUMIERE FROIDE DE LA TERRE – Quatrième Partie – Chapitre 3

Chapitre 3

Alex refusait de répondre. Il me prit dans ses bras et me serra contre lui. Le canon retentit à nouveau et les obus volèrent au dessus de nous, détruisant le village à l’aveugle. Dans les sous-sols, les tirs retentissaient par salves de plus en plus nourries. Nous étions démunis. Leur bouclier résistait et le reste des troupes avaient disparues.

– on ne peut pas rester comme ça à les regarder détruire le village ! Il faut faire quelque chose ! m’écriais-je affolée et désespérée.

– soit patiente…je t’en supplie, fais moi confiance…

– pas si tu refuses de me dire ce que tu as fait !

– bon d’accord, j’ai demandé de l’aide !

– mais à qui ?

– aux hommes du Nord. Ceux qui ont participé à la rébellion…ils arrivent. Je ne sais pas combien ils seront mais ils vont nous aider. Par contre, je ne peux rien garantir la suite. Ce sera peut-être pire que ceux que nous essayons de détruire.

– tu parles du fameux Moya ? lui demandais-je avec inquiétude.

– oui, lui et ses hommes…

– mais combien sont-ils ?

– je n’en sais rien…durant la rébellion, ils étaient nombreux mais aujourd’hui, j’espère qu’une cinquantaine d’hommes vont venir.

– dans combien de temps seront-ils là ?

– d’ici une petite heure…

– nous ne tiendront pas jusque là !

– il le faudra sinon ils trouveront un champ de ruines.

– bien, nous négocierons avec eux après. J’espère que ce ne sont pas des sauvages comme ceux du gouvernement.

– ils sont pires et meilleurs à la fois. Ce sont d’anciens esclaves. Ils sont souvent imprévisibles. C’est pour ça que je me tiens loin d’eux depuis des années.

– est-ce qu’ils sont aussi équipés d’une puce ?

– probablement. La plupart avaient des colliers, alors je n’en sais rien.

– par où vont-ils arriver ?

– par la grotte de la falaise.

– d’accord, je vais prévenir tout le monde.

J’appuyais sur le bouton du communicateur et je dis :

– c’est Zellana qui vous parle. Je vous demande de me faire confiance. Il faut tenir le village et les sous-sols durant une heure. Des hommes vont arriver pour nous aider. Ce sont des amis d’Alex. Certains d’entre eux ont participés à la grande rébellion des mines il y a trois ans. S’ils arrivent jusqu’à nous, nous leur fournirons des armes s’ils en ont besoin. Pour le moment, tenez vos positions…je vous aime, je vous aime tous. Nous avons vécu une aventure formidable et si elle doit s’arrêter aujourd’hui, je tiens à vous dire que je ne regrette rien. Nous avons construit un village magnifique et nous avons réussi là où beaucoup d’autres ont échoué. Nous sommes un modèle pour ce monde. Si nous en sortons vivant, nous prendrons le pouvoir pour que cela ne se reproduise plus jamais. Alors, mes amis, je vous le demande, restez en vie pour assister à ça. Battez vous de toute vos forces parce que ce que nous avons construit, mérite d’être défendu.

Des cris de guerres retentirent de part et d’autre et me réchauffèrent le cœur puis le silence s’installa entrecoupé des explosions de plus en plus rapprochées du canon qui ne désarmait pas. Alex me serra contre lui et dit :

– c’était très beau, tu viens de leur redonner gout à la vie en quelques mots. Je t’aime Zellana et il m’embrassa tendrement pendant que le portail tombait, explosé en mille morceaux par un obus tiré à bout portant.

– Alex, il faut les empêcher d’entrer ! m’exclamais-je horrifiée.

– d’ici nous ne pouvons rien faire, me répondit-il, attristé par le spectacle.

– il faut y aller…peu importe, il ne faut pas qu’ils entrent !

– je les ai en visuel dit Martial, mais ils ne sortent pas de leur protection ! Impossible de les atteindre.

– s’ils veulent entrer, ils devront quitter le dôme ! La brèche dans le portail n’est pas assez grande pour laisser passer leur engin ! Cria Nuncio.

– alors on y va ! criais-je en sortant avant qu’Alex ne m’en empêche.

Mon fusil était lourd et je peinais à le porter. Je couru vers le portail dont les portes tenaient encore par le haut mais s’ouvrait en une large béance en leur centre. Par le trou, je voyais le canon pointé droit vers le village et les hommes qui chargeaient un obus à l’intérieur. Derrière moi, Alex cria :

– Zellana, ne reste pas là, tu vas te faire tuer !

Mais j’étais tétanisée par la gueule noire du canon, par les rictus haineux des hommes, par cette volonté de destruction que je ne parvenais pas à comprendre. J’avais envie de leur dire de tout arrêter, de venir boire un thé glacé à la maison, à l’ombre de la véranda, si elle existait toujours ; que nous pourrions parler, nous comprendre et probablement nous entendre ; au lieu de cela, je les regardais comme si je n’était plus que spectatrice de la destruction qui était à l’œuvre autour de moi. Au moment où l’obus s’éjectait de son fût mortel, Alex me plaqua au sol ; j’entendis la bombe siffler au dessus de nous et l’explosion fut terrible. Elle nous recouvrit de terre et nous rendit sourd. J’avais l’impression de flotter dans un univers ouaté que la fumée renforçait. Puis les hommes sortir du rayon de l’arme destructrice et pénétrèrent dans le village ; ils étaient une dizaine en petit bataillon serré. Les autres attendaient, collés au canon. Leurs énormes mitraillettes fauchaient tout ce qu’ils visaient. Les hommes répliquaient mais nos armes n’étaient pas aussi puissantes. Ils s’attaquèrent à la tour sur laquelle se trouvait Martial et sapèrent si rapidement ses pieds qu’elle s’effondra en quelques minutes. Martial hurla et je le vit tomber dans les plantations de maïs. J’espérais qu’il s’en sortirait vivant quand un lance-flamme balaya le champ déjà mûr, prêt pour la récolte. Il prit instantanément feu. Pendant ce temps, deux autres s’efforçaient de réduire à néant la tour où se trouvaient Nuncio. Mais il répliquait et il réussit à en tuer un d’une balle en pleine tête. Il n’eut pas le temps de savourer sa victoire ; le lance-flamme entra en action et brula la tour en peu de temps ; je vis Nuncio sauter par une brèche et s’écraser au sol, fauché dans sa chute par une rafale de mitraillette. J’aurais voulu crier mais je ne pouvais pas ; mon cerveau n’arrivait plus à enregistrer les évènements qui se déroulaient à quelques mètres de nous. Alex rampa vers le fossé qui bordait le chemin en me trainant derrière lui ; nous étions couverts de terre et c’est probablement ce qui nous sauva la vie ; les hommes ne nous avaient pas vus. Nous roulâmes dans les buissons qui bordaient la route et Alex m’obligea à baisser la tête. Mais je ne voulais pas rester là, je voulais aller voir si Martial avait survécu aux flammes de l’enfer, si Nuncio vivait encore malgré les balles qu’il avait reçues dans sa chute. Je voulais agir.

Les hommes avançaient inexorablement, tirant sur tout ce qui se présentait à eux : maisons, végétations ; leur volonté d’éradication était évidente. Je rampais pour m’éloigner de la route et réussi à atteindre les cultures. Derrière moi le feu se propageait aux champs de blés ; j’avançais lentement ; ma progression était douloureuse ; mes genoux saignaient dans la terre pierreuse par endroit mais j’avançais toujours ; je ne savais pas où je désirais me rendre mais j’avançais. Alex avait bien essayé de m’en empêcher mais je lui avais échappé. Je voulais rejoindre ma maison ; finalement cette image s’imposa à moi ; ma maison sur la plage avec son transat accueillant, ses coussins colorés dont les tissus étaient tissés par Zoléa. Ma table lumineuse qui me montrait le monde tel que je le rêvais ; mon lit où le sommeil était paisible et heureux. Mon chat qui m’accueillait toujours en ronronnant et en se frottant à mes jambes. Quand j’eus suffisamment progressé dans les cultures pour m’éloigner de la route, je me relevais et me mis à courir, cachée partiellement par la végétation qui bordait le village ; ensuite je traversais les maisons, ou ce qu’il restait de certaines d’entre elles et je me dirigerais vers la plage ; je voulais aller défendre ma maison ; si je devais mourir ce serait sur son seuil.

Soudain, de grands cris retentirent et les hommes qui avançaient dans le village s’immobilisèrent, puis un petit groupe se détacha et remonta la route en courant ; il en restait trois qui progressaient et brulaient encore le village. Quand ils arrivèrent à sa hauteur, la porte du magasin s’ouvrit à la volée et Selfy en sorti, une arme à la main, si grosse pour elle si menue qu’elle titubait sous son poids ; elle visa les hommes et en blessa un à la jambe ; la riposte fut immédiate ; une rafale la projeta en arrière et elle alla mourir le long du mur, laissant une longue trainée de sang dans sa chute. Je me retins de hurler devant ce spectacle insupportable. Mue par l’énergie du désespoir, je continuais ma course à l’abri de ce qui restait encore debout. Je dépassais la salle commune dont ne subsistait plus que quelques piliers et des pans de mur noircis. Le village n’était pas très grand et j’arrivais rapidement sur la plage. J’allais bifurquer vers ma maison quand les hommes arrivèrent. Je n’avais plus aucune échappatoire. J’étais à leur merci. Ils s’avançaient lentement vers moi, un rictus déplaisant sur leurs lèvres minces qui ne cachait rien de leurs intentions à mon égard et je regrettais de ne pas avoir écouté Alex. Je regardais autour de moi, je n’avais qu’une issue : l’océan ; je savais qu’ils n’iraient jamais ; ils préféreraient me tuer dans l’eau que d’essayer de m’y rejoindre. Je reculais donc le plus vite possible pendant qu’ils s’avançaient pesamment vers moi, l’un d’eux boitant bas.

Soudain un coup de feu retentit et la tête de l’un d’eux explosa. Derrière nous, sur sa véranda, Sorel se tenait bien droit sur ses jambes et rechargeait son fusil. Mais il n’eut pas le temps de tirer à nouveau. Il fut, comme Selfy, coupé en deux par une rafale qui zébra sa maison de part en part. Je hurlais de douleur de voir mon ami, mon vieil ami, se sacrifier ainsi pour moi et je tombais dans le sable, terrassée par les sanglots. Mais les deux hommes continuaient à approcher ; alors je trouvais la force de me relever et je reculais dans l’eau. Quand j’y entrais, ils s’arrêtèrent, interloqué. Je supposais qu’aucun d’eux n’avait jamais osé le faire ; je reculais lentement. Je n’avais pas peur des baveaux. Ils ne s’étaient jamais montrés agressifs sur la plage et ne s’étaient jamais approché de nous quand nous nous baignions Alex et moi. J’avais de l’eau jusqu’à la taille quand les deux hommes pointèrent leurs armes sur moi ; je fermais les yeux, prête à mourir, quand sentis la vague m’emporter pendant que deux baveaux sortaient de l’eau comme des torpilles et venaient s’écraser sur les hommes qui n’eurent pas le temps de réagir. Les gigantesques animaux repartir aussitôt, m’entrainant avec eux dans les remous de leurs énormes corps. J’eu beau lutter, le courant qu’ils provoquaient en nageant était trop fort et m’emportait vers le large et le fond dans un même mouvement.  Je me voyais déjà noyée, quand l’un d’eux me souleva de sa tête grasse et me poussa jusqu’au rivage. Son mufle mou m’amena jusque sur le sable ; dès que j’y fus en sécurité, ils disparurent comme ils étaient venus, laissant dans le sable, deux corps disloqués par leur poids et l’empreinte profonde de leur passage. Je me relevais, trempée, sonnée et couru jusqu’à ma maison. Je ne savais pas pourquoi je m’y rendais ; arrivé au pied des marches, je m’arrêtais, interdite ; ce n’était pas ma place ; je devais retourner auprès des hommes qui se battaient, mais je n’avais plus d’arme. Je ne me souvenais plus à quel moment je l’avais perdue ; probablement dans le fossé, pour pouvoir avancer. Je remontais le long de la plage et en passant devant leur maison, je vis Orep qui pleurait le corps de son mari pendant que Sobia, à ses coté, la soutenait. Elle leva les yeux vers moi et me regarda un instant ; il y avait tant de désespoir dans ses yeux, mais il n’était pas temps de pleurer les morts. Mon communicateur avait grillé ; entre l’explosion et le bain de mer, il n’avait pas résisté. Je remontais jusqu’au magasin de fournitures et malgré ma répugnance, j’attrapais précautionneusement l’arme que Selfy tenait encore d’une main, puis je couru le long de la route. Là haut, devant le portail et au-delà, les combats faisaient rage. Une mêlée humaine se tirait dessus, se frappait à coups de bouts de bois ramassés dans les décombres du portail. J’aperçu quelques hommes que j’identifiais et beaucoup d’autres que je ne connaissais pas. Des corps gisaient au sol et nombres d’entre eux portaient le brassard des gardes. J’en fus soulagée. Mais je ne voyais pas Alex. Je repérais un communicateur qui trainait sur la route et m’en saisis puis je me mis à l’abri des fourrés et appuyais sur le bouton :

– ici Zellana ; les hommes sont arrivés. C’est la pagaille dehors ; si vous m’entendez, répondez-moi !

– zellana ! C’est Joshua ! Les sous sols sont sécurisés ; nous avons condamnés les portes d’accès et nous montons la garde. Personne n’est blessé mais nous aurons des corps à évacuer plus tard.

– parfait Joshua ; quelqu’un d’autre ? Serarpi ?

Mais elle ne répondait pas ; je me sentais totalement inutile dans cette bataille qui faisait rage à l’extérieur, alors je courus jusqu’à l’atelier de Martial. Le devant de la bâtisse avait explosé, dénudant l’appartement de Martial et Serarpi ainsi que l’atelier de Martial. La grande table où nous avions si souvent mangé était brisée en deux mais la salle informatique semblait intacte. Je m’approchais précautionneusement. La porte n’était pas fermée et le local était vide. Serarpi n’était plus à son poste. Je jetais un coup d’œil sur les écrans ; le portail ne tenait plus, il balançait au rythme des hommes qui se cognaient contre lui. La mêlée était si compacte que j’avais le sentiment que les hommes ne savaient plus contre qui ils se battaient, alors j’eus une inspiration. Je pris la manette du laser et positionnais le viseur à quelques mètres des hommes qui s’empoignaient puis je le déclenchais. Le rayon vert transperça le ciel en chuintant. Ensuite j’ouvris les micros et je hurlais :

– cessez de vous battre où je vous fais tous griller !

En parlant, j’avançais le laser vers les hommes qui commençaient à s’immobiliser.

– Vous, les gardes du gouvernement, je vous avais dit que je vous tuerais tous si vous ne partiez pas ! Je n’hésiterai pas ! Allez-vous en et souvenez vous du message dont je vous ai chargé : nous ne nous rendrons jamais ! Vous n’aurez pas notre village !

Les villageois présents sur le terrain commençaient à reculer, arme à la main et rapidement, deux groupes distincts se formèrent. Je rapprochais encore le rayon qui ne se trouvait plus qu’à quelques mètres des gardes.

– partez ! Je hurlais dans le micro ; allez dire à Materia que bientôt nous marcherons sur elle !

Isolés, mis en joue par les hommes de main et les villageois, menacés par le laser qui crépitait faiblement à leur pied, grillant la terre et faisant exploser les petits cailloux qu’il rencontrait, les hommes n’hésitèrent pas très longtemps. Ils se mirent à courir en direction de la colline. J’allais les suivre avec le rayon quand je m’aperçu qu’une troupe d’homme leur courrait derrière. Alors je maintins mon rayon immobile.

Ils n’étaient plus très nombreux à remonter la cote douce, une petite centaine tout au plus ; les hommes qui les suivaient n’étaient pas plus de trente, mais leur détermination semblait plus forte que tout. De mon écran je les vis en massacrer un assez grand nombre avant de les laisser partir. Epuisés mais apeurés, les hommes reprirent le chemin de la falaise. Au sommet de la colline, l’homme en vert qui avait du fuir les combats très tôt, attendait ; il était seul et il tournait en rond, boitillant légèrement, visiblement dans un état de rage incommensurable. Quand les premiers hommes firent leur apparition, il en abattit deux sans sommation. Leurs corps tombèrent le long de la route et les autres passèrent devant eux sans les regarder. Mais le commandant Farahawk ne pouvait pas les tuer tous. Ils repartirent en une colonne moins organisée mais tout aussi rapide et quelques temps plus tard, je les vis arriver au sommet de la falaise. Le commandant fit descendre ses hommes le long du sentier et s’apprêtait à pénétrer dans les grottes quand ils furent tous accueilli par un feu nourrit qui venait de l’intérieur des tunnels ; je compris que des hommes étaient restés en planque et attendaient patiemment leur retour. Je voyais les silhouettes tomber les unes après les autres et aucun, à part le commandant, n’échappa au massacre. Il était debout, immobile, au milieu des hommes qui courraient en tout sens et s’affaissaient sans pouvoir répliquer ; quand il ne resta plus que lui, debout au milieu des corps inertes qui jonchaient la plage, il y eut un moment de calme. Du moins c’est comme cela que je le compris ; un répit ; Le commandant était toujours debout, raide ; il l’avait bien compris, courir ou s’agiter ne servirait à rien alors il attendait sa mort imminente. Mais elle ne vint pas. Quelques minutes passèrent ; il semblait ne plus savoir ce qu’il devait faire. Rentrer dans la grotte pouvait le conduire à la mort ; repartir le condamnerait à errer longtemps sur le continent. Finalement, je le vis disparaitre dans le tunnel et je ne sus pas ce qu’il advint de lui cette fois là ; mais nous étions amené à nous revoir ; j’en étais sure et l’avenir ne me détrompa pas.  

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