UN BAISER OU LA MORT Chapitre 18

J’avais appris à descendre par la gouttière moi aussi. Ma mère dormant de l’autre côté de la maison, il m’était assez aisé de réussir cette opération sans faire trop de bruit. Un soir que je me glissais chez Jacob par la porte-fenêtre qu’il avait laissé ouverte à mon intention (pour qu’on ne me voit pas rentrer par la porte principale) je fus surprise de trouver Marina dans le salon à peine éclairé.

– je t’attendais, dit-elle à voix basse, comme si elle ne voulait pas réveiller la maison. Elle était assise, un plaid posée sur les épaules. Elle semblait soucieuse mais pas en colère.

Je restais un moment interdite puis je me ressaisis :

– je ne devrais pas entrer chez vous comme une voleuse mais c’est la seule manière de voir Jacob en dehors du lycée et encore, si ma mère le pouvait elle me changerait d’établissement, ajoutais-je presque pour moi.

– je ne t’ai pas attendue pour te faire la morale Colette mais pour parler avec toi. On ne s’est pas vu depuis des semaines. Je sais que tu sors peu. Heureusement Jacob me donne de tes nouvelles. Il dit que tu travailles beaucoup, beaucoup trop d’après lui.

Un silence s’installa pendant un moment. Je ne savais que répondre à ce qu’elle venait de dire. Tout était juste.

– je voulais savoir si tu avais…revu ton père…dit-elle finalement dans le silence vibrant.

Je me raclais la gorge cherchant une réponse appropriée. Je n’étais pas sure de vouloir parler de ça avec Marina. Finalement je me décidais à lui dire la vérité :

– non je ne l’ai pas revu mais je le guette tous le temps. Je sais qu’un jour, quand je m’y attendrais le moins, il sera là…j’espère juste pouvoir passer mon bac avant que cela n’arrive car je ne sais pas ce qui se passera après…

– tu as pensé à aller voir la police…

– pour leur dire quoi ? Je ne sais pas où il est ni quelles sont ses intentions !

– mais tu sais ce qu’il t’a fait…et je ne parle pas des coups et des brulures …ajouta-t-elle sans que je m’y attende.

Je restais un instant interdite puis le sens de ses propos explosa en moi comme si elle m’avait donné un grand coup dans le ventre. Je me repliais sur moi-même et glissais jusqu’au canapé où je m’assis, mes bras enserrant mes jambes dans une posture de protection que j’avais souvent adoptée auparavant. Comment savait-elle ? Je ne l’avais jamais dit à personne, même pas à Jacob car j’avais trop peur de le perdre s’il l’apprenait.

– ne t’inquiète pas, je ne le dirais jamais à personne…reprit-elle comme si elle lisait dans mes pensée. Mais c’est un secret bien trop lourd pour toi et je veux que tu saches que je sais.

– comment ? Je murmurais.

– j’appartiens à ce qu’on pourrait appeler une longue chaine de femmes, des femmes qui ont subis des choses terribles dans leur enfance et qui veulent protéger celles qui en souffrent aujourd’hui. Je connais les signes, je les connais trop bien. Je veux juste que tu saches que quoi qu’il se passe, je serais toujours là pour t’aider. N’hésite jamais à venir me parler, je serais toujours là pour t’écouter.

Puis elle se leva, déposa un baiser sur mon front et disparut dans l’obscurité du couloir sans faire le moindre bruit. Je restais un moment sur le canapé, me demandant si je n’avais pas eu à faire à un fantôme ou à un mirage. Était-ce préférable à la réalité de cette conversation ?

Je n’arrivais pas encore à réaliser ce qui venait de se passer. Imaginer que Marina…, Marina qui était toujours souriante et gentille avec tous. Qui adorait rendre les gens heureux. L’imaginer, elle entre toute, subissant les abus d’un père violent…et soudain je réalisais que je me sentais immensément soulagée, comme si un poids énorme venait de m’être enlevé. On pouvait en parler. On pouvait y survivre. On pouvait trouver le bonheur. On pouvait trouver de l’aide…Toute ces choses que j’avais du taire sous la pression de mes parents, particulièrement de ma mère quand elle l’avait appris ou enfin compris, pouvaient être dites et entendues.

Je laissais tourner ces pensées un moment dans ma tête pendant que le nœud qui serrait mon ventre depuis des jours se dénouait un peu. Finalement je m’ébrouais comme si je venais de me réveiller et montais l’escalier. Je me glissais silencieusement dans la chambre de Jacob qui dormait déjà et sans le réveiller je me lovais contre lui. Il soupira et attrapa ma main et je m’endormis immédiatement.

Le lendemain, je filais par le même chemin et regagnais ma chambre avant que ma mère ne toque pour que je me lève.

 

 

Le mois d’avril fut chargé en révisions. Je passais les vacances de printemps enfermée dans ma chambre ou dans celle de Jacob quand ma mère était au travail. Nous révisions tous deux très sérieusement même si nous nous autorisions parfois quelques pauses amoureuses. Mais dans l’ensemble nous étions extrêmement assidus et concentrés sur nos fiches et nos bouquins. Je trouvais plus agréable de réviser avec Jacob car nous pouvions nous poser des questions, partager nos cours et ainsi l’apprentissage devenait un plaisir. Je savais que Jacob pouvait être un gros bosseur comme moi mais je découvrais, à travers ses révisions, qu’il pouvait parfois être plus rigoureux que moi encore. À sa décharge, ma mémoire entrainée depuis longtemps à retenir tout ce que je lisais, me permettrait d’être un peu plus détendue.

 

Le printemps faisait éclore des fleurs dans tous les jardins et renaitre des magnifiques feuilles vertes sur tous les arbres. Les collines se paraient de couleurs et je regrettais parfois que nous ne prenions plus le temps de nous promener. J’avais l’impression d’être moi-même un bourgeon qui n’attend que le moment de s’ouvrir et de  montrer ses beaux pétales colorés. Mais Jacob était très strict sur notre planning, il prenait le temps de nager le soir quand je devais réintégrer ma maison parce que ma mère rentrait, mais il ne s’autorisait aucune pause à part cela. Son entrée à Berkeley dépendait grandement des résultats du bac même si son dossier scolaire serait regardé avec infiniment d’attention. Une année scolaire passée en France jouait grandement en sa faveur car elle lui permettait de se prévaloir d’avoir étudié dans une langue étrangère.

J’aurai tant aimé avoir les mêmes espoirs que lui. Savoir déjà à l’avance que j’allais intégrer une université aussi prestigieuse plutôt que le brouillard qui s’annonçait pour l’année suivante.

Étonnamment, ma mère n’avait plus aucun plan pour moi. Elle qui m’avait toujours poussée dans mes études pour que je puisse intégrer les meilleurs écoles supérieures, semblait se désintéresser totalement de mon avenir depuis quelques mois. Comme si l’année suivante n’existait pas et cela me terrifiait. Comme si elle n’avait plus aucun plan pour moi ou que mon avenir était déjà scellé. Je m’en ouvris finalement un jour à Jacob qui m’écouta sans broncher.

– tu devrais venir avec moi à Berkeley…me répondit-il comme si c’était une évidence.

– j’adorerai, mais tu sais bien que ce n’est pas si simple. Je n’ai pas la chance d’avoir une double nationalité comme toi et je n’ai aucun moyen de payer mes études et encore moins de me loger et de me nourrir.

– mais tu pourrais demander une bourse…

– Jacob, revenons à la géographie s’il te plait. Cette conversation ne m’amuse pas.

Il me regarda un moment en silence puis replongea son nez dans les bouquins et nous ne parlâmes plus de mon avenir.

Le mois de mai fila aussi vite que le précédent mais la chaleur s’installa sur les collines et sur la ville proche, rendant les révisions plus difficiles.

Ma mère tenait bon. Elle refusait que j’aille étudier chez Jacob qui bénéficiait pourtant d’une maison climatisée ce qui n’était pas notre cas.

Comme l’année précédente, le mois de mai et le mois de Juin furent très chauds, presque aussi chauds qu’allaient certainement l’être juillet et Aout dans le sud de la France.

Le réchauffement climatique se faisait sentir un peu plus d’année en année et je me disais que j’adorerai pouvoir un jour aider la planète à retrouver un cycle normal, à être moins polluer. Autant d’actions que je pourrais envisager si j’accédais à une formation supérieure qui m’y préparerait. Mais cela ne semblait plus du tout figurer dans les projets de ma mère qui était plus mutique que jamais et qui me regardait parfois comme si j’étais une inconnue encombrante. Je ne savais pas ce qui motivait ce comportement mais elle avait agi de la même manière quand elle avait compris ce qui se passait entre mon père et moi. Ou plutôt, ce que mon père faisait avec moi car mon consentement n’avait jamais été requis. J’aurais pu en être ébranlée comme cela avait été le cas avant que nous déménagions en pleine nuit, quand ma mère avait enfin décidé de privilégier ma vie à celle de son couple, mais je décidais de ne pas me laisser aller, du moins pas avant d’avoir eu mon bac.

Soutenue par Jacob qui faisait de son mieux pour égayer le peu de temps que nous passions ensemble, je décidais de vivre un jour après l’autre et de me focaliser sur les examens à venir.

Mi-Juin, les épreuves commencèrent par les options et je me sentis soudain animées d’une énergie que rien ne semblait pouvoir détruire. Quelques jours plus tard, nous attaquâmes le marathon des épreuves dures du baccalauréat. Les matières principales écrites s’enchainaient matin et après-midi puis les oraux qui suivaient. Je ressentis durant ses quelques jours une impression étrange, comme si je lévitais. J’avais l’impression d’être un colibri qui volette de fleur en fleur et qui se gorge de leurs sucs délicieux, comme si j’abordais chaque sujet avec délectation et que je l’achevais en en retirant un plaisir infini. Soudain tout ce formidable travail que nous avions accomplis avec Jacob, toutes ces journées consacrées à réviser, à mémoriser, à comprendre, prenaient enfin leur sens dans l’aboutissement que représentaient ses épreuves. Je ressortais de chacune d’elles avec un sentiment de satisfaction que je n’avais que rarement ressenti. Je me dis que c’était ce que devais éprouver les gens qui découvrent des vaccins pour des maladies incurables ou qui résolvent des équations impossibles, quand enfin la réponse est là, évidente, à portée de main et qu’il suffit d’un stylo et d’un papier pour la concrétiser.

Jacob aussi semblait satisfait de son travail. Il restait maintenant à attendre les résultats qui mettraient plus de deux semaines à nous parvenir. Mais pour l’instant, nous étions libres même si ma liberté à moi était devenue plus relative.

J’envisageais les jours à venir avec pessimisme car je n’avais plus de moyen de voir Jacob autrement qu’en nous retrouvant en cachette ce qui avait de l’intérêt quand nous pouvions aussi nous voir au lycée mais qui limitait nos rencontres maintenant que nous avions fini.

Durant la fin du mois de juin, la température monta de façon considérable mais malgré mes suppliques, ma mère refusa que j’aille me baigner chez les Anderson qui ne cessaient de me le proposer. J’étais coincée et je ne pouvais finalement qu’attendre le départ de Jacob qui devait avoir lieu début Aout, pour retrouver peut-être un peu d’autonomie.

Toutefois, connaissant ma mère, je savais que je pouvais rester ainsi durant des mois avant qu’elle se décide à me lâcher la bride ou à discuter de mon avenir avec moi.

L’été allez être long.

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