A LA LUMIERE FROIDE DE LA TERRE – Quatrième Partie – Chapitre 4

Chapitre 4

Je sursautais quand j’entendis du bruit derrière moi. Serarpi passa la tête par le trou béant de sa maison et me cria :

– viens m’aider !

Elle trainait comme elle pouvait le grand corps de Martial qui semblait inconscient ou mort. Elle était décoiffée, débraillée et couverte de suie noire. Je ne l’avais jamais vu comme cela.

– il est vivant, un peu roussi mais sonné ; me dit-elle quand elle vit mon regard affolé.

Je l’aidais à le poser sur le lit, heureusement intact et nous lui lavâmes le visage et le corps avec des linges mouillés. Il devait souffrir de contusions car aucune blessure n’apparaissait sur sa peau râpée et écorchée. Des brulures légères rougissaient son visage. L’eau sembla le ramener à la vie car il ouvrit les yeux ; en nous voyant, il articula faiblement :

– quel saut ! Vous avez vu ça !

– garde tes forces, lui dit Serarpi en l’embrassant tendrement.

– je vais bien ; je suis un fatigué, c’est tout. On en est où ? Tu es là, toi ? C’est bien, tu t’en es sortie ; qu’est ce qui s’est passé ?

– C’est fini ; tous les gardes sont morts, les amis d’Alex y ont veillé ! Je te raconterais la suite plus tard. Repose-toi maintenant, je vais chercher Alex.

Je les laissais tous les deux, elle amoureusement penché sur le corps robuste de l’homme qu’elle aimait et qu’elle avait probablement sauvé des flammes.

Je remontais vers le portail. La palissade était détruite pratiquement partout où le feu l’avait attaquée et des parties entières brulaient encore. Personne n’avait eu le temps d’éteindre le feu. Je faillis aller chercher les lances mais comme tous les autres, j’avais plus urgent à faire ; retrouver Alex.

Un groupe d’homme revenait le long de la route ; ils étaient ensanglantés, hirsutes et dépenaillés. Un homme immense semblait mener la troupe. Je compris à sa façon de marcher et au respect que lui témoignaient ceux qui l’entouraient, qu’il devait s’agir de Moya, l’homme qui avait mené la rébellion. A ses côtés, malgré la croute de terre et le sang, je reconnus Alex avec lequel il semblait avoir une conversation animée. Quand ils arrivèrent à quelques mètres de moi, ils s’immobilisèrent et Alex se détacha pour se poster à mes côtés :

– Moya, je te présente Zellana.

– Zellana, je suis ravi de faire votre connaissance ; je suis très impressionné par la manière dont vous avez mené cette bataille. Votre discours final m’a obligé à lâcher un garde dont pourtant j’aurai bien arraché la tête.

– merci Moya ; je vous remercie d’être venu à notre secours ; sans votre intervention, nous ne serions pas parvenus à faire reculer ces hommes. Je ne sais comment nous pourrons vous payer notre dette. Nous possédons ici beaucoup de choses qui pourraient peut-être vous être utile ; nous avons de la nourriture, des armes, des ordinateurs, des communicateurs. Tout cela est à votre disposition si vous le souhaitez.

– est-ce une façon polie de nous demander de repartir là d’où nous venons ? dit-il avec un sourire narquois.

– C’est l’idée en effet ; je lui répondis en le regardant droit dans ses yeux incroyablement bleus en tentant de demeurer impassible.

– et vous pensez que nous allons accepter de vous obéir aussi facilement ?

– je l’espère ;

– vous semblez décidément très déterminée pour une personne aussi jeune ; serait-ce impoli de vous demander votre âge ?

– non, j’ai vingt deux ans en année terrienne. Mais il faut que je mette au point un autre système de calcul car ce calendrier n’a plus de sens ici. Disons que j’ai vingt deux saisons materiennes.

Le grand homme à la barbe blonde et aux yeux aussi bleus que ceux d’Alex, éclata de rire puis ajouta :

– vous nous offrirez bien un repas en dédommagement, avant de nous mettre dehors ?

– bien sur ; laissez nous le temps de faire le bilan de nos pertes et vous aurez un festin. Malheureusement, la salle commune est détruite. Je vous propose d’aller vous rafraichir à la rivière pendant que nous évacuons les corps. La chaleur est intense et nous ne pouvons pas les laisser au soleil ; certains d’entrez nous sont tombés aussi et nous devons les traiter avec les honneurs qu’ils méritent.

– nous allons vous aider. Allez les gars ; on va faire un bucher avec les corps des gardes ; je ne pense pas que vous vouliez les mettre en terre près de votre village ?

– certainement pas !

– parfait, on s’en occupe.

Je pu enfin me tourner vers Alex qui avait assisté à cet échange sans dire un mot.

– tu vas bien, je lui dis en prenant son visage entre mes mains et en en détachant les croutes de terre et de sang délicatement.

– ça va, j’ai eu peur pour toi, tu avais disparue ; que s’est il passé ?

– je te raconterai plus tard. Nuncio est là, derrière ce buisson, lui dis-je en lui montrant des arbustes roussis ; Selfy est tombée devant le magasin de fourniture et Sorel a été tué sur le porche de sa maison ; je ne sais pas s’il y a d’autres morts parmi les villageois.

– je suis désolé ; je sais que tu aimais particulièrement Sorel…et Nuncio.

– je pense surtout à Gentiane qui va bientôt accoucher et qui ne sait pas encore qu’il est mort.

– tu as raison, c’est terrible. Je ne sais pas comment je survivrai si je t’avais perdue, dit-il en m’étreignant fortement contre lui.

– moi non plus Alex ; je suis désolée de t’avoir abandonnée mais je voulais empêcher ses hommes de descendre dans le village. Malheureusement, je n’y suis pas parvenue et ils ont tué Selfy et Sorel.

– tu n’y es pour rien Zellana. Tu n’aurais pas pu les en empêcher ; ils étaient armés et invincibles. Tu ne pouvais pas lutter contre eux ;

– moi non, mais les baveaux l’ont fait pour moi !

– qu’est ce que tu veux dire ?

– j’étais sur la plage et ils allaient me tuer quand deux baveaux ont surgit de l’eau comme des torpilles et les ont écrasés. Puis ils sont repartis en manquant me noyer, mais l’un d’eux m’a sorti de l’eau et m’a repoussé jusqu’au rivage.

– tu te moques de moi ?

– non, crois moi, c’est la vérité !

– je te crois même si ça parait totalement irréel. Pourquoi ont-ils fait une chose pareille ?

– écoute, nous en reparlerons, mais de ce que j’en ai vu, ces animaux sont doués d’intelligence et ils détestent les armes. Je crois qu’ils ont été sensibles à mes pleurs quand ils ont tués Sorel. 

A ce moment là Joshua arriva avec Sofram et quelques hommes. Les femmes sortaient prudemment et, pour celles qui en possédaient encore, réintégraient leurs maisons, accueillant les autres.

– Joshua, Nuncio est mort ; il est là-bas, lui dis-je en désignant les buissons derrière la tourelle coupée en deux ; il faudrait aller le chercher et l’amener chez Mafalda.

– je m’en occupe ; répondit-il, nous avons aussi perdu Bodal dans les sous-sols ; nous avons ramené son corps.

– je préviendrai Serarpi, c’était tout de même son mari. Martial a été blessé mais il va bien ; elle s’occupe de lui actuellement.

A ce moment là Amozzo arriva, lui aussi couverts de sang et dit :

– je viens de faire une rapide inspection des corps ; la plupart sont ceux des gardes ; les hommes de Moya sont nombreux à être tombés et j’ai malheureusement trouvé Fluon et Dalloc parmi les morts. Nous sommes en train de les ramener à l’hôpital.

– Amozzo, je sais que c’était ton ami alors je tiens à te l’annoncer moi-même : Nuncio est mort ; il a été tué en combattant bravement.

Il eut un temps d’arrêt, comme s’il peinait à retrouver son souffle puis il dit :

– nous avions fait l’académie militaire ensemble, je le connaissais depuis que nous avions dix ans ; c’était mon frère. Quelle terrible journée ; il faut prévenir Gentiane. Je vais m’en charger.

Il partit d’un pas déterminé ; je l’admirais de faire preuve de tant de courage. Je le regardais descendre le chemin et je me sentis incapable de bouger sous la chaleur brulante du soleil au zénith mais Alex me tira de mon apathie.

– viens, dit-il, nous avons des choses à faire.

– je dois aller voir Orep…et Julianne pour qu’elle s’occupe du repas.

– je t’accompagne ;

Nous descendîmes le long du village dont certaines maisons avaient été entièrement rasées par les bombes ; je m’approchais de Tamina en pleur, dont la maison fumait encore et je la pris dans mes bras.

– ne t’inquiète pas ; nous reconstruirons tout !

– je veux deux chambres de plus, dit-elle en essuyant ses larmes ; j’ai l’intention d’avoir deux douzaines d’enfants !

– d’accord, tu auras autant de chambres que tu veux, je te le promets.

– merci Zellana. Heureusement que tu étais là ; sans toi cette bataille n’aurait pas tourné à notre avantage !

– on peut aussi remercier Alex ; sans l’intervention des hommes de Moya, je ne suis pas sûre que nous nous en serions sortis vivant.

– c’est vrai ; merci Alex, dit-elle en tournant vers lui son visage ruisselant de larmes ; même si je n’ai aucune idée de la manière dont tu t’y ais pris pour faire venir ses hommes aussi vite.

– ce n’est rien, répondit-il, un petit tour de magie de Matria ;

– Tamina, ajoutais-je, j’aurai besoin que tu regroupes les bébés et peut-être les femmes enceintes si elles le désirent ; mets-les dans la crèche s’il te plait ; je ne tiens pas à ce que des enfants trainent parmi les décombres et…les hommes.

– d’accord, j’y vais.

Nous nous éloignâmes en direction du magasin de fourniture où le corps de Selfy avait été enlevé mais dont la trace sanglante demeurait visible, tout autant que la ligne nette des balles qui avaient transpercé son corps et marqué le bâtiment. Julianne pleurait sous le porche en tentant de nettoyer le sang qui séchait trop vite sous le soleil.

– il faut que tu jettes des seaux d’eau dessus, lui dit gentiment Alex ; tu veux que je t’aide ?

– non, merci, je veux le faire moi-même ; elle s’est sacrifiée pour nous ; elle craignait que les hommes ne pénètrent dans le magasin et ne découvre l’entrée principale des sous terrains. Je lui ai dit de ne pas y aller ; mais c’était Selfy, elle était têtue et tenace. Pauvre Mangwan ! Quelqu’un sait où il se trouve ?

– c’est l’homme aux cheveux blancs ? demanda Alex

– oui, c’est lui.

– je l’ai vu devant le portail ; il se bâtait comme un forcené. Il doit être en train d’aider les hommes à enlever les corps.

Sotomayor, qui nous avait rejoint, prit la parole :

– c’est un ami, je m’en charge. Et il parti d’un pas lourd en direction du portail.

Je me tournais vers Alex :

– sais-tu combien Moya a perdu d’hommes aujourd’hui ?

– je pense qu’ils étaient une cinquantaine en arrivant et je dirais que j’en ai vu tomber au moins dix, peut-être plus, mais tous ne sont certainement pas mort ; L’effet de surprise a été grand et les gardes n’ont pas vraiment eut le temps de riposter.

– bon, Julianne, je sais que c’est dur mais il faut préparer un repas, un grand repas pour ce soir. Dans l’immédiat, nous allons apporter à manger à tout le monde ; les hommes sont fatigués et ils ont faim. N’envoie pas de femmes seules leur porter à manger ; qu’elles circulent par deux ou trois ; trouve des hommes pour les accompagner ; je compte sur toi pour le repas. Il faut les remercier à la hauteur de leur sacrifice. Je sais que c’est difficile de te demander cela dans les circonstances actuelles, mais il le faut. Je souhaite que ces hommes repartent rapidement de là où ils viennent sans piller le village.

– je comprends Zellana ; ne t’inquiète pas ; je m’en occupe. Répondit-elle en relevant fièrement la tête et en chassant une mèche de cheveux indisciplinée qui tombait sur son visage.

Plusieurs femmes s’étaient regroupées pendant que nous parlions et elles acquiescèrent en disant :

– on va l’aider ; ne vous inquiétez pas ; on  va tellement leur remplir le ventre qu’ils ne penseront plus qu’à dormir !

Je les laissais à leur discussion. Certaines aidaient déjà Julianne à nettoyer le sang de Selfy.

– tu vois Alex, c’est pour cela que ce village méritait qu’on se batte pour lui ; tu as vu cette solidarité ! Quand nous sommes partis de terre, pratiquement aucun d’entre nous ne se connaissait. Nous n’étions pas sensé nous retrouver tous ensemble ; mais les affinités réelles sont plus fortes que celles que le gouvernement a essayé de nous inculquer pendant des années ; ces gens ont appris à se connaitre sur le vaisseau et ils sont restés unis dans la joie comme dans le malheur. 

– j’ai vu ça ; et je vous trouve tous admirables. Je n’ai jamais vu autant de soutien dans une communauté. J’aurai aimé vivre au sein d’un tel village quand je suis arrivé sur Matria plutôt que de vivre dans un camp entouré de garde.

– je suis heureuse que tu sois là, je dis tout d’un coup ; vraiment heureuse. J’espère que tu vas rester…

– pourquoi dis tu ça ?

– parce que je t’ai vu parler avec Moya et j’ai eu l’impression que vous aviez des projets.

– comment as-tu deviné ça ? dit-il soudain ébahi. Il regarda attentivement mes yeux comme s’il cherchait à détecter quelque chose. Tu nous as entendus parler ?

– non, je l’ai compris à vos gestes, à vos expressions ; je ne sais pas, c’était un peu comme si je pouvais lire dans vos pensés sans comprendre les paroles ; je sais que ça à l’air absurde mais c’est la meilleure description que je puisse te faire.

– ça n’a rien d’absurde, détrompe toi. Viens avec moi, il faut que je te donne quelque chose ; j’aurai du le faire avant mais les évènements se sont succédés trop vite et puis je voyais bien que tu ne me faisais pas entièrement confiance alors j’ai attendu, mais maintenant il est temps ; viens !

Je le suivis sans poser de questions. Je n’étais pas capable de dire comment j’avais compris ce dont parlais Moya et Alex et il avait éludé ma question mais je sentais que tout cela avait un lien. Quand nous arrivâmes sur la plage, je m’arrêtais chez Orep qui sanglotait sous la véranda toujours soutenue par Sobia. Le corps de Sorel avait était enlevé.

– je suis vraiment désolée, Orep ; tu sais à quel point j’aimais Sorel. C’était mon ami et il m’a sauvé la vie. Je ne l’oublierai jamais.

– il savait ce qu’il faisait Zellana, il savait qu’il n’y survivrait pas mais il ne voulait pas que ces hommes te fassent du mal ; son sacrifice n’a pas été vain. Il est mort en homme courageux, comme il avait toujours vécu ; je suis très fière de lui, même si je sais que je le pleurerai probablement toute ma vie ; c’était l’homme le plus généreux et le plus sage que j’ai connu.

– tu as raison ; j’ai souvent apprécié ses conseils et ses rappels à la raison. C’était un homme bon et honnête. Tu peux compter sur moi pour tout ce dont tu auras besoin Orep ;

– je sais Zellana, mais tu as beaucoup d’autres tâches ; ne t’inquiète pas pour moi, Sobia est là. Elle me soutient, dit-elle en serrant la main de son amie. Je te demande juste de nous laisser organier de belles funérailles pour lui et pour tous ceux qui sont tombés aujourd’hui.

– je te le promets ; nous les enterrerons tous demain dans un bel endroit où ils reposeront en paix.

– merci Zellana.

Je repartis rejoindre Alex qui m’avait précédé à la maison, me laissant parler à mes amies. Quand j’entrais dans le salon, je fus saisie par la fraicheur et par la quiétude des lieux ; ici, la bataille sanglante semblait n’avoir jamais eu lieu et cela me réconforta de savoir que ma maison resterait un endroit paisible et inviolé. Alex m’attendait dans la chambre ; il avait sorti un petit baluchon de sous le lit ; une sorte de sac en toile usé et enroulé dont il défaisait patiemment les lacets en cuirs vieillis et noircis par le temps. Je m’assis à coté de lui et le regardais se battre avec les liens puis dérouler le sac délicatement sur le lit, comme si son contenu était extrêmement précieux. D’une des poches usées qui ornait le devant, il sortit un petit paquet formé d’un morceau de tissus tellement passé que sa couleur était indéfinissable.

– tiens ; voilà ce que je t’avais promis. Dit-il en posant précautionneusement le tissu sur mes genoux.

Je l’ouvris délicatement et découvris un fin bracelet de métal. Dans la pénombre de la chambre, il semblait bouger comme s’il était vivant. Son bleu profond me fit comprendre que j’étais en présence de ce fameux Mitreion dont il m’avait parlé.

Je pris le bracelet entre mes doigts ; il semblait fin et fragile, comme un fil.

– je vais le casser si je le porte.

– non, mets le, tu vas voir.

Je l’enfilais à mon poignet et je le regardais ; le métal mouvant scintillait doucement, faisant ressortir des myriades de mouchetages d’un bleu encore plus  sombre. Je sentais son contact sur ma peau qui le réchauffait peu à peu, il n’était plus si grand finalement, il semblait s’adapter parfaitement à mon poignet qu’il entourait maintenant sans le serrer.

– c’est incroyable, il a changé de taille ! C’est magnifique, merci Alex ! C’est un cadeau somptueux.

– il va falloir que tu le caches Zellana. Tu ne peux pas le montrer, surtout pas aux hommes de Moya.

– pourquoi ?

– disons que ça a un rapport avec la valeur du métal. Fais moi confiance, il ne faut pas qu’ils le voient pour le moment. Quand ils te connaitront mieux et te feront confiance, cela n’aura plus d’importance, mais il est top tôt.

Il sortit une cordelette tressée qu’il noua à mon poignet pour recouvrir le magnifique bijou.

– tout ça est bien mystérieux, lui dis-je en l’embrassant tendrement, mais je ferais ce que tu m’as demandé, ajoutais-je en déboutonnant ma robe encore mouillée de mon bain maritime. Il y a eut trop de morts et de sang aujourd’hui, la vie doit reprendre le dessus ajoutais-je en me jetant sur lui avec voracité.

Il sourit et se laissa faire.

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