UN BAISER OU LA MORT Chapitre 16

Rouler de nuit sous la neige était fantastique. Le paysage enluminé par la lune semblait surréaliste, comme une peinture composée de lumière et d’ombre. Les sapins semblaient encore plus grand et la route minuscule, bordée par ces remparts de neige tassée.

La route serpentait un moment à flanc de montagne puis nous bifurquâmes entre deux autres murs de neige et le chalet apparut soudain devant nous, immense, illuminé du sol jusqu’au toit de guirlandes multicolores. Des véhicules – beaucoup de gros 4×4 – étaient déjà stationnés dans un parking contigu qui faisait la taille de celui d’un petit supermarché. Plusieurs voituriers s’approchèrent alors que nous abordions la maison et nous descendîmes devant la porte, sous un porche qui devait faire la taille de mon salon. La porte d’entrée était gigantesque, je me fis la réflexion que nous pourrions y passer sans difficultés à deux l’un sur les épaules de l’autre, et je me demandais quel était l’intérêt d’une porte aussi grande : faire rentrer un orgue ? Une girafe ?

Tatiana et Pavel (tous deux vêtus de gris lamé toujours aussi assortis et époustouflants) virent nous accueillir en personne et nous conduisirent dans une salle de réception dont tout un mur était constitué de baies vitrées qui ouvraient sur la vallée et les pistes de ski. De petits groupes d’invités sirotaient déjà des cocktails, confortablement installés dans les nombreux fauteuils, canapés et sofas qui la meublaient. Dans une salle attenante, une immense table était dressée, scintillante de chandeliers et de verres en cristal, parée de bouquets de fleurs délicats entre chaque assiette, prête à accueillir les convives réunis pour l’occasion. Marina et Hans furent salués par tous et je lus une admiration toute à fait légitime dans le regard de beaucoup d’entre eux. Je me sentais fière de me tenir à leur côté et je commençais à comprendre d’où Jacob tirait son assurance. Épaulé par de tels parents, on ne pouvait que se sentir sûr de soi et confiant dans l’avenir.

Des serveurs s’affairaient, portant des plateaux couverts de flutes de champagnes, d’autres des petits fours appétissants. Je mourrais de faim. J’avalais quelques canapés au saumon succulent et Jacob me donna une flute de champagne tout en me murmurant :

– pas trop d’alcool ce soir, la nuit ne fait que commencer…

Je l’attrapais par la cravate pour faire descendre son visage près du mien et je murmurais en caressant ses lèvres avec les miennes :

– à vos ordres Monseigneur…

Il sourit et m’embrassa tendrement. Quand nous nous séparâmes, il garda une main sur ma taille. Ce soir nous ne nous quitterions pas.

À ce moment-là, Alicia descendit le grand escalier comme une star de cinéma, suivie d’une ribambelle de filles, dont l’inévitable Dounia, mais aussi Chloé et Framboise et quelques autres que je ne connaissais pas. Alicia portait une robe argentée presque transparente constituée d’un assemblage de voiles de soie. Il fallait lui reconnaitre une chose, elle était splendide. Quand elle nous vit, elle eut un temps d’arrêt. Elle nous examina et je vis à ses yeux écarquillés un bref instant, qu’elle reconnaissait la robe que je portais au bal costumé. Elle eut un temps d’hésitation puis fonçant droit sur nous elle nous écarta l’un de l’autre d’un mouvement de bras déterminé et jeta :

– Tu aurais pu offrir une autre robe à cette pauvre Colette, c’est pas bien de refiler la même à toute tes copines…

Puis elle passa devant nous, accompagnée des ricanements gênés de ses amies. J’allais répliquer quand Jacob me devança d’un ton haut :

– laisse tomber Colette, cette robe te va aussi bien que le premier soir, peut-être encore mieux ce soir, ajouta-t-il en m’attirant à lui et en m’embrassant tendrement.

Alicia eut un mouvement de tête plein de colère mais elle eut l’intelligence de s’éloigner.

Je restais un moment cotre Jacob dont la présence et la chaleur me rassurait puis je me détendis car sa protection me donnait confiance en moi.

Au bout d’un trop long moment à mon goût – car je mourrais de faim et avais hésité à me à me jeter sur les petits fours, nous fumes inviter à passer à table. Une partie de la table était réservée aux « jeunes » dont nous faisions partie avec Alicia et ses amis. Je pris place à coté de Jacob, comme l’indiquait le plan de table. Alicia présida la table de notre côté. À l’autre bout, son père avait pris la place d’honneur et sa mère à sa droite, était resplendissante. Hans et Marina n’étaient pas loin d’eux.

Les serveurs apportèrent diligemment des entrées et le repas fut une succession de plats plus savoureux et subtils les uns que les autres. Le repas se termina sur une farandole de desserts colorés et impressionnants. Puis nous fumes invités à rejoindre la salle de bal – eh oui ! Il y avait une salle de bal située à l’étage supérieur qui bénéficiait d’une immense terrasse en partie couverte. Pavel et Tatiana nous entrainèrent à l’extérieur et nous admirâmes une impressionnante descente aux flambeaux, qui fut suivit d’un feu d’artifice gigantesque qui marquait le début de la nouvelle année. Ensuite la musique envahit la salle et les invités se mirent peu à peu à danser. Alicia avait disparu avec son groupe et Jacob m’entraina en me prenant par la main le long du grand escalier en bois travaillé pour me conduire au sous-sol où je découvris la piscine et le jacuzzi dont il m’avait parlé.

La piscine était immense, elle devait mesurer vingt-cinq mètre de long et était bordée d’une baie vitrée qui donnait sur la droite du chalet et offrait elle aussi une vue sur les pistes et le village. Une dizaine de transats garnis de matelas épais et de coussins étaient alignées face à la vue. Sur chacun des transats se trouvaient une serviette et un peignoir d’un blanc immaculé élégamment pliés. Le jacuzzi se trouvait dans un angle de la piscine, près du mur opposé qui était recouvert de miroirs et d’une tapisserie vert sombre avec des motifs de nénuphars japonais. Des spots dissimulés dans les boiseries diffusaient une lumières douce et la chaleur était agréable. Le long du mur perpendiculaire, plusieurs appareils de sports étaient alignés. L’ensemble de la pièce  était d’un luxe étourdissant et ressemblait au spa d’un hôtel cinq étoiles.

– ça te tente ? me dit Jacob en montrant le Jacuzzi. Je ferais bien quelques longueurs dans ce bassin, ajouta-t-il en regardant la piscine avec envie.

– mais je n’ai pas de maillot, si quelqu’un venait ?

– je te l’ai dit, ils ne viennent jamais ici, allez…ajouta-t-il en m’entrainant vers les transats sur lesquels il commença à poser ses vêtements au fur et à mesure qu’il les enlevait.

– Jacob…je hululais, peu habituée à me déshabiller dans ce genre d’endroit.

– fais-moi confiance, je ne te propose pas de venir nager avec moi mais juste de t’installer dans le jacuzzi et de profiter du bain à remous, tu verras, c’est agréable…

J’avais déjà vu Jacob nu, mais dans la lumière mouvante que les reflets de l’eau faisaient danser dans toute la pièce, je le trouvais sublime et pas du tout déplacé. Il aurait pu être un de ces athlètes grecs qui s’entrainaient nus. Il me lança un regard énigmatique puis pris son élan pour un plongeon parfait. Son crawl régulier fit clapoter l’eau le long des parois et je le regardais un moment évoluer, fascinée par la perfection de son avancée. Finalement, je dégrafais ma robe, défis les fines boucles de mes chaussure et hésitais à enlever mes sous-vêtements. Au point où j’en étais, que je sois en culotte et soutien-gorge ou nue, ça ne changeait rien, la partie de mon corps que je souhaitais cacher serait exposée de toute façon. Je choisis finalement d’enlever mon soutien-gorge mais de garde ma culotte. Puis je me glissais avec prudence dans l’eau tumultueuse que je trouvais trop chaude à mon gout. Je me laissais cependant bercer un moment et m’abandonnais à une somnolence détendue, regardant à travers mes paupières mi-closes le sillage que Jacob laissait à chaque passage. Soudain je vis apparaitre une ombre dans mon champ de vision. J’ouvris les yeux et vis arriver avec horreur Alicia et des amies, toutes vêtues de  maillots de bain.

Quand elles nous virent, Jacob traçant un sillage d’écume dans la piscine et moi, barbotant dans le jacuzzi, elles s’arrêtèrent net. Puis Alicia s’approcha du bassin et regarda Jacob évoluer. Elle semblait hésiter à sauter dans l’eau pour le rejoindre. Finalement elle se ravisa et se retourna vers moi. Elle me dévisagea comme si j’étais la personne la plus incongrue et la plus malvenue qui avait jamais trempé dans son jacuzzi. J’avais croisé mes bras sur ma poitrine pour cacher ma nudité et je sentais que les choses allaient mal tourner. Alicia cherchait sa revanche depuis longtemps et ma position faisait de moi une cible idéale.

Soudain son regard s’arrêta sur mes bras qu’elle n’avait jamais vus et elle éclata de rire, un rire presque hystérique puis elle lança d’une voix stridente :

-espèce de folle ! Je savais bien qu’il y avait un truc qui tournait pas rond chez toi ! Tu te scarifies ! Regardez, ajouta-t-elle en se tournant vers ses amies qui me dévisageaient comme un monstre de foire, elle a des coupures et des brulures plein les bras !

Alicia riait à gorge déployée, elle jubilait visiblement d’avoir trouvé un moyen de m’atteindre. Je sentis mon corps se recroqueviller dans l’eau, je me sentais si vulnérable à cet instant, à la merci de cette furie, démunie et handicapée par ma quasi-nudité.

Un petit attroupement s’était formé autour de moi. Je sentais des larmes couler sur mon visage que je ne pouvais retenir quand Jacob écarta le troupeau, m’attrapa et me sortis de l’eau, me prenant dans ses bras comme on tient un enfant qu’on protège. En cet instant, il était d’une telle beauté que je vis les filles écarquiller les yeux de stupéfaction. Sa nudité, loin de l’incommoder lui conférait une sorte d’autorité, comme si rien ne pouvait l’atteindre. Il était nu et pourtant c’était le plus le plus invulnérable d’entre nous. Il me posa sur le sol me tenant toujours contre lui et déplia un peignoir qu’il me fit enfiler. Puis il attrapa une serviette qu’il enroula autour de sa taille. Ensuite il regarda les filles. Son regard était chargé d’un mélange de haine et de mépris. Son corps tendu semblait prêt à au combat. Si ce n’avait été des filles il aurait certainement foncé dans le tas avec une force et une violence inouïe. Alicia recula d’un pas, cherchant protection auprès de ses amies puis sans se concerter elles reculèrent et disparurent.

– tu vas bien ? me demanda Jacob me serrant contre lui.

Je tremblais de froid et d’humiliation. J’étais incapable de répondre. Jacob déposa un baiser sur mon front puis il reprit :

– je sais que tu ne vas pas bien mais tu ne vas pas les laisser gagner…tu vas te rhabiller et nous allons remonter dans la salle de bal. Je refuse de les laisser te faire du mal sans réagir.

Je ne répondais toujours pas. La perspective d’affronter leurs regards maintenant qu’elles avaient vu, me paraissait insurmontable.

– Colette, écoute moi je t’en prie. C’est le moment d’être forte. Je te connais, tu peux le faire. Tu vas remonter et tu vas affronter Alicia !

– non, je ne peux pas, je chevrotais. Je veux rentrer…

– hors de question ! s’exclama Jacob en me repoussant un peu pour mieux me regarder droit dans les yeux. Tu vas retourner dans la salle de bal avec moi. Je ne te laisserais pas t’enfuir. C’est exactement ce qu’elle veut !

– ça m’est égal, ce qu’elle veut. Moi je veux m’en aller…je parlais d’une toute petite voix, une voix d’enfant. Je m’en rendais compte mais je n’y pouvais rien.

– Nous partirons Colette, mais pas avant d’avoir fait ce que je te dis. Tu me fais confiance ?

Je ne pouvais qu’acquiescer. Il venait de me sortir d’une situation épouvantable.

– bien, habille-toi et on remonte.

Son ton était si catégorique que j’obtempérais. Nous fumes rapidement prêt. Il prit le temps de m’essuyer le visage, me débarrassant des trainées de mascara qui maculaient le dessous de mes yeux, puis s’étant assuré que nous étions présentables,  il prit ma main et m’entraina deux étages plus haut dans la salle de bal où les convives dansaient toujours. Il fit un rapide tour de la salle mais ni Alicia ni ses amies ne s’y trouvaient. Alors, tenant toujours ma main fermement, il m’entraina à nouveau dans les escaliers. Arrivé sur le palier du deuxième étage, il ouvrit une porte et je découvris la chambre d’Alicia. Elle était immense et comportait deux pièces attenantes comme une suite d’hôtel. La première était un salon ultra kitch meublée de canapés en forme de bouche et de fauteuils en forme de main, dans des tons très vifs. La deuxième pièce dont les portes battantes étaient ouvertes donnait sur un lit gigantesque entièrement rose, couvert de coussins et de peluches. Des commodes et une coiffeuse surchargeaient les murs roses pâle ornés de fleurs roses et vertes. Une chambre de fille dans un film hollywoodien.

Alicia et ses amies étaient installées dans le salon, jambes repliées sous elles comme de petites filles jouant et complotant. Je ne pus m’expliquer pourquoi mais la vision de cette chambre et de ses filles installées dans ces canapés ridicules fit un peu tomber cette pression que je ressentais depuis qu’elles m’avaient trouvée dans le jacuzzi.

Ok now, get out ! s’écria Jacob en désignant les filles. Non pas toi Alicia !

Je sentais qu’il était tellement en colère qu’il aurait probablement préféré lui parler en anglais mais Alicia n’avait pas un niveau suffisant pour lui.

Les filles se regardèrent, hésitantes et légèrement apeurées – Jacob, du haut de son mètre quatre-vingt-dix pouvait être très impressionnant, puis elles filèrent en poussant de petits cris comme s’il les avait menacées physiquement.

Alicia se redressa. Elle était rouge et passablement décontenancée par la tournure des évènements. Elle était plutôt du côté des tourmenteurs habituellement. Une lueur apeurée passa dans ses yeux, elle avait perdu de sa superbe. Mais elle retrouva tout de même assez de  combativité pour attaquer :

– qu’est-ce que tu veux ? C’est pas de ma faute si ta copine est une perverse qui se mutile ! Tu peux la défendre si ça t’amuse mais moi je sais…

tu ne sais rien du tout ! Articula Jacob avec force. Tu crois ce que tu veux, ça m’est égal mais tu as tort. À l’avenir, je t’interdis de lui adresser la parole, de la toucher ou de parler d’elle, tu m’as bien entendu ?

– et sinon ? Tenta Alicia, droite comme un I et rouge comme une tomate.

– sinon, je raconte tellement d’horreur sur toi qu’en quelques semaines, tu seras la personne la plus détestée de tout le lycée. Aucun garçon ne voudra s’approcher de toi et tu perdras tous tes amis. On sait bien faire ça nous les américains…ajouta-t-il en lui jetant un regard venimeux et effrayant.

Elle soutint son regard un instant puis baissa les yeux et ne répliqua rien. Pour le moment au moins, elle était battue. Je doutais que cela dure longtemps mais j’espérais que cela me donnerait un peu de répit.

Jacob me prit à nouveau par la main et nous redescendîmes dans la salle de bal où les filles avaient trouvé refuge sur un sofa. Elles jetèrent des regards anxieux à Jacob puis filèrent retrouver Alicia. Marina qui avait assisté à cet étrange échange s’approcha de Jacob et posant la main sur sa poitrine qui se soulevait sous l’effet de la colère, elle demanda :

– tout va bien Jacob ? Tu sembles…

Il posa sa main sur celle de sa mère et répondit :

it’s ok mom, c’est fini.

Ils échangèrent un regard qui en disait plus que les mots. Marina me regarda un instant, me sonda de ses beaux yeux bleus puis elle s’éloigna pour retrouver les amis avec lesquels elle parlait avant que nous arrivions. Jacob me prit par le bras et m’entraina dans un slow qui lui permit de se calmer. Je sentis sa respiration ralentir peu à peu comme s’il retrouvait lentement ses esprits mais ses pas étaient encore ceux d’un automate et ses bras me serraient un peu trop fort.

– ça va Jacob ? Je lui demandais finalement en le regardant.

– Je pourrais la tuer…

– elle n’en vaut pas la peine…je lui murmurais. J’aimerai oublier ce qui s’est passé tout à l’heure, tu crois qu’on peut ?

Il me regarda droit dans les yeux un instant et je lus un éclair de folie dans son regard qui embrasa mon ventre.

– viens, dit-il sans me donner plus d’explication.

Nous redescendîmes au sous-sol où il ouvrit une porte qui donnait sur des vestiaires luxueux et il me souleva pour me poser sur meuble couvert de serviettes. Puis sans parler, il dégrafa ma robe et commença à embrasser mes épaules. Je sentis un frisson me parcourir mais je murmurais tout de même :

– et si quelqu’un vient ?

– tant mieux ! dit-il en me regardant avec tant de passion que je m’abandonnais à lui. C’était finalement le meilleur moyen d’oublier.

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