LA GROTTE DES VOYAGEURS – Chapitre 1

MATRIA TOME 2

 LA GROTTE DES VOYAGEURS

 

Il est un temps où, quelque soit notre volonté, nous ne pouvons modifier notre destin et puis, il en est d’autres, laborieusement travaillés ou fruits d’un hasard heureux, qui nous dévient à jamais de notre route. Saurons-nous en saisir l’opportunité quand elle passera à notre portée ou la laisserons-nous glisser comme l’eau entre nos doigts ?

Chapitre 1

13° jour de la saison d’été de l’an 1

Deux Années terrestres

Le village se réveillait sous un soleil de plomb. La lumière qui filtrait à travers les volets vint percuter brutalement mes yeux et je me forçais à me lever.

Depuis le départ d’Alex, une centaine de jours auparavant, j’avais vécu enfouie au fond de moi-même et de ma maison, recherchant la solitude et la fraicheur. Les maisons avaient été rebâties sans moi qui contemplais les travaux du fond de mon transat, incapable de participer à la moindre tâche malgré les sollicitations pressantes et inquiètes de mes amis.

Au bout de quelques temps cependant, ayant pleuré toutes les nuits l’absence cruelle de mon amant, je repris un rythme de vie plus normal. Je réunis le conseil et nous fîmes un bilan de la bataille. Outre les pertes humaines qui pesaient encore cruellement dans nos cœurs, nous savions maintenant que nous étions vulnérables et que nous étions peu nombreux. La prochaine fois, nous n’en doutions pas, ce ne serait pas cinq cent hommes mais des milliers qui nous attaqueraient et leurs armes seraient adaptées à l’ampleur de la riposte. Le gouvernement ne tolérerait pas la perte de la totalité de ses hommes, et je ne connaissais pas le sort que les hommes de Moya avaient réservé au Commandant Farahawk.

Serarpi travaillait d’arrache-pied à consolider ses protections informatiques et à tenter de prendre la main sur les satellites du gouvernement qu’elle avait elle-même mis hors-service. Des capteurs thermiques et des capteurs de mouvement exerçaient une surveillance constante sur la grotte de la falaise, le petit satellite balayait en permanence le territoire du village pendant que le gros ne quittait plus la zone de Materia. A l’extérieur, les hommes s’activaient à démonter la palissade partiellement brûlée et détruite pour en récupérer les troncs encore intacts. La construction d’un mur en pierre avait été votée par toute l’assemblée. Nous avions décidé de reculer l’enceinte de telle sorte qu’elle engloba maintenant les pistes d’atterrissages où étaient stationnées les navettes qui n’avaient heureusement pas souffert de la bataille, les baraquements que nous avions cantonnés à l’orée de la forêt, et des pâturages en friches qui permettraient d’étendre le village et les cultures si nous en avions besoin. J’anticipais ainsi l’arrivée des familles de colons qui ne tarderaient pas à frapper à notre porte. Nous avions décidé d’extraire les pierres d’une colline située à quelques encablures du village qui présentait une falaise de pierre d’un jaune clair. La carrière qui allait en émerger ne serait pas visible du village et ne déparerait pas la beauté de notre paysage. Les hommes s’étaient mis à l’ouvrage et les premières extractions avaient commencé. On entendait résonner les marteaux pneumatiques à longueur de journées malgré l’éloignement et les bœufs ramenaient régulièrement des chariots de pierres si grosses qu’il fallait parfois quatre bêtes pour en tirer une seule. Le mur s’érigeait lentement et même si nous regrettions de devoir nous enfermer à l’intérieur de ces fortifications, nous savions, car l’expérience nous l’avait cruellement apprise, que nous n’avions pas d’alternative.

Moya revint un soir avec sa compagne Joypur. Je ne pus m’empêcher de trouver amusant le spectacle de ce colosse barbu, hirsute et tonitruant, devenu soudain docile et obéissant face à son épouse, dont la jeunesse évidente était irrémédiablement marquée par les épreuves subies. Une large cicatrice zébrait son visage. Du haut du front, elle traversait la joue droite pour aller se perdre sous son menton. Voyant que je ne pouvais m’en détacher elle me dit en baissant les yeux :

– je crois que vous avez rencontré le monstre qui m’a fait ça.

– le capitaine Farahawk ?

– lui-même…

– je suis désolée pour vous.

– je vous en remercie mais heureusement ce n’est plus douloureux depuis longtemps. Et ce n’est rien à coté de ce qu’il a fait à certaines d’entre nous. Il nous a marqué les unes après les autres, quand il en a eut terminé avec nous. C’était sa façon de nous trier.

Je vis Moya plisser les yeux comme s’il revivait une douleur qui n’était pourtant pas la sienne.

– écoutez, j’ai parlé au conseil, dis-je en changeant volontairement de sujet. Ils étaient réticents au départ, mais je pense que ce serait une bonne chose pour tout le monde si nous étions plus nombreux et ils ont fini par en convenir. Il nous faudra construire de nouvelles maisons. Il y a encore de la place heureusement. Nous disposons d’une crèche pour les tout petits et d’une école dont le maitre, Copland, sera ravi d’accueillir enfin des enfants en âge d’apprendre à lire et à écrire, il s’y prépare depuis son  arrivée sur Matria. Nous disposons aussi d’un hôpital, d’un médecin, d’un infirmier et d’une sage-femme. Si vous êtes près à faire des efforts pour vous intégrer, vous serez les bienvenus. Vous connaissez mieux le territoire que nous et cela pourra nous être utile. Mais vous devez savoir que notre petite communauté partage tout. Ici, tout le monde travaille. Nous avons un système de rotation…

Joypur m’interrompit :

– Ne vous inquiétez pas, nous vous sommes si reconnaissants de nous accueillir parmi vous ! Travailler ne nous a jamais fait peur. Nous sommes habitués à vivre des choses bien plus dures que de récolter des fruits ou des légumes. Nous ne demandons qu’à vivre libre et en paix. Nous ne voulons plus avoir à nous cacher, à avoir peur pour nos enfants chaque fois que les hommes s’en vont ! Nous voulons être en sécurité et vivre au grand jour. Moya nous a dit que vous étiez une personne généreuse et il avait raison.

Nous parlâmes encore un moment et je trouvais cette femme sensée et raisonnable, soucieuse du bien-être des siens. J’étais sure que leur arrivée provoquerait quelques vagues mais que cela se tasserait rapidement. Et puis, des hommes en plus seraient toujours les bienvenus.

Après quelques remous, l’assemblée villageoise accepta l’extension du village et l’arrivée de nouveaux habitants pour lesquels nous construisîmes des maisons adaptés à chacun. Ils arrivèrent, les uns après les autres. En quelques semaines, notre communauté accueillit quarante neuf personnes – vingt huit adultes et vingt et un enfant – qui s’installèrent dans leurs nouvelles demeures avec un plaisir évident. Copland s’empressa d’ouvrir l’école pour ses nouveaux élèves dont quinze étaient déjà en âge d’apprendre à lire et à écrire.

Je n’avais aucune nouvelle d’Alex et comme Bleuet n’était pas parmi eux, j’en conclus qu’ils s’étaient retrouvés. Je ne demandais rien. Je ne voulais pas savoir. Alex était parti et ma vie devait continuer.

Une fois que cette installation fut terminée et que chacun trouva une occupation, essentiellement dans les cultures et à la carrière où leur force et leur résistance fut rapidement appréciées de tous, je m’autorisais à penser à moi. C’est ce que je faisais en ce beau matin où je me réveillais en sursaut.

Aujourd’hui je partais en expédition. J’avais décidé de retourner dans la grotte. Je voulais comprendre comment voyageais les hommes et je voulais moi aussi explorer le continent si je parvenais à élucider le mystère.

J’avais préparé mes affaires la veille et tentais de m’esquiver discrètement quand Martial me repéra et m’obligea à faire une halte à l’atelier flambant neuf.

– Zellana, tu ne peux pas partir comme ça ! Nous avons des décisions à prendre que tu as trop longtemps différées !

– qui a-t-il de si urgent Martial ? Vous pouvez vous débrouiller sans moi ! lui dis-je en scrutant la marque rouge qui marquerait irrémédiablement sa tempe, vestige des brulures de la bataille.

– je te rappelle que tu es notre chef ! Nous avons besoin de toi et de ton vote pour entériner les multiples demandes qui nous ont été faites depuis la bataille.

– prenez toutes les décisions qu’il vous semblera bon de valider, à partir d’aujourd’hui et pour quelques temps, cela vous reviens.

– tu n’as pas le droit !

– très bien, alors je démissionne ! Voilà ! Comme ça je n’ai plus d’obligation et je peux partir tranquille !

– je te l’interdis ! Hurla mon précieux ami.

Je restais un moment silencieuse. J’avais mis Martial en colère et je voyais une grande déception dans ses yeux.

– écoute, reprit-il, je comprends que le départ d’Alex t’ait beaucoup affecté mais nous, nous sommes toujours là ! Tu n’as pas le droit de nous abandonner, nous avons besoin de toi ! Nous t’aimons tous et nous ne cherchons qu’à t’aider dans l’épreuve que tu traverses, tu ne méritais pas ça ! Tu nous as tellement apporté. Tu as donné ta confiance à cet homme et il n’a pas été à la hauteur. S’il revient un jour, je le tuerai avant même qu’il puisse franchir le portail, je te le promets !

Malgré mon irritation et mon chagrin, ce discours enflammé me fit rire. Je réfléchis rapidement. Je ne voulais pas repousser encore mon départ et je connaissais Martial, il ne me laisserait partir que quand je lui aurais donné certaines réponses :

– bon, quelles sont ces décisions qu’il faut prendre en urgence ?

Il prit un air embêté et tortilla sa barbe entre ses doigts, je commençais à bien le connaitre :

– c’est un prétexte pour que je ne parte pas, c’est ça ? Il n’y a aucune décision à prendre qui ne puisse attendre mon retour ?

– non, mais il se fait tellement de souci pour toi, me dit Serarpi qui venait de rentrer, les bras chargés de légumes. L’image de cette femme ascétique portant de la nourriture, elle que je n’avais jamais vu qu’avec des composants électroniques à la main, me dérouta un peu. Je l’imaginais difficilement cuisinant un repas pour Martial. Depuis qu’elle avait quitté son mari et repris ses fonctions d’informaticienne, elle semblait bien plus heureuse mais elle s’était aussi détachée des choses matérielles au profit de sa passion pour les ordinateurs. C’était plutôt Martial qui s’occupait de l’intendance de la maison, en règle générale.

– Tu ne peux pas partir avec une balise, c’est trop dangereux et nous ne savons pas où tu vas ! reprit-elle en déversant ses provisions sur la table, comme si elles l’encombraient plus que tout.

– je vous l’ai dit, je vais à la grotte de la falaise pour essayer de comprendre et si je ne trouve rien, je retournerai à celle de la plaine.

– combien de temps comptes-tu t’absenter ? dit Martial anxieux.

– je ne sais pas, cela dépendra de ce que je vais trouver.

– pourquoi tu ne demande pas à Moya ou à un de ces hommes de t’accompagner ?

– parce qu’Alex m’avait dit de ne pas leur en parler. Il y a un secret qu’ils semblent connaitre et que je veux découvrir.

– pars, me dis Serarpi, tu en as besoin, vas y mais sois prudente. Prend des armes et tout le matériel dont tu as besoin. Tiens, ajouta-t-elle en me tendant un petit boitier munis d’un bouton et d’un voyant lumineux. Nous t’avons fabriqué ça : c’est un communicateur longue portée. Mais rassure toi, il n’émet que si tu l’allumes. Tu ne peux pas être repérée quand il est éteint. Si tu veux nous parler, tu appuis sur le bouton et nous te répondrons. Dès que tu as fini, tu l’éteins et tu disparais des écrans, me dit-elle tout en m’en faisant la démonstration.

– merci à vous deux. Ne vous inquiétez pas, tout va bien se passer, j’en suis sure. Je vais demander à Amozzo de m’accompagner à cheval jusqu’à la grotte, je ne veux pas que Gazelle reste seule là bas. Elle ne voudra pas rentrer, elle m’attendra et je ne veux pas lui faire courir un danger.

– alors tu t’inquiètes pour ton cheval mais tu ne veux pas que je m’inquiète pour toi, c’est ça ? cria le géant, outré.

– Martial, je suis très touchée que tu t’inquiètes pour moi mais il faut que je parte, je ne peux pas rester pour le moment. Tous ces nouveaux arrivants…et il n’y a pas Alex. C’est trop dur !

– c’est toi qui leur as dit de venir !

– oui, et je suis contente qu’ils soient là, pour eux et pour le village, mais leur présence me pèse pour le moment.

– vas y, n’écoute pas ce vieux bougon sinon tu ne t’en iras jamais, dit Serarpi en me poussant doucement vers la porte.

– au revoir, je vous aime tous les deux, dis-je et je filais avant qu’ils ne me retiennent sous un fallacieux prétexte de dernière minute.

A l’enclos, gazelle piaffait d’impatience et Amozzo accepta de faire route avec moi. Son fils Mojji commençait à marcher et il était intarissable sur le sujet. Je l’enviais d’avoir trouvé ce bonheur qui m’était refusé et je l’écoutais parler en rêvant à ce que j’allais découvrir, quand il changea soudain de sujet :

– tu sais Zellana, je ne pense pas qu’Alex ait choisit de ne pas revenir. Il était vraiment très amoureux de toi. Je suis sur qu’il y a une raison très sérieuse pour qu’il ne soit pas là aujourd’hui.

– c’est gentil de dire ça Amozzo, mais je connais cette raison, c’est une femme, celle avec laquelle il vivait avant de me connaitre.

– je ne crois pas. J’ai entendu les colons parler de cette femme. Ils se sont interrompus quand ils m’ont vu mais j’ai eu le temps de les entendre parler d’un compagnon et d’un enfant. Tu aurais dû demander à Joypur, elle t’apprécie énormément, je suis sûr qu’elle t’aurait dit la vérité.

– je te remercie de ton intérêt Amozzo, mais j’en ai fini avec Alex. Quoi qu’il soit devenu, ça m’est égal !

Je vis à son regard peiné qu’il ne me croyait pas mais je gardais le silence. Quand nous arrivâmes à la falaise, il insista pour descendre avec moi et entra dans la grotte par le tunnel le plus large. Après s’être assuré qu’il n’y avait personne, il me dit au revoir et reparti, gazelle attachée par la bride à la selle de son cheval. Elle semblait mécontente de repartir sans moi mais je ne pouvais pas l’emmener. Je ne savais pas où j’allais ni comme j’y allais !

Je passais un moment sur la plage et je retournais à la cabane, malgré la promesse que je m’étais faite. Rien n’avait changé. Les livres étaient toujours là et le papier ensanglanté aussi, même si toute trace avait maintenant disparu. Comme Alex, l’encre s’était volatilisée. Je m’assis un moment sur le matelas et faillis ouvrir la malle pour voir ce qu’elle contenait mais j’y renonçais. Ce temps était révolu, je ne voulais plus rien savoir de sa vie. Je retournais à la grotte et, m’étant munie d’une puissante lampe torche, je me mis en quête de traces. La grotte en était exempte. J’arpentais un moment le terrain, détaillais le sol et les parois sans rien découvrir. Je scrutais les tunnels un à un, terminant par le plus étroit et le plus bas. J’allais repartir quand ma lampe accrocha une empreinte de main, si discrète que j’étais passée devant plusieurs fois sans la voir. Elle se situait à l’angle du tunnel et indiquait la direction de la sortie. Je posais ma main dessus elle se mit immédiatement à scintiller, à ma grande surprise. Elle dégageait une sorte de lumière intérieure, comme si toutes les particules qui recouvraient la roche s’étaient éclairées soudainement. J’éteignis ma lampe qui ne m’était plus d’aucune utilité et j’avançais la main le long de la paroi, une deuxième s’illumina puis une troisième et la ligne m’apparu enfin. Je la suivi lentement pour être sure de ne pas la perdre. Elle s’arrêtait vers le milieu du couloir et reprenais un peu plus loin, dans l’autre sens. Le point central se trouvait donc là, devant moi. En effet, deux traces de mains posées à plat et dirigées vers le haut attirèrent mon attention. Mais j’eu beau scruter la paroi, aucune ligne n’en partait. Je passais délicatement mes doigts sur les marques que je trouvais plus profondes que les autres. Elles s’illuminèrent comme les précédentes et leur scintillement me sembla plus vif. J’essayais d’y emboiter une de mes mains mais elle était trop grande. J’appuyais sur chaque doigt, cherchant une aspérité, un creux, une indication de ce que je devais faire mais je ne trouvais rien. En désespoir de cause, je posais mes deux mains dans les empreintes centrales et la paroi pivota lentement dans un raclement de pierre. J’avais trouvé ! La petite porte ainsi dégagée, ouvrait sur une minuscule salle taillée dans la roche, à peine la place de tenir à deux ou trois. Au sol, une pierre plate et ovale, opalescente et lumineuse. Son reflet bleuté et laiteux me troubla. Il éclairait la pièce si vivement que ma lampe n’était pas nécessaire. J’entendis la porte se refermer derrière moi et je compris pourquoi Alex avait disparu si vite à ma vue, la première fois que je l’avais suivi. A l’intérieur de la porte, deux empreintes me rassurèrent. Il suffisait d’y apposer les mains pour l’ouvrir. Je montais sur la pierre et je sentis un léger mouvement. J’oscillais dessus quelques secondes puis redescendis et m’aperçu qu’elle flottait au dessus de la dalle rocheuse. J’essayais de la faire bouger mais elle resta à sa place. Elle ne montait ni ne descendait, et à part ce léger balancement, elle ne tournait pas non plus. Je remontais dessus et cherchais de nouvelles traces de mains. J’en découvris une nouvelle ligne qui ramenait à deux d’empreintes verticales au milieu de la paroi en face de moi. Je posais mes mains dessus et la pierre s’illumina si violement que j’en fus éblouie. Je restais quelques secondes immobile, troublée par un vertige étrange mais passager, la vision momentanément altérée par le flash violent qu’avait déclenché l’apposition de mes mains. Quand je récupérais la vue, après quelques secondes de flottement désagréable, j’étais toujours dans la petite pièce close. En fait, en la regardant plus attentivement j’eu l’impression qu’elle était plus spacieuse, les murs semblaient avoir reculé. Je descendis de la pierre dont les dimensions me paraissaient plus imposantes. Je me demandais si l’éblouissement avait provoqué des troubles de la vision et je me sentais vaguement nauséeuse et aspirais à retrouver l’air marin. Je posais mes mains sur la porte qui pivota doucement et je me retrouvais dans une immense grotte. Bien plus grande que toutes celles que j’avais vu jusqu’à présent. Je m’avançais dans la salle gigantesque qui faisait résonner mes pas, quand j’eus un reflexe qui me sauva. Je retournais à la porte que je retrouvais aisément, ne m’en étant éloigné que de quelques pas et je l’inspectais minutieusement. Je trouvais les mains verticales et je repérais un signe étrange juste au dessus. Je posais mon sac au sol, contre la paroi pour me repérer et je fis le tour de la grotte plus sereinement. Les lignes de mains indiquaient un nombre considérable de portes. J’en dénombrais dix-sept en tout, à intervalle régulier. Chacune d’elle comportait des traces de mains et un signe distinctif. Je sortis mon carnet de mon sac et je dessinais chaque signe consciencieusement en même temps d’un plan sommaire de la grotte. Le signe de la porte par laquelle j’étais arrivé ressemblait à une sorte de coquillage double extrêmement simplifié et stylisé. J’aurais voulu laisser une marque devant la porte mais Alex m’avait mise en garde contre les traces que je pouvais laisser. « Rien ne devait être pris ou enlevé sous peine d’être repéré ». Cette phrase résonnait douloureusement dans ma tête car elle m’obligeait à penser à lui. Après avoir soigneusement noté les différents symboles pendant qu’un capteur en faisait le tour, mémorisant les images que j’analyserai ultérieurement, je m’enhardis à détailler la grotte. De grandes banquettes flanquaient les parois à de nombreux endroits et je m’y assis un moment pour réfléchir quand il m’apparu que j’étais bien trop vulnérable. Si quelqu’un arrivait par une des portes ou par un des tunnels, il me verrait immédiatement. De nombreux tunnels flanquaient la grotte de toute part dont les lignes de mains étaient toutes tournées vers l’intérieur. Je récupérais mon sac et j’en empruntais un, espérant ne pas être victime d’une illusion d’optique. Il était coudé et ce ne fut qu’à son extrémité qu’un vent frais me saisit, faisant voleter mes cheveux. Quand j’arrivais à l’air libre, je m’aperçus que je me trouvais sur un plateau d’où partaient de nombreux chemins de terre dont la profondeur attestait qu’ils étaient fréquemment empruntés. L’un deux semblait les relier tous entre eux et faire le tour de la colline. Je m’y engageais et découvris qu’elle était assez haute et trouée de nombreuses entrées. Autour de moi, la plaine s’étendait sur quelques encablures puis la forêt commençait. J’étais totalement désorientée. Je m’étais tant habituée à la présence de l’océan que je ne savais plus où je me trouvais. Il me fallut avoir recours à mon bon sens pour comprendre que la forêt partait vers l’Est et que la plaine s’étendait en pente douce vers l’ouest. En scrutant l’horizon à l’aide de mes jumelles, il me sembla apercevoir des installations à l’extrémité de la plaine mais le terrain était trop à découvert et la distance trop grande pour que je prenne le risque de m’y aventurer en plein jour. J’envoyais trois capteurs quadriller la zone et dès qu’ils atterrirent les uns après les autres dans ma main et que je les eus rangés dans mon sac, je retournais dans la grotte par un tunnel et je me retrouvais en son centre, sans plus savoir par quelle porte j’étais arrivée. J’avais visiblement trouvé le moyen de me déplacer d’une grotte à une autre mais je n’en comprenais toujours pas le fonctionnement.

Je décidais de tenter l’expérience dans l’autre sens et, en suivant les indications de mon carnet, je retrouvais la porte grâce au symbole en forme de coquillage. Je l’ouvris et remontais sur la pierre. J’allais poser mes mains sur les empreintes quand je m’aperçus qu’il y en avait six paires côte à côte. Je n’avais pas fait attention à cela après le grand flash lumineux qui m’avait aveuglé. Je scrutais attentivement les marques, espérant retrouver le coquillage mais il n’apparaissait pas. Six symboles surmontaient les mains et aucun ne correspondait à ceux que j’avais précédemment relevés. Je les dessinais tous les six dans mon carnet puis décidais d’en choisir un au hasard. J’optais pour la troisième empreinte de mains en partant de la gauche. Le flash se déclencha à nouveau et je ne l’anticipais pas assez vite. Comme la fois précédente, je demeurais un moment éblouie. Quand j’eus repris mes esprit, je sortis de la salle et débouchais dans un tunnel large et très haut dont la pente était assez prononcée. Ce n’était pas celui de la falaise. Je notais le symbole sur la porte, explorais la grotte qui n’en comportais pas d’autre, puis descendis la pente douce jusqu’à la sortie.

Je me retrouvais dans une clairière d’arbres ligneux aux grandes feuilles claires, presque transparentes. Il faisait chaud. Là encore, des chemins, moins nombreux cependant, se ramifiaient autour du tertre que formait la grotte. Sous les hautes frondaisons des premières branches, le soleil perçait à peine mais l’air était lourd et vibrant d’insectes ailés. Ici, pas de courant d’air rafraichissant comme le plateau que je venais de quitter. Je me félicitais de ma robustesse et de ma bonne santé car ses chocs thermiques auraient pu avoir des conséquences néfastes sur un organisme plus faible. A travers le bruissement des feuilles et la polyphonie de la vie animale, mon oreille capta un bruit d’eau que je décidais de suivre. J’avançais un moment précautionneusement sur le chemin, suivant le son chantant d’une cascade ou d’une petite rivière. Je regardais où je posais mes pieds pour éviter de faire craquer trop de branches car le chemin, bien que proprement marqué, en était cependant souvent barré, preuve qu’il était peu emprunté par des humains. Au bout d’un petit kilomètre, je m’aperçus que le sentier surmontait une rivière aux eaux claires et paisibles. Je repérais un chemin qui y descendait et je l’empruntais. Il fallait que je me pose un peu pour réfléchir. Si je n’adoptais pas une méthode plus rigoureuse, j’allais errer de grotte en grotte pendant des jours. Je sortis de mon sac des provisions ainsi que le petit livre que Joshua nous avait fournis sur les plantes comestibles de Matria. Les arbres qui m’entouraient étaient couverts de fruits sombres, charnus, à la coque soyeuse. Je consultais les notes et les dessins de Joshua et je finis par les trouver. Ils appartenaient à une espèce qui avait été répertoriée dans les plaines continentales du centre. Ils pouvaient se déguster cru. J’en cueillis un, le débarrassais de sa coque qui céda sans difficulté sous mes doigts et sortis le fruit blanchâtre de sa gangue. Un jus épais et poisseux commença à couler sur mes mains. Je croquais une petite bouchée et le gout sucré et poivré à la fois, me ravit. J’en ingurgitais une dizaine avant de m’apercevoir que Joshua avait apporté une précision que je n’avais pas lue : en grande quantité, ils pouvaient provoquer des diarrhées et des vomissements. A partir de combien de fruit estimait-il qu’il s’agissait « d’une grande quantité » ? je pestais intérieurement contre lui un moment tout en me rinçant les mains dans l’eau de la rivière, faisant ainsi s’enfuir tous les petits animaux marins qui nageais à la surface ou sous l’eau, puis je m’allongeais sur un petit promontoire herbeux, à l’ombre des arbres et me reposais un moment. La forêt retentissait régulièrement de cris d’animaux qui m’étaient inconnus, même si par moment je distinguais le roucoulement caractéristique des petits singes volants qui habitaient aussi les forêts du sud-est.

J’étais entrain de m’assoupir quand j’entendis des cris. Je sursautais et rassemblais mes affaires en vitesse, craignant d’être découverte. Les cris continuaient mais ce que j’avais pris pour de la peur était en fait des cris de joies accompagnés de nombreux éclats de rire. Je repris le chemin qui serpentait entre les arbres en me fiant aux sons. Au bout d’une centaine de mètre, j’aperçu des silhouettes indistinctes à travers la végétation. Je quittais le chemin et coupais à travers bois, prudemment, essayant de ne pas manifester ma présence. Heureusement, le sol était couvert d’un lichen épais qui assourdissait mes pas. La rivière s’ouvrait en une large courbe dans laquelle un bassin naturel s’était creusé. Dans cette eau fraiche que les rayons du soleil atteignaient à peine, plusieurs femmes se baignaient, à peine couvertes de chemisettes à bretelles. Certaines d’entres elles affichaient un ventre proéminent attestant une grossesse avancée. Je constatais qu’aucune d’elles ne portait de cicatrices sur le visage. Il ne s’agissait donc pas des femmes dont m’avait parlé Joypur. Je les regardais s’ébattre dans l’eau, heureuses et insouciantes, et j’eus une pensée nostalgique pour mon village.

Perdue dans mes pensées, je me pris les pieds dans une racine et dégringolais le long du tertre qui surplombait le bassin, tombant la tête la première dans une eau fraiche et heureusement suffisamment profonde pour que je ne me blesse pas. Ma chute fut accueillie par des hurlements de terreurs et toutes les femmes refluèrent sur la berge en courant. L’une d’elle saisit une arme et la pointa vers moi pendant que je reprenais mes esprits. Je me relevais, dégoulinante, les cheveux ruisselants, collés sur le visage. La femme dit :

– qui que vous soyez, ne bougez pas ! Je suis armée et je n’hésiterai pas à tirer !

J’entendais la peur dans sa voix chevrotante et j’aurais ris si elle n’avait pas pointé une arme tremblante dans ma direction. Je levais les mains en signe de reddition et je dis :

– ne craignez rien, je ne vous veux aucun mal, je me suis perdue, j’ai entendu le son de vos voix et je me suis dirigée vers vous.

– qui êtes vous et d’où venez vous ? cria t’elle, en reprenant contenance.

– je suis Zellana et je viens d’un village plus à l’Est.

– Zellana ? Zellana Folong ?

– oui, dis-je en dégageant mon visage des cheveux qui le recouvraient et en la regardant attentivement.

– Zellana ! dit la femme en se précipitant dans l’eau pour me serrer dans ses bras, c’est moi, Shebaa !

– Shebaa ? m’écriais-je sidérée et emplie soudain d’un immense sentiment de bonheur. Je suis si heureuse de savoir que tu es en vie !

– viens, ne reste pas là, tu es trempée, sors de l’eau, me dit-elle sur un ton péremptoire en me tirant par la main. Tu te rappelles de Ludmilla, Vernassi et Polonia, ajouta t’elle en désignant ses compagnes.

– oui, bien sur ! Nous étions toutes à l’Académie. Si vous saviez comme vous m’avez manquées ! J’espérais que vous étiez tous vivants.

– Nous sommes tous là…enfin, une partie d’entre nous. Certains, comme vous avaient disparus au moment de l’embarquement. Mais que t’est-il arrivé Zellana ? Oh, non ! Ne me le raconte pas maintenant, m’interrompit-elle en mettant une main sur ma bouche pour m’empêcher de répondre, viens à la maison, tu pourras te sécher et tout me dire, ajouta-t-elle de ce ton péremptoire dont elle avait toujours usé avec tout le monde.

Shebaa était de quatre ans mon ainée et à l’Académie, elle régnait en maitre. Sa beauté, sa prestance, ses origines bourgeoises faisaient d’elle un des piliers de l’école. Cependant ses compétences et ses résultats n’étaient pas assez bon pour qu’elle intégra l’école politique, au grand désespoir de ses parents qui l’aurait souhaitée ministre. Mais Shebaa, sous ses grands airs, était une fille gentille et généreuse qui s’était parfaitement adaptée à ses conditions de vie parmi nous et qui s’était appariée sans aucune difficulté avec son partenaire Horacio, pourtant d’une origine plus modeste.

Après avoir rapidement rassemblé leurs affaires, elles me conduisirent le long du chemin qui serpentait au bord de la rivière, jusqu’à une vaste clairière ensoleillée dans laquelle était construit un village plus rudimentaire que le notre. Des maisons de bois à l’architecture proche de la cabane étaient regroupées autour d’une place centrale fleurie. Une fontaine canalisait l’eau et son chant mélodieux rafraichissait l’air lourd de ce plein été. Au loin, dans une déclivité de la plaine boisée, je devinais des champs et diverses plantations et enclos. Voilà le village dans lequel j’aurais du vivre si nous ne nous étions pas trompés de vaisseau !

Shebaa m’entraina vers une des plus grandes maisons à la façade couverte de fleurs multicolores et me fit entrer. Les autres femmes lui emboitèrent le pas. Il était clair qu’elles avaient l’habitude de se réunir là et je les enviais presque de cette complicité évidente. Elles étaient six, réparties autour de la grande table rustique. Je fis ainsi la connaissance de Sibelle et Féadora, les deux seules femmes que je n’avais pas rencontrée à l’Académie.

– alors, raconte-moi ce qui vous est arrivé ! Joshua va bien ?

– oui, il est papa d’une petite fille qui s’appelle Menaïa.

– félicitation à vous deux, je suis si contente pour vous ! s’empressa t’elle de dire.

–  l’enfant n’est pas de moi, précisais-je. Joshua est moi, nous sommes séparés…

Cette déclaration jeta un froid dans l’assemblée.

– mon dieu ! dit Vernassi qui avait toujours était très soucieuse des règles de l’académie. Mais pourquoi ?

– c’est une longue histoire…Je l’aimais beaucoup, mais pas assez pour passer ma vie avec lui. Et puis il nous est arrivé tant de choses, le vaisseau présidentiel, le village au bord de l’océan, les colons, la bataille des gardes…

Je vis qu’elles me regardaient toutes comme si je parlais une autre langue, alors je pris mon temps et leur racontais en détail tout ce que je pouvais, sans trahir certains secrets que je voulais garder pour moi. Ainsi, je ne parlais pas d’Alex.

Je leur racontais la bousculade de l’embarquement et je les vis acquiescer. Certaines pleurèrent à l’évocation de ce moment de folie humaine. Elles aussi avaient perdus des proches. Je leur décrivis mon travail avec maitre Wong et sa trahison, la coalition qui s’était soulevée contre le gouvernement et notre fuite vers l’extrémité Est du continent, l’installation au village, la beauté des paysages et de l’océan…Mais je gardais pour moi la luxuriance de nos garde-mangers et la quantité de bétail dont nous disposions. Tout le monde n’avait pas la chance d’avoir un Joshua et des spécialistes des animaux dans son village.

La bataille des gardes les sidéra. Elles n’arrivaient pas à croire que le gouvernement pu faire une chose pareille. Je terminais par l’arrivée récente des colons qui vivaient maintenant parmi nous.

Cette information les épouvanta. Vernassi déclara :

– vous voulez dire que vous avez ouvert votre village à des fous sanguinaires qui vivent comme des sauvages sur ce continent depuis des années ?

– ils ne sont pas sauvages du tout, ils sont mariés et ont tous des enfants. Nous n’avons acceptés que les familles, justement pour éviter que le village connaisse des problèmes.

– je suis étonné que Joshua mène une politique aussi inconsciente et que tu le laisses faire ! me répondit-elle froidement.

– oh, mais ce n’est pas lui qui dirige le village, c’est moi, dis-je sans pouvoir retenir un sourire qui la fit frémir.

– mais depuis quand une femme assume t’elle des responsabilités comme celles là ? répliqua-t-elle méchamment.

– depuis que nous avons décidé de changer, Vernassi. Tu as oublié tes leçons sur l’égalité des droits et des chances ?

– foutaises ! dit-elle en se levant et en claquant la porte derrière elle.

– ne t’inquiète pas, s’empressa de me dire Shebaa, son mari est très autoritaire et il ne s’intéresse pas beaucoup à elle. Tu te souviens de lui ?

– Astraor ? bien sur.

– Il est toujours en colère…il n’a pas changé. Peut-être qu’ils auraient mieux fait de se séparer tous les deux, mais Vernassi est tellement rigide qu’elle ne l’aurait pas accepté.

– ça c’est sur ! Opinèrent les quatre autres femmes qui l’entouraient et la badaient visiblement.

– Mesdames, si vous rentriez chez vous ? ajouta Shebaa, qui avait intercepté mon regard amusé.

Elles se levèrent à contre cœur mais sortirent tout de même en me faisant promettre de rester au moins pour la nuit. Je me voyais mal refuser leur hospitalité. L’après midi était bien entamée. Je reprendrais mon périple le lendemain.

– alors, dis-moi, maintenant que nous sommes seules, il y a un homme derrière toute ça, jolie petite Zellana, me dit-elle d’un ton complice, en tentant d’amadouer mes cheveux rebelles d’une main caressante.

Je savais que l’intention était bonne. Shebaa était une commère, c’était plus fort qu’elle mais cela m’était égal.

– il y avait, je lui répondis, mais il n’y a plus.

– ah bon mais pourquoi ?

– il est reparti…il avait une femme ailleurs et il est parti la retrouver.

– c’est terrible !

– non, ce n’est pas ce que tu crois, il pensait qu’elle était morte et puis un jour, quand les colons sont arrivés, il a appris qu’elle l’avait cherché longtemps, alors il est allé la rejoindre et il n’est pas revenu.

– je suis si triste pour toi !

– ça va… c’était dur au début, mais je ne pouvais pas le retenir, il avait fait une promesse et il devait tenir sa parole. Comment va Horacio ? Et Feng ? dis-je car le souvenir d’Alex était douloureux, particulièrement au contact de mon amie dont la vie amoureuse avait toujours était idyllique.

– ils vont bien tous les deux, toujours aussi inséparables ! Ils sont aux champs à cette heure ci. Ils moissonnent le blé. Je ne sais comment ça se passe dans ton village, mais nous avons un été très chaud et les plantes se dessèchent vite. Nous sommes obligés de les arroser en permanence et de récolter très rapidement. Nous sommes un peu débordés. Comme tu peux le voir, le village est pratiquement désert, seules les femmes enceintes et deux ou trois personnes sont autorisées à rester. Il faut s’occuper des bébés, même si nous n’en avons pas beaucoup.

– ah, bon, combien avez-vous eu de naissances depuis votre installation ?

– une dizaine.

– mais combien êtes-vous au juste ?

– nous aurions dû être deux cents, tu t’en souviens, mais nous avons été quatre-vingt à débarquer ici en tout.

– et vous n’avez que dix naissance ?

– pourquoi, combien êtes-vous dans ton village ?

– au départ nous étions soixante dont plusieurs couples trop âgés pour avoir des enfants. Il y a eut plusieurs séparations mais nous avons enregistrés vingt-cinq naissances. Depuis que les colons sont arrivés nous sommes cent trente trois, enfin, centre trente deux : quatre vingt trois adultes et quarante neuf enfants. Nous avons une école, une crèche, un hôpital…

Je m’arrêtais soudain, gênée d’étaler devant mon amie la réussite de notre village.

– c’est remarquable, dit-elle sans se départir de sa bonne humeur. Horacio sera si heureux de te revoir ! Vous nous avez manqué Joshua et toi. Vous étiez si gentil et vous alliez si bien ensemble.

– ne t’en fais pas pour lui, il a trouvé une compagne qui l’adore et je pense qu’il est amoureux d’elle. En tout cas, moi je ne l’étais pas.

– et pourtant, tu l’as été ! Tu te souviens quand tu nous suivais dans les douches avec Ludmilla et que tu retrouvais Joshua en douce dans les vestiaires des garçons. Tu as toujours pensé que je ne le savais pas mais j’entendais tes petits pas derrières nous et je te voyais passer le long du mur…

– tu ne me l’as jamais dit !

– c’était ton secret, Zellana. Tu l’aimais en ce temps là.

– je ne sais pas, Shebaa. Je ne sais pas si je l’ai aimé un jour, je crois que j’ai aimé l’idée d’être amoureuse.

– tu dis parfois n’importe quoi fillette !

– peut-être…

Je fus interrompue par des bruits et des cris à l’extérieur et Shebaa sortit de sa maison comme une fusée pour se jeter dans les bras d’un bel et grand homme toujours aussi altier que dans mon souvenir. Leur bonheur évident à l’Académie m’avait toujours fait rêver. Il me semblait, maintenant que je les revoyais enlacés amoureusement, que c’étaient eux qui m’avaient fait croire que cet amour imposé était possible. A leur côté, plus petit mais tout aussi musclé, se tenait Feng que Ludmilla embrassait elle aussi avec fougue. Ces quatre là avaient représenté durant des années, un modèle que je m’étais laborieusement efforcée de suivre.

– tu ne devineras jamais qui vient d’arriver au village, mon amour ? dit Shebaa quand elle desserra enfin son étreinte.

– dis-moi, ma belle !

– Zellana, tu te souviens de la petite Zellana ?

– C’est pas vrai ! Et Joshua, il est là lui aussi ?

– non, elle est toute seule, mais elle va te raconter tout ça en détail.

Il se dirigea vers moi et me serra dans ses bras avec une affection qui me surprit puis il dit en me lâchant :

– alors, moineau, toujours aussi maigre ! Puis il éclata d’un grand rire et ajouta avant de disparaitre à l’intérieur de la maison, je prends une douche et je suis à vous.

– je vais chercher notre fils, tu veux venir avec moi ? me dis Shebaa qui resplendissait en présence de son époux.

– je t’accompagne.

Je la suivis dans un dédalle de petites ruelles à travers les maisons. On voyait qu’elles avaient été construites pratiquement en même temps et sans ordre réel. Certains angles de maisons permettaient à peine le passage d’une personne. Shebaa s’arrêta devant une maison longue et basse où, par la porte ouverte, je pus voir cinq ou six bébés ramper et jouer dans une pièce recouverte de tapis tressés.

– nous n’avons pas de crèche mais Sinaï s’occupe de nos bébés quand nous travaillons. Zellana, je te présente Roméo, notre fils, dit-elle en me tendant un beau garçon, grassouillet et souriant, aux joues rebondies.

– bonjour Roméo, dis-je au bébé qui bafouillais de plaisir en entendant la voix de sa mère.

– allez, on va voir papa, mon amour ? dit-elle au bel enfant souriant.

– j’avais envie de lui répondre oui et qu’elle me borde comme elle le faisait à l’académie, les soirs où je pleurais de désespoir dans mon lit. Mais il ne s’agissait plus de moi maintenant, mais de son fils et j’étais une adulte qui entamait un périple incertain à travers le continent.

Nous rejoignîmes sa maison où nous attendait Horacio qui portait un pantalon de toile rustique et une chemise sans manche. Sa musculature était impressionnante. Il n’était pas aussi grand et fort que Moya, mais il faisait concurrence à Martial. Il avait une trentaine d’année et sa chevelure longue descendait en une cascade blonde sur sa nuque et sur ses épaules. Il était resplendissant comme son épouse.

– vous avez une mine splendide tout les deux. Vous êtes toujours aussi beaux. Je suis si heureuse de vous revoir. Je suis partie à travers le continent pour…enfin, je ne pensais pas tomber sur vous aussi vite, même si j’espérais vous trouver un jour ou l’autre.

– alors ? Joshua ? dit Horacio malgré le coup de coude appuyé de son épouse.

– il va bien, il vit avec une ancienne garde du gouvernement et il a une adorable petite fille.

Il me regarda un peu ébahi :

– vous n’êtes plus ensemble ?

– non, nous nous sommes séparés peu de temps après avoir atterri sur Matria, mais nous vivons dans le même village.

– je veux tout savoir, dit-il d’un ton sans appel.

Alors je repris une fois encore mon histoire et je vis son étonnement et son intérêt quand je lui parlais de ce que nous avait fait le gouvernement, de la bataille qui nous avait opposée aux gardes et de l’installation des colons.

– tu veux dire que le gouvernement fait disparaitre tous ceux qui le dérangent ?

– oui et réduit les autres en esclavage.

– tu peux prouver ce que tu dis ?

– oui, j’ai des documents qui émanent directement du vaisseau présidentiel.

– comment est-ce possible ?

– écoute, Horacio, ce serait un peu long de te l’expliquer mais crois moi sur parole.

– y a des choses dont tu ne peux pas parler, c’est ça ? reprit-il après un temps d’arrêt.

– en quelque sorte. Non pas que je me méfie de vous, mais nous savons que des mercenaires et des bandes de gardes rodent toujours sur tout le territoire. Nous les avons vaincus une fois, nous n’aurons probablement pas une deuxième chance. Moins ils en apprennent sur nous, mieux cela vaut pour notre sécurité.

– tu pense qu’ils pourraient venir ici ? m’interrogea-t-il inquiet.

– je ne sais pas. Il est difficile d’extrapoler leurs actions à venir, mais si j’étais le gouvernement, j’essaierai de mettre mes plans à exécution. Ces plans prévoyaient que nous soyons tous assujettis. Nous aurions du vivre dans des baraquements spartiates et travailler pour nourrir Materia ! Voilà quels étaient les plans !

– je ne me plains pas de nos conditions de vie, répliqua t-il soudain gravement, mais je ne trouve pas non plus que ce soit le paradis qu’on nous avait promis. Nous aurions dû être beaucoup plus nombreux et recevoir du matériel pour les cultures et la construction. Nous n’avions presque rien en arrivant ici et nous avons dû nous débrouiller comme nous pouvions. Heureusement, nous avons été bien formé et personnes n’a peur de travailler mais parfois, je suis découragé par le résultat que nous obtenons parce que nous travaillons à longueur de journée. Nos plantes sont lentes à produire et ne donnent pas beaucoup. Le printemps a été assez frais et maintenant l’été est si chaud que nous n’arrivons pas à récolter assez vite. Nous allons probablement manquer de provisions pour l’hiver. Il nous faudra chasser pour rajouter de la viande. 

– de ce que j’en ai vu, votre village semble plus rudimentaire que le notre, mais je pourrais vous aider à le développer si vous le souhaitez. Quand aux cultures, Joshua se fera certainement un plaisir de venir vous donner un coup de main. Il a développé des plans à production rapide qui nous nourrissent plus que nécessaire. Nous ne savons plus où stocker la nourriture.

– vraiment ? Quel soulagement cela doit être de ne pas s’inquiéter en permanence de l’état des cultures ! Tu pense que vous pourriez nous aider ?

– bien sur ! Dites moi ce dont vous avez besoin et je vous le fournirai. Vous manquez probablement de beaucoup de choses dont nous disposons.

– mais comment ? Nous sommes à des milliers de kilomètres les uns des autres ? Et d’ailleurs…s’enquit-il réalisant soudain qu’il ne savait pas comment j’étais arrivée jusqu’à eux.

– avec les navettes, je l’interrompis. Je ne voulais pas qu’il m’interroge sur les grottes, je n’en savais pas encore assez.

– les n         avettes ? Mais elles ne sont pas faites pour ça et puis nous les avons pratiquement toutes démontées pour utilisées les matériaux.

– nous en avons encore quelques unes qui fonctionnent. Maintenant que je sais où vous êtes, je pourrais revenir facilement. Par contre, et je vous demande de prendre cet avertissement très au sérieux, ne vous approchez pas des grottes. Les gardes ont l’habitude…de s’y installer. Ils s’en servent de point de ralliement. Tenez-vous loin des grottes, promettez le moi !

– d’accord, ne t’inquiète pas. De toute façon, nous avons essayé d’y entreposer de la nourriture et elle a disparue. Depuis, nous n’y allons plus.

– tu veux dire que se serait les gardes qui auraient pris nos réserves de nourritures ? dit Shebaa, soudain très inquiète.

– probablement ! Je vous suggère aussi de fortifier votre village, particulièrement l’accès de la forêt. Vous êtes trop vulnérables et pas assez nombreux pour vous défendre.

– mon dieu, Zellana, ce que tu dis est si effrayant !

– je suis désolée Shebaa, mais nous avons malheureusement fait les frais de la violence gratuite des gardes.

A ce moment, leur fils se mit à pleurer et Shebaa se leva pour aller s’en occuper.

– alors comme ça petit moineau, c’est toi qui dirige le village ? reprit Horacio.

– je sais, ça peut surprendre ceux qui m’ont connu avant, mais ça c’est fait tout seul, je n’ai rien demandé. Un jour ils m’ont élu sans me demander mon avis.

– ça ne m’étonne pas du tout, ma jolie, dit-il gentiment, tu as toujours été courageuse, entêtée et opiniâtre. Je suis sûr que tu es un très bon chef. J’adorerai voir ton village.

– je te promets qu’un jour vous pourrez venir…

Il me regarda longuement en gardant le silence. Je voyais qu’une multitude de questions tournaient dans sa tête mais il eut l’intelligence et la sagesse de ne pas les poser. Ensuite Shebaa revint et je l’aidais à préparer le repas. Quand nous eûmes terminés de manger, plusieurs couples se joignirent à nous et je retrouvais avec plaisir Astraor qui ne m’avait jamais intimidé malgré ses colères légendaires. Il me serra dans ses bras au grand agacement de Vernassi qui se serrait bien passée de ses démonstrations d’affection en public.

– alors, moineau, comme ça tu es toujours vivante ! Ça fait tellement plaisir de te revoir ! On vous croyait tous mort. Il manque tellement de gens…

– je sais Astraor, nous avons perdu beaucoup de monde en route. Il semblerait qu’un dixième de la population ait atterri sur Matria.

– mon dieu, c’est affreux et que sont devenus les autres ? dit Ludmilla qui avait toujours été sentimentale.

– certains n’ont pas pu décoller, le départ était trop précipité et le tremblement de terre trop violent. D’autres ont dérivé dans l’espace, faute de carburant. Certains vaisseaux ont explosé durant le trajet parce qu’ils n’étaient pas opérationnels. Tellement de choses épouvantables sont arrivées durant ce voyage. Mais nous sommes là maintenant, et nous devons en profiter chaque jour. Je suis si heureuse d’être parmi vous. Je ne peux pas rester mais je vous promets que je reviendrai.

– tu veux dire que tu repars ? dit Astraor, je pensais que tu nous avais enfin trouvé et que tu allais vivre avec nous !

– non, je suis de passage, je cherche…quelqu’un. Je repartirais demain matin mais je vous promets que je reviendrais avec une navette et du matériel.

Astraor semblait particulièrement affecté par cette nouvelle et Shebaa, voyant sa mine se rembrunir et celle de Vernassi se refermer, attrapa une petite guitare qu’elle avait déjà à l’Académie et se mit à chanter pour détourner l’attention de tous. Son chant mélodieux s’éleva sur l’esplanade, couvrant le gargouillis de la fontaine et nous l’écoutâmes avec plaisir. Cette femme avait l’art de faire diversion et de mettre toute le monde d’accord. Elle chanta longuement des chants sur la terre qui mourrait et d’autres pleins d’espoirs qui peignaient une vie heureuse pour l’éternité sur une nouvelle planète. Elle alternait les chants et termina par une douce berceuse que j’affectionnais particulièrement à l’académie. Ensuite, quand la nuit fut bien avancée et que chacun fut retourné vers son foyer, elle me conduisit dans une petite chambre, à l’arrière de leur maison, où je pris quelques heures de repos sur un matelas qui venait d’un des baraquements. Ils n’avaient pas eu la chance, comme nous, de se fournir directement dans le vaisseau présidentiel !

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