LA GROTTE DES VOYAGEURS – Chapitre 6

Chapitre 6

30° jour de la saison d’été de l’an 1

Deuxième Année terrestre

Je sortis prudemment de la grotte car je la savais très empruntée, maintenant que je maitrisais mieux les voyages à travers le continent par ce réseau extraordinaire de téléportation. Heureusement, elle était vide.

Je me faufilais sans bruit à l’extérieur et n’eus pas besoin d’allumer une lampe pour trouver le sentier que m’avait indiqué Moya. La première et la deuxième lune rivalisaient de luminosité. Le sol paraissait clair à leurs lumières. Autour de moi, des ombres inquiétantes tendaient leurs bras sombres. La végétation était austère dans cette partie du continent et l’été n’arrangeait rien. La sécheresse qui allait s’abattre sur la région durant trois cent jours, risquait de la rendre totalement désertique. Quel endroit peu adapté à la vie humaine, me dis-je en avançant prudemment.

Je zigzaguais entre les buissons et les arbres malingres jusqu’à ce que j’aperçoive une colline. Au premier abord, aucune cavité n’apparaissait sur son flanc. Je dû la contourner partiellement pour voir apparaitre un trou sombre à quelques mètres de hauteur. Des marches rudimentaires, taillées à même la roche, me permirent d’atteindre la première ouverture dans laquelle je me glissais. Elle donnait sur plusieurs grottes qui semblaient vides. Je choisis une anfractuosité, légèrement en hauteur, étroite comme une couchette, mais bordée d’un muret de roche, comme une bouche entrouverte dont la lèvre inferieure remonterait légèrement, et me glissais dedans. J’éteignis la lampe que j’avais été contrainte d’allumer pour me repérer et sortis la couverture de camouflage d’un des deux sacs. Je m’en couvris et entrepris de me reposer en attendant Moya. J’allais m’endormir quand une voix lointaine résonna. Elle m’appelait et son désespoir me sortit de ma torpeur. J’allais répondre quand je réalisais que la voix était dans ma tête. Je me concentrais, chassant tous les bruits extérieurs de mon attention immédiate et la voix repris :

« Zellana ! Zellana ! Si tu pouvais m’entendre… »

« Alex, c’est toi ? »

«  Zellana ? Tu m’entends ? »

«  Oui, sauf si c’est un rêve »

«  Mais comment est-ce possible ? »

«  Je ne sais pas, probablement à cause du bracelet. Tu es vivant ? ».

Je savais que ma question était idiote mais j’aurais aussi bien pu être en train de parler à un fantôme. Il y eut un temps de silence puis la voix repris :

« Oui, je suis vivant, même si je ne suis pas très en forme ».

«  Où-es-tu ? »

« Dans les sous-sols de Materia. Je suis retenu prisonnier depuis tant de jours, j’ai perdu le compte… »

«  Je ne suis pas très loin de toi et… »

«  Ne me dis rien ! On pourrait me sonder et te trouver »

« D’accord, décris-moi l’endroit où tu es enfermé »

«  C’est un souterrain-prison comme il y en a plein par ici. Tu ne pourras jamais m’y retrouver ni m’en faire sorti. N’essaie surtout pas de venir, je ne veux pas te mettre en danger ! ».

« Je suis si heureuse d’entendre ta voix, je pensais ne jamais… »

« Je sais, interrompit la voix d’Alex, je n’aurais pas dû te laisser, Je me suis conduit comme un imbécile mais je voulais mettre un terme à cette partie de ma vie pour être en paix. En fait, elle n’était pas seule et elle avait un enfant. Elle m’a à peine adressé la parole. Ensuite, j’ai voulu revenir, mais les gardes m’ont attrapés dans une grotte et m’ont amenés ici. Depuis, j’attends. Il ne se passe rien. Je ne sais pas ce qui se trame mais tout est trop calme. Ils auraient du me déporter vers des camps plutôt que de me garder dans ces sous-sols »

«  Comment puis-je t’aider ? »

«  Te savoir en vie me fait beaucoup de bien et pouvoir te parler aussi… » Soudainla voix devint murmure :quelqu’un arrive,  n’essaie pas de me parler, je reprendrais contact ! ».

J’avais envie de crier son nom pour qu’il ne sorte pas de ma tête, mais la prudence me retint. Je nous mettrais danger en faisant cela…où bien étais-ce justement la raison pour laquelle il était ainsi retenu depuis si longtemps dans les sous terrains de Materia ? Pour nous obliger à nous découvrir. J’attendis Moya avec impatience, incapable de dormir tant j’étais agitée de pensées confuses dans lesquelles se mêlaient l’euphorie d’avoir parlé à Alex, autant que le désespoir de ne pas savoir où il se trouvait. Il arriva enfin, alors que le jour se levait. Il semblait harassé quand il se laissa tomber à mes coté dans le renfoncement de la grotte.

– ça va ? lui demandais-je, inquiète.

– oui, j’ai eu quelques soucis avec des gardes. Ils grouillent dans les grottes. Je n’en ai jamais vu autant en maraude. Par chance, j’ai réussi à leur échapper mais j’ai du transiter à plusieurs reprise pour pouvoir revenir chercher le second corps et le déposer…enfin, c’est fait.

– j’ai parlé à Alex ! dis-je, ne pouvant plus d’attendre pour lui annoncer la nouvelle.

– comment ça, tu as parlé à Alex ? dit Moya en se retournant brusquement vers moi, manquant tomber du rebord sur lequel il s’était posé. L’alcove n’était pas assez grande pour nous deux.

– il m’a appelé ! Comme tu l’avais fait toi aussi !

– et tu as pu discuter avec lui ?

– oui, c’est formidable !

– tu sais où il est ?

– quelque part par ici, dans une prison souterraine.

– sur le site de Materia ?

– oui, c’est ce qu’il pense.

Je lui rapportais brièvement les informations qu’Alex m’avait données et Moya se rembrunit au fil de mon récit.

– c’est presque désespéré, dit-il finalement.

– oh, non ! Ne dis pas ça ! Je viens juste de le retrouver !

– écoute, n’essaie surtout pas de lui parler tant qu’il ne te contacte pas. Tu ne maitrises pas encore assez bien la télépathie. Je suis même étonné que tu puisses avoir une discussion aussi longue et aussi claire. Ça nous a pris beaucoup de  temps pour maitriser nos penser et nous adresser à la personne que nous désirions contacter…

– comment fait-on ?

– en théorie c’est simple. Tu penses très fort à la personne à laquelle tu veux t’adresser et tu sens que le contact s’établit…

– comment le sens-tu ? L’interrogeais-je, soucieuse d’en apprendre le plus possible.

– c’est comme une présence dans ta tête, comme si la personne que tu cherchais était tout près de toi.

– oui, c’est exactement ce que j’ai ressenti. Et pour empêcher le contact ?

– rappelle-toi, on l’a déjà fait. Tu bloques tes pensées en refusant l’accès à la personne qui essaie de t’atteindre.

– pourquoi Alex avait-il peur qu’on intercepte notre conversation ?

– d’abord, parce que tu ne maitrises pas encore très bien la communication et probablement parce qu’il est…affaibli.

– tu veux dire qu’on lui fait du mal ?

– je ne sais pas. Depuis combien de temps est-il parti ?

– depuis deux cent seize jours !

– comment fais tu pour être aussi précise ?

– parce qu’il est parti le lendemain de la bataille des gardes, c’est-à-dire le deux cent soixante cinquième jour de la saison de printemps et que nous sommes le trentième jour de la saison d’été…je compte tous les jours…c’est plus fort que moi, dis-je à voix basse, sans pouvoir empêcher les larmes de rouler sur mes joues.

J’avais retenue ces émotions si longtemps parce que je le pensais heureux sans moi. Mais maintenant qu’il était là, à quelques kilomètres de moi, dans les noirs souterrains de Materia, je ne pouvais plus contenir le chagrin de son absence. Soudain, je réalisais que j’avais eu une vision de l’endroit où il se trouvait pendant qu’il me parlait, comme si je pouvais voir à travers ses yeux. J’en fis part à Moya qui me regarda, interloqué.

– je pense que c’est le fruit de ton imagination. C’est impossible ! Jamais personne n’a réussi à voir. Tu sais, on imagine pendant qu’on parle à quelqu’un. On ne peut pas empêcher son esprit de vagabonder. Hier soir, j’ai parlé avec Joypur et je l’imaginais dans la maison avec les enfants pendant qu’elle me racontait sa journée.

– oui, mais toi tu sais où elle se trouve, tu connais la maison et le village. Moi, je ne suis jamais allé dans les souterrains de Materia. Pourtant je pourrais te faire une description très précise de ce que j’ai vu pendant que nous parlions !

Je me mis en demeure de lui raconter tous les détails dont j’avais pris note sans y faire attention et je vis qu’il était troublé.

– je maintiens que ce n’est pas possible…peut-être t’a-t-il décrit l’endroit ?

– non, il n’en a pas eu le temps. Je vois même le numéro inscrit sur le mur en face de lui, c’est le trois mille cinq cent douze. Ça doit être un numéro de cellule ou de couloir.

– la prochaine fois qu’il te contacte, vérifie ces renseignements avec lui. On doit y aller maintenant, me dit-il en me tendant la main pour que je descende de mon promontoire.

– non, je veux rester ici. C’est la première fois que je peux lui parler et je pense, du moins j’imagine, que c’est parce que je me trouve à proximité.

– la distance ne change rien. On peut entrer en contact avec quelqu’un qui est à l’autre bout du continent. Seules les montagnes empêchent la communication.

– tu veux dire que si nous étions dans la partie nord du continent, tu ne pourrais plus parler à Joypur ?

– non, j’ai déjà essayé mais les montagnes forment un écran infranchissable.

– pourquoi êtes-vous restés au sud, quand les gardes se sont concentrés autour de Materia ?

– parce que la partie nord est plus hostile. Le climat est plus rude et les animaux plus agressifs. C’est beaucoup plus sauvage qu’ici.

– on nous avait dit que les deux parties du continent étaient similaires.

– on vous a menti. Probablement pour que ceux qui devaient s’y installer n’aient pas d’appréhension. Nous ne nous y rendons que quand nous n’avons pas le choix ou quand nous voulons nous cacher. Les gardes n’y vont pas beaucoup et quand ils y sont, ils ne sortent pas des camps.

– mais l’autre fois tu disais que le nord était très beau !

– oui, c’est vrai, c’est magnifique mais très dur…

– Tu m’as dit aussi, il y a quelques temps, repris-je en changeant de sujet, que quand quelqu’un se trouve dans une grotte ou dans un souterrain, on ne peut communiquer avec lui que si on se trouve soi-même entouré de roche. C’est pour ça qu’Alex ne pouvait pas me parler pendant tout ce temps ? Je n’allais pas dans les grottes ou bien je ne faisais qu’y passer ! Je dois rester en contact avec lui pour essayer de l’aider à sortir.

– tu n’y parviendras jamais !

– je ne le saurais que si j’essaie.

– tu y laisseras la vie !

– ça en vaut la peine, tu ne le ferais pas pour Joypur toi ?

– …si, bien sur…

– alors tu peux comprendre.

– bon, cela ne nous empêche pas d’aller faire un tour à Materia. Il ne te contactera pas avant la nuit. Il doit être au travail.

– quel travail ?

– il faut bien creuser les tunnels pour que la ville s’agrandisse. Il parait qu’on leur a volé tout leur matériel de forage. Tu vois de quoi je parle ? dit-il dans un murmure amusé.

– pas du tout répondis-je en riant.

Mais je cessais rapidement quand j’imaginais Alex en train de creuser la roche dure avec des outils de fortune et je vis, comme un flash, le fond d’un tunnel en cul de sac, des mains maigres et abimées tenant une pioche et creusant, de grands ahanements ponctuaient le dur labeur. Autour de ce corps décharné, d’autres hommes creusaient, tous faméliques, vêtus de vêtements déchirés.

– Cesse immédiatement ! gronda Moya, j’ai sentis tes pensées et j’ai vu ! Mais comment fais tu ça ?

– je ne sais pas. Je crois que je veux tellement le retrouver que…tu crois que je rêve ?

– je ne sais pas, mes images étaient faibles et imprécises…

– les miennes étaient si réelles ! C’était terrible ! Pourquoi je ne t’ai pas senti ? Ajoutais-je soudain en réalisant que je n’avais pas eu conscience de sa présence dans mon esprit.

– parce que tu étais tellement concentrée que tu ne pouvais pas rester vigilante. C’est comme ça qu’on se fait piéger. On perd le contrôle et on arrive plus à bloquer. N’essaie plus de l’imaginer, évite même de penser à lui. Attend qu’il te contacte. Il le fera forcément maintenant qu’il sait que tu peux l’entendre. Allez, viens, sortons, j’ai besoin de soleil.

– tu ne voulais pas te reposer ?

– Nous nous reposerons tout à l’heure, quand nous serons rentrés chez nous !

J’eus un bref sourire qui lui échappa car il me tournait déjà le dos. J’étais heureuse qu’il dise « chez nous ». Cela m’amusait de voir à quelle vitesse il s’était acclimaté à notre vie confortable, au point que notre village soit devenu « chez lui ».

Je le suivis et nous nous retrouvâmes à l’extérieur, sous un soleil déjà assez haut dans le ciel. Sa chaleur n’avait cependant rien de comparable à celle des plaines centrales dont l’humidité intense la rendait insupportable.

Comment allons-nous nous approcher de Materia sans nous faire repérer ? lui demandais-je en lui montrant mes vêtements de voyage, rustiques et qui avaient connus des jours meilleurs.

J’ai pris un uniforme de garde et je t’ai trouvé une tenue plus adaptée pour déambuler dans les rues de Materia.

– mais comment as-tu fait ?

– pour le garde, ça n’a pas été difficile…quand à toi, j’ai fait un petit tour près de la corde à linge d’une maison avant d’arriver et je t’ai pris un pantalon et une chemise. J’espère que se sera à ton gout.

– et à ma taille aussi…

Pendant que nous parlions, nous avions suivis un chemin qui se dirigeait tout droit vers le sud, à travers une végétation aride mais suffisamment haute pour nous masquer à la vue de ceux qui empruntaient la route principale. A un moment, Moya bifurqua dans un tout petit sentier caché par des branches tombantes et nous débouchâmes dans une petite cuvette dégagée où il avait entreposé des vêtements. Pour ne pas nous encombrer, nous avions laissé les sacs dans la grotte. Je n’aurais pas pu utiliser mes capteurs au milieu de Materia sans attirer l’attention. Nous nous changeâmes rapidement. La chemise sans manche à col montant, bordée de dentelle blanche était très élégante bien qu’un peu grande. Le pantalon quant à lui, était bien trop grand. Je dus confectionner une ceinture avec mon foulard dont je travaillais le nœud pour ressembler aux femmes que j’avais côtoyées durant des mois sur le vaisseau. Mes chaussures n’étaient vraiment pas adaptées et j’espérais que cela ne se remarquerait pas trop. Moya était impressionnant dans son uniforme de garde aux coques noires renforcées aux épaules et aux articulations. La combinaison d’un gris sombre moulait son corps musclé et je contemplais ses fesses rebondies jusqu’a ce qu’il s’en aperçoive et s’insurge :

– mais qu’est-ce que tu fais ?

– je vérifie qu’il n’y a pas de crocodile des rivières !

– tu n’oublie jamais rien, n’est-ce pas ? dit-il en riant.

– assez peu en effet, je te trouve charmant dans cette tenue !

– arrête de te moquer de moi, je me sens ridicule !

– non, je ne me moque pas de toi. Les belles Materiennes vont se retourner sur ton passage, fais moi confiance !

– et bien je mettrais mon casque et ma visière, cela cachera mes cheveux et ma barbe pas du tout règlementaire. Allez viens, je n’aime pas trop trainer par ici.

– on peut marcher ensemble sans attirer l’attention ?

– non, tu marcheras devant et je te suivrais, ce sera plus sûr.

– qu’est ce que je dis si on me pose des questions ?

– que tu vis sur les collines dans une des petites maisons et que tu ne viens pas souvent en ville.

– Qu’est ce que je suis sensée faire comme travail ?

– du travail ? Tu plaisantes ! Une femme comme toi, du moins celle à qui j’ai pris ces vêtements, ne travaille pas, ou bien elle fait partie du gouvernement mais ça c’est risqué. Non, tu n’as qu’à dire que tu te promènes.

– allez viens, on y va, marche devant ! Ajouta-t-il en me voyant jeter un dernier coup d’œil à son uniforme.

Le sentier aboutissait à une route qui desservait les collines et qui descendait vers la capitale. Au fur et à mesure que nous avancions, mon appréhension grandissait. Je connaissais cet endroit virtuellement. J’avais conçu une ville pour parer ces collines et cette plaine, pour mettre en valeur l’eau bleue de ce fleuve majestueux que je voyais scintiller au loin. Mais il n’y avait que des baraquements entassés, des meubles épars, des routes que la sécheresse avait creusées sous le poids des chars à bœufs. Plus nous approchions du centre de ce qui qu’aurait du être la cité gouvernementale, plus je sentais le malaise grandir. Je voyais maintenant la rive sur laquelle aurait dû trôner le palais présidentiel, dominant l’océan de sa majesté, et sur l’autre rive, relié par un pont, le somptueux bâtiment du gouvernement. Le port, qui aurait dû étaler ses quais en pierre de taille, n’était qu’un ramassis de plancher en bois et de petites barges sur lesquelles vivaient des familles de pécheurs qui ravaudaient des filets relevés. L’eau était cependant si bleue que je restais un moment contemplative devant sa beauté. Les Materiens n’avaient pas encore réussir à souiller cette merveille et je m’en réjouissais. Soudain, un petit sifflement me fit sortir de ma torpeur. Moya s’impatientait, debout contre un pilier, faisant le pied de grue sans raison valable.

– tu vas nous faire repérer si tu continues à rester là, me murmura-t-il. Regarde autour de toi : tout le monde fait quelque chose. Fais comme eux, suis le mouvement.

En effet, oisifs ou travailleurs, tous semblaient vaquer à une occupation qui m’échappait. J’emboitais le pas à une dame accorte qui se dandinait paisiblement, un panier à la main. Elle me mena jusqu’à l’étal d’un maraicher qui lui donna des fruits et des légumes, après avoir vérifié son badge. Voilà ce qui me manquait : un badge ! J’avais glissé celui d’un des gardes dans ma poche ainsi que le passe. Je le sortis sous le regard furieux de Moya et m’approchais de l’homme qui réorganisait ses présentoirs. Je le lui tendis et il y jeta un œil peu attentif puis me donna une pleine brassée de fruits et de légumes qu’il emballa dans un grand morceau de plastique, regrettant gentiment que j’aie oublié mon panier.

– je suis désolée, lui répondis-je, je n’avais pas prévu de passer. Je devais m’occuper des vêtements aujourd’hui, mais vos fruits m’ont attirée.

– vous savez que le déport de vêtements a été déplacé près du port. Reprit-il, rodé comme un automate.

– oui, bien sur, répondis-je, merci et bonne journée.

– bonne journée à vous aussi, répondit l’homme un peu étonné.

Je me souvins que la dame avant moi n’avait pas prononcé un mot. Cela ne devait pas se faire. Je croquais dans un fruit consistant et sucré et en lançais un à Moya qui l’attrapa au vol et le dévora en se détournant pour qu’on ne le voit pas manger. Je marchais lentement dans les rues dont la terre rouge était devenue un dépôt de fine poussière sous l’effet de la chaleur qui augmentait de minute en minute. Mes chaussures passaient finalement inaperçues car, comme tous les pieds de ceux que je croisais, elles furent rapidement recouvertes par une pellicule rouge. Materia était austère et aride. Elle n’avait rien de la brillante et joyeuse ville que j’avais conçue. Les gens marchaient sans se regarder, comme s’ils avaient peur où étaient absorbés dans des pensées pesantes. Je n’osais les sonder car je ne savais pas qui je croisais. Je ne pouvais me fier à la couleur de leurs yeux car ils pouvaient eux aussi porter du Mitreion et sentir ma présence dans leur tête. Soudain, à force d’errer dans les rues encombrées de débris et d’objets cassés, je remarquais quelque chose qui m’avait échappé lors de mon survol de la ville avec le satellite. Les baraquements semblaient posés sans grande logique alors qu’en réalité ils communiquaient entre eux. Je m’en aperçu quand j’entrevis un homme passer devant une fenêtre puis réapparaitre dans la fenêtre du baraquement accolé, bien que légèrement décalé. Des groupes de caissons communiquaient ainsi, formant de vastes réseaux. Etrangement, ceux du centre de Materia ne semblaient pas servir d’habitation. Il devait s’agir d’administrations diverses. Maitre Wong m’avait fait travailler sur des bâtiments administratifs sans jamais m’informer de leurs fonctions. Ils avaient du les remplacer par cette installation astucieuse et discrète de containers accrochés les uns aux autres. A cet instant, comme si mes pensées l’avaient attiré, je le vis sortir d’un baraquement. Il scintillait dans un costume quasi militaire à la coupe parfaite, taillé dans un tissu de grande qualité. Moi qui me faisais du souci pour lui ! Il était suivi par une escorte de garde qui l’entourait presque. Je m’interrogeais sur ce qu’il devait craindre pour se protéger ainsi, quand son regard passa sur moi durant une fraction de seconde et il m’aurait reconnu si je ne m’étais pas cachée immédiatement derrière un dépôt de métal entassé sans ordre. Il remonta la rue et s’engouffra dans un autre réseau de baraquements. J’attendis un moment, m’assurant qu’il ne me cherchait pas du regard puis sortis prudemment de ma cachette et filais dans une rue perpendiculaire pour qu’il ne puisse m’apercevoir par les fenêtres. Moya me rejoignit prudemment et me demanda ce qui ce passait.

– je viens de voir un fantôme de mon voyage. Maitre Wong, l’urbaniste de Materia, celui avec lequel j’ai travaillé à la conception de la ville.

– l’homme en tenue militaire ?

– oui, c’est lui.

– quatre gardes pour lui tout seul, il doit être drôlement important !

– je ne sais pas, il faisait partie du gouvernement mais c’était surtout une sorte de fils adoptif pour Sobia.

– il semblerait qu’il soit monté en grade ! s’exclama-t-il.

– qu’est-ce qu’on fait ?

– je ne sais pas…tu risques de rencontrer des gens que tu as côtoyé sur le vaisseau et te mettre en danger. On ferait mieux de partir.

– et Alex ?

– tu ne peux rien pour lui en errant dans les rues. Il faudra attendre qu’il te contacte et que nous en sachions plus sur son lieu de détention. Pour ma part, j’ai vu ce que je voulais voir. Cette ville est totalement sous-développée. Mais malheureusement, j’ai appris à ne pas me fier aux apparences. C’est bien trop calme ici. Viens, remontons discrètement jusqu’à la grotte en prenant les sentiers parallèles, dans la journée, elles sont moins empruntées que la nuit.

Nous rebroussâmes chemin et je le suivis à travers un lacis de petits sentiers, à peine marqués par des pieds légers qui nous ramena à l’espace où nous avions entreposé nos vêtements. Nous étions en train de nous changer quand nous fumes alerter pas des bruissements dans les buissons. Moya me fis signe de me baisser et sortis sa dague. Il semblait tendu et près au combat. Par précaution, je détachais le petit pistolet de ma ceinture, tout en sachant fort bien que mes tirs n’étaient pas très précis. Le sentir dans ma main aurait du me rassurer, mais il n’en fut rien. Au contraire, sa présence me confrontait à une réalité brutale que j’avais toujours fuie. Je n’étais pas une combattante. Mais les gardes, car ils s’agissaient bien d’eux, ne nous en laissèrent pas le choix. Ils commencèrent à tirent de longues rafales dans les buissons qui désintégraient la végétation sans presque émettre aucun bruit. Moya me poussa derrière un gros rocher et me lança les quelques affaires qui trainaient encore sur le sol. Puis il disparu. J’entendais les tirs au dessus de ma tête et j’en voyais les lumières rouges. Allongée dans la terre sèche, je me désespérais. Moya semblait s’être volatilisé et les gardes tiraient toujours. Soudain j’entendis une voix que je reconnu immédiatement et qui me glaça, c’était celle de Maitre Wong :

– cesser le feu ! Vous tirer dans le vide, bande d’imbéciles, vous ne savez même pas où elle se trouve !

– mais…tenta un garde.

– silence, si elle est toujours dans ces buissons, elle sera bien obligée de bouger ! Alors taisez vous et cesser de tirer !

Ma situation était sans espoir. S’ils s’avançaient jusqu’à la petite esplanade où nous nous trouvions précédemment, ils verraient nos traces et ne mettraient pas longtemps à me trouver derrière le rocher. Alors, je fis la seule chose qui me traversa l’esprit. Je roulais sous un buisson et me recouvris silencieusement de terre rouge, espérant ainsi me fondre dans le sol et la végétation qui me recouvrait partiellement. En lentes pelletées de terre ramenées avec ma main, en retenant ma respiration et en prenant soin de contrôler le souffle lent que j’expirais doucement par la bouche, je me recouvris le corps, le visage, les cheveux, de cette terre fine mais collante. Mon geste était probablement vain mais je ne pouvais rien faire d’autre. Soudain un cri retenti, puis un deuxième et j’entendis une chute lourde suivis de plusieurs coups de feu. Je me redressais, espérant que Moya n’était pas touché et je le vis, debout sur l’esplanade, deux gardes se vidant de leur sang à ses pieds. Un bruit de course ponctué de cris stridents me conforta dans l’idée que Wong s’était enfui.

– ça va ? dis-je à mon ami qui haletait.

– ça va, je ne suis pas blessé.

– c’est Wong qui a tiré ?

– oui, mais il avait tellement peur qu’il m’a raté.

Je regardais Moya, lui aussi était couvert de terre rouge et semblait très effrayant pour un œil non averti. Je me réjouis qu’il n’ait rien et qu’il ait réussi à mettre en fuite notre attaquant.

– il a du me repérer tôt à l’heure, pourtant j’étais persuadée qu’il ne m’avait pas vue, dis-je en secouant la terre qui collait à mon corps en sueurs et s’accrochait désespérément à mers cheveux.

– allons-nous en en vitesse. Ils ne vont pas tarder à revenir et ils seront nombreux, dit Moya en m’attrapant par le bras et en me forçant à courir si vite que j’avais du mal à le suivre.

Nous remontâmes au pas de charge jusqu’à la grotte que nous trouvâmes vide, et après quelques détours pour éviter la grotte centrale, nous arrivâmes à la falaise.

– je préférerai que l’on ne parle pas de cet incident à Martial. Il ne voudra plus me laisser partir sinon…

– pas de problème. De toute façon, je ne me réjouis jamais de devoir tuer un homme. Compte sur moi, je n’en parlerai à personne.

Nous restâmes un moment silencieux, contemplant la mer, conscients que nous l’avions échappé belle. Finalement, j’activais le communicateur resté au fond de mon sac durant tout notre périple et Amozzo arriva peu après, avec deux chevaux. Il s’inquiéta un peu de l’absence de Joshua mais je le rassurais en lui disant que Moya retournerait le chercher rapidement.

Après une chevauchée d’une heure où je fus si absorbée par ce qui venait de nous arriver et par Alex, que je ne pris même pas la peine de contempler le plateau ni l’océan, je rentrais enfin au village, fatiguée et dépaysée.

J’avais l’impression d’être partie des mois durant. Je déposais mon cheval et couru presque jusqu’à la maison. Boulette ne daigna même pas descendre de son fauteuil pour me saluer et Martial resta étrangement absent. Mais j’étais fatiguée et affamée. Je me douchais et lavais deux fois mes cheveux afin d’extraire définitivement la terre rouge qui ruisselait sur mon corps comme un filet de sang. Je mis longtemps à m’en débarrasser et je fus heureuse d’enfiler enfin une robe légère et colorée qui me mit un peu de baume au cœur. Ensuite, je me rendis chez Julianne pour m’approvisionner. Elle m’accueillit en poussant des cris de joie et me força à prendre de copieuses portions du repas qu’elle préparait pour sa famille. Je rentrais chez moi, les bras chargés de provisions et je mangeais goulument puis je m’endormis sur le canapé jusqu’à la nuit tombée. Je me réveillais en sursaut, totalement perdue et il me fallut un moment de réflexion pour savoir où je me trouvais. Boulette m’y aida car finalement, peu rancunière, elle était venue se coucher contre moi pendant mon sommeil. Etrangement, je ne me sentais plus chez moi dans cette maison que pourtant j’avais dessiné, dont j’avais supervisé la construction, que j’avais aménagé avec des meubles soigneusement choisis dans les stocks en provenance des vaisseaux. Il me semblait que ma place était dans cette cavité rocheuse où j’avais parlé à Alex et je fus tentée d’y retourner sans attendre, mais je me refrénais. Je savais qu’Alex ne pouvait prendre contact avec moi que si je me trouvais dans un sous-sol, or nous n’en manquions pas au village. Les réserves labyrinthiques offraient plus de roches que je n’en désirais. Il avait fallut des outils bien plus gros que la faible pioche que tenait Alex pour percer ses passages et ses salles dont la température constante garantissait la conservation parfaite de tout ce que nous y entreposions. Je fis un gros câlin au chat qui ronronna longuement, finalement heureux de me retrouver. Après l’avoir nourrie et assurée que je ne partirais pas, je me rendis chez Martial et Serarpi où elle me suivit en folâtrant dans les herbes jaunes et sèches qui bordaient les chemins et qui crissaient et tintinnabulaient quand elle s’y faufilait avec délicatesse. La sécheresse sévissait toujours et les jardins me semblaient faméliques à coté de la luxuriance de la forêt des plaines centrales. Je frappais à la porte de leur maison-atelier et Serarpi vint m’ouvrir, m’embrassa et m’invita à entrer. La salle principale était vide. Elle me proposa à manger mais je voyais bien qu’elle était mal à l’aise.

– je suis contente de te voir, dis-je. J’espère que vous allez bien…Je suis désolée de ne pas vous avoir donné de nouvelles mais j’ai été très occupée, continuais-je pour détendre l’atmosphère que je sentais aussi lourde que la moiteur de la journée qui se terminait dans la chaleur torride de ce plein été.

– c’est ça ! dit une voix venant de la chambre.

– Martial, arrête de bouder, elle est là ! Tu n’as pas cessé de t’inquiéter, alors viens maintenant. Lui répondit Serarpi.

– non, je ne veux pas la voir, après tout, on ne lui a pas manqué ! Alors je ne vois pas pourquoi je devrais accourir dès qu’elle revient !

– Martial, je suis désolée, je t’assure, mais quand tu sauras tout ce que j’ai fait durant mon voyage, tu ne m’en voudras plus, crois moi.

– je demande à voir, reprit la voix qui se rapprochait cependant. Alors, qu’as-tu fais de si extraordinaire qui justifie que tu nous oublies ?

Il apparu finalement et prit place en bout de table. Je lui trouvais l’air soucieux et renfrogné. Sa barbe, d’habitude bien peignée, semblait ébouriffée et ses yeux étaient particulièrement rougis. Je décidais de faire comme si je n’avais rien remarqué et répondis :

– j’ai abandonné Joshua au fin fond des plaines centrales et je suis rentrée !

– si c’est pour dire ce genre d’âneries, je retourne dans ma chambre ! dit-il en faisant mine de se lever.

– allez, je te taquine. Moya m’a emmené à la rencontre d’une dizaine de village répartis sur tout le continent sud. J’ai enlevé les balises de tous les adultes et j’ai parlé longuement avec eux. La plupart vivent dans une grande misère. Ils manquent d’équipement et leurs maisons sont rudimentaires. Ils vivent cachés depuis des années, comme Moya et ses hommes quand nous les avons connus.  Alors, j’ai eu une idée, je leur ai proposé de leur créer un village près d’ici, un grand village, ou peut-être une petite ville, cela dépendra de leur nombre. Tout le monde serait gagnant. Eux y trouveraient le confort et une vie plus agréable que ce qu’ils ont actuellement et nous, nous serions plus nombreux pour nous défendre si le gouvernement venait à nous attaquer à nouveau.

Martial et Serarpi restèrent un moment silencieux, pesant probablement les conséquences de ce projet et ce fut Serarpi qui prit la parole, comme si elle était résignée à accepter toutes mes propositions sans les contester :

– tu la construirais où cette ville ?

– a quelques kilomètres d’ici, près de la grotte de la falaise, sur cet immense plateau qui domine l’océan. Elle serait bien exposée, proche de la grotte. La rivière ne passe pas très loin puisqu’elle se jette dans l’océan, quelques criques plus loin. Cela permettrait une desserte en eau facile. Les plaines sont fertiles tout autour. Je pense que c’est l’emplacement idéal. Je ne sais pas pourquoi le gouvernement a choisit le site de Materia pour ériger sa capitale…le Sud-ouest est beaucoup plus aride et moins agréable.

– de quoi vivront-ils ? dit Martial encore revêche.

– ils auront des cultures et des bêtes comme nous et nous les aiderons à devenir autonomes. Joshua peut faire ça sans difficulté…enfin, s’il reste…

– qu’est-ce que tu veux dire ? demanda Martial irrité.

– et bien, il est tombé amoureux des plaines centrales. Il s’y sent chez lui et il réfléchit à s’y installer avec Daïa et sa fille…

– mais c’est hors de question, il doit rester avec nous ! rugit Martial qui trouvait enfin un exutoire à sa colère.

– tu ne pourras pas l’en empêcher, lui opposa Serarpi, s’il le désire vraiment, il faudra qu’il parte.

– il lui faudra tout de même l’approbation de Daïa…et je ne suis pas sûre qu’elle soit enchantée de se retrouver au milieu de nos anciennes amies. Certaines d’entre elles aiment beaucoup Joshua et risquent de l’accueillir plutôt froidement, dis-je perfidement.

– et c’est tout ? reprit Martial dont la colère ne désarmait pas.

– nous avons visité un village par jour, je repris calmement. Il a fallu du temps Martial, je devais chaque fois les convaincre de me faire confiance pour qu’ils acceptent que je leur enlève leurs balises. Nous ne rentrions qu’à la tombée de la nuit.

– et le soir, tu ne pouvais pas nous dire deux mots ?

– …il faisait chaud et je me baignais…et puis, il y avait tout le temps des repas au village…et j’ai passé un peu de temps avec Joshua aussi…

– comment ça, du temps avec Joshua ? demanda Martial qui visiblement n’avait pas compris, mais Serarpi posa la main sur son épaule et dit :

– ne t’en fais pas, Zellana, tu n’as pas à nous rendre compte de tout ce que tu as fait. Martial s’inquiétait parce que tu es partie douze jours et que nous n’avions aucune nouvelle. Nous ne pouvons pas voyager dans les grottes comme toi alors imagines notre inquiétude. S’il t’arrive quelque chose, nous ne savons pas comment venir à ton secours…Notre seul lien avec toi, c’est le communicateur…

– je comprends et je regrette de ne pas avoir pris le temps de vous parler mais les voyages dans les grottes sont assez dépaysant. Passer en une fraction de seconde d’une forêt tropicale aux neiges éternelles de la montagne, c’est rude pour l’organisme mais aussi pour l’esprit. Il faut constamment se réadapter. Quand je me suis réveillée tout à l’heure, je ne savais plus où je me trouvais.

Il y eut un long silence durant lequel je les regardais tous les deux. Serarpi se tenait debout derrière Martial, la main encore posée sur son épaule, sa hanche appuyée contre le bras de cet homme à la carrure impressionnante. Il y avait tant d’amour dans ce contact instinctif, tant de tendresse dans cette main qui caressait machinalement l’épaule, que j’eus envie de pleurer.

– j’ai parlé à Alex, leur dis-je à voix basse.

– tu l’as retrouvé ? s’écria Serarpi.

– non, je ne sais pas où il est mais j’ai parlé avec lui jusqu’à ce qu’il…

– je ne comprends rien ! m’interrompit Martial courroucé, Comment peux tu lui avoir parlé sans savoir où il se trouve ? Vous aviez des communicateurs ?

– ne crie pas Martial, dis-je en retenant mes sanglots, c’est un peu compliqué à expliquer. C’est une des propriétés annexes du Mitreion. Je ne vous en ai pas parlé avant parce que je ne savais pas que je pouvais l’utiliser. D’ailleurs, Moya n’y croyais pas quand je le lui ai dis…Il ne croit toujours pas que je puisse voir des images…

– je ne comprends rien !

– tu as raison, ce n’est pas clair. Il faut que je t’explique ses propriétés : le Mitreion permet à ceux qui en sont imprégné de communiquer par…télépathie. Normalement, le fait de porter un bracelet ne devrait pas suffire, mais il semblerait que je sois particulièrement réceptive. Bref, j’attendais Moya dans une grotte près de Materia, il était allé cacher les corps de deux gardes qu’il avait tués alors que nous quittions le village de Shebaa et nous nous étions séparés parce que je ne voulais pas transporter les cadavres dans la grotte…

– tu as tué des gardes ?

La voix de Martial me fit sursauter tant elle était grave. Je ne pus que répondre faiblement :

– non, pas moi, Moya…

Mais pourquoi a-t-il fait ça ?

– pour nous sauver, sinon ils nous auraient trouvés et nous auraient probablement tué ou emmené dans une prison…tiens, d’ailleurs, j’aurai peut-être retrouvé Alex…Ajoutais-je en changeant de sujet sans m’apercevoir que mes deux amis me regardaient avec une perplexité grandissante.

– tu te rends comptes que ce que tu dis est totalement incompréhensible ? me demanda Serarpi d’un ton de maitresse d’école.

– d’accord, je vais reprendre dans l’ordre. Alors que nous rentrions dans la grotte, nous avons été repérés par deux gardes que Moya a dû tuer. Il a dû ensuite faire disparaître les corps pour ne pas attirer d’autres gardes au village de la plaine. Les gardes sont équipés de localisateur. Moi, je ne voulais pas toucher aux corps, alors j’ai dit à Moya que je l’attendrait près de la grotte de Materia pendant qu’il se débarrasserait des cadavres. Je me suis installée dans une petite grotte toute proche et c’est là que j’ai entendu Alex m’appeler, il m’a fallu un moment pour comprendre que la voix était dans ma tête…

– c’est bien ce que je dis, elle est folle ! reprit Martial en se tapant la tempe du bout du doigt. 

– laisse là parler, l’interrompis Serarpi, je crois que j’ai compris…

– donc, je lui ai répondu et il m’a expliqué qu’il était détenu dans une prison souterraine à Materia. D’ailleurs, je vais vous laisser, je dois aller dans le stock pour essayer de parler avec lui ! dis-je en réalisant soudain qu’il était tard.

– tu vois elle a perdu la boule, elle va parler avec Alex dans le stock !

– pourquoi là ? dit Serarpi qui semblait suivre le déroulement de ma pensée pourtant confuse.

– à cause de la roche, apparemment, elle sert de conducteur. Si quelqu’un est sous terre, il ne peut pas communiquer avec l’extérieur. Rappelez-vous de la balise à l’intérieur de la grotte, vous ne pouviez plus me localiser, et bien c’est pareil. Par contre, si je me trouve moi aussi dans de la roche, je peux lui parler. J’attends ce moment depuis hier. Nous n’avons pas pu parler très longtemps parce qu’il craignait que quelqu’un intercepte notre conversation….

Voyant leur perplexité légitime, je repris plus calmement :

– C’est un système de communication simple et complexe à la fois. Quand on le maitrise bien, on peut parler à qui on veut, à une ou à plusieurs personnes en même temps, il suffit d’y penser. Mais le problème c’est que quand on est trop concentré sur une communication, on se déconnecte de la réalité et on ouvre son esprit à tous. La conversation peut alors être interceptée par quelqu’un d’autre, c’est ce que Moya m’a expliqué.

– c’est totalement fou ton histoire ! S’écria Martial qui était cependant plus de calme.

– mais non, pense à des fréquences radio. Si je communique avec toi sur une fréquence que personne ne connait, cela reste secret. Mais si quelqu’un capte notre fréquence intentionnellement ou par hasard, il peut entendre notre conversation, tu comprends ?

– mais alors, tu ne peux pas empêcher quelqu’un de savoir ce que tu penses ?

– si, il suffit de bloquer l’accès à ses pensées. En temps normal, ce n’est pas difficile, je me suis entrainée avec Moya. Il faut le décider et ça empêche celui qui essaie, d’entrer dans ta tête. Mais Moya m’a expliqué que quand on est affaibli ou préoccupé, on peut ne pas se rendre compte que quelqu’un vous sonde, c’est comme ça qu’il l’appelle.

– je ne te crois pas !

– très bien, je vais te le prouver ! Je vais demander à Moya de venir avec…choisis toi-même ce que tu veux qu’il apporte, comme ça tu ne diras pas qu’on l’avait préparé ça à l’avance…

Martial réfléchit un moment tout en me scrutant, comme s’il tentait de déceler une étincelle de folie dans mon regard, puis il dit :

– je veux qu’il m’amène un morceau de fromage que fait Joypur, il est délicieux.

– d’accord. Je lui demande.

Je fermais les yeux pour me concentrer et pour donner un petit air théâtral à ma démonstration et fis part de la commande de Martial. Moya me répondit « j’arrive tout de suite, ça me fait plaisir d’épater enfin cette veille fripouille ».

Je me mis à rire et Martial me dévisagea, méfiant et inquiet. Il resta ainsi, le regard fixé sur moi jusqu’à ce que la voix de Moya retentisse à l’extérieur :

– livraison de fromage à domicile, dit-il en riant.

Serarpi lui ouvrit la porte et il laissa tomber sur la table une tomme de fromage aussi large qu’un plat à tarte et haute d’une bonne dizaine de centimètres. Martial la regarda, éberlué, et enfonça son doigt dans la croute jaune et épaisse pour vérifier qu’elle était bien là, puis il saisit un couteau et en détacha une portion qu’il s’appliqua à manger en silence.

– j’avoue que je suis impressionnée, dit Serarpi. Si nous étions équipés de bracelets, nous pourrions en faire autant ?

– normalement non, répondit Moya, je pense que Zellana est particulièrement réceptive car le métal porté sur le corps permet à peine de voyager dans les grottes et elle a pourtant réussi à emmener Joshua avec elle, ce qui n’aurait pas dû être possible. Il nous a fallut beaucoup plus de temps pour y parvenir. D’abord à voyager, puis ensuite à communiquer. Elle a un don !

– je n’en reviens pas…dit finalement Martial quand il eut terminé de mâcher son fromage.

– je suis contente que tu me crois…et dire qu’il a fallut du fromage pour y parvenir !

– reconnais tout de même que c’est difficile à croire ! me répondit Martial en se resservant.

– je l’admets, j’étais surprise moi aussi la première fois que j’ai entendu la voix de Moya dans ma tête !

– mais ça veut dire que tu peux lire dans mes pensées sans que je n’en sache rien ? S’écria-t-il, soudain inquiet.

– en fait oui, je le pourrais…au début je vous entendais tous confusément mais c’est extrêmement dérangeant et je ne le souhaite pas. Je me suis aperçue que cela suffisait pour que je n’entende plus rien.

Martial me regarda encore, suspicieux, puis il tourna son attention vers Moya et dit :

– et toi ?

– comme Zellana, je pourrais mais je ne le fais pas. Je préfère parler avec vous plutôt que de vous voler vos pensées. Je ne m’en sers que quand c’est nécessaire.

– Bon, je vous laisse, dis-je rapidement, car la conversation semblait devoir durer encore. Je dois attendre Alex. Je vais m’installer dans le stock de meubles, ce sera plus confortable si je dois y passer la nuit.

– essaie de visualiser l’endroit où il se trouve et ne projette pas d’images ! Tu te rappelles ? Me prévint Moya.

– ne t’inquiète pas, je serais prudente, je vous laisse. Martial, ne mange pas trop de fromage, tu vas être malade.

Je partis en courant mais je l’entendis tout de même crier :

– petite insolente !

Rendez-vous sur Hellocoton !

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.

Proudly powered by WordPress | Theme: Baskerville 2 by Anders Noren.

Up ↑