JE LE REGARDE – Chapitre 12

Chapitre 12 

Je le regarde parler et je ne comprends rien à ce qu’il dit. Il est là, posé, patient, derrière son gros bureau couvert de papiers, et mes yeux s’écarquillent pour mieux entendre mais mes oreilles restent sourdes.

Il répète :

– vous avez bien compris mademoiselle Laforge ? Voulez-vous que j’appelle quelqu’un ? 

– non, ça va aller…je réponds dans un brouillard et je me retrouve sur le trottoir, sans avoir compris comment j’y étais arrivée. Je regarde autour de moi : la croisette est devant moi ; la mer est calme et belle par cette fin d’après midi de février ; je me demande comment j’arrive encore à y faire attention, et je ne sais plus ce que je dois faire. J’ai peur et je suis épuisée. Je voudrai m’allonger là et dormir. Je joue un moment avec cette idée, aller dormir dans le sable, comme dans le désert, retrouver la paix intérieure ; mais la peur me tenaille le ventre ; il faut que je réagisse ! Il faut que je bouge ! Mais pour faire quoi, pour aller ou ? Rentrer à la maison ? Impossible ! Je dois me mettre à l’abri, en sécurité, loin ! C’est finalement la seule idée à laquelle je réussi à m’accrocher : je dois partir ! J’ai toujours su partir, mais là, je suis démunie, seule et sans ressources. Mes pensées s’affolent dans ma tête ; je ne sais pas où aller mais je dois quitter le pays, ça j’en suis sure ! Je ne peux rester en France où il me retrouvera ; et tout recommencera, et je ne peux plus le permettre. Plus maintenant !

 Un instinct de conservation, étonnant chez moi ces derniers temps, m’a subitement envahit, et c’est lui qui me galvanise et m’envoie l’adrénaline nécessaire pour rassembler mes esprits. Je retourne à ma voiture, garée dans le parking de l’hôtel et m’assieds un moment au calme. Le lieu n’est pas idéal mais il y a peu de passage et j’y suis tranquille. Je tente de mettre de l’ordre dans mes pensées et parvient à décider qu’il me faut de l’aide. Mais qui ? Qui appeler à l’aide ? Monsieur Dumont, il ne pourrait rien faire pour moi ! Jeff, la dernière personne que je veuille voir…et finalement l’idée s’impose d’elle-même. Je compose son numéro et dès la deuxième sonnerie j’entends sa voix posée.

– Sonia, j’ai besoin d’aide !

– je sais.

– comment ça vous savez ? Mais depuis quand ? 

– depuis Courchevel, mais ça n’a pas d’importance, que voulez vous que je fasse ? 

– je dois partir ! 

– d’accord : où voulez vous aller ? 

– loin !

– loin comment ? 

– changer de pays, de continent, de planète… Entendre sa voix m’a rassurée et je me permets de plaisanter, mais pas elle. Elle reprend :

– pays chaud ou froid ?  Sans réfléchis je dis avec conviction :

– chaud ! 

– attendez-moi à l’hôtel, j’y serai dans une heure !

– dans ma voiture, dans le parking ! Ai-je à peine le temps de dire avant qu’elle ne raccroche. Je me rends compte que c’est la première fois que je lui parle au téléphone. Je n’ai jamais appelé Sonia et pourtant en quelques semaines, elle est entrée dans ma vie tout doucement, sans faire de bruit, et maintenant, elle seule peut m’aider. Je n’en reviens pas ! Je me souviens à quelle point je l’ai haïe quand j’ai découvert sa présence fantomatique dans la maison. Je suis assaillie à nouveau d’une vague d’angoisse : et si Sonia ne servait que les intérêts de Jeff, et si elle m’aidait pour mieux me piéger. Je repousse cette idée avec force. Je n’ai qu’elle. Je ne peux compter que sur elle ; il n’est plus temps de douter. Je m’installe plus confortablement dans la voiture et tente de réfléchir à un avenir possible ; mais pour le moment mon horizon est bouché. Sonia en détient la clé et j’espère que ma confiance est fondée.

Elle arrive une heure plus tard, comme elle l’avait dit. Elle s’installe sur le siège passager puis me dit :

– voilà comment je vois les choses : si vous voulez partir, il vous faut disparaitre complètement ! 

Là j’ai vraiment peur ! Elle farfouille dans son sac et en sort un objet que je ne vois pas dans la pénombre de la voiture. Elle le tend vers moi et dit :

– voilà ! Ce sont des passeports ; il y a le votre naturellement, il vous permettra de quitter le pays, mais il faudra vous en débarrasser dès que vous serez arrivé à…attendez… 

Elle sort une pochette cartonnée dans laquelle se trouvent des billets d’avion.

– voilà ! Le premier est un vol dans une heure pour Amsterdam ; vous y séjournerez une nuit, voilà la réservation de l’hôtel. C’est à deux pas de l’aéroport ; prenez un taxi et payez en liquide ; elle me tend d’autres documents et plusieurs liasses de billets de différentes origines.

– ensuite vous changez de passeport. Vous jeter le votre dans un endroit où on ne le retrouvera pas ! Pas dans une poubelle ni une bouche d’égout, soyez créative ! Puis direction New York ; voici la réservation d’hôtel ; restez proche des aéroports mais ne vous y promenez pas. Ne venez qu’à l’heure de l’enregistrement, pas avant ! Vous passerez deux jours à New York sous votre nouvelle identité puis vous prendrez un vol pour los Angeles. Ce sont de grandes villes où il est difficile de suivre quelqu’une à la trace ; il y a beaucoup de monde et il ne s’attendra pas à ce que vous ayez changé de nom, pas deux fois en tout cas. Vous vous débarrasserez de votre passeport et vous reprendrez un avion pour Bali sous votre dernière identité. A l’aéroport de Denpasar, vous irez à l’hôtel Mercure, et oui, il y en a un ! Dit-elle devant ma mine étonnée, Ce sera plus discret qu’un cinq étoiles, et il ne vous cherchera pas là ! Une fois arrivée là bas, trouvez-vous un logement. Voici une carte de crédit à votre nom, le compte est approvisionné, j’y ai fait virer tout votre argent par le biais d’un ami banquier, et j’en ai rajouté. Non ! Ne protestez pas ! Dès que vous aurez trouvé un logement, installez-vous ! Ne vous souciez de rien, ce compte ne sera jamais vide. Et laissez l’adresse au concierge de l’hôtel Mercure. Je vous y rejoindrai dans un mois si tout va bien, vous aurez besoin de moi là bas ! Je connais du monde et vous ne pourrez pas rester seule pendant un moment ! 

Je n’ai jamais entendu Sonia parler aussi longuement et je reste un moment silencieuse ; le temps de digérer toutes ces informations ; puis une idée me viens subitement :

– mais comment avez-vous fait pour vous procurer tout cela en une heure ? 

– je m’y prépare depuis un moment déjà ; je savais que vous en auriez besoin ! 

– vous avez déjà fait ça pour d’autres petites amies de Jeff, c’est ça ?  dis-je soudain soupçonneuse.

– mais non, voyons ! Comment pouvez-vous penser une chose pareille ! 

Je vois que je l’ai blessée.

– excusez-moi Sonia ! Je ne voulais pas être insultante ; je suis tellement secouée ! Toute ma vie s’effondre et je dois partir à l’autre bout du monde pour recouvrer ma liberté. Je m’arrête un instant à bout de souffle puis ajoute :

– en fait, moi aussi je m’y préparais, mais je ne sais pas pourquoi je ne l’ai pas compris avant. Jeff n’ai pas un homme que l’on peut garder ! Il est trop instable ; trop destructeur. Mais, vous savez Sonia, je l’ai aimé, je l’aime encore et je pense que malgré tout ce qui s’est passé, je l’aimerai toujours ! Vous le savez n’est-ce pas ?

 Elle me regarde un moment puis dit doucement :

– Jeff fait parti de ces hommes que l’on aimera éternellement ; ceux qui vous hanteront toutes votre vie ; mais il faut les quitter, toujours ! 

– et vous Sonia, pourquoi partez vous avec moi ? Je ne comprends pas, vous pourriez rester auprès de Jeff et continuer à vous occuper de lui ? 

– je pourrais, mais je ne le veux plus ! J’ai assez veillé sur lui. Il peut s’en sortir sans moi ! Vous avez beaucoup plus besoin de moi maintenant, ne serait-ce que pour vous garantir un peut de sécurité et de tranquillité. Si Jeff alerte son père, toute la planète sera à votre recherche. Mais je ne pense pas qu’il le fera. Il préférera se débrouiller par ses propres moyens. C’est d’ailleurs là que réside votre chance de vivre libre ! Il faut y aller maintenant ! Venez dans ma voiture, je vous conduis à l’aéroport. Votre valise est dans le coffre. Rappelez vous, cachez bien les passeports, les billets d’avions et l’argent. Il y a un double fond dans votre sac à main, il est indétectable et les papiers passent sans problème aux rayons X. gardez le toujours sur vous, et le plus plein possible quand vous passerez la douane. Mais ne mettez rien qui les oblige à le vider : pas de  parfum, de bouteille d’eau, de déodorant. Uniquement des papiers et des objets sans importance. Au fur et à mesure, vous courrez de moins en moins de risque. Faîtes attention à New York, vous aurez encore deux passeports et ils ne rigolent pas avec ça en ce moment.

Elle s’installe au volant de son véhicule, et je quitte à regret ma petite voiture que je ferme pour la dernière fois. Puis, me détournant, je grimpe résolument dans la voiture de Sonia qui sort lentement du parking de l’hôtel. Je ne reverrais pas Monsieur Dumont et cela m’attriste. Il a tant fait pour moi ! Il m’a donné ma chance, il a cru en moi, il m’a supporté quand j’allais mal là où d’autres m’auraient mis dehors sans état d’âme. Quand j’aurai repris ma vie en main, j’essaierai de lui faire honneur, d’être digne de cette confiance !

Nous remontons par les petites rues, dans les arrières du boulevard Carnot, jusqu’à l’entrée de l’autoroute où Sonia nous conduit, sans jamais dépasser la limite de vitesse, jusqu’à l’aéroport de Nice. Tout le trajet, j’ai regardé éperdument autour de moi pour me remplir les yeux de cette côte qui, bien que disgraciée par son urbanisation envahissante, m’est devenue familière et a abrité une des plus belles périodes de ma vie. Je contemple tout particulièrement l’anse de Villeneuve Loubet, du sommet de la colline, et je regarde pour la dernière fois les courbes gracieuses et toujours étonnantes des immeubles serpentins de Marina-Baie-des-Anges.

Leurs torsades harmonieuses m’ont toujours représenté pour moi le summum du luxe…même après Dubaï ! Et j’aurai adoré, si nous n’avions pas loué la maison de Cannes, habiter un des somptueux appartements terrasses avec vue sur la mer, vers les sommets rétrécis des immeubles. La mer méditerranée est belle ! Elle scintille à cet instant sous une faible bise ; la nuit va bientôt tomber et sa couleur pâle me touche et me fait pleurer. J’aimerai y plonger et m’y perdre. Mais la raison revient et je me concentre sur tout ce que m’a dit Sonia. J’ouvre mon sac et du bout des doigts, trouve le petit panneau cartonné qui garni le fond, le soulève et y glisse, bien à plat, les deux passeports et les réservations d’hôtel ainsi que les billets d’avion. Je répartis l’argent liquide dans mon portefeuille et mon porte monnaie et, l’ayant refermé, tiens mon sac serré contre moi. Il contient tout mon avenir !

Quand nous arrivons à l’aéroport, la nuit est pratiquement tombée. Sonia s’arrête devant l’immense hall et sort pour extirper une énorme valise du coffre, ainsi qu’une autre plus petite qu’elle me dit de garder en cabine. Puis elle me regarde, gênée. Alors n’y résistant pas, je lui saute au cou et l’embrasse tendrement sur les joues. Cette femme est en train de me sauver la vie ; elle m’offre la liberté, une identité toute neuve et une chance de repartir à zéro. Pour la première fois de ma vie quelqu’un m’aide sans rien demander en échange. Je lui en suis infiniment reconnaissante et le lui dit. Elle me repousse d’une bourrade affectueuse et me dit de me dépêcher, en guise d’au revoir. Elle remonte en voiture et disparait dans la circulation, mais j’ai eu le temps de voir ses yeux embués de larmes. Je rentre résolument dans le l’aérogare et perds un temps fou à comprendre où je dois aller prendre mon avion. Ce n’est que dans la zone d’embarquement, que je m’autorise à souffler. Sonia m’a conseillé de me débarrasser de mon téléphone portable et elle a raison car il se met à sonner dans mon sac. C’est Jeff. Je l’éteins, puis discrètement, l’ouvre à l’intérieur de mon sac et en ôte la batterie et la carte SIM.

J’embarque finalement, et c’est avec le même sentiment de perte que je regarde la côte s’éloigner, puis disparaitre, pendant que nous filons dans la nuit. Deux heures plus tard, je débarque à Amsterdam, un peu groggy, il est onze heures du soir et j’ai sommeil. Comme me l’a conseillé Sonia, je monte dans un taxi, lui donne l’adresse de l’hôtel et règle ma course en liquide. Une fois ma carte obtenue, je rejoins ma chambre. Elle est grande, spacieuse et joliment décorée, bien qu’un peu impersonnelle. Murs blancs, moquette et rideaux rouges, Draps blancs, décorations rouge. Simple. J’ouvre la porte de la salle de bain et découvre avec bonheur qu’elle possède une baignoire. Je fais couler un bain dans lequel je me plonge avec délice. Ce matin, je partais à mon travail, contrariée mais sans crainte, et je ne savais pas que ce serait la dernière fois. Encore un des ces impondérables qui viennent se jeter, tels des peaux de banane, en travers de ma route pour faire dévier ma trajectoire ; et me voilà seize heure plus tard dans une chambre standard, près de l’aéroport d’Amsterdam. Je me sèche avec le peignoir chaud posé sur le grand lavabo blanc, puis, ouvrant la petite valise, trouve mon pyjama. Je remercie silencieusement Sonia de ne pas y avoir  fourré toute la panoplie de lingerie dont j’ai usé ces derniers mois. Je me glisse dans les draps frais et m’endors instantanément. Le service d’étage me réveille avec un copieux petit déjeuner que j’avale presque d’une traite. J’ai encore oublié de manger hier soir, et maintenant plus que jamais, je ne peux pas me permettre de faiblir. Je m’habille et descendant à la réception, je rend ma clé et me dirige vers un taxi qui m’attend, quand je me souviens que je dois me débarrasser du passeport. L’angoisse qui envahit mon corps me coupe le souffle. Comment vais-je faire ? Le chauffeur attend et mon avion décolle bientôt. Je n’ai pas de temps à perdre. Je lui demande de me laisser quelques instant, je dois aller au toilette ; la jeune femme au volant lève les yeux au ciel mais me promets de m’attendre. Je fonce dans les toilettes de l’hôtel – j’ai laissé mes valises en garantie dans le taxi – et m’enferme à double tour. Je sors mon passeport de mon sac et commence à le réduire en fines lanières puis en confetti ; je tire la chasse au fur er à mesure et regarde filer mon identité dans les tourbillons du siphon des toilettes. Chloé Laforge n’est plus !

Le carton me pose plus de problème et je finis par le dépiauter comme un mille-feuille ; puis je déchire les fines épaisseurs en petit morceaux et les disperse dans les différentes poubelles des toilettes, en ayant bien soigneusement fait disparaitre le numéro. Je cavale jusqu’au taxi, qui heureusement n’est pas parti avec mes bagages en guise de paiement, et nous filons à l’aéroport. Je suis en retard et je dois courir avec mes deux valises et mon sac à main jusqu’à l’embarquement. J’ai pris la peine de sortir les deux passeports et après avoir hésité un moment j’ai arrêté mon choix sur « Isabella May » ; je pense que c’est ce qu’avait prévu Sonia, car le troisième passeport porte le nom de « Chloé Deschamps ». Je retrouverai mon prénom à Los Angeles ! L’enregistrement est long car la compagnie American Airlines est très pointilleuse sur les bagages. Je dois enlever mes chaussures et poser mon sac sur le tapis roulant, enlever ma veste aussi. Je retiens ma respiration quand mon sac disparait, emporté par le tapis et doit batailler un moment avec un douanier irritable qui veut savoir pourquoi j’ai enlevé la batterie de mon portable. Je lui dis la vérité. Une partie tout au moins : j’ai quitté mon petit ami qui me harcèle au téléphone et, lasse de l’entendre sonner, j’ai fini par le démembrer. Il réquisitionne la batterie et la carte SIM, et les laisse tomber dans une caisse derrière lui, puis examine attentivement mon téléphone qu’il fini par me tendre dédaigneusement. Je le regarde et tourne les talons sans reprendre l’appareil. Sans le savoir, il vient de me rendre un fier service. Le problème du téléphone est réglé !

Finalement, j’embarque et m’aperçois avec délectation que Sonia m’a trouvé une place en première classe sur un vol direct. Je m’installe confortablement pour une longue journée de vol qui m’amènera à New York en début d’après midi ; je risque d’être drôlement décalée, mais pour le moment le confort prime. Le large fauteuil individuel s’incline presque totalement et les hôtesses nous informent que dès que nous aurons pris de l’altitude, des oreillers et des couvertures nous serons fournis, ainsi que des repas et des boissons. Le décollage se passe sans accros et nous volons douze heures durant avec le soleil dans le dos. En tout début de vol, il m’a semblé apercevoir Paris, mais je n’en jurerai pas, puis l’océan est apparu et depuis, c’est notre seul horizon. J’ai l’impression surréaliste que nous volons sur place car la lumière ne change guère. Il fait un pâle soleil quand nous atterrissons à l’aéroport JFK vers quatorze heures, heure locale. Totalement déboussolée et repue – j’ai mangé pratiquement toute les heures – je sors de l’aéroport et comme à Amsterdam, mais au milieu d’une foule beaucoup plus dense, je me fraie un passage jusqu’à la colonne de taxi, prise régulièrement d’assaut par les voyageurs. Nouveau trajet, nouvel hôtel ; quasiment similaire au précédent. Ces chaines d’hôtels sont extraordinaires ; on pourrait parcourir la planète, d’hôtel en hôtel, sans avoir l’impression de voyager tant elles sont uniformément semblables. Je passe deux jours dans le secteur de l’aéroport, m’autorisant une seule excursion hors de ma zone pour me rendre dans une galerie commerciale où je m’offre un luxueux et bien inutile manteau car, même si ma destination finale est tropicale, il fait très froid à New York en cette fin février. Mais je passe le plus clair de mes journées à aller du restaurant de l’hôtel à ma chambre, où je somnole en me gavant de séries télés stupides. Quelques films retiennent mon attention, mais je nage en plein brouillard pendant ce court séjour. J’ai le sentiment qu’un mois de sommeil ne réparerait pas la fatigue que mon corps a accumulé durant les cinq mois passés avec Jeff.

Au matin du troisième jour, je quitte new York pour un nouveau vol de presque neuf heures – toujours en première classe, merci Sonia – pour rallier la côte ouest où m’attend le même hôtel. J’aurai aimé que Sonia me prenne une chambre au « Château Marmont », mais elle s’en tient à sa logique : passer inaperçue, rester dans des endroits anonymes. Deux nouvelles journées inoccupées m’attendent ; elles s’écoulent, comme les précédentes, même si le climat plus clément de la Californie m’incite à de longues ballades sur la plage. Je rêvasse, je plane dans l’intemporalité de ce voyage fait de décalage. Enfin, le jour du grand départ arrive. J’ai pris soin, quelques heures avant, de me débarrasser de mon encombrant passeport en le découpant en petit morceau à l’aide d’un cutter que j’ai laissé à l’hôtel, et j’ai jeté les morceaux, ainsi tronçonnés, dans l’océan, sur la plus longue jetée que j’ai trouvée. Un pécheur m’a regardé éparpiller mes flocons de papiers comme si je jetais des miettes de pains aux mouettes, mais il n’a pas fait de commentaire. J’embarque pour le plus long vol de ce périple : à onze heure du matin je décolle de Los Angeles puis après une escale à Séoul, d’une longueur insupportable tant j’ai hâte d’arriver à destination, j’embarque à nouveau pour Denpasar où j’atterris deux jours après mon départ, à deux heures du matin. Le vol a duré vingt trois heures et je suis harassée. Au sortir de l’aéroport, je suis aspirée par la ville. Le petit taxi à trois roue, sorte de mobylette à deux place avec un siège passager et un porte bagage rudimentaire où ma valise tient par miracle, m’emmène à tombeau ouvert, klaxonnant sans raison, jusqu’à l’hôtel. Les rues grouillent de monde. Touristes et balinais se mêlent dans une folle sarabande et c’est avec un immense soulagement que je pose ma tête épuisée sur l’oreiller de mon lit. Je dors plus de vingt quatre heures. Je me réveille au petit matin du deuxième jour. Je m’appelle officiellement Chloé Deschamps et je commence ma nouvelle vie à Bali.

Rendez-vous sur Hellocoton !

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.

Proudly powered by WordPress | Theme: Baskerville 2 by Anders Noren.

Up ↑