SUR LE FOND – Chapitre 3 – Du néant à la mer

Chapitre 3

Du néant à la mer

 

Je ne veux plus voir ces néons. Je veux fermer les yeux et oublier cette petite salle où je suis assise depuis des heures. Je veux revoir le bleu du ciel. Je veux sentir le soleil sur mon visage. Je veux revoir la mer. Alors je me replonge dans mes souvenirs.

Ce matin-là, après avoir repris le volant, j’ai roulé jusqu’à ce que se dessinent les contours miroitant d’un étang. Les vignes déjà vertes en ce début de printemps, faisaient ressortir le bleu si profond de cette frange côtière, prise en étau entre mer et étang. Une falaise basse, de terre rouge, barrait la vue, mais la route complaisante grimpait à son sommet pour redescendre en lassis paresseux. C’était comme au cinéma, quand l’écran s’allume enfin et que le paysage apparait, gigantesque, irréel, tant il est parfait. Là, devant moi, un immense étang d’un bleu profond, une frange de terre dont le rouge laissait apparaitre des veines jaunes, une routequi dessinait un tracé noir comme un élégant liseré, et la mer, enfin la mer, à perte de vue. Bleue, si bleue, si parfaite. La matinée était fraiche mais j’ai ouvert les vitres et laissé l’air, chargé d’iode, pénétrer dans l’habitacle. Je roulais lentement pour m’imprégner de ces couleurs presque saturées. J’ai délaissé la grande route et après quelques ronds-points, je me suis faufilée comme une voleuse à travers un village estival fermé pour l’hiver.

La route longeait la plage, protégée par un muret bas. Le sable beige s’imprégnait encore du soleil levant et rosissait dans ses rayons montants. La route continuait alors je l’ai suivi et elle m’a mené jusqu’au paradis. Au bout, une falaise, la même, rouge et haute, rejoignait la mer et fermait la plage. Sur ses flancs, quelques maisons endormie à cette heure ou à cette saison. La plage était à moi. Je me suis garée et je suis descendue le long d’un grand escalier de béton, jusqu’au sable frais. J’ai enlevé mes chaussures et je l’ai gouté de la plante des pieds. Il était froid mais accueillant. Ni trop fin,  ni trop gros. Je le sentais. Il me tenait. J’ai marché presque jusqu’à l’extrémité de la plage, là ou de gros rochers avaient glissés de la falaise pour protéger la nature de l’intrusion humaine. Je me suis assise, enfin détendue. J’avais le sentiment d’être arrivée chez moi. Les vaguelettes venaient mourir doucement sur la plage dans un doux bruit et j’aurai volontiers dormi si je n’avais pas été traversé de visions brutales. Paul, sa main qui percute ma joue, son poing qui va frapper, son corps allongé sur le sol, le couteau, le sang. Tout se mélangeait maintenant que la fatigue prenait le dessus et je n’ai pas entendu le chien arriver. Il a glissé son museau froid sous mon bras et le contact de sa truffe mouillée sur ma main m’a fait bondir en hurlant. Immédiatement une voix masculine a retentit :

– Monsieur Alexandre, viens ici !

Ce nom m’a décontenancé et je me suis retournée pour voir arriver au petit trot, un jeune homme brun aux cheveux bouclés. Il ne devait pas avoir plus de vingt ans. Il s’est précipité sur le chien démonstratif et l’a attrapé par le collier :

– je suis désolé, d’habitude il n’y a personne à cette heure-ci. Mais ne vous inquiétez pas, il est gentil. Il juste un peu trop affectueux. J’aurai du lui mettre une laisse. Je suis vraiment désolé.

Je l’ai observé un moment, il se dandinait d’un pied sur l’autre, embarrassé et amusé à la fois. Il ne semblait pas représenter un danger quelconque, alors j’ai dit :

– ne vous inquiétez pas, il m’a fait sursauté parce que j’étais perdue dans mes pensée, mais ça va maintenant. J’aime bien les chiens, j’aurai aimé en avoir un…

Que lui dire, que Paul n’en voulait pas ? Paul qui était mort au milieu de la cuisine. Qu’il m’avait interdit d’avoir un animal parce que c’est sale et que ça pue ? Rien de tout ça n’avait de sens à ce moment-là. Alors je suis resté silencieuse un long moment et le chien est revenu me faire des câlins. Je l’ai caressé en retours. Il était beau, son poil était doux et soyeux. Son pelage blanc et roux, ses longues oreilles tombantes, tout me plaisait chez cet animal affectueux.

– on dirait qu’il vous aime bien ! a dit le jeune homme pour combler le silence. Moi, je voulais voir la mer, l’écouter, peut-être m’y baigner, alors j’ai repris :

– vous croyez qu’on peut se baigner ?

Il a rit, d’un rire gai et franc :

– vous pouvez toujours mais vous allez ressortir frigorifier. Elle ne doit pas dépasser les seize degré, et encore. Les courants du golfe du Lion sont froids, c’est pour ça qu’elle est aussi limpide et propre. Elle est balayée en permanence par des courants froids.

J’ai offert mon visage au soleil un moment, espérant qu’il parte, me promettant de me baigner plus tard, quand le soleil serait plus chaud.

– est-ce que je peux vous offrir un café ? Vous semblez fatiguée, et puis je vous dois bien ça, après la frousse que vous a fait Monsieur Alexandre.

J’ai hésité un moment mais j’avais faim, alors je me suis levé et j’ai dit :

– d’accord.

Il a eut l’air si heureux que ça m’a fait chaud au cœur. Nous avons longé la plage, escorté par Monsieur Alexandre qui courrait jusqu’à l’escalier pour revenir vers nous dès qu’il l’avait atteint. Nous avons remonté l’escalier en silence, les griffes du chien cliquetaient sur le béton sableux. J’ai faillit tomber au milieu de l’escalier quand tout à coup la fatigue m’a assaillit, et il m’a retenu, naturellement. Il a soutenu mon bras jusqu’à ce que nous soyons arrivés sur la route, puis il l’a lâché mais il est resté très proche, comme s’il craignait que je tombe à nouveau. Nous avons marché une centaine de mètressur la route qui montait raide et après un virage assez serré, la maison que j’avais déjà aperçue de la plage, est apparue dans son ensemble. Elle n’était pas particulièrement belle. Brune et noire, un toit plat, comme une maison américaine, un peu anachronique dans cet environnement sauvage. Mais elle était seule. Seule sur ce flanc de falaise. Elle ressortait sur la terre rouge comme un navire en pleine mer. Il a poussé un portail de métal long et sombre, ajouré d’ouvertures asymétriques, et m’a invité à entrer. Un escalier au pied de la maison, entre des pilotis métalliques, menait à l’étage, à la pièce principale. Un vaste salon, entièrement vitré, offrait une vue fantastique sur la mer et la falaise. Au fond de la pièce, une cuisine américaine derrière laquelle il s’est afféré. Deux tasses, du sucre, des croissants congelés qu’il a passé au micro-onde, deux verres de jus d’orange. En quelques minutes il nous servait un petit déjeuner sur la table de verre, face à la mer.

Je me suis assise, épuisée et j’ai mangé les croissants, bu le café et le verre de jus de fruit. J’avais l’impression de flotter et la mer s’est mise à tourner, la pièce aussi, puis le noir complet.

J’ai du dormir longtemps. Je me suis réveillée sur le canapé, couverte d’un plaid chaud qui sentait un peu le chien. Le soleil descendait déjà à l’ouest. Je me suis levée d’un bond et j’ai fait sursauter Monsieur Alexandre qui dormait à mes pieds. Il a gémit comme si je lui avais fait mal, alors je l’ai caressé pour qu’il n’ait plus peur. Il a enfoui sa tête sous mon bras et je suis retombée sur le canapé. Je suis resté longtemps ainsi, le chien coincé contre mon flanc. Sa présence chaude était si inoffensive et rassurante. Je ne m’étais pas senti aussi aimé depuis tellement longtemps ! Nous avions dû faire du bruit car le jeune homme est réapparu en haut d’un escalier qui partait du fond de la pièce.

Ses cheveux étaient encore plus emmêlés que le matin et il semblait fatigué lui aussi. Il a dit :

– vous vous sentez mieux ? Vous m’avez fait peur jusqu’à ce que je comprenne que vous dormiez.

– ça va aller, merci. Je suis désolée de m’être endormie. Merci pour tout, pour le petit déjeuner, pour le canapé. Je vais vous laisser maintenant.

– vous allez où ?

Il a fermé aussitôt la bouche, comme si la question était sortie malgré lui.

– je ne sais pas, il faut que je parte.

Alors il m’a regardé avec insistance puis il a dit :

– vous savez, vous pouvez rester ici un moment si vous voulez. Je suis tout seul. Enfin, je veux dire, c’est la maison de mes parents mais ils ne sont pas là. Ils sont à Montpellier. Ils habitent à Montpellier en fait. Moi aussi j’y habite normalement. Excusez-moi, je raconte n’importe quoi ! Non, je veux dire, tout ce que je viens de dire est vrai mais je le raconte dans le désordre. En fait, je suis étudiant. Je termine une thèse sur l’utilisation des anti-héros dans les comics américains à des fins de propagandes politiques. J’avais besoin de calme alors je suis venu ici quelques temps, pour travailler sans être dérangé par les copains, le téléphone. Enfin vous voyez quoi…

Je lui ai souri. Il était touchant avec son beau visage un peu enfantin et ses boucles emmêlées.

– j’ai arrêté l’école quand j’avais seize ans, j’ai dit sans savoir pourquoi. J’étais amoureuse, alors je me suis mariée. Et puis, la vie de couple a bouffé ma vie et je ne suis plus jamais retourné au lycée. Je vous envie. J’aurai aimé faire des études et avoir un beau métier.

Il est resté silencieux, assimilant probablement toutes les informations que je venais de lui donner.

– et puis un jour, j’en ai eu assez. Je suis partie. C’était hier en fait. Il s’est passé quelque chose, quelque chose que je ne voulais plus supporter et je suis partie. J’ai roulé longtemps et je suis arrivée ici. Maintenant, il faut que je reparte.

– vous voulez rentrer chez vous ?

– oh, non ! Je n’ai plus rien chez moi. Je crois que je n’ai plus de chez moi, en fait.

Puis soudain j’ai eu une folle envie de prendre une douche, de me laver de tout, du voyage, du corps de Paul, le vivant et le mort :

– ça vous embête si je prends une douche avant de partir ?

– non, bien sur, venez.

Il m’a précédé dans l’escalier et il m’a conduit jusqu’à une chambre qui donnait sur l’est. La falaise était rouge sang dans le soleil couchant. La chambre meublée de bois clair ouvrait sur une salle de bain. Il a fait coulisser les portes d’un placard et en a sorti une immense serviette blanche.

– tenez, c’est la chambre de ma sœur. Vous trouverez tout ce qu’il vous faut. Si vous avez besoin de vêtements propres, servez-vous. Ce n’est pas génial, elle y amène tout ce qu’elle ne veut plus mettre, mais c’est plein à craquer. Elle est plus grande que vous, bien plus grande,a-t-il ajouté dans un petit rire doux, mais vous devriez bien trouver quelque chose qui vous va.

Puis il est sorti en fermant la porte doucement. J’ai regardé autour de moi et, à la vue du lit parfaitement fait, j’ai eu envie de me recoucher et de dormir encore longtemps. Mais je ne pouvais pas abuser de son hospitalité, alors j’ai poussé la porte et j’ai découvert une salle de bain, elle aussi ouverte sur la falaise, avec une douche et une baignoire. Un bain ! Je n’osais en rêver ! Paul ne voulait pas de baignoire. C’était encombrant et ça consommait trop d’eau et puis, j’aurais été tentée d’y passer la journée et j’avais du boulot, enfin, c’était ce qu’il pensait de moi. Ce qu’il me disait. J’ai ouvert les robinets, et l’eau à gargouillé un instant avant de sortir en cascades chaudes. J’ai fermé la bonde et j’ai regardé la baignoire se remplir. Quand l’eau a atteint la moitié, je me suis déshabillée précautionneusement. J’avais encore des bleus douloureux au niveau des côtes et de la poitrine. Je m’y suis plongée délicatement. J’ai trouvé un flacon de bain moussant à la pêche et j’en ai inondé la baignoire jusqu’à ce qu’une mousse blanche et résistante me recouvre entièrement.

L’eau était un peu trop chaude mais c’était si bon. Mon corps flottait un peu. J’étais maigre, je le savais, je ne mangeais plus beaucoup ces derniers temps.

Paul me trouvais de moins en moins attirante. Il me l’avait dit la dernière fois que nous avions fait l’amour. Il m’avait retournée et prise en levrette pour ne pas voir mes seins « raplaplats ».Ces seins qu’il avait tant aimé justement parce qu’ils étaient petits et fermes. Et pendant qu’il me baisait et qu’inéluctablement l’orgasme montait malgré la haine et la douleur qui irradiait tout mon corps, il continuait à râler parce que je ressemblais à un squelette, que je n’étais qu’un sac d’os à peine bon à enfiler. Et toutes ces horreurs m’excitaient atrocement. J’aurai voulu résister, ne pas jouir, mais je sentais son sexe qui me pilonnait et comme toutes les milliers d’autres fois depuis des années, comme toutes ces fois qui devenaient de plus en plus rares maintenant, j’avais envie de le remercier pour ce plaisir qu’il m’apportait en m’empalant sur son membre démesuré. Et j’avais jouis sans savoir que c’était la dernière fois que nous faisions l’amour.J’avais jouis si fort qu’il m’avait presque retourné la tête pour me faire taire. Avant, il aimait que je crie. Il disait que c’était un hommage à sa queue, qu’il était un « putain de bon baiseur », mais maintenant, je dérangeais les voisins. Ensuite, j’étais retombé sur le matelas avec une douleur au cervicale que j’allais trainer probablement plusieurs jours, mais, comme à chaque fois, des papillons plein le ventre et le sentiment d’être comblée. Il s’était affalé à côté de moi, sur le dos, jambes écartées, et il avait dit :

– putain, Sabrina, va falloir que j’te change. T’es plus bonne à rien ma pauvre fille. J’ai à peine éjaculé. T’es si maigre que tu m’excites plus.

Puis il m’avait filé une grosse claque bien cinglante sur les fesses, laissant une énorme marque rouge et une brulure tenace, et il s’était levé. Il s’était dirigé vers la salle de bain, et je ne savais pas que c’était la dernière fois que je le voyais nu. J’aurais mieux regardé sinon.

J’ai commencé à somnoler dans le bain et c’est Monsieur Alexandre qui m’en a extirpé en me léchant la figure. J’ai un peu sursauté mais je commençais à m’habituer à ses arrivées silencieuses. Je l’ai caressé avec mes mains mouillées et elles ses sont couvertes de poils collés. Je les ai rincées dans le bain et je suis sortie. Monsieur Alexandre s’était assis dans un coin. Il me surveillait.

– tu as peur que je m’éternise ? Ne t’inquiète pas, j’ai dit, je me sèche, je m’habille et je te laisse avec ton maitre.

La nuit commençait à tomber et une vague de désespoir m’a envahie. Je m’en allais mais vers où ? J’étais partie sans réfléchir, j’avais roulé avec un objectif et maintenant que je l’avais atteint, je ne savais plus ce que je devais faire. Je me suis mise à pleurer, enroulée dans ma serviette et j’ai du m’assoir sur le bord de la baignoire pour ne pas tomber. Le chien est venu instantanément poser sa tète sur mes genoux et je l’ai enlacé en pleurant de plus en plus fort. Alors thomas est apparu, passant une tête gênée par la porte et il a dit :

– excusez-moi, mais je n’ai pu m’empêcher de vous entendre pleurer. Est-ce que je peux faire quelque chose pour vous ?

Tant de gentillesse m’a touchée et me pleurs ont redoublé. Alors il s’est assis à côté de moi et il m’a pris dans ses bras, doucement, comme s’il câlinait une enfant. Il a caressé ma tête en disant :

– la, la, tout va bien, tout va bien, c’est fini…

Je me suis agrippée à lui. J’avais l’impression de sombrer et il m’offrait une bouée, alors je l’ai saisi et pendant un long moment, je ne l’ai pas lâchée. Puis mes pleurs se sont calmés et je me suis détachée de lui. Il m’a lâché lentement et quand j’ai levé la tête vers lui, j’ai vu son regard horrifié, fixé sur mes seins. Ma serviette avait glissée, révélant ma poitrine tuméfiée.

– oh, mon dieu, a-t-il dit, je suis désolé, je ne voulais pas…

– ne vous excusez pas, vous n’y êtes pour rien !

J’aidit ça d’un ton brusque, et s’il avait était Paul, j’aurai pris une gifle.

 Mais il n’en a rien fait. Il s’est levé et il est sorti de la salle de bain. J’ai murmuré :

– excusez-moi, mais je ne savais pas s’il m’avait entendu.

Il est revenu quelques minutes plus tard avec une culotte, un tee-shirt et un grand pull.

– je suis désolée, c’est tout ce que j’ai trouvé à votre taille. Comme je vous l’ai dit, ma sœur est vraiment grande. Vous regarderez après si vous trouvez mieux, mais pour le moment, enfilez ça.

Et il est sorti, me laissant en tête à tête avec le chien.

Je me suis habillé en évitant mon reflet dans le miroir. Je savais que je faisais peine à voir. Mes collègues me le disaient tous les jours mais que pouvais-je y faire ? Je n’avais plus faim depuis que Paul se désintéressait de moi. Je n’avais plus que les coups.

J’ai enfilé la culotte qui glissait un peu, le tee-shirt et le grand pull qui descendait jusqu’à mi-cuisses, puis je me suis planté devant le placard. Il avait raison, tout était trop grand. Il y avait bien quelques robes d’été qui aurait pu convenir mais j’aurai flotté à l’intérieur. Sans parler des pantalons dont la taille me semblait démesurée. J’ai regardé l’étiquette, elle affichait un 42. Ce n’était pas la jeune femme à qui appartenaient ses vêtements qui avait un problème, c’était moi.

J’ai fait une boule avec mes affaires sales et je les ai fourrées dans mon sac. Puis je suis descendu dans le salon sans faire de bruit, je voulais me sauver, disparaitre, j’avais tellement honte. Mais le jeune homme se tenait au pied de l’escalier et il m’a enlevé mon sac de l’épaule. Il l’a fait avec tant de  délicatesse que je n’ai pas eu peur, je n’ai pas résisté. Il m’a conduit jusqu’à la table sur laquelle était disposés des couverts et de la nourriture. Une pizza fumait dans son plat. Il a dit :

– je suis désolé, ce n’est pas gastronomique, c’est de la nourriture d’étudiant. J’ai un énorme stock de surgelé dans lequel je pioche régulièrement.

– je ne peux pas rester, j’ai dit, mais mes yeux dévorais déjà la nourriture.

– vous partirez après manger, je vous le promets. Asseyez-vous maintenant. Vous savez, je manque de compagnie. Parfois je reste des jours entiers sans parler à personne. Ça me fait plaisir que vous vous soyez arrêtée là, ça me donne l’occasion de voir du monde.

Et il a commencé à manger sans faire de manières, alors j’ai fait pareil. Nous sommes restés longtemps face à face, uniquement occupés à remplir nos estomacs. En tout cas c’est ce que j’ai fait et pour une fois, sans avoir peur de prendre des coups. J’avais le sentiment que la peur s’estompait peu à peu. Je n’étais pas sure de ne pas encore sursauter à quelques bruits particuliers, des bruits de pas, une portière qui claque un peu trop fort, tous ces milliers de signes préenregistrés qui annoncent la violence. Parce qu’il faut arrêter de se mentir : on le sait ! On sait quand ça va tomber. Moi je le savais. Une inflexion de la voix, la manière d’ouvrir la porte d’entrée, et je savais si la soirée allait être tranquille ou si, quoi que je fasse, quoi que je dise, j’aurai droit à ma volée. Parfois, quand Paul me délaissait trop longtemps, quand il me repoussait alors que je tâtonnais dans le lit pour attraper sa queue, j’aurai aimé le provoquer pour qu’il me frappe, pour qu’il s’intéresse à moi. Parfois, je m’y risquais. Il le disait d’ailleurs :

– tu me cherches, tu me trouves !

Mais à cet instant, le sentiment de devoir me protégercommençait à disparaitre. Face à ce jeune homme silencieux, face à la lune qui montait lentement dans la nuit noire, faisant scintiller la mer sombre, je me sentais en sécurité. Soudain j’ai réalisé à quel point j’avais été incorrecte :

– je m’appelle Virginie. Je suis désolée de ne pas m’être présentée plus tôt mais j’étais épuisée et un peu perdue.

– ne vous excusez pas, je ne me suis pas présenté non plus. Je m’appelle thomas.

– j’adore votre prénom, il vous va très bien. Si j’avais eu un enfant, je l’aurai appelé thomas.

– pourquoi dites-vous ça ?

– quoi ?

– « si j’avais eu un enfant »…vous êtes jeune !

J’ai baissé la tête, je ne voulais pas parler de ça. J’ai donné un morceau de pizza au chien et j’ai dit :

– et vous, quel âge avez-vous ?

Il a rit un peu, surtout avec les yeux.Ça faisait plaisir à voir et il a dit :

– j’ai vingt-trois ans.

– pourquoi riez-vous ?

– parce-que vous ne m’avez pas dit votre âge.C’est la manière dont vous avez posé la question qui m’a fait rire.

– ah bon ? Je ne vous ai pas dit mon âge ? Oh, ça n’a pas une grande importance.

– mais si, je veux savoir maintenant que vous faites des cachotteries.

– mais, ça ne se fait pas de demander son âge à une dame.

– une dame, comme vous y allez !…Pardon, c’était très incorrect. Ce que je veux dire c’est que vous êtes très jeune !

– j’aimerai, mais j’ai l’impression d’avoir cent ans. Vous savez que ça fait presque dix ans que je travaille au même endroit ? Que je travaillais, en fait, parce que…je suis partie…

– vingt-cinq ans ?

– non, beaucoup plus !

– trente ?

– non, vingt-sept.

– et vous appelez ça beaucoup plus ! Mais vous avez quatre ans de plus que moi, c’est rien !

– si c’est beaucoup là d’où je viens, je me suis écriée. Je ne suis plus bonne à rien. C’est ce que disait…

Comment lui dire les effroyables disputes ? Les horreurs que Paul m’avait dites durant les dernières semaines, pendant que je me pendais à son bras, à son cou, pour qu’il ne me quitte pas. Parce que je ne pouvais pas imaginer une vie sans lui ! Et maintenant il était étendu sur le carrelage de la cuisine pour l’éternité.

– en fait, ça n’a plus vraiment d’importance puisque je suis partie, j’ai repris après un long silence.

– vous croyez qu’on peut repartir à zéro du jour au lendemain ? A-t-il répondu, lui aussi un peu perdu. Parfois j’aimerai le croire. Je changerai plein de choses…

– vous ? Mais vous avez tout ! Vous êtes jeune, vous êtes beau, vous êtes riche, vous faites des études ! Vous n’avez pas encore vraiment vécu ! Que pourriez-vous vouloir changer ?

– je suis si transparent que cela ? Si peu intéressant ?

– pourquoi dites-vous ça ?

– parce que parfois je me pose la question et on dirait qu’avec vous je peux tout dire, comme si vous pouviez tout entendre. C’est idiot je sais, mais vous m’inspirez quelque chose de paisible, de rassurant.

– c’est bien la première fois qu’on me dit ça ! J’aimerai me sentir flattée mais l’idée d’être apaisante ou rassurante pour un gars de vingt-trois ans, me donne encore plus l’impression d’être vieille et d’être passé à côté de ma vie.

– je suis désolée. Je voulais dire que vous êtes si menue, si fragile, que paradoxalement, vous êtes rassurante. Vous savez, je viens d’une famille de gens grands et forts. Vous avez vu la penderie de ma sœur ! Et bien ma mère est encore plus grande et impressionnante. Quant à mon père, c’est un géant. Je me sens parfois complètement écrasé par leur présence, leur intelligence, leur réussite. Pour eux, tout est réellement facile. Moi je rame pour faire ma place, pour passer ce foutu diplôme. Et vous, vous arrivez sur la plage et vous semblez avoir tant besoin de protection que je me sens…utile. Voilà, c’est ça, je sers à quelque chose et ça me fait du bien.

J’aimerai ne pas pleurer mais je ne suis pas sure d’y parvenir. Alors, sentant mon désarroi, il se lève, emportant les assiettes et revient peu après avec un gros gâteau au chocolat.

– je l’ai décongelé spécialement pour vous. Je me suis dit que ça vous ferait plaisir.

Il sourit à nouveau mais sa légèreté est partie, laissant la place à une mine plus triste.

– je suis désolée. Je ne vous ai pas très bien jugé. Vous avez été si gentil avec  moi. Vous m’avez accueilli dans votre maison et maintenant vous me nourrissez, et moi je vous traite comme un gamin inconséquent. Pardon. Je ne suis pas vraiment habituée à ce qu’on prenne soin de moi.

– ne vous excusez pas, goutez plutôt ca ! dit-il en me servant une énorme part de gâteau, pleine de crème et de cerises alcoolisées.

Je déguste avec bonheur la génoise moelleuse et la crème chocolaté relevée. C’est un délice.

– c’est bon.

Alors il sourit à nouveau, heureux de m’avoir fait plaisir.

– ma mère les commande par dizaine dans une pâtisserie près de la maison, chez eux, et les amène ici pour les congeler.

A la fin du repas je l’aide à débarrasser, machinalement je nettoie la table, comme je l’ai fait des centaines de fois chez moi. Il chantonne dans la cuisine en rangeant la vaisselle dans le lave-vaisselle. Je pourrais partir discrètement en lui laissant un petit mot sur la table mais il a été si gentil qu’il mérite que je lui dise au revoir correctement. Quand il revient dans le salon, je suis debout, au milieu de la pièce, mon sac à l’épaule et je me dandine, ne sachant comment le quitter. Mais dès qu’il me voit il dit :

– vous n’allez pas remettre ça ! Voyons, il est bientôt dix heures ! Où comptez-vous aller à cette heure-ci dans un endroit pareil ? Il n’y a pas un hôtel à trente kilomètre à la ronde, hors saison. J’ai une maison entière à ma disposition dans laquelle je me sens tout seul, encore plus après que vous y soyez venu. Restez, vous dormirez dans la chambre de ma sœur. Elle serait ravie de vous y savoir, si elle vous connaissait. Allez, arrêtez de faire l’enfant. Vous partirez demain si vous y tenez tant !

– c’est vrai, vous pensez que je peux rester ?

– mais enfin, si je vous le dis. J’ai envie de compagnie. Venez, on va mettre de la musique et on va danser. Ça fait longtemps que je n’ai pas dansé, pas vous ?

– je ne coucherai pas avec vous, si c’est ce que vous avez en tête !je dis sur la défensive.

– je ferai comme si je n’avais rien entendu. Vous dansez ? Et il part vers le fond de la pièce où une chaine stéréo émet rapidement une musique électronique qui résonne dans tout le bâtiment. Il commence à gesticuler, agitant bras et jambes en tout sens, et à défaut d’être en rythme, ça a le mérite de me faire rire.

– vous voyez, vous aimez danser, venez ! dit-il en me tendant la main.

Alors je pose mon sac par terre et m’approche de lui. Je le rejoins dans sa danse et nous nous contorsionnons un moment sur des rythmes hypnotiques. Finalement, épuisés et hilares, nous nous affalons dans le grand canapé qui fait face à la nuit.

– oh, je n’ai pas dansé comme ça depuis…jamais en fait. Quand j’allais encore en boite, j’essayais de ne pas me ridiculiser et puis je me suis mariée et je n’y suis plus jamais retourné.

– vous êtes marié ?

-…je l’étais…

– et si on se tutoyait, on est un peu ridicule là. Maintenant que tu m’as vu danser, tu peux me tutoyer, je n’ai plus aucun secret pour toi.

– c’est vrai que ça en dit long sur ta personnalité, je m’esclaffe

– ah ouais, et ça dit quoi sur moi ?

– que tu es totalement dépourvu de rythme, que tu aimes t’amuser, que tu n’as pas peur du ridicule et que tu es plutôt sur de toi finalement.

– pas mal ! Et toi ? Tu veux que je te dise ?

– je t’écoute.

– que tu es très jolie quand tu t’amuses, que tu es bien trop sérieuse pour ton âge, que tu as du avoir une vie bien difficile et que…je me fumerai bien un petit joint.Ça te dit ?

– au point où j’en suis.

– tu veux un verre pendant que je roule ?

– je t’ai dit que je ne coucherai pas avec toi ?

– oui, c’est la deuxième fois. D’abord, qui te dit que tu ne finiras pas par le faire et ensuite, qui te dit que j’en ai envie ?

– alors ça, c’est vraiment pas un truc à dire à une fille paumée comme moi !

– quoi, que je ne coucherai pas avec toi parce que ça fait deux fois que tu me le dis ?

– non, que tu n’en as pas envie !

– j’ai jamais dit que je n’en avais pas envie, j’ai dit que tu ne pouvais pas en être sure, ce n’est pas pareil.

– tu joues sur les mots.

– il faut bien, tu dis des trucs sans savoir. Tiens dit-il en me tendant un verre dans lequel il a versé un liquide foncé. C’est de l’armagnac, et pas du jeune, fais-moi confiance.

Je trempe mes lèvres dans la boisson forte et une sensation de brulure puis de chaleur envahissent mon palais, ma gorge et ensuite mon ventre. Je tousse un peu à la deuxième gorgée et j’ai les yeux qui pleurent. Mais je me sens mieux. Thomas n’a perdu de temps, je le regarde lécher le bord d’une feuille de la pointe de la langue pour la coller sur une autre. Il pose ensuite le tabac puis répand dessus de la poudre qu’il émiette d’une boulette qu’il chauffe avec un briquet. Des petites boules résineuses se déposent le long du joint qu’il scelle ensuite en cône. Il termine son assemblage en roulant la pointe de papier entre ses doigt pour tasser l’ensemble et le secoue un instant en l’air. Ensuite il me le tend avec un air de connaisseur.

– à toi l’honneur.

J’attrape le joint et avec la flamme du briquet je brule le bout du papier qui tombe en petite flamme incandescente, lente petite lueur rougeoyante qui vient mourir sur le sol. Ensuite j’aspire une longue taffe de tabac. Ça brule, c’est horrible. Je n’ai pas fumé depuis longtemps et j’ai perdu l’habitude de cette intrusion dans ma gorge. Je tousse un moment et Thomas rit tout en tirant sur le joint qu’il a récupéré avant que je ne le fasse tomber.

Quand enfin je me calme, après avoir descendu une bonne lampé d’armagnac, il me tend à nouveau le joint et j’aspire lentement la fumée âcre. Cette fois ci, ça passe mieux. Je sens la fumée envahir mon système respiratoire et j’en suis navrée pour lui. Je commence à me sentir bien, détendue. Le joint tourne encore une fois, nous plongeant dans un nuage de fumée. Je regarde Thomas dont les yeux semblent fouiller la nuit sans raison.

– qu’est ce que tu cherches ?

– la nuit !

– elle est là !

– où ?

– devant toi !

Non, c’est pas possible, il fait tout noir !

– C’est normal, c’est la nuit.

Il rit. Cette conversation n’a aucun sens mais elle nous rajeunit comme si nous étions soudain deux enfants. Elle nous soulage de nos soucis respectifs. Je ne sais pas quels sont les siens mais le mien est un grand corps sans vie allongé par terre. Ça c’est un sacré souci !

– j’ai un souci, je lui dis.

– quoi, dit moi, je peux peut-être t’aider.

– tu sais nettoyer le carrelage ?

– je pense.

– non, ne pense pas, tu sais ou tu ne sais pas !

– si je ne pense pas, je ne peux pas t’aider.

– pourquoi ?

– parce que je pense, donc j’essuie, et il explose de rire.

Il me faut un temps pour comprendre la blague et elle me fait rire parce qu’elle est idiote mais bienvenue. Nous rions longtemps, enchainant les verres et les joints et finalement, la nuit est bien entamée quand il m’aide à grimper jusqu’à la chambre où m’attend le lit accueillant. Je me laisse tomber dessus et Thomas enlève le couvre lit pour que je puisse me glisser sous la couette moelleuse. Je n’ai pas trouvé un lit aussi confortable depuis…je ne sais plus.

– je suis de l’autre côté du couloir si tu as besoin de moi.

Et il s’en va. J’enlève mon pull parce qu’il fait chaud sous la couette et je m’endors immédiatement.

Je suis réveillée par le soleil qui inonde la pièce et dont les rayons ont choisi de se poser précisément sur mes yeux. J’ai la migraine et ma gorge brûle encore, mais je me sens bien.

Je me lève et passant la tête par la porte de sa chambre, je vois les boucles de thomas émerger à peine sous les draps. Il dort profondément. J’enfile le pull et descend l’escalier. Monsieur Alexandre est là, frétillant de la queue, alors je lui ouvre la porte et l’escorte jusqu’à la plage. Il court, heureux de se retrouver libre et au grand air. Il plonge dans les vagues à plusieurs reprises et je l’envie d’y folâtrer avec tant d’insouciance. Pendant qu’il longe la plage, je continue mon chemin sur la route en direction du village endormi. Les maisons apparaissent et une odeur de pain chaud m’attire vers un petit dépôt où j’achète deux baguettes à une jeune femme taciturne. À quelques mètres à peine, deux restaurants fermés pour la saison étalent des terrasses vides et désolées. J’en imagine l’agitation estivale en m’asseyant sur les marches qui mènent à un parvis spacieux sur lequel de nombreuses tables doivent s’aligner durant l’été. Une pergola en béton blanc dont les canisses ses sont envolées, accentue encore l’impression d’abandon. Paradoxalement, le soleil chaud et la solitude des lieux me réconfortent. Pour le moment, cet espace m’appartient. Je pourrais y passer la journée, m’y allonger pour bronzer, m’inventer une vie dans cet espace clos par des jardinières garnies de buissons drus et résistants. Mais l’envie de rentrer, de retrouver Thomas et sa bienveillance me poussent à me relever et à rebrousser chemin. Nous rentrons paisiblement vers la maison, Monsieur Alexandre courant devant, pressé de retourner à la maison où l’attend sa gamelle. Je m’arrête un moment en haut des escaliers qui mènent à la plage, le sable clair m’attire mais j’y résiste. Un petit vent frais souffle, ramenant obstinément mes cheveux sur mon visage. La mer est en alerte. Striée de vagues blanches, plates et régulières, elle bat la grève avec une violence contenue. Il me semble, à la voir ainsi maintenir sa cadence, qu’un petit coup de vent plus appuyé suffirait à la faire se dresser comme une furie, vagues grondantes en rouleaux rageurs. Je renonce finalement à m’en approcher quand Monsieur Alexandre se colle à moi pour me détourner de ma contemplation. Quelques jappements déterminés pour me faire réagir me convainquent de reprendre mon chemin. Le long de la route, quelque chose me trouble, mais ce n’est que quand je pose le pain sur la table que je m’aperçois que le trottoir est vide. Ma voiture ! Je l’avais laissé garée là, et elle n’y est plus. Je crie :

– Thomas, ma voiture ! Elle a disparue !

Je l’entends grogner à l’étage, alors je monte les escaliers en courant et déboule dans sa chambre :

– Thomas, ma voiture, on me la volée !

– non, grogne-t-il. Je l’ai rentré dans le garage pendant que tu dormais cette nuit. On a pas le droit de rester garé là, tu aurais eu pleins de PV.

– merci, merci, j’ai eu si peur !

Je ne me suis même pas aperçue que je me suis jetée sur le lit et que je le couvre de baiser. Il me regarde, un peu interloqué alors je m’arrête, soudain consciente de ce que je suis en train de faire.

– pardon !

– non, ne t’excuse pas, continue si tu veux.

– tu veux toi ?

– oui, dit-il dans un murmure en m’entourant de ses bras, bien sûr que je veux.

Je ne me souviens pas depuis combien d’année je ne me suis pas retrouvé avec un autre homme que Paul. Dix ans au moins, et ça n’avait rien à voir avec ce qui est en train de m’arriver. Il m’attire énormément. Sa tête ébouriffée, son regard ensommeillé, son corps que je devine chaud sous les draps. Il pose ses mains sur moi délicatement. Je me souviens qu’il a vu les marques sur mon corps.

– je peux ? dit-il doucement en glissant les mains sous le pull.

– oui

Je retire le vêtement encombrant puis après un moment d’hésitation, j’ôte aussi le tee-shirt, il est si grand que je flotte dedans. Je vois sa bouche se tordre un peu quand il découvre mon ventre bleui et ma poitrine multicolore.

– Ne t’inquiète pas, ça fait pas mal.

Il soulève la couette qui le recouvre et m’attire à lui doucement. J’aime qu’il veuille me mettre au chaud. Son corps nu est doux et un peu osseux. Effectivement, il n’est pas très costaud mais il est beau. Mes mains qui courent sur son corps en sentent les proportions et elles me plaisent. Je pose ma tête contre sa poitrine et je le respire un moment, il sent le sommeil et le propre. Puis elles musardent le long de son dos dont elles suivent le creux de la colonne jusqu’à ses fesses rondes et pleines. Elles sont si douces. Je les malaxe un moment et il se laisse faire. Ses yeux clos roulent sous ses paupières. De temps en temps il dépose un baiser dans mes cheveux. Je me colle contre lui parce que je veux le sentir et nos lèvres se rencontrent enfin. Un baiser tendre et précautionneux. Mais mes mains sont folles, elles glissent le long de son ventre. Je l’entends soupirer quand elles s’arrêtent sur sa verge dressée. Elle est longue et fine. Son gland et plutôt petit. Elle me fait penser à une petite épée, une dague. Mais pas un objet dangereux, plutôt un bel objet luxueux. Je laisse mes lèvres descendre le long de son torse, son nombril dont le ventre se creuse à mon passage et je viens poser ma bouche sur son sexe Ma langue sort lentement et contourne doucement le gland fin. Il gémit faiblement. Je le prends dans ma bouche et le suce un peu, juste pour connaitre son gout. Il est bon.

– attend, il dit, pas maintenant. Pas comme ça. Viens…

Alors je remonte.

– je veux te regarder, je veux te faire l’amour. On aura le temps pour le reste, c’est trop tôt. Tu veux bien ?

– oui, je murmure mais je sais qu’il m’a entendu.

Il se glisse sur moi précautionneusement, je sens qu’il fait attention à ne pas me faire mal. Je dois lui paraitre si fragile. S’il savait tout ce que j’ai encaissé, il ne se ferait pas autant de souci. Je sens le poids de son bassin peser sur le mien alors j’écarte les jambes et il entre. C’est si simple en réalité, si facile de faire l’amour avec un autre. Il bouge lentement et j’ai du mal à le sentir :

– plus fort, je dis entre mes dents parce que j’ai honte.

Il accélère, amplifiant son mouvement.

– plus fort !

Il accélère encore mais je le sens se raidir, pas comme s’il allait jouir, mais comme si ça le mettait mal à l’aise.

– Vas-y, n’ai pas peur, je suis pas en sucre, mets la moi profond ! je crie.

Alors il se lâche et me pilonne bruyamment. Je commence à geindre, je suis soulagée de sentir le plaisir arriver, j’avais peur que ça ne marche qu’avec Paul.

– ne t’arrête pas, vas-y, baise moi,  c’est bon !

Alors il me baise comme je le lui ai demandé et je finis par jouir dans des cris de soulagements pendant qu’il éjacule en grognant. Puis sa tête tombe lourdement sur l’oreiller et il dit :

– pourquoi tu fais ça ?

– je sais pas. L’habitude que ce soit violent, je pense.

– tu aimes qu’on te fasse mal ? dit-il soudain, suspicieux.

– non, mais je vis dans la violence depuis si longtemps que je ne connais plus que ça. Je suis désolée. Je voulais pas que ça se passe comme ça.

Et je me mets à pleurer.

– ne pleure pas, c’est pas grave, c’est juste que je ne suis pas habitué à faire mal aux femmes. Surtout pas quand je leur fais l’amour.

– je comprends, je ne te demanderai plus.

– non, c’est pas ce que je veux dire. Je pense qu’on peut s’y prendre autrement. Tu es si jolie, si fine, si délicate. Tu es la dernière personne à qui j’aurai envie de faire du mal. J’aurai l’impression que tu vas te casser en mille morceaux.

– et pourtant, si tu savais…

– oui, je veux savoir, dis-moi…

– non, c’est fini maintenant, je suis partie, je commence une nouvelle vie.

– c’est bien. Je t’aiderai si je peux.

– merci, tu es si gentil.

Il sourit et pose ses lèvres sur les miennes. Il m’embrasse longuement le tour de la bouche et quand enfin il me présente sa langue, une sensation de bonheur et de désir mêlés m’envahit. Ce long baiser tendre et chaud dure longtemps et j’en apprécie chaque seconde. Tout est douceur et tendresse. Ses mains palpent mon corps lentement. Il prend connaissance, il s’informe. Il s’accroche délicatement à mes seins, cernant les tétons du bout du doigt et le plaisir apparait, localisé mais différent. Une excitation nouvelle à laquelle je ne suis pas habituée. Il joue avec mes mamelons durs jusqu’à ce que je gémisse d’attendre. Alors il abandonne ma bouche et vient téter ma poitrine. C’est léger comme une plume mais c’est si bon. Sa langue râpe, ses lèvres caressent, et le plaisir embrase mon bas ventre. Mes gémissements s’intensifient et mon bassin s’agite malgré moi. Alors il descend si lentement que je le sens à peine bouger, et quand sa langue trouve mon clitoris, je suis traversée par un spasme de plaisir si fort que je pousse un cri. Il lèche méthodiquement le petit bout de chair qui s’offre, et plaisir s’intensifie. Il est doux mais il monte peu à peu en puissance, comme une lame de fond. Il part de loin, de l’intérieur de mon corps et de mon âme et il remonte à la surface de ma conscience et de ma peau. Je gémis, je crie, je m’écarte pour le sentir mieux, plus fort et plus longtemps et il ne m’abandonne pas, il m’accompagne jusqu’à ce que je retombe sur l’oreiller, épuisée et heureuse. Alors il pose la tête sur mon ventre et il dit :

– tu vois, je préfère ça. C’est plus agréable.

– merci !

– pourquoi tu dis ça ?

– je…j’avais peur…j’ai jamais eu vraiment d’autre partenaire que…alors, je pensais que je ne pourrais plus jamais ressentir la même chose…

– et c’est la même chose ?

– non, c’est mieux. C’est tendre et ça fait du bien. Viens, je vais te sucer maintenant.

– non, pas maintenant, Pas comme ça. Tu le feras peut-être, mais plus tard, si on refait l’amour. Pour le moment je vais aller acheter du pain et on va déjeuner.

– j’ai déjà acheté du pain. J’ai promené le chien aussi.

– alors je vais faire le café.

Il se lève et passe devant moi, nu, puis enfile rapidement une robe de chambre rouge à carreaux bleus.

Je ris, on dirait celle d’un petit vieux.

– Rigole pas, c’est ma mère qui me l’a offerte. Elle est super chaude et c’est très pratique quand je bosse. J’ai pas besoin de m’habiller.

– tu es beau avec ta robe de chambre.

– merci, dit-il en se tournant vers moi avant de quitter la pièce et de descendre les escaliers.

Dans son regard, j’ai vu de la tendresse et de l’amusement aussi et j’ai de nouveau envie de pleurer.

Je récupère mon pull sur le sol et je le rejoins dans la cuisine où le café coule déjà dans deux tasses, larges et hautes. Sur la table, du beurre, de la confiture et du jus de fruit. Nous nous installons face à face, mais j’ai du mal à le regarder. Il y a deux jours, si je ne me trompe pas dans mes calculs, j’ai trouvé mon mari mort dans la cuisine et aujourd’hui, je viens de faire l’amour avec un parfait inconnu, à l’autre bout du pays, et j’ai aimé ça. Je ne sais pas si je dois me réjouir ou me sentir atrocement coupable. Un peu des deux je crois. Je mange en silence et il semble faire de même, peut-être lui aussi est-il habité des mêmes contradictions.

– je suis heureux, dit-il soudain. Tu me rends heureux. Je sais que c’est fou de dire ça alors qu’on vient à peine de se rencontrer mais ta présence me fait du bien. J’ai l’impression de revivre. Tu sais, je ne suis pas un type compliqué. Je veux dire, si une fille veux coucher avec moi, en général, je me pose pas trop de question mais c’est des trucs qu’on fait comme ça, après une soirée, ou pendant. J’ai jamais vraiment eu de petites amies parce que je travaille trop et que je ne veux pas m’attacher. Et puis les filles que je fréquente, elles sont toutes un peu pareilles. Elles font des études, elles ont du fric, mais elles connaissent rien à la vie. Elles t’allument, elles font l’amour avec toi en gardant leur sous vêtement en dentelle hors de prix. On dirait les filles des clips vidéos. Mais au fond, elles sont pas comme ça. Je sais même pas si elles prennent vraiment leur pied ou si elles font semblant…enfin, j’espère que j’en ai fait jouir quelques-unes quand même, mais, tu vois, mais j’en suis même pas sûr.

– moi tu m’as fait jouir, ça, je te le garantie, c’était pas du flan.

– merci. C’est ce que je voulais dire : tu es authentique, tu ne mens pas. J’aime ça chez toi. Tu sembles un peu paumée mais, d’après ce que tu m’as dit, tu as de bonnes raisons. Alors, je vais te proposer un truc : reste ici ! Reste avec moi le temps que tu veux, ajoute-t-il quand il me voit me raidir. Prends le temps de trouver où tu veux aller, pose-toi ici. Tu sais, il faut que je travaille. Je serai pas tout le temps sur ton dos. Quand tu auras réfléchis, tu repartiras. On a à manger pour des semaines, la mer est en face et la maison sera vide jusqu’à l’été. Alors profites-en, je t’en supplie. Réfléchis-y, ne dis pas non pour de mauvaises raisons. Tu ne me dérange pas, ça me ferait vraiment plaisir que tu restes. Tu veux bien ?

Je beurre une tartine en écoutant le pain craquer sous le couteau. Je regarde les miettes qui tombent sur la table en verre, s’éparpillant en myriades de petits points qu’il va falloir nettoyer pour que plus aucune ne traine par terre, que plus rien ne vienne souiller la table et le verre, c’est dur à faire briller. Faut pas croire, ça fait plein de trace ! Surtout en pleine lumière. J’ai tout essayé pour que les vitres soient parfaitement transparentes. Mais il restait toujours un coin, un putain de petit coin que je n’arrivais pas à nettoyer complètement. Je m’acharnais. Dedans. Dehors. Des chiffons. Du papier journal. Rien à faire ! Parfois j’avais envie de les casser pour qu’elles soient vraiment transparentes. Quand Paul rentrait, j’attendais, dans ma tenue de maison. Petite tenue de soubrette, les fesses à l’air, et si tout allait bien, j’avais droit à une bonne baise. Après c’était l’inspection de la maison. Dégoulinante de sperme chaud, je le suivais en serrant les cuisses. Il y avait toujours un truc qui n’allait pas, mais je ne prenais pas des coups chaque soir, heureusement sinon je serai morte. Je devais me plier à ses ordres. Le sucer, me faire sodomiser, passer la soirée debout à le servir sans avoir le droit de manger. Vers la fin, c’était devenu infernal ! C’était tous les soirs. Et quand il était très énervé, j’avais droit à ma raclée. Ça pouvait aller de la simple fessée qui l’excitait et me permettait de trouver un peu de répit et de plaisir, à la dérouillée qui me laissait gémissante et en sang. Je me trainais jusqu’à la salle de bain pendant qu’il s’affalait devant la télé et je pansais mes plaies. Les derniers mois, il ne me baisait plus. Il me regardait avec dégout et m’interdisait de me trouver dans la même pièce que lui. Il disait que j’étais vielle et usée, que je ne lui servais plus à rien.

Voilà ce qui tourne dans ma tête et me parasite pendant que Thomas fait cette sublime déclaration.

J’aimerai apprécier, me perdre dans ses yeux, profiter pleinement de sa gentillesse, de cet amour qu’il m’offre sans retenue, mais mon esprit s’échappe inexorablement vers la noirceur que j’ai laissé derrière moi. Est-ce que je peux lui faire confiance après tout ce que j’ai enduré ? Thomas a l’apparence qu’un garçon inoffensif ce qui n’était pas le cas de Paul. Mais ne suis-je pas capable de réveiller le pire chez les hommes que je côtoie ?

– tu as le temps tu sais, tu n’es pas obligé de décider tout de suite, reprend-il. Viens, allons-nous baigner. Elle doit être froide mais je sais que tu en meurs d’envie. Et puis c’est la meilleure période. Il n’y a jamais personne. On pourrait presque se baigner tout nu si on le voulait.

Il me tire par la main et l’articulation de mon épaule craque. Il s’immobilise, épouvanté :

– qu’est-ce que j’ai fait ?

– rien, ne t’inquiète pas, c’est une vieille blessure. Elle a été déboitée et maintenant, chaque fois qu’on tire sur mon bras, ou si je porte un truc trop lourd, elle fait ce bruit bizarre et elle se déboite.

J’attrape mon épaule gauche avec ma main droite et j’appuie fortement sur l’articulation. Dans un bruit tout aussi effrayant, parce qu’il résonne dans la grande pièce, elle craque à nouveau et je gémis de douleur quand elle se remet en place.

– quelle horreur, geins Thomas, décomposé.

– ne t’en fais pas, ça fait mal deux minutes, et puis ça s’arrête. Regarde, ça y est, c’est fini.

Je lui souris pour effacer la grimace qui persiste sur mon visage. En réalité il faudra plus longtemps pour que la douleur s’estompe mais je suis coriace. Je me lève et débarrasse rapidement la table, aidé par un Thomas silencieux et fermé.

– tu n’y es pour rien. Tu ne pouvais pas savoir ! C’est une très bonne idée, allons nous baigner, j’enchaine, comme si rien ne s’était passé. Par contre, je n’ai pas de maillot.

Thomas semble perdu dans ses pensées.

– tu veux que je te laisse ? Tu veux que je m’en aille ? Dis le-moi si ma présence te dérange. Tu sais, je ne veux pas m’imposer.

– non, finit-il par réagir. Reste je t’en supplie. Je pensais au salaud qui ta fait ça et si je savais qui c’est, je lui casserais bien la gueule.

– t’en fais pas pour ça c’est du passé. Je suis partie, c’est fini. Tu as un maillot à me prêter ?

– quoi ?

– un maillot, pour me baigner, je n’ai que ma culotte et…

– tu n’as pas de bagage ?

– non, je suis partie sans réfléchir.

– je crains que les affaires de ma sœur ne soient pas du tout adaptées ! Il rit tout seul et je me sens un peu vexée.

– ok, c’est bon, ta sœur est beaucoup plus grande que moi, j’ai compris, je réponds d’un ton plus froid que je ne me le serai autorisé il y a encore deux jours.

– non, ne le prends pas mal, dit Thomas, c’est amusant, c’est tout. Il y a des armoires de fringues plein la maison, mais pratiquement rien qui t’aille.

– de toute façon, je m’en fous, je me baignerai comme ça ! Je lui dis en soulevant mon pull et en montrant la culotte en coton trop grande.

– tu ferais mieux d’y aller toute nue, dit-il en riant sans comprendre pourquoi je me ferme soudainement.

Les dernières temps, Paul exigeais que je me déshabille dès que je rentrais. Je devais prendre une douche, me laver soigneusement les cheveux et rester nue. « Aucune salissure de l’extérieur, il disait. Tu es assez sale comme ça ! ». Une simple allusion à la nudité et me voilà replongée dans un univers cauchemardesque.

– excuse-moi, je ne voulais pas être indélicat. Je respecte le fait que tu sois pudique. On va aller acheter un maillot…et des vêtements aussi.

– non, ne te dérange pas, je vais y aller toute seule. Dis-moi juste où je peux trouver un magasin.

– tu ne veux pas que je t’accompagne ?Tu sais, je connais bien la région. Ça te fera gagner du temps.

– non merci. Dis-moi où je dois aller, ça suffira. J’entends que ma voix est froide et un peu cassante mais je n’arrive pas à chasser ce souvenir douloureux.

– tu as un supermarché à l’entrée du village. Ils ont des maillots de bains normalement. Il y a aussi quelques boutiques. Sinon, il faut que tu ailles au village suivant. Là il y a des magasins de vêtements, mais ils sont chers. Tu as de l’argent ?

Je réfléchis à toute vitesse. J’ai encore de l’argent liquide sur moi. Quelque chose me dit que je ne dois plus utiliser ma carte bleue maintenant. Je ne sais pas pourquoi. C’est absurde, je n’ai rien à me reprocher  mais je suis partie et je ne tiens pas à ce qu’on me retrouve alors que j’ai mis tant de kilomètres entre lui et moi.

– oui, ça va aller, je vais me débrouiller avec ce que j’ai. Et puis, pendant ce temps, tu pourras te remettre à ton travail. Je m’en veux de t’avoir dérangé.

– non, ne t’en fais pas pour ça, dit-il en s’approchant de moi. Tu ne m’as pas dérangé du tout, au contraire, tu m’as fais beaucoup de bien.

Il me serre doucement dans ses bras et je me sens mieux. Je suis au chaud, la tête contre sa poitrine, ma joue picote au contact de la robe de chambre épaisse. À travers elle, j’entends les battements de son cœur qui s’emballe.

– tu vas revenir hein ? Tu ne vas pas disparaitre comme tu es arrivée ? Une petite apparition dans ma vie…ce serait dommage…

Je me dégage lentement, je n’arrive pas à le regarder dans les yeux. Je ne sais pas ce que je vais faire dès que j’aurai franchi le seuil de la maison. Ce matin, quand je me suis réveillée, j’étais sereine. J’aurai pu envisager de rester sans me poser de question mais maintenant que nous avons fait l’amour, les choses ont changées. Je ne sais pas si je ne vais pas m’enfuir sans un regard en arrière.  Sentant ma réticence, Thomas me lâche et s’écarte de moi, de la longueur de ses bras tendus :

– je ne t’en voudrais pas si tu ne revenais pas mais je serais très malheureux.

Je ne dis toujours rien, alors il me regarde droit dans les yeux et il conclut :

– Virginie, va là où tu dois aller. Je suis sûr que tu feras le bon choix. Il y a de l’argent sur le meuble près de la porte. Prends ce dont tu as besoin. Il y a mes clés de voiture aussi, c’est la petite voiture bordeaux garée dehors. Elle est pratique parce qu’elle ne prend pas beaucoup de place et elle est plutôt discrète.

Il me tourne résolument le dos et s’engage dans l’escalier qui mène à l’étage. Avant de quitter la maison, je l’entends ajouter :

– je serais là, je ne bouge pas, si tu reviens…

Je dévale l’allée, franchit le portail. J’ai ses clés à la main et mon sac besace me semble peser des tonnes. Je le jette sur le siège passager et je mets le contact. Le moteur ronronne immédiatement. J’enclenche une vitesse et sans un regard vers la maison de la falaise, je m’en vais.

 

 

Pourquoi ai-je pris sa voiture ? Encore aujourd’hui je ne le sais pas. Je ne voulais plus conduire celle de Paul, ça j’en suis sure. Cette voiture-là semblait inoffensive. Elle n’avait pas appartenu à un malade mental qui avait fait de nos dix années de mariage, un véritable enfer.

– c’est ça votre mobile ? Votre mari vous battait depuis des années,  et un jour, le jour de sa mort, vous ne l’avez plus supporté ?

– vous ne comprenez vraiment rien ! Pourquoi je l’aurai tué ? Je n’avais aucune perspective, aucun avenir. Je ne savais pas ce que c’était de vivre sans lui et je ne voulais pas le savoir ! C’est parce qu’il était mort que je suis partie. Sinon, j’y serai encore ou bien, c’est moi qui serais morte…

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