UN BAISER OU LA MORT Chapitre 3

Les jours suivant filèrent à une vitesse folle. Les devoir s’enchaînaient, les contrôles aussi et je rédigeais ma première dissertation de philo sur table avec un plaisir que j’étais visiblement la seule à ressentir. Jacob, assis à mes côté, semblait peiner dans cette discipline que j’avais adoré dès le premier cours.

Soudain, je pouvais intervenir sans me faire rabrouer ou, quand quelqu’un le faisait, Alicia principalement, la prof, parce que c’était une femme, l’interrompais et me redonnait la parole. Je ne m’étais jamais sentie aussi intelligente et aussi reconnue par une enseignante. Le revers de cette médaille, c’était les brimades que je subissais. Bousculades dans les couloirs à grand coup d’épaule, plateaux renversés au snack…bref, rien de très nouveau. Mais ce qui m’inquiétait, c’était la fréquence de plus en plus rapprochée de ces événements soi-disant involontaires ou accidentels. Une fin d’après-midi où pour la dixième fois de la journée, Alicia me passait devant en m’écartant d’un bras rageur, m’envoyant valser contre le mur, une main me retint et me stabilisa.

– hey, cria la voix maintenant familière de Jacob, tu pourrais regarder où tu vas !

– oh chéri, je lui ai fait mal ? Dit Alicia d’une voix mélodramatique en écarquillant de grands yeux aux cils immenses et papillonnants. Elle ajouta : désolée mais il vaut mieux qu’elle apprenne tout de suite. Les plus forts marchent devant et les faibles s’écartent. Tu devrais savoir ça toi !

Puis elle poursuivit son chemin en tortillant ses fesses moulées dans un jean ultra slim. Je sentis la poigne de Jacob se resserrer autour de mon bras et je poussais un gémissement involontaire.

– désolé, je ne voulais pas te faire mal, mais elle est tellement insupportable !

– tu dis ça maintenant mais toi aussi tu succomberas à ses charmes. Aucun garçon ne lui résiste…

Il me regarda étonné, comme si mon ingratitude (parce que ce n’était rien d’autre, je l’engueulais au lieu de le remercier) le décontenançait.

– Désolée, je bafouillais, mais j’en ai tellement mare d’être prise pour un punching-ball.

Il relâcha son étreinte, et s’étant assuré que je tenais bien sur mes pieds, il fila. (Certainement pour la retrouver, me dit mon esprit retors. Il fallait vraiment que j’arrête de l’engueuler chaque fois qu’il passait près de moi sinon il allait finir pas me détester).

Arrivé au bout du couloir, il me lança un de ses regards étranges qui me troublaient tout en me mettant mal à l’aise. Je ne savais pas les déchiffrer et je n’aimais pas ça. Je m’accommodais de la méchanceté d’Alicia parce qu’elle était assumée et affichée. Je comptais les semaines qui me restaient avant de la voir disparaître à tout jamais de ma vie et ça me remontais le moral. Comme un prisonnier qui coche les semaines sur son mur de cellule. Mais au stade où en était mes relations avec Jacob (vaguement amicale, ce qui était déjà beaucoup pour moi), la dernière chose que je désirais, c’était qu’il change de camp.

En fin d’après-midi Marina vint nous chercher et elle nous annonça qu’elle commençait à travailler dès le lundi suivant et que nous devrions donc prendre le bus. Jacob soupira et moi, je m’enfonçais dans le siège maintenant familier de la grosse voiture.

– when will I get my driver’s licence ? Demanda-t-il à sa mère.

– bientôt Jacob, Bientôt. La Préfecture devrait nous répondre d’ici quelques semaines et d’ici là tu auras eu 18 ans.

– c’est quand ton anniversaire ? Je demandais pour essayer de changer de sujet car il semblait très contrarié.

– le 24 Octobre, Pourquoi ? Me répondit-il visiblement agacé par l’impossibilité de conduire.

– ce n’est pas vrai ? C’est mon anniversaire aussi ! Je m’écriais, soufflée par cette coïncidence.

Really ? S’exclama Jacob surpris.

Really !

– Vous êtes jumeaux ! S’exclama Marina que cela semblait enchanter.

– non, pas vraiment, je répondis dans ma barbe.

– pourquoi ? Me demanda-t-elle étonnée.

– parce que je vais avoir 16 ans…

Par chance nous étions arrêtés à un feu rouge car ils se retournèrent tous les deux pour me dévisager.

– tu n’as que 15 ans ? s’écria Marina

– oui, je pensais que vous le saviez, je répondis en ayant le sentiment que je devais m’en excuser.

– mais c’est incroyable ! Tu es tellement mature, tellement sérieuse, on dirait que tu es plus âgée que…Jamais je n’aurais imaginé que tu étais si jeune.

Jacob me dévisagea encore un moment, plus énigmatique que jamais puis il se retourna, vissa ses écouteurs à ses oreille et s’enfonça dans son siège. Le message était clair, ne pas  déranger ! (Et voilà, on était arrivé au moment que je redoutais. Il allait me traiter comme une gamine. Au mieux, il me verrait comme sa petite sœur. Deux ans c’est énorme à notre âge et même si je me sentais bien plus vieille que lui ces derniers temps, après tout ce que j’avais traversé, je me doutais qu’il n’en tiendrait pas compte).

Dès que la voiture s’arrêta je descendis et criant en vitesse un « bon week-end » je me réfugiais dans ma chambre.

L’année allait être longue.

Je m’absorbais dans mes devoirs durant toute la fin d’après-midi, histoire d’en avoir terminé avant le week-end. Ce n’était pas que j’avais grand-chose de prévu (en fait je n’avais jamais rien de prévu le week-end, à part quand ma mère m’emmenait au resto ou au ciné, ce qui était devenu très rare depuis que nous avions emménagé ici) mais je n’aimais pas savoir qu’il me restait du travail.

La nuit commençait à tomber quand la lumière de la chambre de Jacob s’illumina. Il avait dû nager toute la fin d’après-midi. Absorbée par mes exercices et mes leçons, je n’y avais pas prêté attention. Je vis son visage apparaître furtivement par la fenêtre, comme s’il vérifiait que j’étais là puis je vis ce que j’avais redoutais depuis le début : Alicia. (Non pas que je pensais que j’avais une seule  chance de plaire un jour à Jacob, mais je ne voulais pas que ces deux-là s’allient contre moi, elle seule me causait déjà bien assez de problèmes).

Voilà pourquoi il vérifiait si j’étais là, il ne voulait pas que je les vois ensembles !

(D’un autre côté, si c’était le cas, il aurait fermé la fenêtre au lieu de la laisser grande ouverte. C’était pire, il voulait que je les voie ensemble!).

Il passa à nouveau devant la fenêtre et je le vis, les mains en avant, repousser fermement une Alicia visiblement désireuse de se coller à lui et de l’embrasser. Il me jeta un regard implorant. (Avais-je réellement bien vu ? Jacob était-il en train de me demander de l’aide? Il ne fallait pas que je me trompe sinon j’allais au-devant de gros ennuis). Je le regardais à nouveau. Alicia gagnait du terrain et il ne semblait plus savoir comment la repousser sans être brutal. Il me regarda à nouveau et écarquillant ses yeux je le vis distinctement articuler « please… ». Alors je bondis. J’attrapais un livre de math au passage et sans même prendre le temps de remettre mes chaussures, je filais jusqu’à sa porte. Marina m’avait dit d’entrer quand je voulais alors, pour la première fois, j’entrais sans sonner et, m’assurant que personne ne me voyais, je grimpais l’escalier. Mes chaussettes ne faisaient aucun bruit sur le carrelage. J’arrivais devant la porte entrouverte de Jacob qui maintenait encore une Alicia toute babillante. Je me grattais la gorge et ils sursautèrent.

– Désolée Jacob, je ne voulais pas te déranger, je dis en pénétrant dans la chambre, mais tu devais me faire réviser mes maths. (Ça m’était venu comme ça, je pensais que ça serait plus crédible que l’inverse).

– c’est vrai, excuse moi, j’avais complètement oublié, me répondit-il visiblement soulagé (ouf, je ne m’étais pas trompée!).

– ça peut pas attendre demain ? dit Alicia qui profita de son relâchement pour passer un bras possessif autour de son cou, collant son corps contre le sien. On est occupé là, me dit-elle, tu vois pas ?

Jacob la repoussa fermement et reprit :

– installe toi Colette, je raccompagne Alicia en bas et j’arrive.

– quoi ?!! S’insurgea Alicia qui n’avait pas l’habitude qu’on lui résiste. Tu vas vraiment me mettre dehors pour faire des math avec cette…cette…fille ?

Tu sais, dans mon pays, on tient ses engagements. Le travail d’abord, lui répondit Jacob tout en la prenant par le bras pour l’escorter vers la sortie.

– vous les américains, dit-elle d’un rire factice. « No pain no gain », c’est comme ça que vous dites ?

– oui, c’est exactement ça, lui répondit-il avec un sourire en coin qu’elle ne vit pas mais qui me mit du baume au cœur. Il se moquait visiblement d’elle.

Elle eut tout de même le temps de me jeter un regard noir avant de disparaître. Je l’entendis parlementer encore un moment avec Jacob. Finalement il revint et se laissa tomber sur son lit en soufflant.

.- merci, soupira-t-il. Cette fille est une vraie sangsue. Ok, elle est plutôt bien roulée mais elle est stupide et insupportable ! Désolé, reprit-il après un silence, j’aurais pas dû dire ça.

– dire quoi ? Qu’elle est bien roulée ? Tu ne serais pas un garçon normal si tu ne le voyais pas ! Mais j’apprécie que tu voies à quel point elle est odieuse.

– en tout cas merci, je ne savais plus comment la faire partir. Elle ne comprend pas quand je dis non, dit-il sur un ton presque plaintif.

J’éclatais de rire.

– quoi ? Pourquoi tu ris ?

– c’est difficile de te voir en victime sexuelle !

– pourquoi ? S’insurgea-t-il en se redressant sur ses coudes ce qui fit ressortir à la fois ses biceps, ses pectoraux et ses abdominaux (comment faisait-il une chose pareille ?). Parce que je suis beau, je dois me laisser faire par n’importe qu’elle fille ? (ça va ton ego, il pèse pas trop  lourd ? D’un autre côté, comment pouvait-il ignorer quelque chose que toutes les filles devaient lui répéter depuis des années ? C’était injuste de le lui reprocher.)).

Il rejeta sa tête en arrière, soufflant une mèche rebelle qui lui tombait sur les yeux. Son front dégagé était haut et ses sourcils biens dessinés rehaussaient le vert de ses yeux.

– tu as raison, je soufflais, légèrement hypnotisée par sa beauté et sa proximité (Il fallait que je me ressaisisse). Bon, il faut que je file, j’ai encore du travail, je dis en bondissant sur mes pieds. Si tu as encore besoin de moi pour te servir de garde du corps, tu sais où me trouver, j’ajoutais en souriant.

À ce moment-là il se leva lui aussi, visiblement pour me dire au revoir ou pour me raccompagner. J’avais dû mal calculer ma trajectoire car nous nous percutâmes. Pas violemment, mais suffisamment en tout cas pour qu’il juge utile de m’attraper par les bras pour me maintenir debout. Nos corps étaient si proches que je pus sentir la chaleur de sa peau et son souffle sur ma joue. Il était grand, beaucoup plus grand que moi, il devait mesurer au moins un mètre quatre-vingt-dix. Pourtant son visage me semblait soudain si proche et sa bouche…je sentis mon cœur s’accélérer et ma respiration devint légèrement haletante. Il releva mon menton de sa main et plongea son regard dans le mien. Ses yeux étaient insupportablement attirants. Je dus faire un effort pour me dégager, non pas qu’il m’empêcha de partir mais mon corps n’en avait aucune envie. Pourtant je savais qu’il le fallait. Ma vie était déjà assez compliquée comme ça. Je reculais, son regard toujours rivé au mien, ce regard que je n’arrivais pas à comprendre mais qui me dévastait et je lui échappais en franchissant la porte. Je dévalais les escaliers quand je m’aperçus que j’avais oublié mon livre de math. Je remontais précipitamment et bondit dans la chambre en disant :

– j’ai oublié mon bouquin ! Puis je repartis aussi vite. J’eus cependant le temps de le voir se laisser tomber sur son lit en disant :

– ah, Colette…

« Impossible de savoir ce que je devais comprendre. Étais-ce un « Ah Colette, tu me rends dingue !  Ah Colette, tu es encore là ? Ah Colette, je regrette de t’avoir rencontrée… ».

Je rentrais chez moi, habitée de questions sans réponse et je fus incapable de penser à autre chose toute la soirée malgré de nombreuses tentatives. J’avais pris la précaution de refermer ma fenêtre car je ne voulais pas croiser son regard encore une fois aujourd’hui.

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