UN BAISER OU LA MORT Chapitre 6

La fin de semaine fila à toute vitesse. J’eus à peine le temps de cligner des yeux et hop, on était samedi.

Marina m’avait donné rendez-vous vers dix-neuf heures, pour que j’aie le temps de me préparer. J’aurai voulu manger un peu avant de partir mais mon estomac semblait rejeter l’idée même de nourriture. Finalement, en trainant les pieds, je me retrouvais devant la porte des Anderson et comme s’il m’avait senti arriver, Jacob ouvrit la porte. Il fit un grand geste du bras, et me dit d’un ton solennel :

– si Madame veut bien se donner la peine de monter à l’étage, elle est attendue…

– merci Jacob, je lui répondis, je ne t’ai même pas demandais comment serait ton costume, j’ajoutais, réalisant que je ne lui avais pas accordé beaucoup d’attention depuis quelques temps.

– tu verras bien, me répondit-il avec un regard malicieux.

J’entrais dans la chambre de Marina dont la porte était ouverte et elle m’accueillie avec un grand sourire.

– allez, va enfiler ta robe, jolie princesse, me dit-elle.

Je me réfugiais dans le dressing, touchée par tant de gentillesse. Cette famille avait vraiment le don de mettre les gens en valeur et je commençais à prendre goût à toutes ces attentions. J’enfilais à nouveau la robe et les chaussures et me rendis docilement devant la coiffeuse où Marina renouvela l’opération coiffure en élaborant un chignon travaillé et en bouclant des mèches qu’elle avait laissées libres. Puis le maquillage toujours aussi sophistiqué et le loup noir.

Je me relevais, regardais mon reflet dans le grand miroir de la chambre et sourit. Pour un soir, j’étais cendrillon allant au bal au bras d’un prince charmant.

– vas, maintenant, me dit-elle en m’indiquant le couloir.

Alors je le vis. Il était vêtu d’un costume d’un bleu très sombre dont la coupe parfaite moulait ses épaules et soulignait sa taille fine. Une chemise blanche au col court et une cravate bleu nuit  lui donnait un air de James bond stupéfiant. Quand j’arrivais à sa hauteur, il me sourit et ajusta un demi-masque métallisé sur son visage. Il aurait d’ailleurs très bien pu y aller sans masque. Impossible de ne pas le reconnaitre. Personne n’avait une carrure comme la sienne dans tout le lycée. La seule solution aurait été qu’il se déguise en carotte géante ou en Winnie l’ourson, avec tête et costume. L’image me fit sourire et il dit en me tendant le bras :

– ça fait plaisir de te voir de bonne humeur.

J’allais répliquer agressivement quand je réalisais que je ne lui avais pas adressé la parole de la semaine si ce n’était par obligation.

– désolée si je n’ai pas été très sympa ces derniers temps. J’ai pris un peu de distance avec…

– Alicia ? Je m’en suis aperçu. Mais tu as pris tes distances avec moi aussi…

Nous étions arrivés devant la voiture de sa mère et sans réfléchir je montais sur le siège passager quand il m’ouvrit la portière. Une fois à l’intérieur je répondis :

– C’est pas non plus comme si on avait été ami auparavant !

Il me regarda un long moment en gardant le silence puis il lâcha, en démarrant le véhicule :

– Si c’est comme ça que tu le vois…

– qu’est-ce que tu veux dire ? Je m’écriais, soudain piquée par cette remarque surprenante.

– Écoute Colette, je sais que ta vie est compliquée…que tu es une personne compliquée…pourtant il me semblait qu’on avait commencé à être ami. Évidemment, on a pas eu beaucoup de temps pour faire connaissance, mais…je t’apprécie, ajouta-t-il rapidement en dégageant le véhicule du parking.

Je restais un moment sous le choc. Il m’appréciait, moi, la fille insignifiante. La fille secrète et silencieuse. La robe me donnait des ailes ce soir alors je répondis une chose inimaginable en temps normal :

– moi aussi je t’apprécie…beaucoup…

– sérieux ? me répondit-il en me regardant fixement, c’est pas l’impression que j’avais ces derniers jours…

– tu es tout le temps fourré avec Alicia ! M’écriais-je.

Il sourit et répondit :

– tu connais cette phrase du Parrain : « Garde tes amis près de toi et tes ennemis plus près encore » ? C’est exactement ce que je fais avec Alicia et sa bande de pimbêches.

Je restais un moment silencieuse puis je lui soufflais :

– j’ai peur qu’elles me reconnaissent et qu’elles me rendent la vie encore plus dure après…

– je comprends…on a qu’à dire que tu es…ma cousine ou encore mieux, my girl friend

– pas très crédible le coup de la girl friend qui débarque justement ce weekend…ta cousine c’est pas mal…je répondis prudemment.

Il resta un instant silencieux puis il reprit :

– ça va être bizarre de t’embrasser si tu es ma cousine…

Je sentis mon cœur exploser dans ma poitrine et une chaleur incroyable monter le long de mon visage. Je devais ressembler à une tomate. Heureusement que la nuit était tombée et que les réverbérés n’étaient pas très lumineux. Je ne répondis rien pendant le reste du trajet. Ce n’est qu’au moment où il se garait devant la maison d’Alicia que je réalisais :

– Jacob, mais tu as conduit !

Il rit puis répondit :

– ça fait deux ans que je conduis dans mon pays, alors pour deux rues…mes parents ont accepté à condition que je ne sorte pas du quartier et que je ne boive pas d’alcool…

Il allait sortir de la voiture quand je lui attrapais la main pour le retenir :

– attend, comment je m’appelle alors ?

– Si tu es ma cousine, tu t’appelles Kate…et si tu es ma petite amie…on a qu’à dire Emily, c’est facile à retenir et ça se prononce presque pareil.

Emily…c’est bien, je murmurais en baissant les yeux. Il me sourit et ajouta :

Emily c’est parfait ! Let’s go to the party !

Il contourna la voiture, ouvrit ma portière et m’aida à descendre. Les talons ne me gênaient presque plus mais son bras me réconfortait.

La maison d’Alicia était fortement éclairée. Des spots de toutes les couleurs tournaient, croisant leurs rayons lumineux dans le ciel sombre. De la musique techno sortait par la porte et les fenêtres ouvertes. Un petit groupe de jeune s’était attroupé devant la maison mais ils n’étaient visiblement pas conviés car un vigile baraqué masquait l’entrée.

Jacob s’approcha, la tête haute, sa main posée sur mon bras agrippé et il dit «Jacob Anderson » au vigile qui consulta une liste puis s’effaça pour nous laisser entrer. À l’intérieur, les lumières stroboscopiques tournaient et la musique était assourdissante. À peine avions nous franchit la porte qu’Alicia fondit sur nous :

– Jacob, tu es venu ! Qui c’est ? S’exclama-t-elle en m’accordant soudainement toute son attention. Son regard ressemblait à un rayon laser déshabillant. Je me sentis immédiatement toute petite. Alors la main de Jacob prit la mienne et sa chaleur me redonna confiance.

– c’est Emily. Je t’ai dit que j’avais une petite amie aux États-Unis, et bien c’est elle, c’est Emily, redit-il comme s’il espérait la convaincre.

– mais tu m’as jamais dit qu’elle serait là ? s’exclama Alicia au bord de l’apoplexie.

Hello, lui dis-je en lui tendant la main, I’m Jacob’s girfriend. I’m there for the weekend. Thank you for having invited me on your party.

– Qu’est-ce qu’elle dit ? s’exclama Alicia par-dessus la musique.

– elle te remercie de l’avoir invité, dit Jacob en pressant ma main un peu plus fort. Il avait du mal à cacher une envie de rire évidente.

– mais je l’ai pas invité, gémit Alicia décomposée.

thank you, repris-je avec un immense sourire comme si je ne comprenais pas ce qu’elle disait.

Jacob étouffa un rire et tourna le dos à Alicia qui semblait statufiée. Il traversa la foule qui nous dévisageait et m’entraina vers la piste de danse où il me saisit d’autorité, enroulant ses bras autour de ma taille et me collant contre lui.

Tout autour de nous les danseurs s’étaient momentanément arrêtés, aussi surpris qu’Alicia de voir Jacob au bras d’une inconnue et j’entendis des voix s’exclamer de toute part à mon propos. Être ainsi le centre d’attention m’aurait fait trembler en temps normal, mais dans la peau d’Emily, c’était presque grisant. Mon cœur ne survivrait probablement pas à cette soirée mais cela en valait la peine. J’enfouis mon visage dans son cou et je respirais son odeur de fleurs de printemps sous une pluie d’été et j’oubliais tout…Nous dansâmes langoureusement sur des rythmes frénétiques, seuls au monde. Je sentais la chaleur de son corps contre le mien, je m’imprégnais de lui, je le laissais mener la danse comme il l’entendait. Ce soir, je n’étais pas moi et tout était permis. Aussi, quand son visage s’approcha du mien et qu’il posa ses lèvres sur ma bouche, je le laissais faire sans protester. Je lui répondis même en le laissant approfondir son baiser et quand sa langue toucha le bout de la mienne, je l’accompagnais. Nous restâmes longuement enlacé, seuls au monde sur la piste de danse. Jacob avait glissé une main dans mon dos, me pressant contre lui et il devait être évident pour tout le monde que nous sortions ensemble car nous avions même arrêté de danser pour nous oublier dans ce baiser fabuleux. Quand nous nous séparâmes finalement à bout de souffle, j’eus l’impression que la terre tournait plus vite, que la lumière brillait plus fort et que la vie était fantastique. Mon esprit chagrin tenta bien de me glisser quelques mots de prudence mais je le fis taire en me perdant dans le regard de Jacob. Ses yeux verts me fixaient et ce que j’y vis alluma un brasier dans mon ventre. Il dû réaliser soudain ce qui se passait entre nous car il demanda :

do you want a drink ? 

Il relâcha un peu la pression qu’il exerçait sur mon corps. Je m’écartais de lui, un peu, juste un peu et je murmurais à son oreille :

I just want to dance with you…(Colette, mais qu’est-ce que tu racontes ? serais tu devenue folle ? Aurais-tu perdue toute prudence ? Tais-toi vilaine voix !).

Jacob éclata de rire et s’exécutant, il me serra à nouveau dans ses bras et m’embrassa si franchement que je crus que j’allais défaillir. Étais-je finalement en train de sortir avec Jacob Anderson, le gars qui avait su résister à Alicia ? Vu de l’extérieur, les gens ne devaient avoir aucun doute là-dessus.

Nous passâmes pratiquement toute la soirée, collé l’un à l’autre et Alicia qui avait commencé à boire et à qui l’alcool ne semblait pas réussir, ne parvint pas à nous séparer malgré ses multiples tentatives. Certains de ses amis, dont un que j’aimais bien et qui s’appelait Achille tentèrent de me faire la conversation mais devant mon anglais parfait (merci les séjours linguistiques à San Francisco) renoncèrent. Aucun d’eux ne parlait suffisamment bien l’anglais pour tenir une conversation qui dépassait les premières banalités. J’acceptais quelques verres de téquila que me proposèrent une bande de garçons hilares et Jacob dû intervenir pour j’arrête de boire. Voyant que je commençais à être bien trop exubérante, il m’entraina vers la sortie mais je ne voulais pas m’en aller. Je lui pris la main d’autorité et le tirais vers l’étage où je supposais que se trouvaient les chambres. Il résista un peu mais abdiqua finalement quand je lui dis :

you’re sutch jerk, sometime !

ok, you want to play that game ? me répondit-il en ouvrant la première porte qui se présenta. Il m’entraina à l’intérieur d’une chambre sombre. Les rideaux tirés masquaient les lumières extérieures et la pénombre était propice à l’intimité. Il me serra à nouveau contre lui, comme si j’étais sa décalcomanie et recommença à m’embrasser de manière pressante. Je m’abandonnais à ses baisers avec un soupir de plaisir mais quand je commençais à tirer sur les boutons de sa chemise pour la défaire, il m’éloigna de lui en attrapant mes poignets et me dit :

– ça suffit, Colette. Tu le regretterais demain matin !

Je m’arrêtais, interdite. Je n’avais pas bu suffisamment pour perdre totalement le contrôle, je m’étais juste abandonné à mon personnage. Je reculais, interdite et blessée.

– je crois qu’il vaut mieux qu’on rentre, reprit-il en rattrapant ma main. Viens, je te ramène chez toi.

Le ton calme et posé de sa voix fit voler mon rêve en éclat (je t’avais bien dit d’être prudente mais tu as cru qu’une robe et un masque pouvait te transformer en princesse. Maintenant tu n’es plus qu’une petite citrouille moche, dit la voix malveillante dans ma tête et je ne lui donnais pas tort).

Jacob m’escorta au rez-de-chaussée, tenant ma main d’autorité pour me faire traverser la foule et je le suivi sans rien dire. Il salua Alicia qui me jeta des regards venimeux et me ramena à la voiture. Je n’avais pas assez confiance en moi pour lui résister ou pour lui demander des explications aussi je montais dans le véhicule en silence. Il en fit autant. Je n’arrivais pas à savoir s’il m’en voulait, et si oui, ce que j’avais fait de mal. Je ne comprenais pas comment nous étions passés de nos baisers fiévreux à ce silence pesant.

Nous arrivâmes finalement devant l’entrée de sa maison et je m’apprêtais à descendre quand il dit :

– je suis désolé Colette, je n’aurais pas dû t’obliger à partir si vite de la soirée.

Je réussi à grogner :

– je me fiche de cette soirée Jacob. Tout ça n’était qu’un jeu. Cette robe, ce maquillage, ce masque, rien de tout ça n’est moi. Lundi au lycée, ils me traiteront toujours de la même manière…et toi aussi. Rien ne change jamais finalement quoi qu’on fasse !

Il allait répliquer mais je ne lui en laissais pas le temps, je sautais de la voiture et couru jusqu’à ma porte au risque de me tordre une cheville ce qui n’arriva heureusement pas. Une fois à l’abri de ma chambre, j’ôtais la robe et les chaussures, j’envoyais valdinguer le masque à l’autre bout de la chambre et je filais sou la douche ou le maquillage et les boucles savantes disparurent sous les trombes d’eau et mes larmes avec.

Je mis longtemps à m’endormir. J’étais hanté par le souvenir des baisers de Jacob, de son gout, de son odeur, de la sensation de son corps contre le mien. Mais ces souvenirs étaient immanquablement pulvérisés par la froideur de sa voix, la raideur de ses bras quand il avait attrapé mes mains, comme s’il ne voulait pas que je le touche.

(Ma pauvre Colette, dit la voix mesquine, personne ne t’aimera jamais, tu devrais  le savoir à présent…).

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