A LA LUMIERE FROIDE DE LA TERRE – Deuxième Partie – Chapitre 6

Chapitre 6

Je courrais vite, si vite que j’avais l’impression que mes jambes allaient me lâcher d’un instant à l’autre. J’entendais des voix qui criaient autour de moi mais j’étais tellement concentrée que je ne comprenais pas ce qu’elles disaient et soudain, ce fut le vide.

Je m’étais élancée de la falaise la plus haute, face à l’océan. Ma voile prit l’air. Elle oscilla un peu, comme pour tester sa résistance et la mienne avec, puis se stabilisa. Je volais ! J’étais en l’air et l’océan infini déroulait son tapis turquoise sous mes pieds. Le spectacle était fascinant ! J’aurai volontiers continué droit devant si j’avais pensé pourvoir trouver une ile, mais je savais qu’il n’y en avait pas. Alors, j’inclinais légèrement la voilure et j’entamais un large cercle qui me ramena vers la côte. Quand je survolais mes amis, j’avais pris de la hauteur. Je les apercevais, courant comme de petites figurines dont les mains s’agitaient dans ma direction. Vu d’en haut, le village était somptueux. La répartition des maisons autour de la salle commune, les allées délimitées par des massifs de fleurs multicolores lui donnait un air propre et prospère. Les cultures et les enclos bien alignés me donnaient l’impression d’être sur ma table d’illusion. Au loin, j’apercevais la forêt à perte de vue, ou presque. J’entrevoyais derrière, des collines que nous n’avions jamais visitées. Je survolais les arbres en remontant le fleuve et suivis paresseusement ses courbes douces. Il était beau, si bleu et si limpide. Ma voile ne faisait aucun bruit et les animaux ne m’entendaient pas passer au-dessus d’eux, seule mon ombre leur faisait dresser la tête sans crainte. Ici, nul danger ne venait du ciel. Je fus par contre accompagnée un moment par les singes volants qui roucoulèrent autour de moi, étonnés de ma présence. Puis ils se lassèrent et rejoignirent les arbres. Mon vol dura une bonne heure avant que je réalise qu’il me fallait rentrer. Je devais me poser sur une piste que nous avions préparée. Je fis tourner ma voile un moment, exécutant quelques huit avant de repartir résolument vers le village. Au moment où je tournais le dos au fleuve, j’aperçu dans le lointain un reflet que je n’eu pas le temps d’identifier. J’eus envie de faire demi-tour pour retourner voir ce qui m’avait ébloui fugacement mais mon corps commençait à fatiguer et je craignais de ne plus être capable d’atterrir correctement. Mon harnais me maintenait à l’horizontale, les bras tenant la barre de direction, mais il allait falloir que je rase le sol et que je coure pour arrêter mon deltaplane sans le casser. Nous y avions tant travaillé ! Plusieurs semaines avaient été nécessaires pour assembler les tubulures comme mon plan me le montrait. La voilure avait du être collée et cousue pour lui assurer une résistance totale. Il ne fallait pas qu’elle se déchire ou se découse en plein vol ! L’appareil n’était pas beau, affublé de cette voile plastique verte. Mais il était léger, maniable et il volait ! J’avais dû faire des dizaines d’essais au sol puis du haut d’une petite butte pour qu’ils me laissent enfin partir. Ils s’y étaient tous mis, chacun estimant avoir son mot à dire. Martial, bien entendu, qui m’imposa des heures de footing pour m’endurcir, suivis de centaines de pompes, de flexions, de sauts sur des tapis…puis Joshua qui recalculait après moi les ratios poids-portance. Nuncio testa tous les câbles et fit subir des tractions terribles à plusieurs harnais qui se déchirèrent tous, à sa plus grande satisfaction :

– tu vois, disait-il, je savais qu’ils n’étaient pas solides, quand je pense que tu comptais voler avec ça !

Finalement,  à cours d’arguments, ils me laissèrent partir à contre cœur et je leur prouvais qu’ils avaient torts. J’atterris presque correctement même si, vers la fin, l’engin me traina un peu sur l’herbe tendre, mais j’étais si heureuse et si grisée que je riais encore quand ils me dégagèrent du harnais et rangèrent la voile dans l’atelier.

– vous avez vu ? Je ne cessais de répéter.

– oui, on t’a vu !

Je le répétais des dizaines de fois au cours de la soirée qui suivi.

Tous réunis dans la salle commune, ils voulaient savoir, ils voulaient tous que je leur racontent mais j’étais encore dans les airs et je ne pouvais partager cette sensation avec personne : le vent vif qui me caressait et me faisait me balancer, la vitesse impressionnante de l’engin quand j’abaissais son nez pour le faire descendre, la vue sidérante que j’avais découverte, les cris de plaisir que je poussais, dérangeant la forêt, et l’envie de rester là haut pour toujours, de ne jamais plus redescendre. Comment leur dire tout cela ? Finalement, je restais évasive et arguant une immense fatigue tout à fait réelle au demeurant, je partis me coucher tôt. Nous avions trouvé un arrangement, Nuncio et moi. J’occupais un lit dans la chambre qui me servait d’atelier et quand l’un de nous en avait envie, il rejoignait l’autre. Cette solution nous donnait l’illusion d’être libre et nous permettait d’affronter le village la tête haute, même si personne n’était dupe de ce qui se passait. Je trouvais d’ailleurs les villageois beaucoup plus tolérants que je ne l’avais crains. Martial avait raison, beaucoup de couples avaient probablement des arrangements similaires au notre.

De leurs cotés, nos deux amis informaticiens avaient fini de programmer la navette et elle contenait maintenant le satellite qu’il faudrait déployer avant de le lancer en orbite. Il fallait à présent monter sur un vaisseau, accrocher le satellite, voilure ouverte sous la navette et le lancer de telle sorte qu’il ne parte pas à la dérive à travers l’espace. Rien que je sache faire, mais j’avais compris le principe et j’en étais contente. Outre Martial et Serarpi, Joshua, Nuncio, Daïa et moi devions prendre place dans la navette qui avait été débarrassée de la majorité de ses sièges. Je me serais passée de la présence de Daïa comme elle se serait passé de la mienne, mais nous étions aussi utile l’une que l’autre à cette expédition, alors nous avions dû nous résoudre à cohabiter le temps de ce voyage. Nous ne savions pas trop ce que nous allions trouver dans le vaisseau  aussi, étions-nous anxieux d’y parvenir. Nous décollâmes quelques jours après mon vol en deltaplane, sans que j’aie pu retenter l’expérience. Tout le monde s’y était opposé tant que je ne serais pas équipée d’un système de localisation. Nous espérions trouver des bracelets dans le vaisseau. Ils avaient orné nos poignets durant toutes nos années d’étude à l’Académie et beaucoup d’entre nous se souvenaient de ce sentiment confus d’être protégé et surveillé à la fois. L’intérieur des bracelets, recouvert de capteurs dermique, donnait des informations sur notre état physique et psychique. Le niveau de stress, le rythme cardiaque, la pression sanguine était parmi les indications qu’ils pouvaient calculer sans marge d’erreur même s’ils n’en déterminaient pas la cause. Ils étaient en outre équipés d’une balise qui émettait à intervalle régulier, permettant de contrôler notre présence et nos déplacements.

Le décollage fut rude mais Martial et Serarpi nous firent quitter le sol sans encombre. Nous montâmes droit vers le ciel, écrasés sur nos sièges. J’avais l’impression déchirante que nous nous arrachions à Matria et que nous n’y retournerions jamais. Quand nous atteignîmes l’obscurité, les radars s’activèrent et plusieurs vaisseaux apparurent sur l’écran de contrôle. Martial et Serarpi, après une brève discutions, optèrent pour celui qui se trouvait le plus à droite de l’écran. Ce n’était pas le plus proche mais ils avaient leurs raisons et il n’était pas temps de les discuter. Nous réussîmes à nous approcher sans encombre de l’imposant appareil qui semblait attendre notre arrivée. Une commande de la navette ouvrit la lourde porte d’un sas, et la navette fut aspirée lentement à l’intérieur du ventre du vaisseau. Quand les moteurs furent arrêtés, nous restâmes un moment silencieux. Nous ne savions pas ce que nous allions y trouver. Resteraient-ils des habitants vivants ? Des animaux oubliés ? Des appareils utilisables ?

Finalement, ce fut encore une fois Joshua qui se détacha le premier et ouvrit la porte étanche. Le couloir était vide et d’un blanc sale, comme celui que nous avions emprunté pour nous enfuir. Plusieurs navettes étaient encore arrimées à leur port d’attache, ce qui ne nous rassurait pas. Les faibles lumières indiquaient que le vaisseau était en veille. Nous marchions à pas de loups, les uns derrières les autres. Martial, un plan à la main et Joshua juste derrière lui, ouvraient la route, s’arrêtant à chaque embranchement pour vérifier les couloirs et les coursives. Finalement, nous nous engageâmes dans un vaste couloir plus propre qui menait aux ascenseurs. Nos lampes à la main, nous explorâmes les premiers niveaux sans y détecter aucune vie. Des paquets, des valises et des papiers sales jonchaient le sol par endroit, comme si des gens avaient attendu longuement puis étaient soudain parti dans la précipitation, abandonnant certains de leurs effets derrière eux. Pourtant, nous ne vîmes personne et n’entendîmes aucun bruit. Nous nous enhardîmes à remonter par les escaliers jusqu’au poste de pilotage et nous découvrîmes une immense salle munie d’innombrables écrans. Serarpi se jeta sur un fauteuil et commença à pianoter, comme si ce poste avait était le sien depuis toujours. Elle semblait en transe. Ses doigts couraient sur le clavier pendant qu’elle tapait des lignes de codes sans s’arrêter un seul instant. Martial nous fit signe de la laisser travailler et posta Daïa à ses coté. Nous les laissâmes et partîmes à la recherche des magasins. Au fur et à mesure que Martial le lui demandait, via les communicateurs internes, Serarpi nous ouvrait des portes. Nous découvrîmes ainsi un stock d’arme impressionnant dont nous ne prîmes presque rien, même si Nuncio en mourrait d’envie. Le stock de nourriture était bien entamé mais nous raflâmes toutes les sucreries et les conserves que nous trouvâmes – des petits plaisirs qui nous rappelaient la terre – puis Joshua, Martial et Nuncio saisirent des chariots qu’ils remplirent chacun de ce dont ils avaient besoin. J’avais l’impression d’être enfermé la nuit dans un supermarché. J’attrapais des boites au hasard sans me soucier de ce qu’elles contenaient et les déposaient dans les chariots jusqu’à ce que les trois hommes s’insurgent. Je dû ressortir la majorité de ce que j’avais pris et je fis rouler mon propre chariot en me souvenant soudain que j’étais porteuse d’une liste. Je filais jusqu’au poste médical où je trouvais des cartons d’outils chirurgicaux, des linges stériles, des compresses, des champs…nous ne pourrions pas tout prendre en une fois, il nous faudrait revenir. Mafalda voulait une salle d’opération munie d’une table et de lampes adaptées ainsi que du matériel médical de toute sorte. Tout était là mais nous ne pouvions pas tout emporter. J’étais désespérée. Je me rendis ensuite dans le stock de fourniture de bureau et remplis un autre chariot de blocs de papier, de crayons, de feutres. Etc. pour Copland. Je trouvais plusieurs machines à coudre pour Zoléa, du fils de toutes couleurs, des aiguilles des boutons, des fermetures éclairs, des tissus colorés…Je fus soudain frappée par l’abondance des magasins, comme si ceux qui avaient habité ce vaisseau n’avaient presque rien emporté. Leurs efforts semblaient s’être concentrés sur la nourriture. Ayant remplis tous les chariots que j’avais réussis à tracter jusque là,  je rejoignis mes amis au centre de la salle de réunion. Ce n’était visiblement pas celle dans laquelle nous nous étions réunis de nombreuses fois, comme en attestait le plan coloré qui ornait le mur. Et comble d’ironie, je découvris la section noire porteuse des deux bandes violettes dont j’avais si fièrement arboré les couleurs durant tout le temps de préparation avant le décollage. Nous étions dans le vaisseau qui aurait dû nous amener sur Matria ! J’en fis part à Joshua qui regarda autour de lui, étonné. Peut-être que si nous avions été dans ce vaisseau, tout aurait été différents pour nous ? Pensait-il cela quand il me regarda tristement ? Mais il se rembruni quand il me vit tirer à grand peine quatre chariots que j’avais attachés ensemble pour pouvoir les tracter jusque là.

– non, hors de question ! C’est impossible !

– mais Joshua, ce n’est pas pour moi ! Tout le monde m’a donné une liste. Je t’en prie, nous avons de la place !

– Non, nous ne prenons que ce qui est indispensable !

– tu ne penses pas que disposer d’une salle d’opération bien équipée soit indispensable ? lui rétorquais-je avec force.

Il resta interdit un moment puis apercevant une boite que j’avais malencontreusement laissé sur le dessus, il ajouta :

– et ça, c’est indispensable ? dit-il en agitant une peluche pour bébé que Tamina m’avait demandé pour sa crèche.

– Joshua…s’il te plait, on m’a demandé tellement de choses. Ils comptent tous sur moi…

Mais les trois hommes restèrent imperméables à mes arguments jusqu’à ce que je dise :

– écoutez, je suis d’accord avec vous, on ne peut pas tout prendre, mais il reste des navettes. On pourrait les remplir et se débrouiller pour les faire atterrir au village par la suite ?

– sans pilote ?

– pourquoi pas ! Serarpi doit pouvoir faire ça !

– et qu’est ce qu’on en fera après ?

– On les renverra sur le vaisseau…on utilisera les matériaux…je ne sais pas. Mais je sais que nous avons besoin du matériel qui se trouve ici ! Allez les gars, soyez sympas !

Finalement, ce fut Nuncio qui me sauva :

– je vais descendre avec toi et on va voir si on peut entreposer des chariots dans les navettes qui restent ensuite on demandera à Serarpi si elle peut les ramener au sol.

J’étais si contente que je faillis lui sauter au cou mais Joshua nous observait, morose et fermé, alors je me contins. Nous descendîmes dans les cales pour découvrir qu’il ne manquait que cinquante deux navettes en tout sur les deux cent cinquante que comptait le vaisseau, soit mille quarante personnes, en admettant que toutes les navettes soient pleines. Bien pire encore que sur le vaisseau qui nous avait amené à Matria. Nous travaillâmes presque toute la journée à remplir des navettes en notant leurs numéros soigneusement. Nous fîmes tous une pause durant laquelle nous nous retrouvâmes dans un restaurant bien moins luxueux que celui du vaisseau présidentiel. Nous mangeâmes en silence nos plats réchauffés et nos desserts en conserve.

– combien d’entre eux ont atterri dans les plaines centrales ? dit finalement Joshua dans une question qui n’appelait pas de réponse.

Le bâtiment était vide nous en étions pratiquement sûrs.

– dès que le satellite sera en orbite, nous pourrons voir comment s’est concentrée l’activité humaine répondit indirectement Martial. Pour le moment, il ne sert à rien de se désoler, ils vont probablement aussi bien que nous.

Nous l’espérions pour eux mais les stocks bien garnis nous faisaient craindre le pire.

– il y a tellement de chose que nous ne savons pas ! souffla Joshua.

– nous allons en savoir pas mal rapidement, j’ai pratiquement fini de craquer  les codes, dit Serarpi comme si elle parlait d’une chose anodine. Je vais bientôt pouvoir copier tous les fichiers et établir définitivement la liaison avec notre village. Par contre, ajouta t’elle, il va falloir plus de temps que prévu. Je pense qu’il faudra dormir ici au moins une nuit. Ca vous laisse du temps pour prendre tout ce que vous voulez.

Nous nous regardâmes interloqués, nous n’avions pas prévu de passer la nuit sur le vaisseau et cette perspective semblait n’enchanter personne, mis à par Serarpi qui flottait dans une autre dimension. Elle revivait, c’était évident.

Nous reprîmes nos activités. Je découvris une belle cabine que je dépouillais de son mobilier luxueux avec l’intention de me construire une maison pour moi toute seule. J’en remplis une autre navette avec l’aide de Nuncio qui préférait me suivre dans mes égarements plutôt que de rester seul à ruminer. Quand il fut temps de dormir, alors que la nuit était déjà bien avancée sur Matria et que nous titubions dans les couloirs, nous installâmes des matelas dans la salle de pilotage. Nous voulions rester ensemble. Nous nous endormîmes à la lueur des écrans et du bruit irritant, puis soporifique, du cliquetis des touches de clavier. Serarpi, infatigable, travaillait toujours. Au matin, bien que ce ne fût qu’une réalité subjective, Serarpi dormait sur un matelas et l’écran sur lequel elle avait passé la journée et la nuit, faisait défiler des centaines de lignes à une vitesse telle qu’il était impossible de les lire. La copie des fichiers avait commencé. Nous allions bientôt pouvoir rentrer chez nous. Je me rendis aux toilettes et par pudeur, je préférais aller dans une cabine attenante. J’étais en train de me rhabiller quand je sentis quelque chose me frôler la jambe. Je sursautais en hurlant et la chose fit un bond en miaulant de terreur, c’était un chat. Un chat abandonné depuis des mois dans cet immense vaisseau ! Je lui tendis la main en l’appelant doucement et il se jeta dessus en y fourrant sa jolie tête triangulaire pour que je le caresse. Je pris le temps de l’apprivoiser avant de l’attraper et de le ramener aux autres.

– un chat maintenant ! Mais à quoi tu joues ? dit Joshua d’un ton inutilement irrité.

– mais à rien, lui répondis-je doucement parce que je sentais que la négociation risquait d’être serrée, il m’a pratiquement sauté dessus. Je n’allais pas le laisser là ! Ça fait des mois qu’il est seul ! Vous imaginez ?

Nuncio attrapa l’animal et le coinça sur le dos, puis il dit :

– c’est bon, c’est un femelle, plutôt jeune, à peine deux ou trois ans, mais elle a été stérilisée. Tu peux la ramener avec nous si tu veux. Elle ne risque pas de poser de problème.

Les autres se regardèrent puis, devant mon air suppliant, ils soupirèrent et retournèrent à leurs occupations. J’avais gagné un chat !

Pendant que Serarpi surveillait négligemment ses écrans, les trois hommes partirent s’occuper du satellite. Ils avaient découvert, grâce au travail de notre informaticienne, un sas de lancement qui permettrait de mettre l’engin en orbite bien plus facilement et surement qu’avec une navette. Ils descendirent donc dans les cales, porteur de l’énorme satellite qui ressemblait à un gros et très long bidon rembourré de couches de protection, équipé de divers capteurs et antennes à son sommet, ainsi que de réacteurs qui formaient trois petits pieds coniques à sa base. Je les suivais, poussant sa voilure sur un chariot. L’assemblage eut lieu dans le sas et je les regardais travailler avec admiration. Tout avait l’air d’avoir été répété depuis longtemps, il semblait n’y avoir aucun geste inutile et ils travaillèrent dans un silence religieux et concentré. Les longues ailes furent adjointes et consciencieusement fixées, comme si elles avaient toujours fait partie de l’engin, puis le satellite fut positionné au centre de la salle. Avant de quitter la pièce, Martial introduisit dans sa structure une longue carte rigide truffée de diodes, de micro-puces et de filaments reliés et précisa :

– sans ça, on aurait travaillé pour rien.

Puis il appuya sur un bouton rouge et des voyants lumineux, petits mais bien visibles dans la pénombre du sas, s’éclairèrent.

– c’est bon, on peut le lancer maintenant, ajouta-t-il.

Nous sortîmes de la salle et une immense porte étanche d’une épaisseur étonnante se referma, nous laissant juste un petit hublot pour contempler l’appareil prêt à prendre son élan dans le vide sidéral. Via le communicateur, Martial et Serarpi procédèrent, chacun de leur poste, à l’ouverture du sas et au lancement du satellite. Il sembla tomber lentement quand le plancher se retira sous lui, comme s’il hésitait à quitter la protection du vaisseau, puis il glissa hors de notre vue et nous dûmes nous fier à la voix de Serarpi qui guidait l’engin grâce aux moteurs, en commentant toute ses manœuvres. Nous avions l’impression de vois le satellite évoluer dans l’espace. Elle le fit avancer jusqu’à ce qu’il soit dans la direction souhaitée puis coupa doucement la propulsion. Il dériva un moment dans la mauvaise direction et elle dû le caler à nouveau en rallumant les moteurs un court instant. Finalement, il se mit à tourner lentement, captant la lumière du soleil pour s’alimenter et il fut autonome. Nous pourrions le laisser là et surveiller ce qu’il voyait, nous pourrions aussi le déplacer pour l’amener au dessus des zones qu’il ne couvrait pas. Il allait tourner en même temps que Matria, demeurant au dessus du village et couvrant ses environs, nous fournissant les informations qu’il collectait en permanence. Pour le moment, c’était notre préoccupation principale. Nous remontâmes dans le poste de pilotage où nous retrouvâmes Serarpi qui devait encore encoder les ordinateurs de telle sorte que seul un hacker de son niveau puisse défaire son travail. Quand elle eut finit, elle débrancha un boitier volumineux qu’elle serra précieusement contre elle :

– voilà, tout est là. Tout ce dont dispose ce vaisseau est en notre possession.

Elle rayonnait et nous la félicitâmes ce qui la fit rougir, puis Martial proposa d’une voix tonitruante :

– et si nous rentrions ?

Nous accueillîmes cette proposition avec des cris de joie et j’attrapais délicatement la petite chatte qui ne m’avait pas quittée de la journée, surtout depuis que je l’avais nourri de boites de thon. Je la glissais dans un petit sac à dos que je débarrassais de papiers et de livres, regrettant de ne pouvoir les emporter. Elle se laissa faire docilement, même si elle n’apprécia pas d’être ainsi enfermée quand je remontais la fermeture éclair pour qu’elle ne s’échappe pas du sac avant que nous n’atterrissions. Heureusement, un petit filet laissait passer l’air sur le coté et je voyais ses yeux inquiets au travers. Quand elle me vit, elle se calma et se résigna à se terrer au fond et à attendre. Nous descendîmes les escaliers métalliques qui retentissaient sous les bruits réguliers de nos pas et nous rejoignîmes notre navette dont l’arrière était chargé de caisses et de cartons soigneusement arrimés. Je posais l’animal sur mes genoux et me sanglais.

Le retour se fit sans difficulté particulière mais nous étions tout de même heureux et soulagés quand la navette se posa sur la piste d’atterrissage. Tous nos amis nous attendaient et la navette fut rapidement vidée de tout son contenu. Je dû m’expliquer avec la moitié du village qui accepta de mauvaise grâce que nous n’ayons pu emporter tout ce qu’ils avaient demandés. On aurait dit des  enfants que le Père-noël avait oubliés. Je demandais à Serarpi s’ils seraient possibles, dans les jours à venir, de faire atterrir les navettes que nous avions chargées et elle me répondit qu’à partir de maintenant, tout était possible. J’adorais sa réponse.

Le soir, un véritable festin fut servit en notre honneur. Mafalda et son époux rayonnaient à la perspective de recevoir bientôt une salle d’opération pratiquement complète, en plus des cartons que j’avais réussi à imposer à mes amis qui tenaient bien plus à emporter des outils de toute sorte que des scalpels et des pansements stériles. Dans les jours qui suivirent, Serarpi s’attacha à transférer les données sur les ordinateurs tout en créant des sauvegardes et ainsi, les informations du vaisseau devinrent accessibles à tous. Au début, il y eut foule. Tout le monde voulait voir. Rapidement cependant, il s’avéra que personne ne cherchait d’information précise, aussi, nous pûmes nous consacrer à dépouiller les données de façon plus consciencieuses, pendant que Serarpi créait un programme de commande et de pilotage des navettes à distance. Maintenant qu’elle disposait de la technologie du vaisseau, elle n’avait plus de limites. Du matériel informatique plus puissant avait été emmené et la salle ronronnait nuit et jour. Les ventilateurs expulsaient un air chaud en permanence. Tous les jours, j’entamais une recherche sur les premiers colons et j’étais instantanément sollicitée par une demande urgente, pressante ; lassée d’être dérangée en permanence, Serarpi me pria de ne revenir que quand je pourrais rester tranquille deux minutes. Je quittais donc la salle informatique en me promettant de lui demander un accès aux données, via ma table lumineuse. Après tout, elle me servait aussi d’ordinateur. Je profitais de mon temps de répit pour effectuer quelques vols en deltaplane, toujours aussi grisants, mais je limitais mon rayon d’exploration car nous n’avions pas trouvé de balise dont je puisse m’équiper. Quand Serarpi eut achevé son travail, il fallut s’occuper de faire atterrir les navettes qui étaient immédiatement déchargée et qui repartaient se loger dans le vaisseau. Je regrettais que nous ne les ayons pas toutes remplies car il y avait encore beaucoup de choses dont nous avions besoin !

Nous retournerions ultérieurement sur le vaisseau. Pour le moment, nous nous contentions de ce que nous avions réussi à emporter.

En attendant que Serarpi me donne enfin accès à un ordinateur personnel, je conçu rapidement les plans de ma nouvelle maison. En quelques semaines, aidée par toutes les bonnes volontés du village, à l’exception de Joshua qui semblait disparaître dès qu’il me voyait, Je construisis une maison proche de la plage, appuyée à un pan de la falaise, ce qui la rendait pratiquement invisible du village. Composée d’une pièce principale qui s’ouvrait sur l’océan, de deux chambres et d’un bureau lumineux et spacieux, elle était simple mais fonctionnelle et surtout, elle était à moi seule. Je n’avais jamais rêvé, même dans mes rêves les plus fous, de posséder une maison pour moi toute seule. J’y avais adjoint une vaste véranda où je passais de longues heures à paresser avec « boulette » le petit chat de l’espace qui me prenait pour sa mère et me suivait partout. Toutes deux lovées dans les coussins moelleux que j’avais pris dans une luxueuse cabine, nous rêvassions, elle endormie, moi l’esprit galopant au gré de mon imagination. Boulette m’attendait au bord de la falaise quand je décollais, poussant des miaulements déchirants mais elle refusa obstinément de s’approcher des écuries et elle trouvait refuge au plus profond de la maison, chaque fois que je montais à cheval. Gazelle, pourtant douce et attentionnée, la terrorisait. Quand je revenais, porteuse de son odeur, elle crachait, se hérissait, arborant une magnifique queue aussi touffue qu’un sapin de noël et filait comme un lapin se réfugier sous mon lit d’où elle ne sortait que quand je m’étais lavée et changée. Je la traitais de peureuse et elle se frottait contre mes jambes en ronronnant. J’étais enfin apaisée.

Au village, tout le monde semblait satisfait. Joshua et Daïa s’affichaient ouvertement ensembles et je ne leur en voulais plus. Nuncio, toujours un peu sombre, me rendait visite certains soirs. Mais il n’avait pas apprécié ma désertion et me reprochait d’avoir pris des distances. C’était vrai, j’avais besoin d’espace et de temps. Nous n’avions jamais été maitres de notre vie avant d’arriver sur Matria. Il était temps d’en profiter.

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