SUR LE FOND – Chapitre 15 – Dans la lumière du matin

Chapitre 15

Dans la lumière du matin

 Nous avons passé la fin de l’été et le début de l’automne perché sur notre rocher à contempler la mer. Rapidement, j’ai repris mes bains quotidiens et nous avons fait comme si tout était redevenu normal, même si nous savions que ce n’était pas vrai.

Plus rien ne serait plus jamais pareil entre nous. Nous le savions mais nous le taisions. Thomas voulait tellement se faire pardonner et moi, je voulais tellement oublier. Nous avons longé la cote en vélo, nous avons chevauché les vagues en canoë, nous avons ri en contemplant les oiseaux, nous avons  dormi à la belle étoile, nous laissant dévorer par les moustiques voraces. Nous avons regardé les vendanges commencer. Et enfin, un soir, nous avons fait l’amour. J’ai eu peur, j’ai eu mal, mais j’y suis arrivée. Je suis entrée nue dans la chambre fraiche. Le bruit du vent léger courait sur les tuiles au-dessus de nos têtes et je me sentais en sécurité. Thomas m’a contemplé longuement. J’avais repris du poids et parfait mon bronzage, allongée sur les transats devant la maison. Je me sentais prête. Je me sentais prête à essayer. Je me suis allongée près de Thomas qui s’est déshabillé discrètement sous le drap. La nudité n’était pas un problème mais son sexe en érection m’a fait un peu peur. Il s’est vite recouvert en voyant mes yeux affolés. J’ai respiré et j’ai tiré lentement sur le drap pour révéler à nouveau sa queue dressée. Elle était belle, droite. Elle m’attendait patiemment. Je l’ai caressé de la main, des doigts et elle a frémit. Elle a palpitée et j’ai eu un petit sursaut d’excitation vite éteint par la vision entêtante d’Anthony me pénétrant violement. Ces images m’avaient harcelées tout l’été et je ne savais pas comment m’en débarrasser alors j’ai dit à Thomas :

– tu sais, je ne vais pas y arriver si je ne te raconte pas en détail ce que j’ai vécu. Je dois le faire, pas pour te faire du mal mais pour que ça sorte de moi, pour l’expulser le plus loin possible.

– vas-y, a-t-il dit, je suis prêt.

– je ne crois pas, non. Je ne le suis pas non plus mais si je ne le fais pas, je ne pourrais jamais plus faire l’amour avec toi.

– vas-y mon amour. Je t’écouterai jusqu’au bout, je te le promets.

Alors je lui ai tout raconté, n’épargnant aucun détail, même pas l’orgasme qui m’avait emportés au début, ni l’acharnement de mes agresseurs, les divers ustensiles utilisés vers la fin, quand ils ne bandaient plus. Ma prostration, rien, je n’avais rien oublié. Tout était intact dans ma mémoire. Chaque microscopique détail était encore là, blessant, tranchant, arrachant mon âme à chaque mot prononcé. Les odeurs, les sensations, tout était resté. J’aurai pu reconstituer la scène sans en oublier une seule seconde. Bien avant la fin, Thomas pleurait sans interruption. Je suis resté calme. Je devais vider mon sac une bonne fois pour toute. Je n’ai pleuré qu’après, quand tout a été dit, quand je me suis senti vide et sale. Thomas m’a serré dans ses bras et nous avons pleuré longtemps encore ensemble sans plus prononcer un mot. Puis nous nous sommes endormis, serré l’un contre l’autre. Au petit jour, je me suis retournée et je me suis collée contre son corps chaud et abandonné. Je l’ai contemplé dans son repos. Il était inoffensif, j’en étais persuadée. J’ai effleuré les bourses un peu flasques dans leur sommeil. Elles étaient douces. Je les ai tâtées un moment sans que rien ne vienne troubler ma tranquillité. Puis, j’ai approché ma bouche de ce sexe qui m’avait donné tant de plaisir et je l’ai embrassé tendrement. Au bout d’un long moment, Thomas a gémit doucement, comme un petit soupir, et son gland est apparu, à moitié sorti de sa gangue de peau. J’ai renouvelé mes baisers et un petit feu s’est allumé entre mes jambes, toute petite flamme fragile qu’il fallait maintenir vivante sans la brusquer. J’ai senti mes tétons durcir légèrement et mon corps vibrer un peu, comme un frisson qui parcourait ma peau pour la réveiller. J’ai continué à l’embrasser et quand il est enfin sorti complètement, sans pour autant atteindre une rigidité qui m’aurait peut-être fait reculer, je l’ai pris dans ma bouche et je l’y ai laissé. Je lui ai laissé le temps de se réchauffer contre mes muqueuses et il a grossi, et il s’est allongé, pas encore raide, mais plus très loin. Thomas dormait toujours ou faisait semblant. Quand il a été vraiment dur et raide, je l’ai laissé échapper de ma bouche. Je me suis assise à califourchon sur son ventre et j’ai positionné son sexe à l’entrée de mon vagin.Ça allait. Je l’y ai glissé. C’était un peu douloureux, pas vraiment agréable mais supportable. J’ai commencé à bouger mais je n’arrivais pas à trouver un rythme. Ça n’allait pas. Ce n’était pas bon, c’était rugueux et irritant. Ce contact m’agaçait. Avoir ce truc en moi m’horripilait mais je devais continuer. J’ai regardé Thomas, il avait les yeux ouverts et il attendait patiemment.

– putain, j’ai dit, t’es réveillé et tu me le dis même pas !

– je préférais te laisser faire.

– ouais, ben, j’ai besoin de toi.

– qu’est-ce que tu veux que je fasse ?

– baise-moi, putain !

– non, je ne ferais jamais ça.

– si, il le faut ! je sens rien, merde, baise moi !

– viens, il a dit en me basculant souslui. J’ai failli l’éjecter tellement je me sentais coincée, mes jambes écartelées, son sexe planté en moi, son torse appuyant sur le mien. J’ai failli hurler mais je ne l’ai pas fait. J’ai redis comme un défi :

– baise-moi,vas-y, j’attends que ça ! J’entendais la hargne dans ma voix mais je n’y pouvais rien.

– je t’aime Virginie.

– baise-moi !

Je t’aime.

Il a commencé à bouger lentement pendant que je me lançais de toutes mes forces contre lui pour m’empaler sur son sexe. Il ne se dérobait pas mais il n’a pas cherché à prendre mon rythme, il m’a laissé m’épuiser sous lui  et puis je me suis mise à pleurer mais il a continué, toujours lentement, toujours doucement, bougeant comme j’aimais avant. Il n’avait rien oublié lui non plus. Nous nous sommes battus un moment. Je saisissais ses fesses à pleines mains et je le contraignais à s’enfoncer profondément mais il résistait et finalement, j’ai cédé. Je me suis abandonnée à lui. Je lui ai laissé les commandes. Il a mis longtemps, très longtemps, on aurait dit qu’il avait la vie devant lui. Il m’embrassait tendrement, sa langue caressait la mienne si doucement que nos bouches n’avaient plus de limites, et soudain la petite flamme est revenue, très fragile. Il l’a senti à mon souffle,à une infime contraction quelque part dans mon corps. Il l’a entretenue sans jamais me brusquer. Il a laissé la brulure prendre peu à peu possession de mon sexe, s’étendre à mon bas ventre et enfin m’envahir dans un petit orgasme réparateur. On était loin de la passion dévorante qui nous avait emportés à de multiples reprises mais j’ai eu le sentiment qu’il me rendait mon corps, certes endommagé, mais entier. Je me suis endormie aussitôt, harassée.J’avais lutté tout du long et tout mon corps était douloureux. Dans les jours qui ont suivis, nous avons recommencé presque tous les jours. Dès que je m’en sentais capable, je repartais au combat, contre lui, contre moi, contre mes vieux démons qui me susurraient de me faire démonter comme la salope que j’étais, contre Thomas qui murmurait des mots d’amour à mon oreille. Je me battais et mon corps en souffrait. Mes orgasmes étaient pauvres et pathétiques et je pleurais souvent après. Mais Thomas ne désarmais pas. Il était prêt chaque fois que je le lui demandais. Il a fallu du temps pour que l’amour pénètre à nouveau dans mon corps et dans mon âme, pour que je m’autorise à avoir du plaisir pleinement et ce fut une belle victoire qui m’emporta dans des cris déchirant de soulagement et de bonheur. Je pleurais encore mais de joie et Thomas pleura avec moi, cette fois. Maintenant, j’ai souvent un petit temps d’arrêt, un moment de doute avant de faire l’amour. L’impulsion est freinée par une appréhension qui se dissipe plus ou moins vite suivant mon humeur. Je ne suis plus la jeune femme insouciante et passionnée que Thomas a connue.

À la fin de l’été, la mort des Rabatto a fait la une : Robert assassinant son épouse et manquant de tuer le policier chargé de l’enquête avant d’être abattu. Leur mort m’a permis de relativiser tout ce que j’avais vécu et m’a délivré définitivement de toutes mes angoisses. Le passé était passé et ne reviendrait plus. Tous les protagonistes avaient disparu. J’étais une survivante anonyme et cachée, et c’était très bien comme ça.

Thomas et moi avons commencé à parler d’avenir. Nous nous l’étions interdit durant des semaines. Mais la rentrée approchait et nous devions prendre des décisions. Nous ne pouvions pas rester cachés dans notre cabane au bord de la mer. Il fallait que je travaille, que je reprenne une vie normale.

Au début du mois d’octobre, Thomas a repris le chemin de la fac et nous nous sommes installés ensemble près de Montpellier, dans un petit appartement, sous le nom de Monsieur et Madame Ferrand. Nous habitions au bord de la mer et je longeais la plage le matin en allant travailler. J’avais trouvé un emploi d’agent immobilier et j’ai exploré Montpellier et ses environs pendant un certain nombre de mois. Le marché se portait plutôt bien à condition que les vendeurs ne soient pas trop gourmands et que les acheteurs soientplus généreux que prévu. L’agence pour laquelle je travaillais marchait bien et j’adorais mon boulot. Il faisait beau si souvent que j’en étais éblouie tous les matins en me réveillant. Et quand le vent soufflait, j’attachais mes cheveux et prenais mon mal en patience. Nous étions heureux, finalement, nous y étions parvenus. Presque deux ans se sont écoulés durant lesquels Thomas a fini ses études et décroché un boulot à l’étranger. Il est parti quelques temps et il est revenu enchanté.

– tu verras, il m’a dit, là-bas c’est le paradis. On m’offre un poste fabuleux, un salaire de malade, une villa avec piscine, tu vas adorer. Ils ont la folie des grandeurs ; c’est les States !

Et moi, je l’attendais avec une autre nouvelle toute aussi incroyable. Nous avons pleuré longuement. Comment tout concilier ? Puis la réponse s’est imposée. Nous n’allions rien concilier. Nous allions tout prendre et tout irait bien. Seulement voilà, il me fallait un passeport pour aller vivre aux États-Unis, il fallait que je me marie pour de vrai, sinon je n’entrerais pas sur le territoire. C’est là que ça coinçait et on n’y avait pas pensé parce qu’on avait fini par oublier le faux nom, les faux papiers, la fausse identité. J’étais Madame Ferrand depuis déjà assez longtemps pour avoir oublié mon ancienne vie.

 

Voilà pourquoi je suis là. Parce que je veux retrouver mon identité, parce que je veux avoir droit à la vie que je mérite, parce que j’en ai assez bavé durant toutes ces années. J vais avoir trente ans et je veux vivre ma vie, pas celle d’une autre.

Samuel Cosma me regarde fixement. Il semble fatigué. Je ne sais pas depuis combien de temps je parle maintenant. Mais j’ai fini. Je n’ai plus rien à dire.

– et c’est tout ?

– oui ! C’est tout ! Qu’est-ce que vous voulez d’autre ? Je veux redevenir virginie Sappa.

– virginie Fauré !

– si vous voulez.

– moi, je ne veux rien. C’est vous qui avez débarqué et qui remettez cette vieille affaire sur le tapis.

– non, je ne fais rien de tout ça. Je vous explique uniquement pourquoi j’ai fui et pourquoi je suis restée cachée tout ce temps. Ma vie n’a pas été facile et maintenant qu’elle va enfin pouvoir le devenir, j’aimerai bien qu’elle ne soit pas encore freinée…

– je comprends Virginie ; je comprends. Écoutez, en ce qui me concerne, l’affaire était close depuis longtemps.Les Rabatto sont morts, comme vous le savez et même si nous n’avons aucune preuve directe, Robert Rabatto fait office de coupable idéal. Je ne vous cacherai pas que je n’y ai jamais cru et que j’attendais de vous rencontrer depuis fort longtemps. Je n’ai jamais cru à votre mort, même si je ne m’expliquais pas votre disparition autrement que par votre culpabilité. Maintenant, on va dire que je veux bien vous croire. La vie nous a tous changé ces deux dernières années et la mort de votre époux n’est plus qu’un vieux souvenir dans l’histoire de la ville. Je pourrais rouvrir les dossiers, faire sortir les morts des placards et reprendre l’enquête depuis le départ, mais je vais en rester au première constations : vous avez un alibi. J’ai une vidéo de vous à l’heure du crime, vous montrant sur votre lieu de travail. Alors, on va dire que tout ce que vous m’avez raconté est vrai et je vais faire disparaitre l’avis de recherche vous concernant. Cela vous permettra de faire votre demande de passeport et de vous envoler vers votre nouvelle vie avec une passé vierge, si je peux me permettre ce terme un peu déplacé.

J’aimerai lui sauter au cou pour qu’il sache à quel point je suis heureuse mais je vais m’abstenir de toute manifestation de joie trop ostentatoire. Je me contente d’un :

– merci, Inspecteur, merci beaucoup.

– merci à vous Virginie d’avoir eu le courage de me raconter toute votre histoire. Et permettez-moi de vous dire, maintenant que nous avons terminé, que je suis heureux pour vous que vous soyez en vie et que vous parveniez à trouver le bonheur malgré tout ce que vous avez traversé. Une dernière chose, vous avez dit que Thomas était revenu avec une excellente nouvelle mais que vous en aviez une aussi ; simple curiosité, il s’agissait de quoi ?

Je le regarde un moment. Je peux lui dire maintenant, il sait déjà tellement de choses :

– je vais avoir un enfant. Nous allons avoir un enfant Thomas et moi.

– j’en suis très heureux pour vous dit-il avec un sourire si franc que je le crois volontiers.

Il me tend la main et je la serre avec reconnaissance puis il me reconduit dans le couloir où Thomas m’attend, assoupi sur un banc. Sa belle tête repose sur sa poitrine et il dort en silence.

Je m’assieds à côté de lui et je l’embrasse tendrement. Il ouvre les yeux et il dit :

– ça y est Virj, c’est fini ?

– oui, c’est fini mon amour. On peut rentrer chez nous.

Il se lève, me prends la main et nous sortons du commissariat.

La vie est belle, enfin. Quand nous en aurons fini avec les formalités administratives, nous nous marierons et nous nous envolerons pour les États Unis d’où j’espère que nous ne reviendrons jamais. Notre enfant naitra là-bas, loin de toute cette vie qui a bien failli me briser. Je ne regretterais rien, presque rien. Mes parents pourront venir nous voir, ceux de Thomas aussi.

Nous roulons dans les rues grises de cette ville que j’ai quittée il y a une éternité. Je revois le loft où Paul m’emmena la première fois. Je repense à cette soirée où je l’ai rencontré et qui a scellé mon destin. Je repense à mon amie Jenny qui me mettait en garde contre lui malgré son irrésistible beauté et son charme fou. Elle avait raison. J’aimerai la revoir, la serrer encore une fois dans mes bras. Mon amie, ma seule amie.

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