A LA LUMIERE FROIDE DE LA TERRE – Première Partie – Chapitre 7

Chapitre 7

Un matin alors que j’arrivais au laboratoire, un garde vint me chercher et me demanda de le suivre jusqu’au bureau de la responsable de la colonisation. Après un regard interrogateur à maitre Wong qui se contenta d’hausser les épaules en signe de perplexité, je le précédais dans le couloir vivement éclairé où je n’avais plus eu l’occasion de me rendre depuis que notre affectation avait été déterminée.

Le garde marchait derrière moi comme s’il anticipait une éventuelle fuite, ce qui me mit mal à l’aise. En arrivant près du poste d’état-major je constatais que Daïa n’était pas là. Cela me rassura car je n’avais pas envie de la voir et m’inquiéta en même temps. Lui serait-il arrivé quelque chose ? Joshua était-il en danger lui aussi ? Je n’eus pas le temps de m’interroger plus longtemps, le garde ouvrit la porte d’un bureau portant le numéro 235 et je me trouvais devant la jeune femme apeurée de la navette. Elle avait repris des forces et du courage. Ses cheveux avaient poussé et de belles boucles blondes savamment coiffées encadraient maintenant son petit visage pointu aux grands yeux bleus faussement naïfs. Un maquillage appliqué avec soin lui donnait l’air d’une petite poupée fragile mais déterminée.  

– bonjour madame Folong, me dit-elle d’une voix nettement plus suave que le cri effrayé qu’elle avait poussé durant le décollage. Je crois que nous nous sommes déjà rencontré dans des circonstances extrêmement pénibles.

– en effet, nous étions tous apeurés mais nous avons survécu, lui dis-je en souriant de mon mieux.

– et plutôt de façon très efficace en ce qui vous concerne, ajouta-t-elle, suave. J’ai entendu dire que votre travail avait beaucoup plu à Sobia. C’est d’ailleurs en raison de cela que je souhaitais vous rencontrer aujourd’hui.

Le ton était aimable et ressemblait à une conversation amicale mais je notais tout de même qu’elle ne m’avait pas invité à m’assoir. Je restais donc debout devant le bureau immaculé sur lequel elle avait appuyés ses longs bras fins enserrés dans un pull rose en laine duveteuse. De lourds bracelets d’or tintinnabulaient quand elle parlait car elle accompagnait ses paroles de petits mouvements des mains.

– nous sommes en train d’attribuer les places dans les navettes afin de rationaliser les arrivées. Nous aurons besoin de vous dès l’atterrissage. La supervision des travaux requerra votre présence immédiate et constante. Aussi, nous avons décidé de vous placer dans une navette qui regroupe différents professionnels qui répondent aux mêmes exigences que la vôtre.

– et mon mari ? demandais-je de plus en plus inquiète.

– malheureusement, il ne nous a pas été possible de lui trouver une place avec vous. Il sera sur une navette qui atterrira sur un site un peu excentré car lui aussi devra être à pied d’œuvre dès l’atterrissage. Mais vous vous retrouverez rapidement, ne vous en faites pas. Je suis heureuse d’avoir eu l’occasion de vous revoir, Madame Folong. Je souhaite que le reste de votre séjour sur le vaisseau se passe dans les meilleures conditions. Profitez du temps qui vous reste pour vous reposer. Vous aurez besoin de toutes vos forces dès que nous serons arrivés.

– mais…vous voulez dire que je ne retourne pas travailler ?

– en effet, votre mission est accomplie et nous vous offrons…des vacances. Qui sait quand nous aurons l’occasion d’en prendre sur cette nouvelle planète. Je ne vous retiens pas plus longtemps, dit-elle en se levant et en me tendant la main qu’elle avait molle et inconsistante. Je la lâchais rapidement car son contact était désagréable et je m’en allais sans un regard pour cette femme qui avait oublié qu’elle avait eu peur et que ce ne serait probablement pas la dernière fois.

Je ne repassais pas par le laboratoire dont je notais qu’un garde se tenait devant la porte, probablement à mon intention. J’avais rendu service au gouvernement de Matria mais il me mettait au rencard. Je retournais dans nos appartements et je passais une journée sombre. Je ne pris même pas la peine de monter au réfectoire car je n’avais pas envie de croiser mes anciens collègues de travail parlant de leur mission, comme nous le faisions tous les midis. J’attendis le retour de Joshua en rongeant mon frein devant la télé dont les émissions, enregistrées des années en arrières, montraient des présentateurs maintenant disparus, animant des émissions stupides parlant d’un monde qui n’existait plus. J’avais le sentiment que tout s’écroulait autour de moi. Je venais de perdre l’activité qui m’avait tenue en haleine durant ces longs mois et on me proposait, non, on m’imposait d’être séparée de mon mari pour effectuer l’arrivée sur Matria. Nous qui avions tant parlé de ce grand moment que nous voulions vivre ensemble ! Comment pouvait-il nous faire une chose pareille ?  

Quand Joshua ouvrit la porte, il fut immédiatement en alerte. Il ne m’avait jamais trouvé affalée dans le canapé à son arrivée.

– tu vas bien ? Que se passe-t-il ? me demanda-t-il avec inquiétude.

– ils m’ont renvoyé dans mes quartiers, répondis-je prosaïquement.

– tu as fait quelque chose qui leur a déplut ?

– non, j’ai juste fini mon travail.

– c’est tout ? Tu es sure ?

– oui, je t’assure Joshua, j’ai terminé, alors je ne leur sers plus à rien ! Je n’ai même pas pu retourner au laboratoire pour prendre mes affaires. Enfin, les quelques affaires que j’y avais apportées.

– ne t’inquiète pas, ils te les rendront. Ils n’ont aucune raison de les conserver. Tu sais, ils font les choses bien, tu peux leur faire confiance.

J’allais protester quand je vis que Joshua me faisait signe de le suivre en même temps qu’il m’intimait le silence. Je me levais et nous nous retrouvâmes sous la douche, la chaine stéréo jouant le requiem de Mozart à fond dans le salon.

– et tu sais le pire, ils veulent que j’embarque dans une navette différente de la tienne !

– quoi ? Ils t’ont dit ça ? s’écria-t-il sans pouvoir masquer sa peur.

– oui la responsable de la colonisation, tu sais la petite jeune qui avait peur dans la navette, elle m’a dit qu’ils auraient besoin de moi immédiatement a Materia alors que toi tu devais être sur un autre lieu. Ils ont décidé que nous ne voyagerions pas ensemble, m’exclamais-je avec véhémence. C’est absurde, de toute façon nous ne pourrons rien faire avant que les terrassements aient commencé et que la végétation ait été dégagée.

Je vis que Joshua était très inquiet. Il semblait réfléchir profondément et une ride s’était formée entre ses deux yeux, la ride du lion. Je la caressais doucement du bout de l’index comme pour la gommer. Il releva la tête et dit dans un murmure :

– j’ai peur, Zellana. Tu n’es pas la seule à qui on a dit ça et il me semble que toutes les personnes auxquelles on a fait ces propositions ont fournis un énorme travail sur le vaisseau. Mais leur utilité ne semble plus aussi évidente après l’atterrissage. C’est vrai, regarde, que pourras tu faire concrètement ? Tu vas devoir attendre que les gros travaux soient faits. Ensuite, à quoi leur sers-tu ?

– je suis quand même maitre d’œuvre ! m’écriais-je indignée qu’il puisse penser que je ne servais plus à rien.

– Ont-ils vraiment besoin d’un maitre d’œuvre ? demanda-t-il prosaïquement.

Je réfléchis sérieusement à la question. Une fois en possession des plans très précis et détaillés que j’avais réalisés, et aidés de la maquette, n’importe quel contremaitre saurait faire travailler ses ouvriers. Chapeauté par maitre Wong, grand architecte de la ville, ils pouvaient en effet se passer de moi.

– mais alors, pourquoi me séparer de toi ? Il suffisait de me laisser partir avec toi loin de la ville et l’affaire était réglée.

– c’est bien le problème ; pourquoi font-ils ça ? Écoute, joue le jeu pour le moment, montre toi, va à la piscine, au solarium, va à la bibliothèque,  montre que tu es heureuse de profiter de tes vacances. Pendant ce temps je vais me renseigner plus sérieusement sur la raison de ces affectations arbitraires. Maintenant, sortons de la douche. J’ai reçu un avertissement car nous consommons trop d’eau, dit-il avec le plus grand sérieux.

– tu aurais pu répondre que nous en économisons, puisque nous prenons notre douche ensemble, lui rétorquais-je en me collant contre lui car j’avais peur.

Il me sourit tendrement et m’embrassa avec passion. Nous nous retrouvâmes rapidement sur le lit dans une étreinte qui me réconforta momentanément. Puis nous allâmes au réfectoire et je plaquais un sourire factice sur mes lèvres que je ne quittais pas tout le long du repas. Ce n’est que quand nous nous retrouvâmes dans notre chambre, que le chagrin et la peur prirent le dessus et je commençais à pleurer en silence sans pouvoir m’arrêter. Joshua me serra dans ses bras tout le temps que dura cet accès de tristesse et il murmura à mon oreille :

– c’est rien, ne t’inquiète pas, c’est le fait d’être désœuvrée. Je ne les laisserai pas nous séparer, je t’en fais la promesse. Tu te rappelles : unis pour la vie. Je n’ai qu’une parole, crois-moi.

Je savais que je pouvais lui faire confiance. Joshua ne me laisserait pas tomber. Je ne savais pas comment il s’y prendrait mais j’étais sure qu’il parviendrait à nous réunir. Alors, dès le lendemain, comme il me l’avait recommandé, je flânais toute la journée, allant de la salle de sport au restaurant, puis j’allais lire des magazines à la bibliothèque. Je peaufinais mon bronzage au solarium dont les lumières artificielles et la végétation quasi tropicale donnaient vraiment l’illusion de se trouver sur une plage océanique…sans l’océan. Cependant, les journées s’écoulaient si lentement que j’avais envie de hurler mais je me contenais. Finalement, Joshua  avait eu raison d’anticiper et d’être méfiant. C’était moi qui m’était trompée et qui en faisait les frais. Si j’avais fait un travail de moins bonne qualité, si je l’avais fait durer plus longtemps…je serais toujours au laboratoire et je serais probablement moins gênante. Mais qu’allait-il bien faire de moi ? M’envoyer sur un autre site pour construire une autre ville ? J’en doutais. Maitre Wong s’était montré catégorique à ce sujet. Peut-être que aurais-je dû céder à ses avances ? J’aurais été protégée. Cette pensée me traversa l’esprit mais je la chassais immédiatement. C’était déloyal envers Joshua qui n’aurait jamais accepté une telle compromission pour lui-même. J’étais fière d’avoir repoussé Wong même si maintenant j’en payais le prix. D’ailleurs, rien ne garantissait qu’il ne m’ait pas jeté comme un jouet cassé dès la fin de mon travail. Je m’en voulais d’avoir été si naïvement émerveillée par tout ce que le laboratoire m’avait permis de réaliser. Mais ce temps était fini, il venait de m’être brutalement signifié et je devais passer à autre chose. Il me restait à déterminer ce que serait la suite, mais Joshua s’en chargeait visiblement pour moi.

Il revint un soir, l’air sombre et tourmenté. Dès que je le vis, je sus qu’il était porteur de mauvaises nouvelles. Une fois tous les appareils audio allumés et la douche ouverte à grande eau il me dit :

– c’est terrible Zellana. Je ne pensais pas qu’ils en arriveraient là. Je le craignais mais je n’arrivais pas à le croire jusqu’à ce qu’on m’en apporte la preuve.

– dis-moi, je t’en supplie.

– j’ai vu ton nom sur une liste, la liste des passagers d’une navette. Je connais le numéro de ta navette et de ta place.

– bon, et en quoi est-ce terrible ? lui demandais-je, effrayée par sa gravité.

– parce que cette navette n’atterrira jamais ! Si, en fait elle atterrira mais elle va se crasher en arrivant au sol. Vous allez tous disparaitre dans l’accident, voilà leur plan !

– mais pourquoi, pourquoi moi ? J’avais envie de crier mais je ne le pouvais pas.

– parce qu’ils éliminent tous ceux qui les dérangent.

– mais en quoi les ais-je dérangé ? m’exclamais-je, révoltée bien que tétanisée par la peur.

– tu as fait du trop bon travail. Tu as fait de l’ombre à maitre Wong. C’est lui qui a suggéré que tu ne lui étais plus utile. Il parait que même Sobia était choquée de voir ton nom sur la liste mais elle a signé le papier sans sourciller. Elle a pratiquement élevé Wong quand sa mère est morte, elle le considère comme son fils. Nous n’avons aucune importance pour  eux. Je reste en vie parce qu’ils ont plus besoin de moi vivant que mort. Mais ce n’est pas ton cas…

– mais…

– ne t’inquiète pas, reprit Joshua en me serrant dans ses bras, tout est prêt maintenant. Nous avons travaillé vite et bien. C’est l’avantage de vivre dans l’ombre…personne ne contrôle véritablement ce qui se passe en bas car personne ne veut y descendre. Les quelques gardes qui y demeurent, se sont ralliés à nous sans difficulté. Eux aussi vivent en bas sans avoir le droit de monter dans les étages.

– comment es-tu aussi bien renseigné ? le questionnais-je momentanément détournée de mes angoisses par cette connaissance inattendue des sous-sols du vaisseau.

– Daïa. Elle est très proche de Sobia. Elle voit et entend beaucoup de chose. Elle était là quand Wong a demandé à ce que ton nom soit rajouté à la liste.

– Daïa, je lui dois la vie en plus de lui laisser mon mari ! m’écriais-je malgré moi.

– mais qu’est-ce que tu racontes ? rétorqua Joshua, avec énervement, il n’y a rien entre Daïa et moi, d’ailleurs, elle est mariée et son mari travaille aussi dans la garde rapprochée de Sobia. Leurs informations vont te sauver la vie. Ils partent avec nous tous les deux. Nous aurons besoin d’eux pour nous défendre. J’ai tout prévu Zellana, je te l’ai dit. J’ai fait comme eux. J’ai soigneusement choisi ceux avec lesquels nous allons voyager car nous n’aurons pas droit à l’erreur. Mais je ne peux pas encore t’en parler. Ne t’inquiète pas. Tout est sous contrôle maintenant. Je ne les laisserai jamais te faire de mal ! Continue à ne rien faire comme si tu adorais ça. Il ne faut surtout pas qu’ils se doutent que nous savons, me conseilla-t-il sagement.

– une dernière chose, Joshua, lui demandais-je. Comment peux-tu être sure que la navette dans laquelle je dois monter va se crasher à l’atterrissage ?

– parce qu’elle a été programmée pour ça…me répondit-il à voix basse.

– comment peux-tu en être sur ? demandais-je en mesurant peu à peu l’horreur de cette information qui impliquait la mort de dizaines de personnes.

– parce que je travaille avec une informaticienne mécanique qui a programmé plusieurs navettes pour nous. Me répondit-il. Elle a vérifié l’ordinateur de la navette dans laquelle tu dois embarquer et elle a remarqué les erreurs volontaires de programmation.

– mais on ne peut rien faire pour sauver les gens qui vont monter à bord ?

– si bien sûr, ils vont atterrir avec nous sur un autre site, mais je préfère que tu sois avec moi. Je serais plus tranquille. Ne t’inquiète pas, ajouta-t-il toujours aussi protecteur, je ne les laisserais pas faire du mal à qui que ce soit. Nous arrivons bientôt. Ce n’est plus qu’une question de jour maintenant mais nous sommes prêts. Nous avons pris le contrôle d’une partie du vaisseau mais ils n’en savent rien, pas encore et quand ils s’en apercevront, ce sera trop tard. Nous serons loin et nous leur auront ôté tout moyen de nous atteindre et de nous détruire.

– mais vous n’allez pas les tuer tout de même ? demandais-je en pensant aux enfants et à nos voisins proches que je côtoyais quotidiennement dans les escaliers et dans le réfectoire. Ils me semblaient tous totalement inoffensifs.

– l’idée est tentante, répondit Joshua mais nous ne sommes pas comme eux. Nous ne nous débarrassons pas de ceux qui nous gênent. Non, ils atterriront sur le site de Materia avec du retard et ils se débrouilleront avec ce qu’on leur aura laissé.

– tu es sur de toi Joshua ?

– oui, je n’ai jamais été aussi sûr, crois-moi.

Il éteignit les robinets et nous nous séchâmes en silence. Le requiem sonnait lugubrement à mes oreilles et je m’empressais de l’éteindre dès que je fus habillée. Les derniers jours allaient être longs et éprouvants, me dis-je. Je ne savais pas à quel point, pour une fois je ne m’étais pas trompée.

 

 

 

 

 

Rendez-vous sur Hellocoton !

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.

Proudly powered by WordPress | Theme: Baskerville 2 by Anders Noren.

Up ↑