A LA LUMIERE FROIDE DE LA TERRE – Deuxième Partie – Chapitre 1

L’installation

Chapitre 1

Premiers jours de la saison d’hiver de l’an 1 sur Matria

 

Nous prime la décision de nous accorder une journée de répit. Nos vies avaient été si angoissantes durant les quelques jours qui avaient précédés le départ, que nous l’avions bien mérité. Alors nous flânâmes. Nous explorâmes notre nouveau territoire.

Certains d’entre nous, dont je faisais partie étant parmi les plus jeunes, ne s’étaient jamais promener en pleine nature ou au bord de la mer. J’aimais cette sensation : être à l’air libre, sentir le vent pur et tiède ébouriffer mes cheveux, le sable sous mes pieds nus, l’odeur des fleurs sauvages, la saveur des fruits juteux et sucrés que Joshua cueilli pour nous, le chant cristallin de la rivière dont nous bûmes de longues gorgées en riant et en nous éclaboussant comme des enfants. Nous entendîmes des animaux dont les cris et les chants résonnaient dans la forêt mais nous n’en vîmes pas un seul durant ce premier jour. En fin d’après midi, il plut durant plus d’une heure ; une pluie légère qui arrosa le sol déjà riche et nous nous laissâmes tremper avec un immense bonheur. L’eau ruisselait sur nos visages, détrempait nos cheveux, mouillait nos vêtements et les rendait collants. Mais toutes ces sensations étaient si nouvelles et si joyeuses, que nous passâmes tout le temps de l’averse à crier notre bonheur, réunis sur l’esplanade, tapant des pieds dans les flaques qui se formaient tout autour de nous, pour nous éclabousser. Puis, aussi soudainement que les nuages s’étaient réunis au dessus de nos tête pour nous offrir ce divin rafraichissement, ils disparurent, aspirés par l’océan, et la terre sécha aux rayons du soleil qui réapparu. Les flaques furent absorbées et bientôt l’esplanade retrouva son aspect initial. L’homme grand et fort, j’appris à cet occasion qu’il s’appelait Martial, nous expliqua qu’il pleuvrait ainsi tous les jours et que même si cela nous amusait pour le moment, nous serions heureux de nous mettre à l’abri durant ces heures de pluies dont la durée variait en fonction des saisons. Les bruits de la forêt qui s’étaient interrompus pendant l’averse, reprirent plus fort encore, comme si les animaux eux aussi célébraient la fin de la pluie et sa bienfaisante fraicheur. Le soir, nous fîmes un grand feu sur l’esplanade, le premier d’une longue série, et nous nous réunîmes tous. Nous mangeâmes ensembles et parlâmes de nos découvertes, de nos joies, de nos espoirs et nous riions aussi parce que nous étions si heureux. Joshua nous régala d’énormes fèves qu’il avait cueillit sur un arbre et mit à griller directement  dans le feu. Une fois refroidies et la partie supérieure de leurs cosses ouverte, nous nous délectâmes d’une purée farineuse, acidulée et légèrement poivrée. Les navettes accueillirent quelques uns d’entre nous pour la nuit, et les autres dormirent sur la plage. Pour ma part, je ne dormis  pas vraiment. Après ces longues années sous terre, puis ces longs mois dans le vaisseau, il était très déroutant de se retrouver sous un vrai ciel, constellé d’étoiles, à la lumières de trois lunes successives. La nuit était claire et majestueuse. Elle était tombée lentement. Nous avions regardé le coucher du soleil. Il avait sombré dans la mer comme s’il s’éteignait au contact de l’eau et la première lune était apparue. Quelqu’un nous rappela qu’il y avait trois lunes satellitaires et que c’était grâce à elles que ce continent ne connaissait que de faibles fluctuations climatiques et des marées presque inexistantes. Chacune régulait les deux autres. Les effets sur la planète auraient pu être apocalyptiques mais il n’en était rien. Un autre expliqua que pour des raisons à peu près équivalente, les animaux présents sur la planète n’étaient pas très gros dans leur ensemble, pas de pachydermes ou de dinosaures, plutôt des équivalemment de mammifères de la taille de grosses vaches, pour les plus conséquents. Ils avaient bien entendu leurs prédateurs, mais nous n’avions finalement à redouter que des sortes de « félins » qui résidaient principalement dans les zones montagneuses. Une harmonie naturelle semblait être à l’œuvre sur cette planète où la régulation se faisait plutôt par un contrôle naturel des naissances que par une élimination via la chaine alimentaire. C’était d’ailleurs pour cette raison qu’il nous était conseillé de ne pas chasser trop d’animaux sauvages car l’équilibre millénaire était fragile, comme toute chose que l’on dérègle. De même, nos élevages devraient toujours rester sous contrôle. Il était hors de question de lâcher une bande de lapin dans la nature et de les laisser dévaster la forêt et l’habitat naturels d’autres rongeurs. Tous les animaux que nous amenions avec nous, devraient impérativement être parqués et soigneusement surveillés. Il en allait de l’équilibre de cet écosystème. Nous espérions que tous feraient preuve de la même prudence. Joshua nous informa qu’il avait déjà recensé, grâce aux premiers colons, toutes les espèces de plantes comestibles ou exploitables pour fabriquer des cordes, des tissus ou des meubles. Il connaissait les essences d’arbres que nous pourrions couper pour fabriquer nos maisons et tenaient déjà prêt dans une des navettes, des plantations pour compenser la déforestation :

– pour un arbre abattu, un arbre doit être planté, ajouta-t-il et tout le monde hoche la tête en signe d’assentiment.

Le lendemain, nous nous rendîmes sur le second site d’atterrissage pour y répertorier le contenu des navettes et voir comment les animaux avaient survécu à ce voyage mouvementé. Nous eûmes la désagréable surprise de découvrir qu’une des navettes s’était en partie écrasée et qu’une autre avait carrément disparue. Par chance, la première contenait le matériel de terrassement. Les bulldozers étaient inutilisables et je ne les regrettais pas. Nous creuserions nos fondations à la main. Ce serait plus long mais aucun engin mécanique ne viendrait souiller la belle terre de Matria. La navette disparue – personne ne pu dire si elle avait atterrie ailleurs ou si elle avait subi une avarie en entrant dans l’atmosphère – portait les gros engins dérobés au gouvernement pour la construction de Materia. Celle là non plus ne nous manquerait pas. Ma table de travail, par chance, était intacte et j’en fus heureuse. Elle me ferait gagner un temps précieux et je devais avouer que j’adorais travailler avec elle. L’illusion était si parfaite que cela stimulait ma créativité. C’était mon jouet et il était parvenu jusqu’à moi. J’en remerciais Joshua qui m’embrassa tendrement pendant que deux hommes la portait jusqu’aux containers toujours emballés dans leur épais film plastique bleu.

Il était temps de s’installer. Joshua sortit religieusement de sa poche un long couteau à la lame pliée qu’il introduisit délicatement à l’angle d’un des immenses rectangles des baraquements. La pointe du couteau força un moment et le plastique résista. L’emballage scellé sous vide était d’excellente qualité. Finalement, la lame pénétra l’épaisse enveloppe et l’air fut aspiré dans un bruit étrange, comme un soupir de soulagement. Les containers s’emplissaient d’air et s’offraient à nous. Joshua découpa le plastique délicatement afin de préserver la toile résistante dont nous pourrions avoir besoin ultérieurement et recommanda à tous d’en faire autant. Quand il eut épluché le baraquement comme on enlève sa peau à une banane, il plia l’immense toile très soigneusement et alla la ranger dans une navette de stockage où elle fut bientôt rejointe par toutes les autres.

– à partir de maintenant, on ne jette rien qu’on ne puisse réutiliser ou recycler. Il faudra d’ailleurs s’organier rapidement pour les déchets, il est essentiel de préserver le site. Je fais confiance à Zellana pour nous trouver une solution dit-il sur un ton sans appel et je le regardais perplexe. Comment allais-je organiser le recyclage ? Mais je chassais rapidement cette idée car il y avait plus urgent. Une porte et des fenêtres étroites munies de volets coulissants, garnissaient chaque baraquement. Joshua tourna la poignée et l’air s’engouffra à l’intérieur de l’espace clos dans un bruit d’aspiration goulue. Nous y pénétrâmes l’un derrière l’autre et nous découvrîmes avec satisfaction qu’ils étaient garnis d’un coin bureau à l’entré, suivi immédiatement d’un petit espace cuisine parfaitement rationnel qui permettait de manger sur un bar qui se dépliait. Le fond était garni d’un lit au matelas confortable et d’une petite salle de bain attenante. Celle-ci possédait le minimum vital : toilette, douche, lavabo. Le tout en modèle très réduit mais extrêmement fonctionnel. Des placards en hauteur permettait de ranger des affaire et Joshua y transféra en priorité sa précieuse boite de graine dont je notais qu’elle s’était enrichie de nombreux sachets scellés et de petites boites plastiques.

– elle ne doit en aucun cas prendre la lumière, tu le sais, alors même si ça te fais un peu râler que je monopolise un des deux seuls placards pour mon travail, je suis sur que tu comprendras, dit-il sans même me regarder tant il était convaincu de l’importance de sa tâche. Je ne répondis rien, j’allais avoir ma table pour mes créations, je pouvais bien lui concéder tous les placards qu’il voulait pour les siennes.

Soudain un petit ronronnement se fit entendre et nous nous retournâmes inquiets. Impossible de localiser la provenance de ce bruit. Finalement, après de longues recherches, je m’aperçu que le ronronnement était plus fort au plafond et dans deux petites grilles situées de part et d’autre de l’habitation préfabriquée.

– regarde Joshua, ça vient de là, dis-je en montrant les grilles murales et de là, en lui désignant les deux plafonniers.

– c’est incroyable, c’est une ventilation ! mais comment fonctionne t’elle ?

Je réfléchis un instant et soudain la réponse m’apparu :

–  des panneaux solaires ! Le toit doit en être garnis. Maintenant que nous les avons libéré de la protection plastique, ils se mettent à fonctionner.

– c’est génial, ça veut dire que nous aurons de la lumière !

– oui, c’est bien, mais je suis presque déçue. Je ne nous voyais bien vivant à la lumière des bougies et du feu de bois…

– où aurais tu fais du feu dans ce baraquement ? répliqua t’il, toujours aussi prosaïque.

– je sais, mais nous aurons une cheminée dans notre future maison !

– si tu veux. Pour le moment, je suis content que nous ayons un brin de confort moderne. Nous n’avons pas besoin non plus de revenir au temps des hommes préhistoriques. Il y a tellement de choses pour lesquelles nous devrons nous passer de technologie !

Dehors, une voix cria :

– j’ai l’électricité !

Et pleins d’autre lui répondirent :

– moi aussi !

– moi aussi !

Après quelques heures passées à nous installer, nous nous retrouvâmes tous sur l’esplanade. Tout le monde semblait heureux et fatigué. L’air pur devait tout de même nous affecter. Nous avions passé la journée à contrôler nos gestes car ceux qui, comme moi le premier jour, avaient eu le malheur de l’oublier, se retrouvaient par terre ou lançaient les objets trop loin. J’avais passé un moment, durant la journée, à sauter d’un petit tertre avec la sensation grisante et étonnante de m’envoler. En effet, mes bonds étaient plus puissants et j’atterrissais plus loin sans grand dommages. Cet exercice amusant avait eu le mérite de me permettre de mieux maitriser mes mouvements et vers la fin de la journée, je me déplaçais sans trop réfléchir à mon allure et à mes gestes. Manipuler des objets restait cependant encore problématique car ils avaient la mauvaise idée de peser moins lourd que ce à quoi nous étions habitués, ce qui ne cessait d’être déroutant. Planter un clou risquait d’être compliqué, au moins les premiers temps.

Les travaux commencèrent le troisième jour et je n’y participais que comme ouvrière. Il fallut installer des enclos solides pour les divers animaux domestiques – heureusement les enclos étaient stockés en kit, prêt à être montés et nous n’eûmes pas à couper du bois pour les fabriquer. Une fois les animaux parqués dans leurs enclos respectifs, il fallut monter des abris préfabriqués pour stocker et protéger leur nourriture. J’en étais à me faire la réflexion que nous aurions du faire pareil pour les maisons, quand quelqu’un cria :

– attention !

Je n’eus que le temps de m’écarter pour voir passer sous mes yeux une visseuse que la rotation rapide avait arrachée aux mains de son utilisateur. Emportée par son élan, elle plana un moment avant d’atterrir dans un massif de petites fleurs violettes aux minuscules feuilles presque translucides. Je me penchais pour la ramasser et remarquais un petit mouvement à travers les feuilles. En examinant le massif de plus près, je vis une minuscule petite bête, sorte de musaraigne gris clair, presque blanche, dont les petits yeux bleus pâles apeurés me fixaient, hypnotisés par la peur. Puis, rapide comme l’éclair, elle disparu sous le couverts des herbes. Je gardais pour moi cette découverte merveilleuse car c’était mon cadeau. C’était le premier animal autochtone et libre que je rencontrais et cela me ravi. Ensuite, nous menâmes les animaux dans leurs enclos respectifs. Les vaches et quelques taureaux, les moutons et les chèvres furent mis à pâturer dans les grands champs clôturés que nous avions soigneusement protégés. Les chevaux, les quelques que nous avions réussi à substituer aux écuries de la garde, furent parqués à l’écart dans une immense prairie proche du village, sous la surveillance de Nuncio l’époux de Daïa. Tous les enclos étaient munis d’alarmes qui nous préviendraient si un animal sortait ou…entrait. Le poulailler immense mais entièrement grillagé, accueillis la basse cours : poulet dindons, pintades canard et autres oies prirent possessions de leur habitat à la terre riche qui ne tarderait pas à devenir dure et sèche sous les coups répétés de leurs becs pointus et de leurs pates palmées ou griffues perpétuellement en mouvement. Les clapiers spacieux accueillir les lapins. Diverses espèces furent installés dans des cages séparées. Enfin, un peu à l’écart du village, nous installâmes les cochons qui, bien que forts appétissants une fois cuisinés, sentaient extrêmement mauvais de leur vivants.

Après les animaux, il fallut installer tous les panneaux solaires et photovoltaïques. Une pleine navette avait atterrie avec nous. Ils furent disposés en rangs serrés sur un plateau bien exposé, proche du village. Puis les moteurs furent branchés qui transformeraient la chaleur et la lumière en énergie. Ils furent ensuite reliés à des batteries miniaturisées qui stockeraient l’électricité ainsi produite.

Nous étions autonomes sur le plan énergétique. Nous pouvions passer à autre chose. Les canalisations d’eau furent reliées aux baraquements afin qu’ils soient alimentés par la rivière et que l’eau utilisée soit ensuite redirigée vers des bassins de traitements où les eaux usées étaient séparées des évacuations de toilettes. Les premiers colons nous avaient grandement facilité le travail !

Chacun des deux bassins recyclait l’eau et la restituait à l’océan, nettoyée et pure, grâce à des pompes et des filtres propres que nous avions amenés de notre planète d’origine. Sur terre, le recyclage était devenu indispensable et nous avions faire d’énormes progrès afin de rendre potables les eaux les plus sales. Fort heureusement, une part du travail était déjà réalisé et nous n’eûmes plus qu’à effectuer certains aménagements. Puis il fut temps de s’occuper des plantations. La végétation ne nous gênait pas car elle se tenait à distance de la mer et il ne fallut déboiser que les abords, pour planter tout ce que Joshua et les ouvriers agricoles avaient préparé dans le vaisseau. Plusieurs journées furent consacrée à labourer la terre grasse qui se retournait sans difficulté. Les socs métalliques s’enfonçaient dans l’or sombre et traçaient des sillons profonds et réguliers. Les bœufs auraient dû peiner pour avancer dans cette terre lourde et épaisse mais la différence de pesanteur leur rendait la tache aisée et il fallut plutôt les contenir que les pousser. Ensuite, des plans de tomates, de courgettes, d’aubergines, de poivrons, de courges, d’oignons, etc. furent plantés. Des rangées de carottes, de pomme de terre, de haricots, de fèves et bien d’autres légumes encore, trouvèrent place à coté des alignements de fraises et de framboises, de groseilles et de myrtilles…

Dans le même temps, d’autres travaillaient à canaliser l’eau pour arroser les plantations. Des rigoles surélevées furent installées tout le long des champs et un système d’arrosage en continu fut mis en place. De loin, l’effet était magnifique. Ces rangs de plans porteurs de petits fruits déjà colorés me rendirent euphorique. Joshua nous réunis tous sur l’esplanade et nous montra tous les « fruits et légumes » locaux en nous expliquant ceux qui pouvaient être mangés crus, ceux qu’il fallait faire cuire et ceux auxquels il ne fallait surtout pas toucher. Même Matria abritait quelques spécimens de plantes toxiques aux fruits alléchants ! Heureusement, la côte offrait une grande variété de plantes comestibles que nous décidâmes d’intégrer à nos menus en petites quantité pour ne pas épuiser la planète. De façon plus théorique, car nous n’étions pas encore équipé pour pécher, il nous fut distribué des petits fascicules montrant les animaux marins que nous pourrions manger et ceux dont il fallait se méfier. L’océan étant calme, les animaux étaient plutôt fuselés dans leur ensemble et ne possédaient pas de « nageoires » très proéminentes. Cependant, ils ne ressemblaient en rien aux poissons que nous connaissions. On aurait dit des mammifères qui auraient choisi de vivre dans l’eau. Des « loutres » ou des « furets » à la peau épaisse et lisse, légèrement bleutée. Ce bleu, que nous retrouverions sur beaucoup de plantes et d’animaux dont nous avions longuement étudiés les photos durant notre formation, était lié à un minerai spécifique à Matria qui était présent en quantité importante autant dans le sol que dans l’eau. Les animaux qui m’avaient le plus impressionnés durant mon apprentissage, étaient d’énormes animaux marins aux formes épaisses qui vivaient principalement dans les profondeurs de l’océan. Les photos que j’en avais vues n’étaient pas très précises, car les capteurs photographiques survolant l’océan, ne les avaient jamais capturés à la surface. Une fois ce rappel de nos connaissances effectué, nous nous dispersâmes, pressés de voir de nos yeux toutes les merveilles vivantes que recelaient cette planète et notre belle côte.

Je demandais à Joshua l’autorisation d’utiliser un des baraquements pour installer ma table et il me l’accorda volontiers. J’en choisi un situé un peu en avancé, dont la porte faisait face à l’océan. Dés que la table fut branchée, je cherchais notre site sur le continent et découvrit avec étonnement, et une légère contrariété, que son relevé topographique était erroné et imparfait. La côte était mal dessinée et les reliefs n’étaient pas répertoriés. Je dû envoyer des capteurs aériens, sorte de mini drones autonomes, ratisser la zone avec leurs petits faisceaux de lecture, pour avoir une carte en relief plus convenable. Les baraquements, les animaux et les cultures récentes furent de ce fait répertoriés eux aussi, ce qui finalement me fit gagner un temps précieux. Au fur et à mesure que le village se construirait, il faudrait déplacer les baraquements vers un emplacement où ils auraient leur utilité. Je repérais une zone dégagée, près des cultures où, une fois vidés de leur mobilier, il pourrait servir de réserve et de stockage pour les outils et pour certaines denrées alimentaires. Nous trouverions bien ce que nous en ferions par la suite. Il n’était pas exclu que nous les démontions entièrement pour en récupérer les matériaux. Il n’était pas question de produire du métal pour le moment et encore moins du plastique ou des garnitures non végétale. Je laissais ce problème de coté et j’attrapais virtuellement chacun des baraquements, un par un et les posais, bien alignés, sur l’aire dégagée que je leur avais trouvé. Je recouvris l’ensemble d’un filet de camouflage, histoire de les faire disparaitre de notre vue car ils n’étaient pas vraiment beaux. Je jouais ensuite tout l’après midi à concevoir notre village, au centre duquel je disposais une grande et vaste salle commune dont les multiples ouvertures et la véranda circulaire, rendaient l’accès aisé. De l’intérieur, tout le village était visible. Je m’attachais ensuite à concevoir notre maison. Je commençais par elle car je savais que je penserais plus aisément à une jolie maison si je la concevais pour nous. Les autres seraient ensuite déclinées sur des plans relativement similaires.

Je commençais par concevoir la pièce de vie : une grande salle rectangulaire qui accueillerait une cuisine dans un angle, une grande table en bois et ses chaises, un espace salon garnis d’étagère pour les livres que nous avions réussi à sauver au moment de notre fuite et une cheminée dont le foyer serait constitué de deux grandes pierres taillées. Elle ne pourrait être réalisée tout de suite faute de matériaux, mais elle existait dans ma tête et sur les plans lumineux et cela me réconfortais. Je rêvais un moment de soirées au coin du feu, lisant, Joshua assis à mes coté. J’y ajoutais une chambre, puis une deuxième et un bureau pour installer mon matériel. Joshua bénéficierait d’un laboratoire ultérieurement. Pour le moment, il devrait se contenter d’un des baraquements. J’ajoutais une salle de bain spacieuse dont les éléments pourraient être récupérés dans les baraquements en attendant de trouver le moyen d’en produire de plus grands. Un joli toit de tuile en bois compléterait l’ensemble dont toute la structure allait nécessiter de grands et gros arbres bien droit. Je conçus ensuite les fondations des autres maisons qui s’étaleraient sur le site, rayonnant en arc de cercle autour du golfe que formait la plage. Ces schémas rudimentaires me permirent de calculer la quantité de bois nécessaire à la construction du village.

Il était temps de s’attaquer à la forêt qui nous entourait. Je repérais une clairière assez éloignée qui pourrait être le point de départ de nos coupes de bois. Comme l’avais dit Joshua, pour un arbre arraché, un arbre devrait être planté. Il serait donc nécessaire d’arracher les racines des arbres coupés et de déposer les précieux plans dans le trou ainsi dégagé. Pendant que je jouais avec ma table, créant des routes et des jardins entres les maisons, je me mis soudain à penser à maitre Wong, qu’avait-il bien pu devenir ? Après les explications que m’avait donné Joshua, plus personne n’avait évoqué les membres du gouvernement ou Sobia Zablonski. Soudain, leurs visages s’imposèrent à moi, particulièrement celui de Wong dont je croyais avoir été proche avant de découvrir sa trahison. Je me demandais s’ils avaient pu atterrir à Materia et comment ils y vivaient, dépourvus de leurs ouvriers et de leurs machines sophistiquées. Il me semblait que Joshua avait précisé que certains membres de la garde étaient restés avec eux. J’espérais pour eux qu’ils ne seraient pas traités en esclaves. J’aurais du leur en vouloir d’avoir exploité honteusement mes talents puis d’avoir décidé ma mort, mais je n’arrivais à me départir du sentiment troublant que nous aurions probablement dû les aider. C’était tout de même grâce à Sobia si nous étions parvenu jusqu’ici. Et même si leur système de caste ne me convenais pas, je me disais que sans elle, nous serions depuis longtemps anéanti ou en train d’agoniser, pour ceux qui auraient survécu au cataclysme qui s’annonçait. Je gardais pour moi ces pensées troublantes car je me doutais qu’elles ne plairaient pas à Joshua.

Quelques jours après que la table d’illusion ait été mise en fonction, je réunis les différents membres du village et leur montrais la première maison que j’avais créée. Ils me félicitèrent tous pour sa beauté et sa sobriété qui conviendrait parfaitement à notre village et à son mode de vie. Je les invitais à me faire part de leurs souhaits pour leurs maisons respectives et je me retrouvais rapidement avec une liste de demandes spécifiques. Chacun choisi son emplacement et je constatais que, comme moi, ils s’installaient autour de la salle commune. Le cœur du village avait été trouvé. Certains désiraient être plus proche de la mer et demandèrent des maisons qui ressemblaient à des cabanes de pécheur. D’autre préféraient la proximité des cultures ou des champs. Finalement, tout le monde trouva un emplacement qui lui convenait et je les notais soigneusement sur la carte. Bientôt le village existerait réellement. Nous partîmes quelques jours plus tard, très tôt le matin, armés de haches et des quelques tronçonneuses munis de piles atomiques encore en état de marche. Nous primes la direction de la clairière dans laquelle nous découvrîmes des arbres si larges et si hauts que chaque partie de leur tronc aurait son utilité. La base de certains était tellement vaste que nous pourrions aisément y tailler des plateaux de tables d’un beau bois clair et veiné. Le milieu des troncs servirait, une fois débité, de piliers porteurs pour les maison. Quant à la partie supérieure, elle ferait d’excellentes solives. Les extrémités des arbres, ainsi que les branches droites auraient aussi leur utilité. Tout le reste serait soigneusement débité et stocké pour servir de bois de chauffage, et dans un avenir plus ou moins proche, de pâte à papier. Mais nous n’en étions pas là. Trois arbres suffisaient à l’édification d’une seule maison et d’une partie de son mobilier. Mais, comme le bois devait sécher, nous décidâmes de couper tous les arbres en même temps et de replanter immédiatement, durant que d’autres travailleraient à préparer les troncs pour en faire des poutres, des solives des bardeaux et des tuiles. Je n’avais pour le moment trouvé aucune terre argileuse dans les environs immédiats et nous n’avions pas encore les moyens, ni le temps, d’effectuer des voyages pour en chercher. Aussi, nous attendrions d’avoir trouvé de la terre appropriées pour nous doter de tuiles en terre cuite. Cela viendrait en son temps car il nous faudrait fabriquer de la vaisselle, des plats, des pots etc. et pourquoi pas, sculpter…

Pendant que les hommes s’attelaient à la tache laborieuses d’attaquer les immenses troncs au bruit étrange des lames entamant le bois de leurs tronçonneuses gigantesques, je me promenais dans la clairière. Plus je m’éloignais du bruit humain, plus la vie semblait reprendre autour de moi. Je m’assis un moment à l’abri d’arbres si hauts que je n’en voyais pas la cime, et fut bientôt attirée par des mouvements dans la végétation rase. Les petites musaraignes pointaient leur petits nez bleus et je pus les contempler longuement, grattant le sol pour en extraire des micro-organismes qu’elles s’empressaient de manger. Leur petits yeux perpétuellement en mouvement était déroutant car leur iris n’était pas sombre comme le notre mais d’un bleu vif. Leur tout petit corps un peu rond semblait trembler tout le temps. Elles étaient couvertes d’une sorte de duvet laineux gris pale. Soudain, je vis une ombre me survoler. Je levais la tête, faisant fuir les petites bêtes qui m’avaient jusque là ignorées, pour découvrir, à contre jour, des ailes déployées entre les arbres. Je crus un moment qu’il s’agissait d’une variété d’oiseau mais l’un d’eux descendit assez bas pour que j’aperçoive, outre ses pates arrières aux doigts développés, deux petites pattes avants, qu’il tenait serrait sur sa poitrine. L’animal volant ressemblait plutôt à un singe. Sa fourrure bleu vif me surpris mais il disparu trop vite pour que j’ai le temps de l’examiner plus attentivement. Je retournais sur la zone de coupe pour découvrir deux grands arbres déjà au sol. Toute la journée fut ponctuée par le bruit saisissant des arbres géants qui s’abattaient dans un fracas de branches et de bois qui craque.

Quand tous les arbres furent abattus, découpés en tronçons de taille raisonnable et trainés par les bœufs jusqu’aux abords du village, des hommes creusèrent des tranchées pour constituer des fondations et des vide sanitaires, pendant que d’autres s’attachaient à débiter le bois en poutres gigantesques, solives, bardeaux, planches, etc. des piliers larges et droits furent solidement plantés dans le sol. Puis les structures de bois qui constituaient les façades et que nous avions assemblé au sol selon une technique que j’avais apprise pour la construction des granges, furent redressées d’un seul tenant et rassemblées par une poutre faitière et des poutres parallèles qui accueilleraient ensuite les solives, les bardeaux et enfin les tuiles. Celles-ci furent débitées dans des branches larges et mises à sécher au soleil, enduites d’une préparation fabriquée par Joshua qui les rendait si dures qu’il était difficile d’y planter un clou. Mais leur étanchéité était à toute épreuve. Enfin, la première maison fut terminée et Joshua et moi transportâmes nos affaires à l’intérieur, dépouillant momentanément le baraquement que nous occupions de tout son mobilier et de la plupart de son habillage. Le revêtement de sol vint ainsi recouvrir le plancher de la cuisine et de la salle de bains afin de le préserver de l’eau et de l’usure. Je ne sus pas sur le moment si on nous avait laissé construire notre maison en premier parce que je les avais créées, ou si ce choix révélait notre place dans la hiérarchie du village. Il me sembla que Joshua était de plus en plus fréquemment consulté pour un conseil ou une aide. Mais, à ma grande surprise, je le fus aussi de plus en plus souvent. Moi qui me pensais méconnue des villageois, je découvris qu’ils me rendaient régulièrement visite. Les gens venaient passer la soirée dans notre maison et nous ne nous couchions souvent fort tard malgré le labeur qui nous attendait le lendemain. Finalement, toutes les maisons furent construites et les baraquements glissèrent sur des rondins jusqu’au site que je leur avais trouvé. J’aurai aimé pouvoir les attraper du bout des doigts, comme sur ma table d’illusion, mais cela n’était pas possible. Des bœufs furent attelés ensemble pour les tracter tous hors du village. Nous fabriquâmes un filet de lianes entremêlé d’une végétation galopante que Joshua avait développé et ils disparurent bientôt de notre vue. Le soleil continuait à alimenter leurs panneaux solaires et assurait ainsi une température constante, ce qui en faisait de bons hangars. Nous pûmes enfin vider totalement les navettes que nous installâmes à l’écart des pistes d’atterrissages circulaires, elles aussi à l’abri de filet de protection. Nous n’avions plus besoin des navettes pour le moment car personne n’envisageait de survoler le territoire. De plus, bien que cela fut possible techniquement, elles n’étaient pas destinées à servir de moyen de transport comme pouvait l’être un avion ou un hélicoptère. Nous disposions d’une petite réserve de carburant stocké sous forme de piles que nous utiliserions pour visiter le continent alentour quand nous aurions terminé d’ériger notre village et que chacun aurait enfin trouvé sa place et sa fonction. Du moins était-ce les résolutions que nous avions prises et nous comptions bien nous y tenir si les évènements n’en avaient pas décidé autrement.

La salle commune fut édifiée et elle trôna, son toit en bois et ses poutres énormes lui conférant un aspect protecteur, splendide au milieu du village. Le soir, nous y prenions le frais sur la véranda où des fauteuils hétéroclites commencèrent à s’accumuler. A l’intérieur, une cheminée avait été prévue mais elle n’était pas fonctionnelle pour le moment faute de matériaux appropriés. Une immense table fut installée, issue de l’assemblage de plateaux amoureusement coupés, poncés et cirés dans deux des plus gros troncs que nous avions coupés, et un nombre impressionnant de chaise furent installés autour. Nous nous y réunissions régulièrement pour manger ensemble ou prendre des décisions importantes pour le village. C’est là par exemple, qu’il fut décidé de construire un magasin de stockage des denrées alimentaires pour un approvisionnement plus rapide et plus simple. La construction d’un poste de soin, et plus tard d’un hôpital, furent aussi arrêtés là. Ils seraient occupés, quand cela serait nécessaire, par Mafalda dont la formation de Médecin Général lui permettait d’effectuer des opérations, et son époux, Solion qui était infirmier. Une école devrait être construite dès que des enfants naitraient et seraient en âge d’aller y étudier. Un jeune homme du nom de Copland se dit prêt à enseigner aux enfants et son épouse Tamina, dont la formation auprès des nourrissons et des plus jeunes enfants la prédisposait à cette fonction, déclara qu’elle pourrait assurer la garde des tout-petits durant que leurs parents travailleraient.

Cette discussion eut lieu un soir où nous étions tous réunis et elle avait une importance capitale pour nous tous. En effet, sur terre il nous était interdit de nous reproduire. Toutes les filles avaient subi l’implantation obligatoire d’un dispositif de contraception définitive qui ne pouvait être ôté que par une opération chirurgicale. Quelques rares privilégiés avaient eu le droit d’avoir des enfants, mais ils avaient dû obtenir une dérogation et une autorisation gouvernementale. Bien entendu, les membres du gouvernement et quelques uns de leurs proches n’y étaient pas soumis, ce qui expliquait la présence d’enfants dans le vaisseau qui nous avait amené vers Matria. Mais la majorité de la population, dont nous faisions tous partie au village, avait du se plier à l’injonction qui avait d’ailleurs plusieurs aspects positifs : cela nous avait tous permis de faire des études, nous avait garanti contre les risque de mettre au monde un enfant malformé ou prématurément décédé à cause de la toxicité de la terre et enfin, durant le voyage, nous étions libre de nous consacrer à nos travaux. Mais nous avions tous conscience que ce temps était révolu.

Nous étions installés dans nos maisons, le village s’organisait. Nous avions accompli la tâche pour laquelle nous avions été formés durant ces longues années. Il était temps que la vie commence réellement, les enfants en faisaient évidement partie.

 

 

 

 

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