SUR LE FOND – Chapitre 4 – Investigations

Chapitre 4

Investigations

 

Cette femme me fascine et m’exaspère à la fois. On dirait que rien ne l’atteint et paradoxalement j’ai l’impression que si je lui soufflais dessus, elle s’effondrerait là, devant moi, désarticulée comme une petite poupée cassée.

Pourtant elle a bonne mine et elle semble avoir plutôt bien profité de sa cavale. Elle est bronzée et ne ressemble pas au squelette dont elle parle. Mais il y a une telle souffrance qui se dégage de ses propos froids et mécaniques. Cette façon rationnelle et posée de raconter son histoire, en n’omettant aucun détail, même le plus intime, ça me dépasse. Elle s’enfonce. Elle nous donne tout ce dont nos aurions besoin pour l’inculper et ça ne semble pas la déranger.

J’ai vu pas mal d’assassin dans ma carrière. La plus part nie tout ! Si on les écoute, le mort ou la morte était la personne qu’il aimait le plus au monde. Elle, elle nous dit carrément que son mari était un immonde salopard, qui la faisait souffrir, qu’il était devenu quasiment pervers dans les derniers temps de leur relation et je soupçonne qu’elle sait quelque chose à propos de la voisine.

Mais, ça ne semble pas lui traverser l’esprit qu’elle tient entre ses mains la corde qui pourrait servir à la pendre et qu’au fil de son récit, elle resserre un peu plus le nœud.

Au demeurant, ce qu’elle raconte ne m’apporte aucun éclairage sur la façon dont il a été tué et même si à sa place j’aurai assassiné ce salaud depuis longtemps, je n’ai pas le moindre élément de preuve à apporter. Aucun élément matériel, j’entends. Une bonne empreinte de pied, quelque chose de concret. Je n’ai rien. Je ne sais pas ce qui s’est passé dans cette foutu cuisine maisj’ai de plus en plus envie de la mettre au trou le temps qu’elle se décide à cracher le morceau bien que je n’ai rien à charge contre elle. Parce qu’on a cherché, putain ! On a remué ciel et terre pour comprendre  mais on est resté le bec dans l’eau. Des soupçons, des pistes restées sans suite et une conclusion qui ne m’a jamais satisfait. Comment, dans un quartier où tout le monde passe son temps à espionner tout le monde, un assassin a-t-il pu aller et venir sans que personne ne le remarque ?

On a interrogé tous les habitants du lotissement, et pas qu’une fois. Il a fallu plusieurs jours pour boucler l’enquête de voisinage. C’est un travail de fourmi auquel j’ai participé avec Isabelle, quand nous avions du temps. Le problème quand on est flic c’est qu’on ne traite pas qu’une affaire à la fois. Il n’y a que dans les séries policières que les flics se consacrent à une seule enquête. Nous, on doit aussi suivre tout le reste : ce qui était déjà en cours et ce qui arrive au fur et à mesure. C’est stupéfiant le nombre de plaintes que les gens viennent déposer. Souvent on arrive à leur faire entendre raison, ça ne sert à rien, il n’y aura pas suite. Les insultes entre voisins, les incivilités au volant, les petits accidents. Les gens pensent que notre système policier et judiciaire marche comme aux États Unis où l’on peut porter plainte pour n’importe quoi.

Ici, ça ne marche pas comme ça. En plus, dès qu’on enregistre une plainte, il faut aller enquêter. On dépêche des flics qui vont passer une heure, voire la journée à poser des questions, à se renseigner pour corroborer les dires du plaignant. C’est long, fastidieux et rarement productif.  Si rien n’est constaté de visu : le fameux flagrant délit ou un témoin oculaire fiable prêt à témoigner et à faire son devoir de citoyen – et croyez-moi sur parole ça ne court pas les rues – on est pied et poing lié – c’est un comble ! Mais c’est la réalité. C’est la parole de l’un contre celle de l’autre.

Quant aux témoins, ils ne sont pas plus fiables qu’une pute sous acide. Ils mentent tout le temps et souvent sans raison, juste parce qu’ils sont en face d’un policier. Il y a ceux que ça effraie et qui disent n’importe quoi, et ceux que ça excite et qui nous balade.

 

Ce foutu meurtre me reste sur l’estomac et il devient de plus en plus étrange au fil des jours qui passe. Déjà une semaine, et on nage en plein brouillard. On a retrouvé le couteau. C’est déjà ça.Il était proprement rangé avec les autres dans un beau présentoir en bois et en métal qui trônait sur le plan de travail. Quelqu’un, probablement l’assassin, avait pris la peine de le laver soigneusement, et à part les empreintes partielles de madame Fauré, que l’on a retrouvé dans toute la maison, ce qui est normal, vu qu’elle vivait là, rien du tout. Soit c’est elle qui l’a tué et elle a mal essuyé le couteau, mais ça m’étonnerai – pourquoi se donner la peine de tout laver pour oublier de frottercorrectement le manche ? Certes, même les plus judicieux finissent par commettre des erreurs mais là, bizarrement, ça me semble un peu gros. En même temps, on ne l’a toujours pas retrouvée, ni la voiture d’ailleurs. On a diffusé son signalement partout ainsi que celle du véhicule, mais personne ne l’a vu. On a eu des appels, les premières heures, mais les témoins l’avaient vu aux quatre coinsdu pays : sur des aires d’autoroute, dans le train. Il y avait même un type qui était sûr d’avoir pris l’avion avec elle à destination de l’Italie !Au bout du compte, il n’avait jamais quitté l’aéroport où il passait ses journées à rêver de voyage qu’il ne ferait jamais.

Finalement, rien n’était exploitable et on a laissé tomber les signalements. Ça faisait une masse de travail et de vérification que notre petite brigade ne pouvait assurer. Le légiste a confirmé que le couteau avait bien causé la mort, rapide mais douloureuse car il avait sectionnée l’aorte à la base du cœur et le gars s’était vidé de son sang  en moins de deux. Pas de trace de lutte mais l’assassin avait du rester jusqu’à ce qu’il soit mort pour lui déposer le torchon sur la figure et lui croiser les bras.

Quant au sang, pas une goutte. Disparu. Le corps n’avait pas été déplacé, on voyait bien qu’il était mort sur place et puis personne n’est assez méthodique pour faire disparaitre des trace de sang partout, pas avec les moyens dont on dispose maintenant. Le labo avait passé des heures à pulvériser la cuisine, le couloir, le séjour etc. Total : rien. Seulement les trace de pas de Madame Faurédans toute la maison, même si on n’avait pas retrouvé ses chaussures. Mais pas de sang.

Enfin, je vais un peu vite. On avaitretrouvé des traces de sang autour du corps mais il avait été consciencieusement nettoyé. Il n’en subsistait que de minuscules traces incrustées dans les petites imperfections du carrelage, invisible à l’œil nu et encore, on peut dire que la personne qui avait nettoyé était méthodique, parce que les rainures avaient été brossées. Un travail de professionnel.

Au demeurant, plus j’en apprends sur ce type, plus je me demande qui n’aurait pas voulule tuer. Je ne suis pas impartial avec ce gars parce que je ne l’aime pas. Dès que j’ai entendu sa voix sur le répondeur, quelque chose s’est figé en moi. Il fait partie d’une catégorie d’homme que j’abhorre. Il était hautain, sûr de lui, méprisant. Il n’aimait visiblement pas sa femme – tous les voisins le disent – et couchait probablement avec la voisine même si, jusqu’à présent, on n’a pas réussi à en apporter la preuve. Elle, elle se tait. Elle se contente de nous regarder, soupçonneuse, comme si on ne faisait pas notre boulot.

Son mari la couve du regard et sa fascination pour sa poitrine devient parfois embarrassante, même pour moi qui peut comprendre jusqu’à un certainpoint. Isabelle ne les supporte plus tous les deux. On les a reçus le lendemain de la découverte du corps. On les a cuisinés séparément puis ensemble, mais rien. On dirait qu’ils se sont mis d’accord. Leurs versions concordent trop aisément. Ils connaissaient leurs voisins. Ils les avaient invité chez eux, particulièrement à cette fameuse fête qui semble avoir représenté l’évènement de la décennie dans ce lotissement mortifère, et avaient parfois pris l’apéritif chez le couple Fauré. Ils le décrivent comme bon vivant, travailleur, alternant des périodes de présence au domicile et des absences de plusieurs jours, ce que confirme son employeur. Monsieur Fauré, Paul Fauré, sillonnait tout le département et parfois même la région, pour assurer la maintenance des photocopieurs qu’il vendait. Etant payé principalement à l’intervention, il pouvait passer plusieurs jours d’affilé à la maison puis s’absenter une semaine entière pour faire la tournée des entreprises. Il semblait d’ailleurs très organisé et j’ai été épaté par la tenue minutieuse de son agenda où se lisait une rationalisation du temps qui m’a bluffé. C’est un truc dont je suis incapable. La planification. Quelle horreur ! Bref, un homme organisé, méthodique, que ses voisins les plus proches qualifient de sympathique, mais d’un peu mystérieux. Son goût évident pour le sexe n’a échappé à personne. Ni aux femmes aux foyers qui en parlent avec du désir dans la voix et les yeux qui papillonnent – il avait visiblement le don pour s’attirer les faveurs féminines –  ni aux époux peu présents qui le dépeignent comme un coureur de jupon, macho, querelleur et probablement violent. Quant à l’éventualité d’une infidélité, tout le quartier bruisse, mais aucun nom ne fuse.

Madame Fauré demeure un grand mystère. Pas de corps, pas de voiture, disparue, évaporée. Soit elle est morte, enterrée quelque part, ou jetée dans un quelconque canal avec sa bagnole, soit elle a filé et elle est très forte.

On a repris tous les signalements un par un. Trois personnes l’auraient vu sur la route,durant la nuit qui a suivi le meurtre de son mari. Toutes sur la nationale qui descend vers le sud. Ce n’est pas idiot. Si j’avais voulu fuir, c’est ce que j’aurai fait. Pas de caméra aux péages, pas de trace de carte de crédit, rien. Juste une femme avec une capuche sur la tête dont on distingue vaguement le contour devant une machine à café. Un cafetier lui aurait servi un petit déjeuner dans l’Aude, tôt le lendemain matin, mais personne n’a remarqué la voiture. En même temps, des engins noirs comme celui-là, il y en a partout. Le moindre péquin de base rêve de s’en payer un. Monsieur Fauré, comme beaucoup de gars de son genre, l’avait fait et avait ainsi rendu sa femme invisible. Si elle s’était bien fait la malle, parce que pour le moment rien ne le prouve. Elle est partie de son boulot à l’heure habituelle. On la voit pointer dans les vestiaires, et malgré la mauvaise qualité de l’image, je m’arrête un long moment devant ce petit visage pointu et fatigué. Elle semble fluette et désespérée. Comme si on avait éteint une lumière en elle. Il n’y a aucun reflet dans les yeux de cette femme. Elle ne semble même pas soulagée d’avoir terminé sa journée de travail.

Quand nous les interrogeons, nous découvrons que ses collègues l’apprécient. Elle est gentille et discrète. Elle se tient à l’écart des problèmes mais elle est la première à dépanner, à donner un coup de main. Ils ont bien remarqué les traces de coups sur sa figure de temps en temps, et puis parfois elle ne pouvait pas faire un mouvement sans grimacer ou gémir, certains jours. Ils ont bien essayé de lui poser des questions, de l’aider, de lui donner des conseils, mais elle disait que tout allait bien. Au pire, qu’elle était tombée parce qu’elle était distraite et maladroite. Pourtant, elle faisait son travail avec zèle et gentillesse. Tout le monde l’aimait mais personne ne la connaissait. Aucun d’eux n’avait jamais mis les pieds chez elle et ne connaissait son mari. Il ne venait jamais la chercher au travail. Son patron est désolé mais il l’a déjà remplacée : « Que voulez-vous, me dit-il d’un ton faussement amical, show must go on ». Je lui aurais bien pilé la gueule à cet abruti, mais ça ne se fait pas. Alors je suis reparti avec mon petit DVD dans la poche et cette image d’elle, grisâtre et fantomatique. Mais où est-elle, bon sang ?

Le légiste m’appelle quelque jour plus tard tout excité :

– Samuel, il faut que tu viennes, j’ai trouvé un truc étrange.

– vas-y, dis !

– non, viens voir par toi-même.

– putain Marc, tu fais chier avec tes mystères, t’as intérêt à ce que ce ça vaille la peine. Et je raccroche bruyamment.

Quand j’arrive dans son bureau, petit et encombré de dossiers, j’ai une pensé amusée pour la série « les experts ». Ils démissionneraient tous s’ils voyaient dans quoi on travaille ici. Les locaux sont vétustes. Les fenêtres ancestrales ont jouées dans leurs cadres de bois et le vent siffle dans les interstices. La peinture verte, écaillée, laisse comme des pelures sur le sol de carrelage sombre. Pourtant, rien de tout ça ne semble affecter l’enthousiasme de mon camarade Marc, médecin légiste de formation et bon vivant de naissance. Depuis que je suis arrivé dans cette brigade, c’est le seul qui m’aitaccueilli chaleureusement. Pourtant, il aurait pu me snober comme le font souvent les médecins légistes, moi le petit inspecteur parachuté dans ce bled paumé pour gravir les échelons. Mais il est vraiment sympa et sa gentillesse me fait chaud au cœur. Quand j’ai ma soirée, nous buvons des coups dans un pub sombre ou se produisent des groupes locaux, plus ou moins intéressants. Mais on s’en tape, on picole et on se marre. Ça fait du bien.

Pour le moment, il se tient derrière son bureau et sa bonne bouille ronde dépasse à peine de la pile de dossiers qui s’entassent et manquent de s’effondrer chaque fois que l’on ouvre la porte. Je suis bordélique mais j’avoue qu’il me bat. Enfin, le bordel reste très relatif chez lui. C’est plutôt une impression de bordel parce qu’en réalité, c’est un type très méthodique, qui ne laisse rien passer, qui préfère s’acharner pendant des heures plutôt que de laisser un truc irrésolu.

Dès qu’il me voit, son visage déjà souriant s’illumine encore plus. Ses lunettes ont glissé sur le bout de son nez et il lève les yeux par-dessus pour me regarder.

– alors, cette découverte ?

– ah, je savais que tu rappliquerais ventre à terre.

– ne me dis pas que tu m’as fait venir pour rien !

– non mon bonhomme, tu vas voir, c’est plutôt surprenant. Regarde.

Il me tend un petit sachet dans lequel je distingue une minuscule particule de…

– qu’est-ce que c’est ?

– la même chose que ça !

Il me tend un autre sachet identique, contenant le même truc indistinct.

– putain, Marc, tu arrêtes de te foutre de moi.

– lis les étiquettes…

Je lis. Sur le premier sachet : échantillon numéro 15, trouvé accroché à la manche gauche du pull de Paul Fauré. Sur le deuxième : échantillon 354, prélevé sur le pantalon de robert Rabatto.

– putain mais c’est quoi ?

– c’est là que ça devient marrant. C’est un petit éclat d’écorce d’arbre.

– qu’est ce que ça a de marrant ?Ce putain de quartier ressemble au salon de l’agriculture…sans les bestiaux.

– oui, mais c’est de l’écorce de pin.

– ah…et alors ?

– tu en as vu beaucoup des pins toi, dans cette région ?

– merde !

– comme tu dis !

– mais d’où ça vient alors ?

– attend, tu veux aller trop vite, ça fait deux semaines que je bosse sur ces échantillons et toi tu veux que je te fournisse la réponse tout de suite ?

– allez Marc, ne déconne pas !

– tu te rappelles le sentier qui longe le lotissement par l’arrière. Celui que l’on peut prendre en partant de la zone industrielle ?

– oui, c’est Rabatto qui m’en a parlé le premier.

– et bien, il savait de quoi il parlait le petit père ! J’y suis allé et devine quoi : un arbre est tombé en travers du sentier. Et sais-tu quel est cet arbre?

– non,Un pin ?

– oui ! Le seul qui ait réussi à pousser et à se maintenir dans ce sacré climat. Plus maintenant, tu me diras. Il semblerait qu’il n’ait pas résisté aux grosses neiges du début du printemps. Il est tombé il y a quelques semaines. Tu te souviens de la tempête de neige du 12 Avril ?

– oui.

– et bien c’est ce jour-là qu’il est tombé, le pin. Ils ont été nombreux à l’entendre dans le quartier. Il faut dire que ça fait beaucoup de bruit un arbre comme ça.Ça craque, ça pète, enfin un boucan que tu ne peux pas ne pas entendre.

– pourquoi tu me dis ça ?

– à cause de la date. La neige a tenu toute la semaine et puis le redoux est arrivé et elle a fondu…comme neige au soleil.

Il se marre.

– Alors ?

– alors le sentier est resté impraticable une bonne semaine. Donc la personne qui avait ça sur son pantalon l’a chopé après !

– oh putain, tu veux dire après le 20 ?

– exactement !

– et Paul Fauré a été tué le 22 Avril !

– exactement !

– tu te répètes mon pote.

– dis plutôt merci et invite-moi à boire un coup ce soir. Je suis d’humeur à faire la fête.

– d’accord, je t’en dois une. Je t’appelle dans l’après-midi pour te dire vers quelle heure je serai libre.

– ça marche, à ce soir. Au fait, ton calcul n’est pas juste. La neige a fondue entre le 19 et le 20 avril dans les endroits dégagés, mais ce sentier est très encaissé. Il est plus probable que la neige ait tenue jusqu’au 21…

Je repars, songeur. Qu’est-ce que c’est que ce merdier ? Comment une particule de pin est parvenue jusqu’au pull de Paul Fauré en même temps qu’elle se retrouvait sur le pantalon du mari cocu. Parce que, plus j’y pense, plus je suis convaincu que la voisine couchait avec la victime. Je n’ai aucune preuve. Personne ne les a vu ensemble à part au supermarché où ils se comportaient normalement. Enfin, normalement pour ce type de femme et ce genre d’homme. Un peu de collé-serré en poussant le caddie, des yeux doux à la caisse et des échanges de plaisanteries osées, mais rien de probant. Toutes les caissières qui l’on connu disent qu’il draguait toutes les filles. Quant à elle, elle se dandine langoureusement dans les allées du magasin tous les jours de la semaine et elle est connue pour ses tenues provocantes et criardes. Au demeurant, les mêmes caissières disent toutes que c’est une brave fille qui s’ennuie.

Je remercie silencieusement Marc de m’avoir incité à demander une commission rogatoire pour perquisitionnerle domicile des Rabatto. Sans ça, on n’aurait rien du tout. Ce brave type m’avait plus ou moins laissé indifférent et je serais passé à côté de cette preuve…en est-ce une ? – si je n’avais pas écouté Marc.

Madame Rabatto était outrée. Je reconnais que ce n’est pas marrant une perquisition dans un intérieur aussi bien tenu. Des flics déboulent et fouillent tout. Là, ils ont fait du zèle, ils ont emportés les vêtements sales. Je me rends dans la salle des saisies et je demande qu’on me sorte le carton des scellées« Rabatto ». Le plancton met un temps infini à revenir avec une caisse en carton rigide qu’il pose délicatement sur une table. Ganté de latex, j’ouvre précautionneusement le couvercle et je découvre des sachets plastiques. Principalement des vêtements, des sous-vêtements surtout ! Les petites culottes sales de madame Rabatto forment un éclatant tableau coloré, brillant dans leurs emballages plastiques. De la dentelle multicolore, de la fourrure violette…mais qu’est-ce qui leur a pris de ramasser tout ça ? Une paire de chaussure de sport reluisante a laissé des traces d’humidité dans son sachet entièrement recouvert d’une fine buée.

– qu’est-ce que c’est ça ? Je dis au flic.

Il prend le numéro du sachet puis part consulter son ordinateur.

– des baskets.

– merci je m’en étais aperçu, je grogne, mais pourquoi elles sont mouillées ?

– retrouvée dans la machine à laver.

– propre ?

– ben oui…

Ce type m’agace. Il se fait visiblement chier et je peux le comprendre. Qui voudrait passer ses journées à archiver des boites en carton contenant toutes sortes d’objets improbables ?Mais putain c’est son choix.

– merci, je lui dis en lui laissant tout sur la table.

Je vois son regard méprisant quand je franchis la porte. Ca va l’occuper un moment.

J’appelle Marc :

– tu as analysé les baskets trouvées dans la machine ?

– oui, bien sûr mais elles sont nickel. Et j’ai rien trouvé dans la machine non plus. Si quelqu’un a voulu faire disparaitre des traces, il les aura d’abord passés au jet d’eau puis après dans la machine.

– et pourquoi pas le pantalon alors ?

– ça, mon pote, il faut que tu le demande à la mère Rabatto ! Jene fais pas sa lessive moi !

– merci

– de rien.

Je raccroche. Je me sens con. J’ai l’impression qu’un pan de mur vient de s’effondrer, révélant une partie de l’histoire que je ne comprends pas bien encore.

J’appelle Isabelle et je lui raconte la découverte de Marc.

– Il faut qu’on interroge à nouveau ce type, je lui dis.

Je suis d’accord avec toi mais là, je ne peux pas. Je suis sur le cambriolage du bijoutier.

– oh, ma pauvre, je te plains. Tout ce tapage médiatique. Tu peux te libérer quand ? Je préfèrerai qu’on les revoie ensembles. Tu l’avais pas mal intimidé.

Demain, vers dix-huit heures, on peut passer chez eux si tu veux. On sera toujours à temps de les convoquer après, ça te va ?

– ça marche. Je passe te prendre au commissariat vers cinq heures et demie. À demain.

L’après-midi est bien entamée, heureusement. Le printemps que tous les médias annonce à grand renfort d’images bucoliques a oublié de se manifester par ici. Les arbres affichent toujours résolument des troncs noirs et décharnés et les massifs de fleurs se sont rabougris sous la neige. Les bâches protectrices blanches qui déparaient les jardins de leur plastique laiteux ont été enlevées depuis déjà quelques temps mais la grisaille plombe le ciel bas et le froid humide persiste. Je le ressens jusqu’au plus profond de mes os. Vivement que je quitte ce trou. Quitte à avoir froid, je préférerai au moins être dans une grande ville. Enfin, je ne me plains pas, j’ai quelques amis sympas, dont Marc fait partie et j’ai un but, un objectif qui rend tout cela tolérable. J’ai une copine aussi, depuis quelques jours. Une serveuse du coin. Une blonde avec de grands yeux bleus. Ce qui m’a attiré chez elle, il faut être honnête, c’est sa poitrine. Elle a tendance à la laisser gentiment déborder de ses débardeurs moulants et dès le premier soir, assis au comptoir avec Marc, j’avais la trique. Elle baladait ses seins peu couverts d’un bout à l’autre du bar comme s’ils étaient en apesanteur. Au début j’ai pensé qu’ils étaient faux, comme ceux de la mère Rabatto, puis je me suis aperçu qu’ils bougeaient joliment au rythme de son déhanchée. Elle m’a reluqué plusieurs fois le premier soir, puis par la suite elle est carrément venue me parler. Elle a bien fait. Je ne suis pas très doué pour les entrées en matière. Et puis quand on dit à une fille qu’on est flic, en général ça la fait fuir. Elle doit avoir une petite trentaine, à peine, même pas. Elle n’a pas inventé la poudre mais je l’aime bien. Le plus drôle c’est que c’est elle qui m’a raccompagné chez moi. D’habitude c’est plutôt l’inverse mais elle m’a allumée toute la soirée et quand Marc s’est éclipsé après un clin d’œil très prononcé, elle m’a demandé si j’étais en état de conduire et elle a proposé de m’escorter pour que je ne me fasse pas attaquer en route. Elle est plutôt drôle. J’habite à trois rues du Pub et j’étais venu à pied. Mais j’ai joué le jeu et je l’ai retrouvé agrippée à ma bouche dès que nous avons franchi le hall de l’immeuble. Il m’a fallu tout mon self-control pour ne pas la lui mettre dans le couloir blanc aux néons incertains.

Je l’ai trainée jusqu’à mon studio ou elle m’a sauté dessus. Nous avons roulé sur le canapé, jambes et bras emmêlés et après quelques maladresses inévitables quand on ne se connait pas – une capote qui craque avant même que je finisse de l’enfiler correctement, un tee-shirt qui se coince et me démet l’épaule – j’ai pu savourer ses seins tendres comme deux œufs au plats qui auraient gonflés. Elle est gracieuse, pas vraiment jolie mais très sexy. Je l’ai prise plusieurs fois la première nuit. Je n’avais pas baisé depuis longtemps et elle s’offrait sans retenuealors je ne me suis pas aperçu tout de suite qu’elle n’avait pas eu d’orgasmes. Au petit matin, quand je lui en ai parlé en tétant un sein tendre, elle m’a dit :

– t’en fait pas pour ça, j’ai jamais pris mon pied, c’est comme ça. Mais c’est bon quand même. J’aime faire l’amour avec toi, tu es drôle et puis t’es rudement beau mec.

Quelle expression étrange et un peu veillotte. J’ai digéré l’info et elle ne m’a pas plu.

– jamais ?

– non, jamais.

– même pas toute seule ?

– non, je ne ferais jamais ça, c’est dégoutant.

– ah bon ? Tu trouves ça plus dégoutant que de baiser avec des mecs que tu ne connais pas sans prendre ton pied ?

– ok, c’est bon je me tire !

– non, désolé jenny. C’est pas ce que je voulais dire. Excuse-moi, c’était maladroit.

Ces seins me rendaient dingues, alors je les ai titillés encore un moment et j’ai constaté qu’elle fermait les yeux.

– tu aimes quand je te fais ça ?

– oui, elle a roucoulé.

– non mais, je veux dire, sois sincère : tu aimes, ça te fais quelque chose ?

Elle est devenue toute rouge, comme si elle avait honte.

– dis-moi, j’ai besoin de savoir. Je n’aime pas faire l’amour à une femme si je ne la fais pas jouir.

Là, elle est devenue carrément pivoine.

Allez, dis-moi ! Et j’ai recommencé à jouer avec ses tétons et un petit soupir a fusé entre ses lèvres.

– oui, c’est bon, ça fait quelque chose, là en bas.

D’un geste vague de la main elle a montré son entre-jambe.

J’ai continué un moment à lui agacer les seins jusqu’à ce qu’elle se lasse. Alors je suis descendu lentement le long de son ventre et j’ai frôlé son sexe du bout des doigts. Elle a eu comme un petit frisson. Il m’a fallu du temps et beaucoup de persévérance pour y arriver. Je crois que la première fois, il lui a bien fallu trois heures pour décoller. Je n’ai pas laissé tomber. Je sais que d’autres aurait abandonné, mais moi, j’y tenais vraiment. J’ai léché, sucé, baisé. J’alternais. Tant qu’elle gémissait je continuais, j’ajustais. Dès qu’elle redevenait silencieuse, je changeais. Je me retirais et j’y fourrais ma langue, et finalement, après de nombreux faux départ, elle s’est enfin répandue en un long cri à peine contenu et tout son corps a tremblé pendant de longues minutes. J’étais plutôt fier de moi et elle a pleuré en se blottissant dans mes bras. C’est sacrément cliché quand j’y repense, mais c’est vraiment comme ça que ça s’est passé. Depuis, elle est accro. Tant  d’années à rattraper. Elle est sympa, elle me laisse faire. Je me fais plaisir, elle n’est pas pénible. Je la lui fourre partout. Elle a de la technique et puis quand j’aibien jouis, je m’occupe d’elle. Je l’astique jusqu’à ce qu’elle chante. Je le lui ai promis. Je n’abandonne pas. Tant qu’elle n’a pas jouit, je continue. Parfois c’est elle qui voudrait arrêter, elle pense que j’en ai marre mais elle se trompe. J’aime ça. C’est long, compliqué, mais c’est sacrément gratifiant. Quand enfin elle jouit en déchirant les draps, comme une délivrance après un long parcours semé d’embuche, je me sens fier. Je lui en mets un petit coup pour moi, pour mon plaisir personnelet on dort quand il nous reste du temps. Ce soir j’en ai du temps. Alors je vais au pub où elle prend son service vers dix-huitheures.

Dès qu’elle me voit rentrer, ses yeux brillent. Elle se dirige vers moi en chaloupant et elle dit :

– alors beau brun, qu’est-ce que je vous sers ce soir ?

C’est un jeu. En public, on se vouvoie. J’ai des visions d’elle qui me donne envie de la ramener chez moi tout de suite, mais elle bosse et j’aime attendre.

Je l’imagine, je m’imagine. Je sais que la nuit va être longue mais ça ne me fait pas peur. J’aime relever des défis et celui-là en est un de taille.

Une belle chatte mouillée, j’ai envie de lui dire, mais je me contente de :

– un scotch, s’il vous plait mademoiselle.

Elle repart et Marc arrive.

– alors mon gars, on drague ?

Je lui fais les yeux noirs. J’adore ce gars mais il n’est pas très diplomate. Sauf pour le boulot.

– arrête,j’ai pas envie de plaisanter à ce propos, je l’aime bien cette fille.

– désolé, vieux. Je savais pas, je croyais que tu t’amusais.

– ouais, je m’amuse mais sérieusement, si tu vois ce que je veux dire…

– pas du tout, mais tu sais mon pote, c’est pas mes oignons.

– t’as raison ! qu’est-ce que tu prends ?

– la même chose que toi, ça a l’air de te mettre d’humeur joyeuse…

– allez, ne m’en veux pasmais elle me plait vraiment, tu vois. C’est pas si fréquent que ça, je lui dis à voix basse.

– d’accord, compris, parlons d’autres chose alors. Le boulot.Ça t’a servi mon truc ?

– je te dirais ça demain. Il y a des éléments qui m’échappent pour le moment mais je compte bien obtenir des explications, si tu vois ce que je veux dire.

Nous avons pris l’habitude de parler de façon sibylline parce que les enquêtes en cours sont confidentielles. Jenny s’approche et dépose deux verres sur le comptoir.  En repartant, elle me décroche un regard énamouré qui n’échappe pas à mon collègue.

– eh ben, on dirait que c’est une affaire qui roule !

– comment va ta femme ?

Ça aussi c’est une blague entre nous parce que Marc, d’une dizaine d’année mon ainé, ne s’est jamais marié. Au début je trouvais ça étrange, jusqu’à ce qu’il m’explique qu’il tenait trop à se liberté. Une femme à demeure à qui il devrait rendre des comptes sur ses horaires, ses fréquentations, ce n’est pas pour lui. Il a des copines, nombreuses et il fréquente assidument les prostituées. Il est intarissable sur le sujet. Chaque fois qu’il en rencontre une nouvelle, il est capable d’en parler pendant des heures, comme une vrai rencontre amoureuse. Moi je ne dis rien. Chacun sa façon de prendre son pied, après tout. Les putes, c’est la facilité. Elles sont là, disponibles, elles ne font pas d’histoire, tout a un prix. Si on est un peu exigeant, une soirée peut revenir cher mais Marc s’en fout ; il mange comme il baise. Sa vraie passion, c’est le travail.

Après une soirée un peu trop arrosée et une nuit dans les bras de Jenny, je me rends au commissariat où je repasse une énième fois en revue les différents éléments du dossier « Fauré » qui commencent à s’empiler sur mon bureau.

Les photos du corps sont étonnantes de précision. Le torchon blanc immaculé ressort sur le bordeaux foncé du pull. Les chaussures presque neuves, à la semelle impeccable, dénotent d’une attention dont je ne suis pas capable – flaques d’eaux et crottes de chiens sont mon lot. Je vis un peu trop le nez en l’air – mais le plus étonnant reste l’absence de sang. Pourquoi quelqu’un s’est-il donné la peine de nettoyer ? Si le corps avait été transporté, j’aurai pu comprendre mais le légiste est formel : le type a bien été tué là.Il est tombé de tout son long et n’a plus bougé. La mort reste cependant difficile à dater. Madame Rabatto a vu le véhicule de monsieur Fauré arriver vers cinq heures de l’après midi – il l’a rentré dans le garage à cause de la pluie – et personne ne peut apporter d’éléments contradictoires. Ils étaient tous occupés ailleurs ou sortis. Une fois le garage fermé, personne ne pouvait plus deviner qu’il était là, à part sa voisine. Son patron dit qu’il est parti en fin de matinée et qu’il avait plusieurs entreprises à voir avant de rentrer. Il faut qu’on creuse un peu ça.Ça nous permettra d’être plus précis sur l’heure du décès.

Les draps de leur lit sont propres. On dirait qu’ils ont été changés le jour même. Mais ça n’a rien d’extraordinaire. Ce qui pose problème en revanche c’est qu’il n’ait pas été possible de retrouver les draps sales. Comment peut-on refaire son lit et ne pas avoir de draps sales?Il était peu probable qu’elle les ait déposés dans un pressing, mais nous avons vérifié par précaution : rien. Madame Fauré affectionnait visiblement les draps colorés. Assez disparate, son placard ne semble pas manquer de linge. Si, comme madame Rabatto, elle travaillait par gamme de couleur dans un dégradé fleuris, il aurait été plus simple de déterminer les draps manquants. J’extrapole et ça ne servirait à rien pour l’enquête.

Quant à madame Fauré, elle est partie de son travail à vingt heures, comme tous les jours. Elle a passé son après-midi dans le stock de produits surgelés, ce qui est plutôt inhabituel, mais il manquait du personnel ce jour-là et elle n’a rien fait d’extraordinaire de son après-midi. Elle a rangé des cartons, emmitouflée dans une polaire, sa petite queue de cheval blonde battant au rythme de ses pas rapides. Il fait très froid dans les frigos, toutes ses collègues me l’ont confirmées, et pourtant elle s’est portée volontaire car son amie Cynthia qui venait d’avoir un bébé, était enrhumée et voulait éviter de tomber encore plus malade. Elle a d’ailleurs passé plusieurs jours au lit, dès le lendemain.

Quant à l’heure de son retour à la maison, mystère. Personne ne l’a vue. J’ai du mal à y croire mais même madame Rabatto n’est pas capable de dire qui a garé la voiture devant la maison et à quelle heure.

Sa disparition fait partie des grands mystères de cette enquête. Elle n’est réapparue nulle part. Pas de trace de la voiture non plus. Depuis bientôt trois semaines, nous battons la campagne pour la retrouver. Nous avons sondé le jardin, emmené des chien dans tous le lotissement…rien ! Elle s’est volatilisée.

En fin d’après-midi, j’embarque Isabelle dans le véhicule banalisé et nous nous rendons chez les Rabatto.

– tu sembles bien guilleret, me dit-elle pendant que je conduis en sifflotant.

– tu trouves ?

– oui, ça sent la jeunette !

– ça se voit tant que ça ? J’éclate de rire.

– parce que tu pensais que tu pouvais cacher ta vie privée à un flic, toi ?

– j’espérais !

– ne t’inquiète pas, je ne dirais rien. Mais je suis contente pour toi.Ça te rendra un peu moins sombre.

– je suis pas sombre !

– si tu l’étais mais tu ne l’es plus…

– je souris malgré moi en repensant à jenny et à nos arrangements sexuels. Il n’y a pas vraiment d’amour là-dedans, mais on se fait du bien. C’est déjà pas mal. Hier soir pour la première fois, pendant que je la baisais après l’avoir laborieusement fait jouir, je l’ai entendue soupirer. Pas d’ennui non, de plaisir. Alors, j’y ai mis tout mon savoir-faire, j’ai limé lentement, puis rapidement, et finalement elle a eu comme un début d’orgasme. Un truc étrange, une succession de petits « oui » de plus en plus aigus. Ça partait bien et ça m’a tellement plu que je n’ai pas pu me retenir. J’ai jouis en grognant alors qu’elle retombait comme un soufflé qui se dégonfle. J’étais un peu déçu et elle aussi, je l’ai vu à son visage triste. Mais à chaque jour suffit sa peine. Deux heures pour lui décrocher des cris de putois qu’on égorge, c’est plutôt pas mal. Le n’étais pas prêt à remettre ça tout de suite.

Je me gare devant le pavillon, illuminé par les nombreuses lumières disposées autour de la maison pour chasser la nuit qui s’abat inexorablement. Visiblement, nous ne sommes pas attendus et nous ne sommes pas les bienvenus.

Robert Rabatto finit par nous laisser entrer quand nous lui proposons de nous suivre au poste. C’est facile et ça marche à tous les coups. Son épouse, déjà démaquillée, flotte dans une robe d’intérieur qu’elle couvre prestement d’une robe de chambre rose pale. Elle semble avoir vieillit de dix ans en trois semaines. L’absence de maquillage joue probablement mais je ne retrouve pas la jeune femme fraiche qui se cachait sou les couches de fond de teint. Sans fard, sa peau est terne et triste. Cireuse. Son regard inquietva de son mari à nous, sans vraiment se poser.

– alors, que ce passe-t-il encore ? dit celui-ci en se laissant tomber lourdement dans un fauteuil. Son fauteuil. On le voit à la manière dont il s’affaisse sous son poids. Il semble moulé autour du corps gassouillé. Il porte un pantalon de survêtement et un sweat-shirt gris clair impeccable mais qui masque encore moins que la fois précédente, les bourrelets de son ventre et la largeur impressionnante de ses cuisses courtes.

– a quand remonte la dernière fois que vous avez emprunté le sentier qui longe le lotissement, Monsieur Rabatto ?

– celui avec l’arbre qui est tombé ?

– oui, celui-là.

Je ne lui dis pas que l’arbre a été enlevé il y a plus d’une semaine et que les débroussailleuses ont nettoyé le chemin de ses hautes herbes. Les gens ont l’habitude d’y faire leur jogging dès que le temps le permet et la végétation a fait l’objet d’une plainte de la part du voisinage.

– je sais pas. Ce week-end probablement.

– vous êtes sur ?

– oui, dit-il les yeux un peu vagues. Pourquoi ?

– donc vous avez l’habitude de le prendre ?

– non, je vous l’ai dit, il n’est pas très praticable. Entre les herbes hautes et l’arbre qui est tombé…

– mais vous l’avez pris ce week-end ? Martèle Isabelle.

– oui, je crois…

– non, Monsieur Rabatto, nous ne vous demandons pas de croire mais d’être sûr.

– je ne sais pas…minou ? J’y suis allé ce week-end ? Il semble totalement perdu.

– je sais pas, dit-elle d’un ton rageur. Tu m’as dit que t’allais courir mais tu m’as pas dit où.

– pourquoi est-ce que c’est important ? dit-il.

– nous essayons de comprendre comment un morceau d’écorce de pin s’est retrouvé accroché à votre pantalon.

– eh bien, puisque je vous dis que j’y suis allé ce week-end.

– non, Monsieur, je vous parle du pantalon que nous avons trouvé dans votre panier à linge sale, le jour où nous avons découvert le meurtre de Monsieur Fauré, il y a trois semaines.

Il se fige et devient blanc comme un linge. Je pense au torchon sur le visage de Paul Fauré.

Bon, et après, j’ai dû prendre le sentier un soir pour rentrer.

– et votre voiture ?

– j’avais dû la laisser au parking.

– je croyais que vous ne faisiez jamais ça.

– et bien des fois je change.

– Monsieur Rabatto, pourquoi êtes-vousrentré par le sentier le jour du meurtre de Paul Fauré ?

Je tente le coup, après tout, des fois ça marche.

– mais pourquoi ce serait forcément ce jour-là ? Ça pouvait être quelques jours avant.

– non, la neige n’a fondue que deux jours avant le meurtre et dans le sentier qui est très protégé, elle a dû mettre au moins un jour de plus, ce qui le rendait difficilement praticable. Donc, le jour de la mort de Paul Fauré et de la disparition de son épouse, vous êtes rentré par le sentier…

– peut-être, je ne m’en souviens pas.

– ce n’est pas ce que vous nous avez dit le jour où nous avons trouvé le corps ! Scande Isabelle, bien décidé à le pousser dans ses retranchements.

– mais qu’elle importance dit la voix chevrotante de cet homme visiblement hagard.

-c’est vrai, vous avez raison, ça n’en aurait aucune si on n’avait pas retrouvé exactement le même fragment de bois sur le corps de monsieur Fauré.

Il a un haut le cœur et j’ai peur qu’il ne vomisse, là, sur son tapis à grosses fleurs criardes. Mais il se ressaisit et soudain une voix aigüe, presque hystérique se fait entendre :

– c’est elle ! C’est elle qui l’a tué ! Elle ne l’aimait plus. Elle voulait le quitter et lui aussi il allait la quitter. Elle l’a tué parce qu’elle voulait l’empêcher d’être heureux, de refaire sa vie. Elle éclate en sanglots bruyants sous le regard médusé de son époux.

– voyons chérie, tu ne peux pas dire une chose pareille, c’est terrible. Pourquoi le tuer si elle voulait le quitter ?

– parce qu’il en aimait une autre et qu’il voulait refaire sa vie et puis il est mort.

– comment savez-vous tout cela madame Rabatto ? L’interrompt Isabelle.

– parce qu’il me l’avait dit. Il en parlait depuis longtemps, mais là, il s’était enfin décidé. Il allait la quitter et elle ne l’a pas supporté.

– il vous en a parlé alors ?

– oui, il en parlait tout le temps.

– vous saviez que Monsieur Fauré frappait sa femme ?

– c’est faux, hurle-t-elle, elle ment !

– Pourquoi dite vous ça Madame Rabatto ?Je vous le rappelle que Madame Fauré est portée disparue depuis le 22 Avril.

Elle reste un moment interloqué puis elle reprend :

– il ne l’a jamais frappé. C’était des mensonges qu’elle racontait pour se faire plaindre. Elle était tout le temps entrain de se plaindre de lui.

– ce n’est pas ce que disent les autres habitants du quartier ou même ses collègues. Justement, elle ne voulait jamais parler de ses blessures ni des traces de coups qu’elle avait sur le visage.

– Enfin Minou, tu le sais qu’il la frappait quelque fois. On l’entendait crier. Je la plaignais cette pauvre femme. Si jeune et déjà si abimée.

– pourquoi n’êtes-vous pas intervenu Monsieur Rabatto ?

– c’est difficile, vous savez…je me voyais pas débarquer chez eux en pleine querelle. Quant à appeler la police, excusez-moi, mais c’est un peu radical.

– vous trouvez ? dit Isabelle avec tant d’exaspération dans la voix qu’il se replie sur lui-même.

– de tout façon, elle avait que ce qu’elle méritait, jette soudain son épouse.

– minou !

– quoi, minou ?Elle était invivable avec lui. Elle faisait tout le temps des histoires pour rien et puis elle tenait mal sa maison !

– enfin, chérie, elle travaillait. Elle n’était pas à la maison toute la journée. C’est normal que sa maison…

– qu’est-ce que tu veux dire ? crie Madame Rabatto qui semble avoir totalement perdue le contrôle d’elle-même. Que je n’ai pas à me plaindre de mon sort ? Parce que je suis à la maison toute la journée ? Tu crois que c’est drôle de passer ses journées à faire le ménage en attendant que tu rentres t’affaler devant la télé ? Tu crois que ça me fait plaisir de te cuisiner des petits plats et de passer la soirée en tête à tête avec toi ? Hein ?

J’ai l’impression d’être au spectacle. Une mauvaise comédie de boulevard est en train de se dérouler dans cet intérieur immaculé de poussière et de saleté et la noirceur des âmes apparait enfin.

– Minou tu dépasses les limites…

– et alors, qu’est-ce que tu vas faire ? Tu vas me frapper ? C’est ça que tu vas faire ? Tu ne serais même pas capable de me toucher. Vous savez pourquoi il n’est intervenu dans leurs querelles ?Je vais vous le dire : parce qu’il avait la trouille de se faire casser la gueule. C’est que Paul, c’était un costaud, un baraqué. Il faisait du sport tous les jours, il s’entretenait, lui ! Il était musclé et fort.

– chérie !

– quoi, chérie ? J’en peux plus de me taire. Je l’aimais, voilà, c’est dit. On était amoureux lui et moi, on voulait partir d’ici !

– minou, ne dis pas n’importe quoi !

– tu sais bien que c’est la vérité. Tu le savais !Et puis il est mort !

– voyons bibiche, ce type n’aimait personne d’autre que lui. Il n’aurait jamais mis en danger sa situation professionnelle pour qui que ce soit. Il te faisait probablement marcher.

– Non, il m’aimait, il était fou de mon corps, il me le disait tout le temps ! Avec moi c’était un autre homme, un gentleman ! D’ailleurs…sa voix s’éteint, comme si elle réalisesoudainement ce qu’elle vient de dire.

– un gentleman qui se tapait ma femme ! hurleRobert Rabatto visiblement pour la faire taire. Elle se ratatine dans son fauteuil. On dirait le fantôme de la femme en lurex rose que j’ai rencontré il y a trois semaines.

Alors Isabelle intervient, sa voix de stentor nous fait tous sursauter :

– Monsieur Rabatto, pourquoi êtes-vous allez chez Monsieur Fauré le jour de sa mort ?

– mais…je n’y suis pas allé…

– Monsieur Rabatto, cessez de nous prendre pour des imbéciles ! Il y a des preuves matérielles de votre présence !

Il se vide soudain comme une baudruche et ses yeux se voilent. D’une voix chevrotante il lâche :

– il était mort quand je suis entré, je vous jure qu’il était mort. Il était étendu sur le sol de la cuisine, les bras écartés. J’ai cru qu’il était tombé et qu’il était blessé. Je n’avais pas vu le couteau. Je me suis approché, et là j’ai vu le manche qui dépassait de sa poitrine. J’ai compris qu’il était mort alors je me suis enfui, je suis retourné à mon travail.

– pourquoi étiez-vous allé chez Monsieur Fauré ?

– parce que je voulais lui parler, dit-il sans conviction. J’ai l’impression de voir sa tête qui mouline pour trouver des réponses cohérentes, c’est pathétique !

– je voulais qu’il arrête de voir Vanessa, reprend-il dans une grande respiration. Je voulais lui dire de la laisser tranquille, que je l’aimais et qu’elle était à moi. Ce n’était pas un homme bien. Il maltraitait sa femme et je savais qu’il te mentait. Il couchait avec tellement de gens !

– tu dis n’importe quoi ! s’écrie Vanessa que cette phrase vient  de ramener à la vie. Il n’aimait que moi, il me le disaitsouvent. Il voulait refaire sa vie avec moi, m’emmener loin d’ici. Il était fou de moi et de mon corps. Il adorait mes seins, ajoute-t-elle en les pressant entre ses mains comme un vestige d’un passé révolu.

Robert Rabatto ne peux cacher une grimace de souffrance si évidente que j’ai de la peine pour ce pauvre type. J’imagine ce qu’il a dans la tête à cet instant et je le plains. Sa femme, cette bombe sur patte, chevauchant un autre que lui.

– Nous allons continuer cet interrogatoire au commissariat, dit Isabelle.

– vous nous arrêtez ? dit Monsieur Rabatto soudain alerté.

– disons que vous êtes entendu en tant que témoins. Mais je vous conseille de ne pas faire d’histoire sinon la situation pourrait vite s’aggraver.

– je peux appeler un avocat ?

– nous ne sommes pas aux États-Unis, monsieur Rabatto. Uniquement si nous décidons de vous placer en garde à vue et ce n’est pas le cas pour le moment. Il s’agit d’un interrogatoire pour clarifier quelques points. Mais si vous souhaitez être assisté de votre avocat, je peux vous mettre en garde à vue tout de suite.Nous avons une preuve matérielle et vous venez de reconnaitre que vous vous êtes rendu au domicile du couple Fauré et que vous avez vu Monsieur Fauré à l’heure de sa mort. Cela vous place en tête de liste de nos suspects. Vous n’auriez pas une idée de ce qu’à bien pu devenir Madame Fauré par hasard, ironise Isabelle pendant qu’elle incite Madame Rabatto à se lever.

– je peux m’habiller ? dit celle-ci.

– non, mettez juste un manteau, ça suffira pour ce soir.

Vanessa Rabatto éclate en sanglot et son mari s’approche d’elle pour la consoler mais elle le repousse avec tant de hargne qu’il en reste un moment ébahi. Puis, il baisse la tête et se tourne vers nous, comme un condamné que l’on va emmener à l’échafaud.

Le trajet se fait dans le plus grand silence. Les rues encombrées de circulations nous bloquent un moment et l’ambiance devient pesante. Finalement, je me gare devant le commissariat et nous les conduisons chacun dans une petite salle d’interrogatoire. Séparément nous obtiendrons peut-être de meilleurs résultats. Le trajet semble les avoir encore un peu plus désunis et décomposés.

Nous réattaquons immédiatement l’interrogatoire de Monsieur Rabatto qui en a trop dit pour qu’on le laisse refroidir. Son épouse aura le temps de se ronger les sangs, seule dans la petite salle aux murs beiges constellés de taches de toute nature, sous la surveillance neutre et amorphe d’un planton de garde.

– alors, racontez-nous cette fameuse journée, Monsieur Rabatto.

– que voulez-vous savoir ?

– tout depuis le début.

– le début…c’était quelques jours avant. Je suis rentré plus tôt. Il neigeait et j’avais peur d’avoir du mal à circuler. Alors je suis parti de mon travail à quatre heures au lieu de six.

– vous aviez l’autorisation de votre patron ?

-…non, je travaillais dans un petit localau bout de la zone. J’étais tout seul ce jour-là. Je m’étais garé loin le matin pour pouvoir partir rapidement si le temps s’aggravait.

– donc, vous aviez prévu de quitter votre travail avant l’heure…

– disons que je m’étais dit que ce serait plus simple si je me garais près de la sortie plutôt qu’au fond de la zone à cause de la circulation.

– vous faisiez ça souvent ?

-…non…

– Monsieur Rabatto !

– oui…de temps en temps. Ça m’arrivait  quand j’avais envie de rentrer à la maison. Mais attention, mon travail était toujours fait en temps et en heure.

– donc, vous êtes rentré et…

– et j’ai trouvé Vanessa en train de pleurer. Je lui ai demandé ce qui se passait et elle m’a dit qu’elle avait fait une bêtise. Au débutelle ne voulait rien me dire d’autre. J’avais peur que ce soit à cause de moi…

– c’est-à-dire ?

– vous savez, elle et moi, on est plus très…enfin, on a plus vraiment…c’est vraiment gênant de parler de ça.

– on peut tout entendre. Donc vous n’aviez plus vraiment de quoi ?

– de relation sexuelle, lâche-t-il presque dans un souffle.

– et vous avez pensé que c’était pour ça que votre épouse pleurait.

– oui, et à cause des enfants. Elle en voulait vraiment mais moi…je ne peux pas…j’ai fait des tests et…c’est très difficile. Alors elle est malheureuse. Vous savez, ça l’a beaucoup touché quand elle l’a appris. Je crois qu’elle a pensé qu’elle continuerait à m’aimer quand même, mais elle n’y est pas parvenue. Mais moi je l’aime. Je suis fou d’elle. Je ne voulais pas la perdre. Quand je l’ai vu si triste je lui ai dit qu’on adopterait un enfant, qu’on irait vivre ailleurs, au soleil, où elle voulait, que je ferais tout ce qu’elle voulait pourvu qu’elle me garde auprès d’elle.

– et ?

– elle a fini par m’avouer qu’elle avait une liaison avec Paul Fauré. Il devenait de plus en plus insistant et elle ne savait pas comment le tenir à distance de notre vie.

– admettons et puis ?

– le lendemain du jour où elle me l’a avoué, je suis allé travailler avec la peur au ventre. J’avais peur qu’elle m’abandonne pour lui, j’aurai voulu ne pas la laisser seule à la maison. Mais il a bien fallu que j’y aille. C’est moi qui gagne de l’argent, je ne peux pas me permettre de perdre mon travail. Je suis parti et s’il n’avait pas neigé,  j’aurai pris le sentier pour revenir à midi mais j’avais trop de boulot et j’étais si distrait que je devais tout recommencer régulièrement. Vous savez l’informatique ça ne pardonne pas, vous n’avez pas droit à l’erreur. Alors j’ai travaillé assez tard et quand je suis rentré, elle était là, elle regardait la télé. Elle avait l’air calme, ça m’a rassuré. Quelques jours ont passé comme ça, puis elle a retrouvé le sourire. J’étais content mais je me suis posé des questions. Alors je suis parti plus tôt et je ne l’ai pas trouvé en rentrant à la maison. Je suis allé chez les Fauré. Il n’y avait personne dans la maison. J’allais m’en aller quand j’ai entendu du bruit dans le garage. J’ai appelé mais personne ne m’a répondu. J’ai pensé que Madame Fauré était rentrée plus tôt et qu’elle s’occupait. J’ai poussé la porte et je les ai vus.

– qui ?

– Vanessa et Monsieur Fauré. Ils…le coffre était ouverts et il avait étendu une couverture. Ils faisaient l’amour…elle était nue. Je voyais ses seins…il baisait ma femme, dit-il dans un sursaut d’énergie et elle aimait ça.

– et alors ? dit Isabelle quand elle constate qu’il est perdu dans ses pensées.

– et alors je suis reparti. Qu’est-ce que je pouvais faire ? En même temps, je ne pouvais pas lui en vouloir…

– pourquoi dites-vous ça ?

– je souffre d’un problème de…c’est délicat vous voyez, je n’arrive plus…enfin, c’est pour ça qu’elle s’est fait refaire les seins, pour moi. Mais, ça n’a pas suffi. Je l’aime, elle est magnifique, je suis fou d’elle, mais je ne peux pas…

– vous ne pouvez plus faire l’amour à votre épouse.

– oui, dit-il dans un souffle et ça me tue. Quand je la vois dans ses dessous en dentelle, avec cette poitrine fabuleuse…rien. Je ne peux rien faire. Il pleure en silence et je me sens désespéré pour lui. Putain si un truc pareil m’arrivait, je crois que je sombrerai totalement. C’est vrai quand on y réfléchit, ce qui nous tient debout dans cette vie de merde c’est le sexe. Avant de rencontrer jenny, je me branlais devant les films pornos mais c’était vraiment loin d’être satisfaisant. Hygiénique, tout au plus. Depuis que je la fréquente, je me sens un homme nouveau. Alors, bon sang je compatis vraiment. Ce mec doit en chier.

– et le 22, pourquoi y êtes-vous retourné ?

– pour lui parler, je vous l’ai dit, pour lui dire de ne pas me la prendre. Ils pouvaient continuer à faire l’amour s’ils voulaient, tant qu’elle ne me quittait pas.

– comment êtes-vous entré dans la maison ?

– comme d’habitude, par la porte de derrière. On laisse tous nos portes ouvertes ou alors on laisse les clés sous le porche. On est pas dans une grande ville ici… il ne se passe jamais rien dans ce quartier, enfin…Il s’interrompt 

– vous avez pris la clé ?

– non, la porte était entrebâillée, j’ai trouvé ça étrange parce qu’il faisait froid mais je n’ai pas vraiment réfléchis. J’étais déterminé à lui parler.

– la lumière était allumée ?

– pas dans l’entrée mais dans la cuisine. Il faisait déjà sombre ce jour-là.

– quelle heure était-il Monsieur Rabatto ?

– je ne sais pas exactement,quatre heures, peut-être…

– tiens…

– quoi ? C’est pas ça ?

–  je ne sais pas, c’est vous qui devez savoir à quelle heure vous avez quitté votre travail.

– oui, c’est ça, vers quatre heures moins le quart, je pense. Le temps de longer le sentier et d’arriver jusqu’à la maison, il devait être quatre heure.

– bon, nous y reviendrons, et puis ?

– je vous l’ai dit, je suis entré dans la maison et je l’ai trouvé mort. Alors je suis reparti au travail en courant et je n’ai plus bougé jusqu’à six heures et demi au moins. Je suis rentré tard. J’avais peur. Et puis trois jours ont passé et comme personne ne disait rien, je me suis détendu. Puis Vanessa m’a appelé en pleur. Elle s’inquiétait, elle n’avait pas vu Paul depuis trois jours. Je ne lui avais pas dit que je l’avais trouvé mort. J’ai attendu que vous interveniez en priant pour que vous ne remontiez pas jusqu’à moi. Parce que je ne l’ai pas tué, je vous le jure ! Son regard est suppliant et son visage désespéré.

– et les baskets, pourquoi les avoir nettoyées ? Martèle Isabelle qui a senti sa faiblesse et qui fonce comme un toréador quand le taureau s’affaisse.

– ben parce qu’elles étaient trempées et pleines de neige et de boue. J’aurais laissé des traces partout. Alors, quand je suis rentré à la maison ce soir-là, je les ai enlevées avant d’entrer. Je les ai rincées dans l’évier puis je les ai déposées dans la machine. Après c’est Vanessa qui s’en occupe.

– vous aviez retiré vos chaussures quand vous êtes entrés chez Paul Fauré ?

– oui, bien sûr ! Paul n’aurai jamais toléré que je salisse le sol de sa maison avec mes baskets sales. Il était très maniaque !  Mais je sais que j’ai laissé des traces de chaussettes mouillées parce que le paillasson du porche était mouillé. Je pensais les essuyer en partant mais quand je l’ai trouvé mort, j’ai filé en oubliant. Je crois même que j’ai couru dans le jardin sans chaussures. Je ne les ai remises que dans le sentier.

– c’est étrange, on a retrouvé aucune trace dans le couloir, ni dans la cuisine.Vous êtes sûr de ne rien avoir essuyé derrière vous ?

– non j’étais sous le choc. Je n’y ai même pas pensé. Je vous dis, j’avais prévu de le faire, mais quand je l’ai trouvé mort, j’ai eu peur qu’on m’accuse et j’ai filé.

– raison de plus pour penser à nettoyer vos empreintes !

– je vous jure que je ne l’ai pas tué ! Lâche-t-il dans un cri de désespoir. Je suis parti sans réfléchir. J’étais tellement chamboulé, vous vous rendrez pas compte !

 

– et je vais vous dire un truc Virginie, il était tellement sincère, que sur le coup, je l’ai cru ce pauvre Robert. Jusqu’à ce que vous reparaissiez, vivante et en bonne santé. Parce que ça restait quand même un putain de mystère cette disparition. Vous comprenez pourquoi vous m’énervez avec vos aventures amoureuses ?

Elle est assise sur la même chaise qu’occupait Robert Rabatto, le coupable idéal, le pauvre type qui s’est peut-être fait piégé…Et dire que je ne l’ai pas cru quand il m’a supplié. Il pleurait, la morve coulait de son nez. Il était pitoyable mais qui aurait cru à un truc pareil ? Un type découvre que sa femme couche avec le voisin, il se rend chez lui et il le trouve mort ? A d’autre ! Moi je dis qu’il l’a tué !

Elle me regarde, attentive, comme si elle me jaugeait et je me sens mal pendant un instant. Elle a réussi en un regard, à inverser les rôles. Elle lit au fond de mon âme, je le sens. La vérité c’est que je n’ai aucune certitude, ni aujourd’hui, faisant le beau devant elle, ni à l’époque du meurtre. Je pensais l’affaire réglée, même s’il subsistait des zones d’ombre mais avec son arrestation, tout redevient flou. En fait, je dois l’avouer, je ne comprends toujours rien à cette affaire.

Virginie lève la tête vers moi à nouveau et elle dit :

– vous savez, j’aimais mon mari malgré tout ce qu’il me faisait subir. Les coups, les femmes qu’il ramenait à la maison mais je ne regrette pas d’être partie, je ne regrette pas d’avoir rencontré Thomas.

Je quitte la pièce en claquant la porte. Elle va réussir à me faire craquer alors qu’elle aurait déjà dû s’effondrer depuis longtemps.

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