UN BAISER OU LA MORT chapitre 1

– Colette, sors de ton lit et vas prendre l’air. Si tu veux rester dans ta chambre, travaille ! s’écriait ma mère.

Je savais bien qu’elle disait ça pour mon bien. Mais à ce moment de ma vie, affalée dans mon lit, je ne désirais qu’une chose, remettre mes écouteur, monter le volume à fond et me fondre dans la musique.

L’année scolaire avait été dure. Balancée dans un lycée où je ne connaissais personne, entourée de petits bourges qui venaient tous des collines environnantes, j’avais peiné à faire ma place et à vrai dire, je n’y étais pas vraiment parvenue.

Ma mère avait pris la décision radicale de nous éloigner de mon père et de la ville où j’avais tous mes repères pour échouer dans ce village méditerranéen où elle louait une petite maison hors de prix. Son travail à la banque le lui permettait.

J’avais 15 ans et je terminais ma Première avec d’excellents résultats malgré le manque d’amis ou peut-être à cause d’eux. Quoi ? Vous allez dire, elle rentre en terminale et elle n’a pas encore 16 ans ?

Et oui, une vie de surdouée ça a un prix.

Dans mon ancien lycée, j’avais réussi à faire ma place. J’avais toujours eu deux ans d’avance mais tout le monde le savait, tout le monde y était habitué. Je me fondais dans le paysage. Mais là, entouré de cette jeunesse snob et futile, je me sentais soudain petite et curieuse. On m’avait vite cédé la place au premier rang devant les profs. Je ne m’en plaignais pas. Je voulais étudier. Je me sentais parfois comme une machine parfaitement rodée qu’il fallait impérativement nourrir de math, de chimie et de science, accessoirement d’un peu de français et d’histoire géo aussi parce que ça pouvait pas faire de mal. Et pire de tout, j’attendais avec impatience l’année de terminale pour enfin étudier la Philo. Autant vous dire que je n’étais pas particulièrement appréciée par mes camarades de classe.

Les filles de mon lycée étaient bien plus préoccupées par la profondeur de leur décolleté (qu’elles accentuaient avec des push up extravagants) ou la longueur de leur short (qu’elles portaient très très courts…) que par leurs résultats scolaires.

Comme l’avait dit Alicia à de multiples reprises (Alicia c’est la grande blonde plantureuse maquillée comme une voiture volée qui poste des photos d’elle en maillot de bain à longueur de temps et qui occupe tous l’espace dès qu’elle arrive quelque part) :

– de toute façon, si j’ai pas le bac cette année, mon père m’envoie en Suisse dans une école privée.

Ces mots sonnaient dans sa bouche comme la promesse d’un paradis sur terre. En voilà une qui ne risquait pas de réussir son année !

Les mecs quant à eux étaient soit boutonneux, cigarette au bec et rires bêtes, soit beaux gosses, cigarette au bec et rires bêtes…la plupart trainait dans la cours pendant les pauses. Certains sortaient fumer des joints à l’extérieur du lycée.

Quand je quittais les cours, je traversais régulièrement un épais nuage de fumée odorante que j’essayais de ne pas inhaler en me faufilant entre les corps agglutinés.

 

Les grandes vacances allaient bientôt prendre fin et j’appréhendais la rentrée. J’allais avoir 16 ans au mois d’Octobre et j’étais quasiment sure de n’avoir aucun ami pour le fêter.

 

Bref, ce matin de la fin du mois d’Aout, après un mois passé à San Francisco pour parfaire mon anglais dans une famille d’accueil (comme disait ma mère qui voulait que j’excelle dans tout), je profitais des vacances et du farniente. Ma mère n’aimait pas que je sois inactive. Elle voulait que j’étudie, que je me cultive, que je fasse quelque chose d’autre que de rester affaler dans mon lit à écouter de la musique.

Elle n’arrivait pas à comprendre que ce lit, que j’avais exigé à deux places durant le déménagement, était mon havre de paix, mon refuge, mon île au milieu d’un océan déchainé !

Je m’y prélassais avec la plus grande joie, cherchant les coins frais du bout des pieds quand le soleil harassait le peu de végétation qui subsistait autour de la maison. Ma chambre était mon royaume et je ne désirais en sortir pour rien au monde. De ma fenêtre aux volets entrebâillés, je voyais les maisons alentours et la route. C’était un poste d’observation stratégique pour qui souhaitait espionner ses voisins.

Au mois de Juin, le couple qui occupait la maison adjacente (une grande propriété avec piscine et mas provençal faussement d’époque) était parti, laissant derrière lui une pancarte « à vendre ». Depuis, plus rien. Un jardinier avait entretenu les extérieurs et une dame bien coiffée était venue plusieurs fois et j’avais supposé qu’il s’agissait de l’agent immobilier.

Ce matin, alors que je luttais contre ma mère qui tentait à toute force de me propulser devant mon bureau et mes livres encore ouverts, une voiture arriva. La dame bien coiffée en sortit accompagnée d’un couple. Lui, sportif, cheveux blonds parfaitement coiffés, polo à manche courte, petit crocodile vert et jean de marque, elle, blonde aussi, cheveux long lissage impeccable négligemment éparpillés sur les épaule, Tee-shirt Calvin Klein noir et jean assortis. Le couple parfait !

J’entendais la dame jacasser mais je restais concentrée sur le couple. Ils avaient l’air plutôt sympa malgré leur look sorti d’un magazine de mode. Ils se donnaient la main, ce qui était plutôt rare par ici et ils entrèrent dans la maison avec une détermination étonnante, comme s’ils étaient déjà chez eux. Je n’étais jamais entrée dans cette maison mais je savais qu’elle était très grande et luxueuse. J’avais vue sur une partie de la piscine à déversoir dont le carrelage bleu sombre détonnait dans cette verdure. La pelouse avait était soigneusement entretenue tout l’été à grand renfort d’arrosage quotidien et le jardin, du mois la partie que j’en voyais, resplendissait, croulant sous les fleurs et les lauriers roses langoureux.

La porte se referma derrière eux et je dus patienter un long moment avant de les voir enfin apparaitre dans le jardin. La dame babillait toujours mais le couple se consultait à voix basse sans l’écouter. Ils firent le tour de la piscine, admirèrent les fleurs puis disparurent à nouveau. Quand finalement je les vis ressortir, je sus à leur regard que nous allions avoir de nouveaux voisins. J’espérais qu’ils seraient plus sympas que les précédents.

Quelques jours plus tard, deux gros camions de déménagement arrivèrent, bouchant la route durant presque toute la matinée. Quatre hommes s’activèrent inlassablement pour décharger des dizaines de cartons et des meubles si bien emballés que je ne pouvais deviner ce qu’ils étaient rien qu’à leurs contours. Je vis ainsi passer plusieurs canapés et fauteuils, de nombreux lits, bureaux, tables et chaises, des accessoires de sports et ce que j’identifiais comme des écrans de télé gigantesques. J’aurais souhaité être une petite souris pour pouvoir me faufiler et visiter ce qui promettait d’être la maison la plus luxueuse du quartier. Alicia, qui habitait quelques maisons plus loin, allait en crever de jalousie.

Deux jours avant la rentrée, deux gros 4×4 arrivèrent. L’homme (j’apprendrais plus tard qu’il s’appelait Hans) sortit du premier, immédiatement rejoint par un garçon d’une dizaine d’année, aussi blond que son père. Ils pénétrèrent tous les deux dans la maison et j’entendis les cris de joie de l’enfant qui découvrait sa nouvelle demeure. Du second véhicule, sorti sonépouse (Marina) et un grand blond à l’allure de surfer qui devait avoir 17 ou 18 ans. Impossible de dire à quoi il ressemblait car lui aussi s’engouffra dans la maison et la lourde porte en bois massif  se referma sur eux sans que j’en sache plus.

Il me fallut attendre la toute fin d’après-midi pour les voir apparaitre dans le jardin. Je savais, car je connaissais la disposition extérieure que je voyais à travers la haie maigrichonne de mon jardin, que leur terrasse se situait à la droite de la maison, échappant à ma vue de la fenêtre de ma chambre. J’entendis le bruit caractéristique d’un plongeon et j’admirais le crawl parfait du jeune homme pendant un moment. Son corps semblait bronzé et musclé mais ses cheveux longs dégoulinant d’eau et les lunettes de piscine jaune fluo, m’empêchèrent de voir son visage.

À ce moment-là, ma mère entra dans ma chambre et me dit :

– Colette, lève-toi et viens avec moi, on va saluer nos nouveaux voisins.

– maman !!! Je m’écriais, incapable de m’imaginer en train de me ridiculiser dans cet exercice totalement artificiel. Pourquoi ma mère se croyait-elle obligée de respecter les convenances ? Pourquoi ne pas les laisser s’installer tranquillement et attendre que le hasard nous mette en présence ?

– Colette ! Dépêche-toi ! Et change toi s’il te plait, on dirait que tu as dormis dans tes vêtements tous l’été ! (ma mère peut être très pénible et à ce moment précis, je la déteste).

Je me levais pesamment tout en tirant sur mon tee-shirt pour m’en extraire, décoiffant mes cheveux au passage. Puis j’enfilais un autre tee-shirt et un short en jean tout simple. Après tout, je n’allais pas faire des manières pour des gens que je ne connaissais même pas et qui allait certainement me snober toute l’année comme les précédents voisins. Je recoiffais mes cheveux en queue de cheval à la hâte et des mèches brunes et longues s’échappèrent immédiatement de cette coiffure improvisée. Ma mère tenta de les remettre derrière mes oreilles d’un geste de la main mais mes cheveux étaient rebelles à toute tentative de les assagir. J’aurai du faire comme eux, me rebeller et refuser de la suivre. Mais je savais qu’elle ne l’accepterait pas et je n’avais pas l’habitude de lui désobéir.

En trainant les pieds, je la suivis jusque devant le portail de nos nouveaux voisins. Une petite étiquette provisoire était collée au-dessus de la sonnette. ANDERSON. C’était le nom écrit à la main. ANDERSON…

Ma mère sonna. Pas de réponse. Je voulais m’enfuir en courant et monter me réfugier dans ma chambre quand la porte s’ouvrit sur la grande femme blonde, toujours aussi bien coiffée.

– Hey, dit-elle avec un grand sourire. Sorry, ajoute-t-elle avec un accent américain parfait. Bonjour ! Excusez-moi, je manque de pratique, nous venons tout juste d’arriver. Mais entrez, je vous en prie.

Dans sa voix résonnaient encore un fond d’accent américain mais sa maitrise du français était parfaite. On aurait dit Jody Foster en interview.

De la main elle nous invita à la suivre dans la vaste pièce principale qui ouvrait sur le jardin et la spectaculaire piscine bleu marine contourée d’une frise de fleurs argentées. La cuisine ouverte sur le séjour était rutilante, d’un gris vernis parfait. Le sol de grandes dalles de pierre de taille grises très foncées faisait ressortir le blanc des meubles. Les murs étaient rehaussés par deux tableaux abstraits dont les rouges profonds rivalisaient de lumière et de chaleur. Sur la droite s’ouvrait un vaste salon déjà meublé de profonds et moelleux canapés. Au mur des étagères de bois supportaient une multitude de livres mais des cartons posés au sol indiquaient que tout n’avait pas encore était déballé.

– entrez, je vous en prie, reprit la dame.

– bonjour dit ma mère que l’intérieur de la maison avait un peu éberluée. Je suis votre voisine, dit-elle en tendant le bras vers la gauche comme si on pouvait voir notre maison à travers le mur. Je m’appelle Olga et voici ma fille Colette.

Bonjour Olga, Bonjour Colette. J’adore votre prénom me dit-elle en souriant. Quand j’étais enfant j’ai lu plusieurs romans de Colette en français. Qu’elle femme extraordinaire. Au fait, je m’appelle Marina. Mon mari, Hans est dans son bureau, il range…quand à mes fils, et bien…Jacob, dit-elle en direction du nageur qui n’avait pas arrêté son crawl parfait à notre arrivée, et en haut, Nils, que vous entendrez bien assez tôt, ajoute-t-elle en souriant.

Elle nous offrit immédiatement à boire et nous invita à nous asseoir à l’immense table de la salle à manger ou ma mère et elles papotèrent un long moment comme si elle se connaissait depuis toujours. Ma mère lui décrivit le quartier et le voisinage, lui indiqua les supermarchés et les commerces les plus proches. Je commençais à m’ennuyer ferme quand Marina dit :

– Nous avons hésité un moment mais nous avons finalement inscrit Nils à l’école du village. Elle a l’air bien et elle est à deux pas de la maison. Quand à Jacob, il est inscrit au lycée Saint Exupéry…malheureusement il n’a pas le droit de conduire ici alors je le déposerai.

– Vous savez, lui répondit ma mère, Colette va dans le même Lycée. Il est desservi par un bus scolaire très pratique. Colette le prend tous les jours et elle ne s’en plaint pas, n’est-ce pas Colette ?

– hein ? Répondis-je.

– le bus, il estpratique n’est-ce pas? reprit ma mère qui me lança un regard noir au passage.

– oui, oui, bien sûr ! Je l’adore ! (j’en faisais un peu trop, mais que répondre à ça ? que j’étais traitée comme une paria dès que j’y montais ? Que je m’isolais dans un coin avec mes écouteur à bloc pour ne pas entendre les commérages  et les railleries ?).

– ça peut être une possibilité…répondit Marina, hésitante. Je pense que je l’amènerai les premiers temps, après on verra. Voulez-vous que je dépose aussi Colette ? ajoute-t-elle chaleureusement.

– ce serait très aimable de votre part, lança ma mère sans me consulter. Ça lui fera du bien de fréquenter des jeunes du quartier. Elle est un peu solitaire, dit-elle en baissant la voix, comme si je n’étais pas là.

– Maman ! M’écriais-je outrée qu’elle dévoile ainsi des informations sur ma vie privée. Des informations pas très valorisantes en plus.

– Oh, je connais ça, dit Marina, elle aussi sur un ton de confidence. Jacob n’est pas toujours très…sociable. Mais ce n’est pas de sa faute, ajoute-t-elle comme si elle était gênée de dire du mal de son fils, nous avons beaucoup voyagé depuis sa naissance. Jacob est né en Afrique du Sud, mais nous avons principalement vécu aux États Unis ces dernières années.

– oh, ça doit être merveilleux de vivre dans différents pays, s’extasia ma mère.

Au front légèrement plissé de Marina, je me compris qu’il n’en était rien mais elle eut la politesse de ne pas répondre.

Finalement, ma mère se leva en disant :

– désolée d’avoir abusé de votre hospitalité, ça été un plaisir de faire votre connaissance. Nous sommes juste à côté si vous avez besoin de quoi que ce soit…

À ce moment-là, sans que nous l’ayons entendu arriver, un immense jeune homme à la carrure de nageur professionnel passa devant nous, dégoulinant d’eau, une serviette négligemment posée sur l’épaule. Ses cheveux blonds trempés cachaient en partie de son visage.

En le voyant  Marina s’écria :

honey, thisisour new neighbours…honey, tu mets de l’eau partout !

L’adolescent nous jeta un coup d’œil ennuyé et allait poursuivre son chemin quand sa mère ajouta :

– je te présente Colette, et sa maman Olga. Colette va dans le même lycée que toi.

Nice, dit-il d’un ton sarcastique en rejetant sa mèche, révélant un visage parfait à la mâchoire carrée et aux yeux d’un vert incroyable. Son regard me balaya comme si j’étais un objet encombrant sur son passage puis il disparut dans l’escalier qui devait mener aux chambres, laissant derrière lui des traces de pas mouillées.

– désolée, s’excusa Marina, Jacob ne vit pas très bien le fait d’emménager dans un nouveau pays.

– Ne vous inquiétez pas, les ados…soupira ma mère. Encore merci de votre gentillesse, nous vous laissons maintenant, ajouta-t-elle en me tirant par le bras comme si je voulais m’attarder alors que je ne rêvais que de disparaître au fond de mon lit. Le regard que m’avait lancé ce « Jacob » m’avait fait immédiatement penser à celui d’Alicia et de ses amies.

Nous quittâmes enfin Marina et quand la lourde porte se referma derrière nous, je me tournais vers ma mère et gémis :

– Maman, ne me fais plus jamais un coup pareil, tu veux qu’ils me détestent dès le premier jour ?

– mais pas du tout Colette, ne rétorqua ma mère. Il a l’air très gentil ce garçon. Tu ne peux pas lui en vouloir d’être un peu dépaysé !

C’était le problème avec ma mère, elle transformait tout et refusait souvent de comprendre le monde dans lequel je vivais, mais j’y étais habituée. Je filais dans ma chambre en claquant la porte derrière moi afin qu’elle comprenne le message et me laisse tranquille. Je me jetais dans mon lit en soupirant, étouffant mon exaspération dans un oreiller. J’allais remettre mes écouteurs pour oublier cet épisode calamiteux quand j’entendis de la musique. Je levais la tête et à travers l’entrebâillement des volets, j’aperçus le profil parfait de Jacob dans l’encadrement de la fenêtre grande ouverte de sa chambre. Un flot de musiqueen sortait et je reconnus « midsummermadness » de « 88rising » qui était dans ma playlist. Visiblement peu pressé de se changer, il semblait absorbé par quelque chose que je ne voyais pas, ce qui me laissa toute le temps d’observer son corps parfait, ses épaules larges et musclées, ses bras de nageur, ses abdominaux impressionnants, sa taille fine…A cet instant, il leva la tête et m’aperçut.

Je poussais une sorte de couinement (il n’y a pas d’autres mots pour décrire le cri aigu et stupide qui sortit de ma bouche quand il me vit) et disparus dans mes oreillers, honteuses, les joues en feu.

Pire que ça, je ne voyais pas. Je venais de me faire choper en train d’espionner mon voisin super canon ! Je décidais immédiatement de ne plus jamais sortir de ma chambre même si cela me condamnais à des cours par correspondances pour le reste de mes jours !

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